Abdallahi (Dabitch & Pendanx)

Abdallahi, première partie
Dabitch – Pendanx © Futuropolis – 2006
Abdallahi, seconde partie
Dabitch – Pendanx © Futuropolis – 2006

Début du 19ème siècle.

René Caillié a exploré le continent africain et est le premier Blanc à être entré (et ressorti vivant) de Tombouctou.

Après plusieurs promesses de financement de l’Ambassade française non tenues, René Caillié part à l’aventure sans aucun soutien matériel. Il va se fondre dans un personnage qu’il a déjà créé de toutes pièces et investit : Abdallahi (« le serviteur de Dieu »). Un court séjour chez les indigènes lui a déjà permit de tisser des liens avec eux. Il se sent capable d’investir ce rôle sur du long court. N’écoutant que son courage et aveuglé par des ambitions démesurées, Abdallahi va s’enfoncer toujours plus loin dans les terres d’Afrique, mettant sa vie en jeu. Explorateur solitaire, René Caillié a parcouru en 18 mois 4500 km à pieds en se faisant passer pour un égyptien. Un voyage de deux ans, du Sénégal au Maroc… impressionnant.

Nous sommes accueillis par les propos des auteurs : « ce récit, inspiré de la vie de René Caillié et du journal de son incroyable voyage est ici romancé. Nous avons supposé quelques secrets et imaginé cette marche en sa compagnie »… puis c’est le départ dans les magnifiques visuels de Jean-Denis Pendanx faits d’ocre, de rouilles, de bleu marine. Les jeux de couleurs appliquées au pinceau sont de toute beauté. Ils favorisent le ressenti physique des souffrances et des émotions de Caillié tout au long de la lecture : odeurs et sons nous envahissent, jusqu’à la chaleur étouffante du Sahara.

Un récit intimiste et poignant. En voix-off, on imagine René Caillié qui lit lui-même ses carnets de voyage : « J’avais seize ans quand je suis venu en Afrique pour la première fois. Deux guides m’ont laissé presque mort d’épuisement sur une plage, vers Gorée. Ils marchaient et moi je courais pour rester à leur hauteur. Les deux nègres riaient. J’ai été malade, je suis reparti en France mais je suis revenu car mon rêve ne m’a pas quitté. Je vois toujours les grands blancs sur les cartes, les espaces qu’aucun explorateur n’a traversés. Je veux aller là où personne n’est jamais allé. Peu importe si personne n’y crois ».

Cette œuvre procède à un remaniement permanent de son personnage principal, en proie à des questions spirituelles qui n’ont pas été sans me rappeler le questionnement mis en avant par Renaud De Heyn dans son triptyque La Tentation. Il se retrouve face à une solitude extrême. Pourtant, son personnage est en permanence entouré mais qui souffre du mensonge qu’il a construit de toute pièce pour pouvoir être accepté et atteindre son objectif.  Sans appui, sans possibilité de bénéficier d’un quelconque secours sanitaire ou d’un espace de parole où il pourrait tomber le masque, Caillié se laisse progressivement envahir par la folie qu’il cache derrière une frénésie religieuse étonnante. Il se cache derrière le Coran pour masquer ses angoisses à plusieurs reprises. Comme si cela ne suffisait pas, les douleurs qu’il doit supporter le défigurent petit à petit et la mutation physique qu’il subit, la manière dont les auteurs la retranscrive tout au long de ce diptyque, est impressionnante. Son visage se transforme, de plus en plus tanné par le soleil, il s’émacie, ses dents tombent… à la fin du récit il ressemble à un vieux pèlerin, frêle, épuisé, mal alimenté, mettant sa quête en tête de la liste des besoins vitaux à satisfaire.

En bonus, une postface intéressante des auteurs qui proposent une biographie de Caillié ainsi que les différentes lectures qui ont été faites de son parcours.

PictoOKUne lecture prenante et dérangeante où le racisme et la foi sont omniprésents. Certains propos mettent mal à l’aise, comme ceux tenus sur l’esclavagisme. Je me suis sentie en partie responsable de ces agissements barbares même si ma génération n’a pas été partie prenante à de telles pratiques… Un voyage graphique magnifique et une trame narrative qui ressert méticuleusement ses liens sur sa proie : le lecteur ^^

L’avis d’Yvan sur CoinBD et celui de bdparadisio. La synthèse de kbd.

Extraits :

« L’idéal n’est pas de ce monde et si un jour tu le trouves, c’est que la mort sera proche de toi » (Abdallahi).

« La vieille négresse s’est occupée de moi comme un fils. Je ne sais pas pourquoi elle a fait ça. Elle ne m’a rien demandé. L’Afrique produit des saintes femmes qui aiment comme elles respirent » (Abdallahi).

« – Ils partiront vers l’Orient, peut-être jusqu’en Égypte, dans ton pays. Les plus belles femmes iront dans des harems, on coupera les couilles aux hommes qui iront surveiller ces harems. Les autres travailleront. Ils n’auront pas d’enfants. Et puis ils mourront et d’autres les remplaceront.
– Je sais.
– Non, tu ne sais pas ! Il faut avoir porté les chaines pour savoir, avoir vu sa femme porter les chaines, il faut avoir été fouetté, s’être laissé regardé les dents et les yeux, avoir été entassé dans des bateaux et avoir travaillé das des champs en se disant qu’on allait y mourir, pour savoir. La seule différence avec les Blancs est qu’ils nous coupaient pas les couilles.
– C’est fini chez les Blancs.
– Qui te dit que ça ne reviendra pas ? Regarde autour de toi ! Ça continue. On nous a habitué a être esclaves. C’est la volonté des chefs et de Dieu. On ne proteste plus, c’est comme ça. On sait ce que l’on vaut en sel, en tissus, en épices. On connaît notre poids exact » (Abdallahi).

Abdallahi

Diptyque

Éditeur : Futuropolis

Dessinateur : Jean-Denis PENDANX

Scénariste : Christophe DABITCH

Dépôt légal : février 2006 (tome 1) et novembre 2006 (tome 2)

ISBN (Intégrale) : 9782754804080

Bulles bulles bulles…

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Abdallahi, première et seconde parties – Dabitch – Pendanx © Futuropolis – 2006

Auteur : Mo'

Chroniques BD sur https://chezmo.wordpress.com/

8 réflexions sur « Abdallahi (Dabitch & Pendanx) »

  1. On m’a offert les 2 volumes en édition spéciale dans un fourreau. Ils sont bien au chaud dans ma Pal depuis plus d’un an, il va falloir que je m’y mette !

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