Blast, tome 1 (Larcenet)

Blast, tome 1
Larcenet © Dargaud – 2009

Prénom : Polza
Âge : 38 ans
Situation actuelle : a choisit d’être clochard « Pas SDF ! Clochard ! Le premier subit quand le second choisit ».
Antécédent professionnel : critique culinaire
Antécédents tout court : sept internements en hôpital psychiatrique durant les 6 dernières années, automutilations, comportement asocial, altération du jugement, état délirant, hallucinations, une dizaine d’arrestations, voie de fait, ébriété, outrage, stups, vol simple…
Signe particulier : Intelligent, il a de l’esprit et manie le verbe.
Polza est en garde-à-vue. Carole est, par sa faute, hospitalisée dans un état  critique. Deux flics sont là pour l’écouter et avoir sa version des faits, « maintenant que vous l’avez serré, il faut le comprendre » invective le commissaire. Le soucis c’est que Polza va avoir besoin de temps.
Posez-vous avec ce pavé de 220 pages, Polza se raconte…

Qu’est-ce que je vais bien pouvoir vous raconter sur Blast que vous n’auriez déjà lu ????? (il m’en manque : ???… le compte devrait y être). Rien ! Par contre, si jusqu’à présent vous étiez parvenu à passer au travers, pas de bol… j’en remets une couche.

Des départs, nous avons déjà eu l’occasion d’en lire : Lulu Femme nue, Adieu Chunky Rice, Les Petits Ruisseaux, Le Bar du Vieux Français, Journal d’une disparition… pour ne parler que de ceux qui sont sur la Morue. Dans chacun de ces albums, il est question d’une quête (de soi) et, pour moi, Blast ne déroge pas à la règle. Bien avant d’ouvrir l’album, j’avais lu que Larcenet cogitait depuis longtemps un projet qu’il souhaitait faire débuter en prison. Il avait aussi pensé au milieu hospitalier, mais Larcenet souhaitait un personnage qui ait l’air « plus dangereux que malade ». Quelques angoisses personnelles de Larcenet nourrissent Polza et d’autres fictives viennent compléter le personnage.

Le Blast de Polza est un état qu’il atteint suite à un choc (physique, émotionnel…), bien qu’il n’a pas encore le recul pour l’identifier comme ça… il est possible aussi que je me trompe. Le premier Blast auquel il est confronté, c’est après avoir vu son père mourant sur son lit d’hôpital. Un père au corps décharné, semblable à une pie squelettique mazoutée et déposée sur un lit blanc immaculé d’hôpital. « Sa vie était une litanie de responsabilités… j’étais l’une d’entre elles. Il parlait peu… tout occupé qu’il était à survivre » dira Polza de son père. Choc émotionnel du héros qui sera pour nous l’occasion de le voir en état d’extase (clairvoyance, légèreté, bien-être) et, accessoirement, d’accéder à un des rares moments « colorés » de l’album. Cet événement-clé provoque le début de l’errance et de la quête (quête philosophique, quête d’identité) de Polza qui souhaite revivre une expérience semblable.

Ainsi, Polza s’affranchit de toutes attaches (matérielles, affectives, sociales), se met en marge de  la société et se dérobe ainsi aux regards plein de dégoût et de pitié qu’il suscite chez les autres. Une alternative à la norme, une solitude qu’il veut libératrice. On le sent borderline.

Depuis que j’ai relu le Combat ordinaire et que je suis restée en pâmoison face à l’utilisation qui y a été faite des codes-couleurs, je vois l’utilisation des symboliques partout dans les ouvrages de Larcenet. Blast n’y coupe pas et ici, je me pose la question de l’utilisation des symboliques animales, principalement autour des volatiles. Déjà esquissées à la fin du Combat ordinaire lorsque le personnage de Pablo est mis en parallèle avec celui d’une chouette (chouette = la sagesse). Je pense qu’il y a matière mais je n’ai rien pu trouver sur ce sujet là dans les interviews en ligne.

Par contre, je sais que la Pie (employée pour le père de Polza) est symbole d’honnêteté et d’intégrité. Le moineau quant à lui (utilisé pour Polza à la seconde planche) est symbole de modestie. Une autre lecture des symboliques serait de définir le moineau comme le symbole d’une âme et d’un corps faibles ou bien encore une personne qui manque d’ambition et de confiance.

Pour nous accueillir dans Blast, cinq planches muettes qui font naître une déferlante de questions : qui est cet homme au faciès de moineau (planche 2) ? pourquoi est-il enfermé ? qu’a-t-il fait lui qui semble si calme ?… Puis le champ s’élargit autour de sa grasse carcasse sur laquelle il est difficile de poser les yeux.

Je suis ravie de voir cet auteur revenir au mode Noir & Blanc, comme à ses débuts dans Fluide, et de voir que sa métamorphose progressive se poursuit. Une ambiance graphique que j’apprécie, certaines planches sont de réels petits tableaux. La laideur de Polza et l’imprécision ponctuelle de ses traits contrastent avec la précision et la minutie avec lesquelles Larcenet s’est acharné à camper décors, oiseaux et personnages secondaires (le Serbe par exemple).

Bref, le trait est maîtrisé… tantôt mystérieux et sombre, tantôt doux et onirique. Il va à l’essentiel et est aidé en cela par des dégradés justes de noirs/blancs/gris. Feutres, crayons gras, aquarelle… s’allient ici. Monde réel et monde imaginaire de Polza se côtoient mais nous lecteur, on ne se perd pas.

Quant au scénario, j’aurais tendance à dire un peu la même chose.

