Maus (Spiegelman)

Maus, tome 1 : Mon pere saigne l'Histoire
Spiegelman © Flammarion – 1987
Maus, tome 2 : Et c'est là que mes ennuis ont commencé
Spiegelman © Flammarion – 1992

Vers la fin des années 70, Art Spiegelman demande à son père, Vladek, de se remémorer les événements douloureux qu’il a vécu pendant la Seconde Guerre mondiale. Il était alors installé en Pologne, son pays natal.

Vladek revient donc sur les événements qui ont émaillé sa vie de 1939 à 1945. Ce Juif raconte ses premières expériences amoureuses, ses débuts dans la vie active, l’installation progressive des nazis et ses conséquences : des vexations quotidiennes au génocide. Plus de trente ans après les faits, l’émotion et le traumatisme de l’Holocauste sont intacts.

« Maus est l’histoire d’une souris dont le chat a décidé d’avoir la peau. La souris est le juif, le chat le nazi. Le destin de Maus est de fuir, de fuir sans espoir l’obsession du chat qui lui donne la chasse et lui trace le chemin de la chambre à gaz.

Mais Maus est également le récit d’une autre traque, celle d’un père par son fils pour lui arracher l’histoire de sa vie de juif entre 1939 et 1945 et en nourrir sa propre mémoire, se conformant ainsi à l’obligation de se souvenir  » (extrait du rabat de couverture).

« Un chef d’œuvre », « une claque », « un récit bouleversant »… vous avez certainement déjà pu lire ces termes sur l’un des nombreux avis mis en ligne sur cette œuvre. Chaque tome de ce diptyque a reçu un Fauve d’Or à Angoulême (le tome 1 en 1988 et le tome 2 en 1993).

La première partie du récit, Mon père saigne l’histoire, revient sur les événements qui ont eu lieu de 1939 à l’hiver 1943-1944 : les prémices du conflit, l’enrôlement du héros dans les troupes polonaises (été 1939), sa détention dans les camps de prisonniers de guerre, sa première libération et le retour en famille. En trame de fond, l’auteur montre un quotidien qui se dégrade et l‘inquiétude croissante des juifs polonais à mesure que les troupes allemandes resserrent leur étau sur la population. Bien que le lecteur connaisse l’issue dramatique de cet épisode de l’Histoire, il découvre – la peur au ventre – la vie pendant le ghetto de Sosnowiec (Pologne) en 1942, les Juifs qui luttent silencieusement pour préserver leur humanité, les rafles, l’angoisse… jusqu’à ce mois d’avril 1944 où Vladek Spiegelman et sa femme sont dénoncés et transférés à Auschwitz.

Le second tome, Et c’est là que mes ennuis ont commencé, se consacre presque totalement au camps. Dix longs mois à lutter pour survivre en magouillant pour tenter de se procurer une miche de pain de pain, une ceinture… que Vladek pourra revendre ensuite au marché noir contre un « présent » destiné à s’assurer la « sympathie » des Capos et obtenir quelques maigres passe-droits. Chaque jour, il s’étonne d’être encore en vie. En fin d’album vient la Libération et la difficulté à reprendre le cours d’une « vie normale ». Pour le lecteur, c’est aussi l’occasion d’entendre ce rescapé sur les stigmates que cette expérience lui a laissé et la manière dont il gère le traumatisme causé par l’Holocauste.

Art Spiegelman retranscrit fidèlement – et chronologiquement – le témoignage de son père. Quelques pauses sont faites dans le récit biographique de Vladek puisqu’une partie du diptyque est consacrée à la présentation des rapports père-fils. Nous naviguons ainsi entre deux espaces-temps : celui des années 1930 où défilent les horreurs perpétrées par les nazies et celui des années 1970 où un homme (l’auteur) tente de se rapprocher de son père. Chacune de leur rencontre est prétexte (inconsciemment ?) à tisser tardivement des liens inespérés avec un père si distant et si froid. Au passage, ce dernier en profite pour lui transmettre valeurs et traditions juives, prendre son fils à parti dans ses problèmes de couple, le solliciter pour de menus services (bricolage, démarches administratives…). Ainsi, le lecteur découvre à la fois un récit intimiste et un témoignage historique d’une grande portée. Les propos de Vladek sont sincères, touchants. Ils livrent un regard personnel sur un événement majeur de l’histoire sans jamais porter de jugement de valeur sur les actes commis par les bourreaux du peuple juif.

