La Perdida (Abel)

La Perdida
Abel © Guy Delcourt Productions – 2006

Clara est une jeune américaine de retour aux États-Unis après un long voyage au Mexique, terre natale de son père. Cela fait un an qu’elle est rentrée chez elle et, en ce 23 février, elle fête ce triste anniversaire. Elle ressent de la nostalgie et un sentiment d’inachevé qui raisonne à la fois comme un échec (celui d’avoir quitté le Mexique) et comme une victoire (celle de s’être affirmée, d’être devenue une femme indépendante).

Initialement, le voyage de Clara en terre mexicaine ne devait durer que deux semaines. Elle avait trouvé chez Harry, son ex petit ami, un pied-à-terre qui lui laissait le temps de se retourner. Quelques visites touristiques prévues, l’éventualité de retrouver ses grands-parents paternels, l’envie de découvrir ce pays et une partie de son identité qu’elle a longtemps rejeté… et voici Clara éprise d’une sensation de plénitude et de liberté. Grisée par cette situation, elle laisse volontairement son billet de retour se périmer. Elle décide de rester au Mexique sans réellement se poser les bonnes questions jusqu’à ce qu’Harry la pousse dehors. Clara s’installe, elle loue un appartement au cœur de la ville sans s’inquiéter outre mesure des kidnappings récurrents d’étrangers. Forte de ses nouvelles relations avec des mexicains, Memo et Oscar, elle s’acharne alors à gommer son identité américaine, rejeter ses anciens idéaux, se leurrer qu’elle peut devenir une « vraie mexicaine ». Petit à petit, elle se laisse convaincre par les idéaux révolutionnaires et communistes de Memo et s’installe dans une relation affective avec Oscar, un jeune homme paumé qui tourne sur les marchés pour vendre des articles à touristes et deal pour arrondir les fins de mois.

Un graphic novel pur et dur ! Des visuels en noir et blanc, un ouvrage dense (environ 250 pages), un dessin aux traits épais et un récit intimiste écrit à la première personne.

Durant la lecture, j’ai fait le parallèle avec Trop n’est pas assez d’Ulli Lust et, même si je n’ai pas lu cet album, les avis d’Oliv’ et de Choco me font penser qu’il y a des liens à faire entre les deux ouvrages (La Perdida n’est cependant pas un récit autobiographique). Ces deux héroïnes sont vulnérables et immatures, elles se cherchent (quête d’identité) et sont toutes deux en mal de repères affectifs, relationnels et culturels. Pour chacune d’elles, l’expérience du voyage initiatique leur permettra de faire leurs premiers pas d’adultes. D’autre part, le traitement du sujet, la justesse des émotions et des situations, m’ont également fait faire un parallèle avec Blankets de Craig Thompson : un traitement graphique proche, une mise à nu du personnage principal, une ambiance intimiste. Cependant, La Perdida est plus classique dans sa construction puisque les virées dans le monde onirique sont totalement absentes du récit.

Pour asseoir le réalisme de son album, Jessica Abel s’est rendu à plusieurs reprises au Mexique sur des temps de séjour plus ou moins longs. Elle crée-là une expérience de vie fictive qui est crédible et troublante. Passée une courte introduction d’une dizaine de pages, on part dans les souvenirs de Clara. De son arrivée à Mexico au bilan qu’elle fait un an après son retour à Chicago, tout y passe : quotidienneté, doutes, sentiments, apprentissage de la langue, découverte de la ville… On revit les événements de manière chronologique, comme si nous y étions.

Le scénario est riche : un mélange de journal intime où une jeune adulte tente de faire  le deuil de ses idéaux et de ses principes en les remplaçant par un autre système de pensée. Clara est en permanence face à un fossé énorme entre ses idéaux et la réalité. On la sent perdue, en quête d’identité et de rencontres, incertaine de ses choix. Elle s’acharne à vouloir devenir une « vraie mexicaine », mais l’illusion sera de courte durée. Une expérience qui la marquera au fer rouge pour le restant de ses jours. Un parcours douloureux, semé d’embuches et d’hommes peu fréquentables. Entre temps, drogue, désocialisation, intégration, choc de cultures, repli sur soi, responsabilisation et découverte d’un pays et d’un mode de vie. Que cherche-t-elle au juste ? Nous la découvrons immature et très « ado » en début d’album et nous la quittons amère mais adulte, plus forte, plus lucide…

Des bonus d’album que j’ai quelque peu déserté : lexique de traduction des termes espagnols utilisés et explications sur les références faites à des personnages (écrivain, artistes…) pendant le récit.

Cet album m’a été conseillé par David et intègre à ce titre le Challenge du Bar

PALsèches

Une lecture que je conseille à Mango et que je partage avec les partage avec les lecteurs BD du mercredi

Mango

PictoOKPictoOKUn récit dans lequel j’ai plongé, une jeune femme tiraillée entre deux systèmes de pensée et deux cultures, une intégration douloureuse. Une lecture que je conseille aux amateurs du genre !