On vadrouille de manière fluide entre présent et passé, rationnel et irrationnel. Un récit intimiste, libre et lourd de sens. LARCENET nous trimbale. En lecteur confiant, on se repose complètement sur lui puisqu’il nous propose une atmosphère propice à cela et un contenu plausible. Constat rapidement posé donc, et ce malgré la présence de ce gros personnage rebutant et louche qui parvient, en l’espace de quelques planches, à capter notre attention en organisant lui-même la donne de son interrogatoire : « Si vous voulez comprendre, il faut que vous passiez par où je suis passé… ». Ensuite, je trouve qu’on est face à une alternance bien dosée entre les dialogues de l’interrogatoire et le récit de Polza. Progressivement, on change notre fusil d’épaule, on devient accro à la vision de Polza, les interventions des inspecteurs recadrent Polza quand il part trop dans sa bulle.

On l’écoute, on le regarde, il nous intéresse et sa grasse carcasse rebutante s’efface. Ce mystérieux homme devient attendrissant. Le pire c’est qu’il parvient à nous faire admettre le bien-fondé de sa démarche insensée.

Le discours fleuve de Polza lors de son introspection nous met dans une ambiguïté : rassurant ou inquiétant ce personnage ? Et le côté rassurant est-il dû au fait qu’il semble capable de porter un regard sur ses actes ou est-ce le fait qu’il soit en garde-à-vue, et donc sous contrôle ? Quoiqu’il en soit, j’apprécie la lenteur, les silences et les détours utilisés pour installer l’intrigue. On sent LARCENET libre dans son écriture. Un projet de 10ans qu’il a mûri… les prochains tomes auront-ils la même qualité ?

Lecture d’Avril pour k.bd.

PictoOKPictoOKOn est loin d’avoir toutes les cartes en main en sortant de la lecture. On ne sait pas ce que Polza a fait à Carole mais ça monte doucement en puissance et c’est vrai que l’on s’attend au pire. N’en déplaise à certain, le seul grief que j’aurais à prononcer c’est qu’au final, quelque soit l’attitude des deux flics, je regrette que ce soient à eux que Polza se dévoile, parce que de la part de tels interlocuteurs, on va forcément rester sur de l’interprétation subjective.

Je ne rallie pas la troupe de lecteurs qui disent que cet ouvrage est triste et mélancolique. Au contraire, je valide pleinement la question de la quête de soi et de la quête de sens… même si ça frise la psychose et qu’on fonce droit dans le mur (issue tragique déjà connue). Ce nouveau départ choisit par le personnage représente pour moi quelque chose de positif.

Une série généralement annoncée en 5 tomes sur de nombreux sites, mais l’info plane en douce sur un potentiel triptyque (voir ce billet sur bd.blogs.sudouest). Quoiqu’il en soit, ce tome d’ouverture prévoit effectivement de bien bonnes choses à venir. On est ému, intrigué… et on cogite sur les normes et les valeurs de notre société.

Prix des Libraires en 2010.

Quelques liens savoureux : Le Comptoir de la BD, Iddbd, interview de Larcenet sur Bodoï, l’avis d’Alain.

CITRIQ

Extraits :

« Le ventre contre le sol, je sentis la grouillante marche du monde. Je fus soulagé de voir qu’elle me ressemblait, elle ne s’apaise jamais » (Blast).

« Gardez-là votre République jumelle de celle qui vous a mis dehors (…) je ne mendie plus ma place » (Blast).

Blast

Roaarrr ChallengeSérie en cours

Tome 1 : Grasse Carcasse

Éditeur : Dargaud

Dessinateur / Scénariste : Manu LARCENET

Dépôt légal : novembre 2009

ISBN : 9782205063974

Bulles bulles bulles…

Ce diaporama nécessite JavaScript.

Blast, tome 1 – Larcenet © Dargaud – 2009

Auteur : Mo'

Chroniques BD sur https://chezmo.wordpress.com/

19 réflexions sur « Blast, tome 1 (Larcenet) »

  1. On partage le même avis visiblement. Au passage, merci pour les liens vers les interview. Celle de Bodoï m’a vraiment fasciné. On en sait beaucoup plus sur ses inspirations, c’est vraiment une oeuvre très personnelle, et on sentait bien que ça venait du fond du coeur, que c’était très abouti.

    J’aime

  2. Pour moi, contrairement au Combat Ordinaire par exemple, l’histoire de Blast est clairement en place. L’écriture est faite depuis très longtemps dans la tête de Larcenet. La preuve il a depuis longtemps commencé le dessin du 2e (cf son blog). Les descriptions sont trop précises, les évènements semblent tellement établis pour qu’il n’ai pas tout déjà en place. Contrairement à toi, je pense que les flics sont les parfaits interlocuteurs de Polza, ils sont les cartésiens face au poète, l’ordre face au désordre, bref tout ce qu’il faut pour une bonne opposition, un blast quoi ! Je reste sur l’idée que cette série sera bien supérieure dans le temps au Combat Ordinaire.

    J’aime

  3. J’ai été assez surprise par ce Larcenet, il arrive d’un endroit qu’on ne connaisait pas. Et je l’ai lu très/trop vite. Peut-être une redif est-elle nécessaire car je n’ai pas été convaincue. N’empêche que je rééssayerai et que je lirai le prochain, paskeu bon, c’est Larcenet quand même!

    J’aime

  4. J’ai adoré ce premier tome et je partage ton point de vue, car je ne l’ai pas vraiment trouvé triste et mélancolique. J’ai hâte de pouvoir lire la suite et savoir ce qui est arrivé à Carole…

    J’aime

  5. Gros coup de coeur pour ce premier tome tant pour l’histoire que pour le dessin que j’ai trouvé superbe..mais grosse frustration car je ne savais pas que c’était un tome 1 et je ne sais pas si la médiathèque l’a… J’envisage sérieusement de les acheter tant j’ai été emballée!

    J’aime

  6. Ping: Blast | K.BD

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.