Un album qui a reçu l’Harvey Award de la meilleure nouvelle série en 2002.

Le site de l’auteur et une interview de l’auteur réalisée en octobre 2006 (publié sur du9).

L’avis de Joëlle et celui de A_girl_from_Earth.

Extraits :

« Je voulais trouver mes racines mexicaines. J’avais l’impression qu’elles m’iraient mieux que mes racines anglo-saxonnes, ce qui est absurde quand on y pense. Depuis toute petite, j’en voulais à mon père mexicain d’avoir disparu » (La Perdida).

« Mais quand j’ai vu Parque México, j’ai eu la sensation de me trouver aux portes d’un territoire qui parlait à mon imaginaire, où les données chiffrées sur la criminalité, la pollution et la disparition de la culture traditionnelle cessaient tout bonnement de s’appliquer » (La Perdida).

« Et parce que j’ai refusé de comprendre qui étaient vraiment mes amis, et ce qui se déroulait sous mes yeux, Oscar est mort, Harry est traumatisé, je suis bannie, et je devrai vivre toute ma vie avec la conscience que, même si je n’ai pas appuyé sur la détente ni commis le crime, rien de tout cela ne se serait produit sans moi » (La Perdida).

Challenge Carnet de VoyageLa Perdida

One Shot

Editeur : Delcourt

Collection : Contrebande

Dessinateur / Scénariste : Jessica ABEL

Dépôt légal : octobre 2006

ISBN : 978-2-84789-923-8

Bulles bulles bulles…

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La Perdida – Abel © Guy Delcourt Productions – 2006

Auteur : Mo'

Chroniques BD sur https://chezmo.wordpress.com/

32 réflexions sur « La Perdida (Abel) »

    1. En mai dernier, j’avais proposé aux visiteurs de passage (sur ce blog) de me faire des conseils de lecture. Je crois que sans les propositions de David, je ne me serais pas arrêtée sur ce roman graphique. Une belle découverte que voilà ! ^^

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    1. Les ambiances collent bien à l’histoire je trouve après, quant à dire qu’ils sont « beaux »… non. Réalistes, justes mais j’ai vu mieux ^^

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  1. Je l’ai lu il y a déjà un moment et je me rappelle avoir aimé, mais maintenant cela me rappelle une certaine histoire qui a fait la une des médias il n’y a pas longtemps !!!

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    1. si tu parviens à te procurer cet album, je lirais ton avis avec plaisir. Par contre pour le graphisme, c’est un peu lourd (je me rends compte que je n’en ai pas parlé dans mon avis).

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  2. J’ai trouvé cet album ennuyeux au possible. Le personnage de Carla m’a énervé pendant toute la lecture avec ses choix bidons et ses discussions à deux balles et même si c’est probablement le but de l’auteur, cela a en grande partie gâchée ma lecture.

    Bref, j’ai trouvé le personnage principal pompant au possible et le scénario beaucoup trop léger (surtout au niveau des dialogues), même si l’idée de fond concernant l’intégration et les préjugés sur un pays étranger avait du potentiel. Et ce n’est pas le petit thriller de fin d’album qui me fera classer ce one-shot parmi mes immanquables. Comme quoi, les goûts et les couleurs … 😉

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    1. Oui, j’avais lu ton avis, la différence dans les ressentis de lecture m’avait fait sourire.
      Après, voulu ou pas de la part d’Abel ??? Ce que je trouve intéressant, là où tu trouves que l’album pèche, c’est qu’elle parvient malgré tout à donner de la consistance à ce personnage. Clara est une coquille vide et compte tenu de son absence d’ambitions, je trouve qu’elle ne s’en sort pas si mal que ça. Qu’elle s’acoquine avec Memo et Oscar ne m’a pas étonné. On aurait pu s’attendre à ce qu’elle fasse « clan » avec les expat’, plus réfléchis et constructifs dans leur démarche en général (opinions, choix de vie etc) mais cela l’obligeait à aller à contre-courant par rapport à cet objectif insensé qu’elle a de se fondre dans ce nouveau pays. La scène dans laquelle elle déchire l’affiche de Frida m’a fait sourire car finalement, je m’y attendais, mais je trouve que Jessica Abel exploite bien ce passage. Dans l’ensemble, j’ai trouvé cette atmosphère assez contenante. Blankets m’avait fait le même effet. Contrairement à certains qui avaient critiqués le fond de l’album de Craig Thompson (aucune remise en question du système éducatif et des préceptes religieux dans lesquels l’auteur a grandit), moi j’avais plongé dans le récit, acceptant aussi le fait qu’étant un récit autobiographique, l’auteur n’a pas extrapolé sur des choses qui ne se sont pas passés. Mais il y a cet aspect, critiquable, où Abel et Thompson (l’un sur une fiction l’autre non) on fait le choix de ne pas creuser les choses pour rester dans une forme de spontanéité. Tout ne peut pas être intellectualisé en permanence. Pur avis personnel (mais je préfère préciser ^^)
      Enfin, cela faisait un moment que je cherchais ce type de récit, La Perdida a donc répondu à la commande de manière inattendue.

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  3. C’est curieux, moi non plus je n’aurais pas fait attention à cette BD sans ton avis… Le parallèle que tu fait avec Blankets m’intrigue, j’avais adoré !!

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    1. oui, j’attends d’avoir des retours sur ce point en fait. J’ai fait le parallèle entre les deux albums et je voudrais savoir si cette comparaison n’est pas un peu « sauvage ». Pur ressenti en sortant de la lecture en fait, voir si d’autres lecteurs qui connaissent Blankets ont le même sentiment

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  4. A chaque fois que j’ai commencé ce genre d’album, j’ai eu du mal car les dessins aussi peu fignolés me rebutent toujours un peu et puis régulièrement, par je ne sais quelle magie, le récit finit par me séduire et à la fin, j’ai de la peine de devoir quitter les personnages! Je note donc précieusement cet album!

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    1. Pareil de mon coté. Comme je le disais, si David ne m’avait pas permis de faire attention à cet album, je serais passée à côté. La couverture ne m’attirait pas plus que ça, trop « criarde » à mon goût

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  5. Après une journée à courir derrière ma petite fille, je renais et apparais… bref une discussion qui va m’obliger à lire l’ouvrage.

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    1. J’espère que la lecture te plaira (dit-elle incertaine). Pour le moment, ce n’est pas du tout le type d’ouvrage que j’ai vu passer chez toi ! ^^

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  6. J’avais vraiment beaucoup aimé ce « graphic novel ». C’est un des premiers qui m’a décidé à poursuivre ma découverte des BD en général, qui m’a fait réaliser qu’il y avait autre chose que Garfield et Astérix, et que les BD pouvaient traiter de sujets aussi profonds que dans des romans.

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    1. Oui, c’est vrai que malgré la grande naïveté de l’héroïne de La Perdida, ce récit permet d’aborder des thèmes de manière pertinente : choc de cultures, quête d’identité…

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  7. AH tiens c’est vrai, je l’avais lu aussi cet album. Je l’avais un peu oublié et ne saurais trop le commenter aujourd’hui…. Sinon, je comprends le rapprochement avec le Ulli lust. Par contre avec Blankets, pas du tout je dois dire…

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    1. pour Blankets, c’est plus au niveau du graphisme. Les crayonnés sont gras, épais, ça m’a donné l’impression (sur certains passages) d’un univers capiteux, très contenant. J’avais eu ce même ressenti avec Blankets. On est pris dans le rythme et on élude ce qui peut se passer dans notre environnement direct (bruits, odeurs, sollicitations…).
      Avant de lire La Perdida, j’étais assez réfractaire à l’idée de lire Trop n’est pas assez. Bon, vu le profil du personnage d’Abel, je me dis que je pourrais accrocher avec celui d’Ulli Lust. A voir, l’idée fait son chemin en tout cas.

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  8. Ah oui maintenant que tu le dis, en effet ! Je croyais que tu parlais plutôt du scénario.
    Si ma collègue ne me l’avait pas conseillé, je n’aurais pas lu non plus le ulli lust. Elle était méga enthousiasme. Et puis bon, j’ai lu, aimé mais voilà c’est tout. Je suis curieuse de connaitre ton avis un jour dessus.

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  9. J’ai bien aimé l’ambiance de cette bd. De toute manière j’aime bien les romans graphique ce qui fait que les 48 pages maintenant me paraîssent un peu fade à côté. La il y a une histoire longue, les personnages ont le temps de s’installer, on vit avec eux. J’ai mon exemplaire dédicacé, je suis super content !

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    1. Je partage également ton point de vue sur les albums un peu plus denses que d’ordinaire. Ils nous laissent le temps de nous plonger dans l’ambiance, le personnage etc.
      Je me représente assez mal Jessica Abel, je n’ai lu d’elle que cet album. Ce que j’aime bien avec les dédicaces, c’est qu’elles nous rappellent ce moment privilégié qu’on a eu avec l’auteur. En tout cas, ces moments ont toujours été pour moi très intéressants (pour les auteurs en revanche, je ne sais pas si c’est aussi l’extase ^^). Je ne cherche pas trop à rencontrer les auteurs étrangers (généralement il y a une queue interminable et puis j’ai un niveau tellement pitoyable en anglais qu’à part faire la plante verte à les regarder dessiner, je ne saurais pas quoi faire de moi pendant ce moment là ^^)

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