Tout au long de ce témoignage, nous évoluerons dans un univers réaliste malgré le choix d’Art Spiegelman de créer un monde anthropomorphique. Une technique de retranscription qui me fait penser que ce choix l’a aidé à se protéger de la violence des propos de son père, à prendre du recul sur les événements tout en s’appropriant l’histoire de sa famille et de son peuple. Enfin, un choix qui n’est pas anodin puisque, comme l’explique MrZombi dans sa chronique, l’auteur s’appuie sur les éléments de la propagande nazie pour définir les caractéristiques physiques des personnages :

Le phrasé de Vladek n’est pas toujours accessible puisqu’il construit les phrases en inversant le C.O.D et le sujet, lui donnant un petit air de famille avec Yoda de « La guerre des étoiles » et un juste détachement vis-à-vis des faits qui force au respect et impressionne.

Lecture d’Aout pour kbd

 

PictoOKPictoOK« La claque » s’explique tout d’abord par la portée de ce témoignage. Évitant soigneusement de recourir au pathos, Art Spiegelman a fidèlement retranscrit les propos de son père tenus dans le cadre de multiples rencontres qui se sont étalées sur deux ans (dans les années 1970).

Challenge Bu / Lu
Challenge Bu / Lu

Un incontournable du Neuvième Art. La biographie de Vladek Spiegelman est un témoignage doté d’une grande portée.

Art Spiegelman présidera le Festival d’Angoulême en 2012, un rendez-vous à ne pas manquer !

D’autres avis sur Livraddict et Babelio ainsi que la synthèse de l’équipe kbd.

Extraits :

« Je sais que c’est dément, mais d’une certaine manière je voudrais avoir été à Auschwitz AVEC mes parents ; comme ça je pourrais vraiment savoir ce qu’ils ont vécu !… Je dois me sentir coupable quelque part d’avoir eu une vie plus facile qu’aux » (Maus).

« La graisse des corps brulés, ils la recueillaient et la versaient à nouveau pour que tout le monde brûle bien » (Maus).

The Reading Comics Challenge
Roaarrr Challenge
Roaarrr Challenge

Maus – Un survivant raconte

Tome 1 : Mon père saigne l’histoire

Tome 2 : Et c’est là que mes ennuis ont commencé

Diptyque terminé

Éditeur : Flammarion

Collection : Littérature étrangère

Dessinateur / Scénariste : Art SPIEGELMAN

Dépôt légal : janvier 1987 (tome 1) et octobre 1992 (tome 2)

Bulles bulles bulles…

Ce diaporama nécessite JavaScript.

Maus, tomes 1 et 2 – Spiegelman © Flammarion – 1987 et 1992

Auteur : Mo'

Chroniques BD sur https://chezmo.wordpress.com/

54 réflexions sur « Maus (Spiegelman) »

    1. Un jour, j’achèterais de nouvelles étagères pour ranger mes BD et c’est une des couvertures d’album que j’aimerais rendre visible. Là, c’est tout serré, tout entassé… on ne les voit même pas ces albums… sniff

      J’aime

    1. Dans mes incontournables aussi ! Je relis rarement les albums même si certaines chroniques me donnent souvent envie de ressortir un ouvrage. « Maus » est une exception… quatrième relecture me semble ^^

      J’aime

    1. Elle est assez étrange tout de même ! On ne sent pas réellement Vladek demandeur en tout cas, on n’a pas l’impression qu’il ait le besoin que les choses s’améliorent. Pour lui, la relation est « normale », c’est comme si Art et lui n’avait jamais pris de distance

      J’aime

  1. Lu et j’irais à Angoulême pour essayer de l’approcher. Il y était déjà passé il y a quelques années, je n’avais malheureusement pas pu approcher. Trop de monde !

    J’aime

    1. Ça ne doit pas être évident de l’approcher et d’avoir un échange un minimum posé avec lui ! Je l’imagine très sollicité.
      Quant à moi, je ne sais pas si je tenterais de le voir de manière privilégiée. Je suis une telle bille en anglais que je ne saurais pas me dépatouiller avec les maigres mots de vocabulaire qu’il me reste 😆

      J’aime

  2. J’ai mis des années à me décider à lire ce récit car j’avais un peu peur de ne pas adhérer à la représentation des personnages sous forme d’animaux alors que finalement, je trouve que cela donne encore plus de force au récit (tout en lui gardant quand même une sorte de « détachement » émotionnel). Je ne pouvais m’empêcher de penser aux échanges entre l’auteur et son père avant qu’il dessine cette histoire … cela n’a pas du être facile pour aucun des deux !

    J’aime

    1. Moi aussi je me suis interrogée sur cette difficulté commune qu’ils ont rencontré tout au long du témoignage. Vladek semble si détaché ! Il est impressionnant !

      J’aime

  3. Indispensable, incontournable, c’est certain. Toujours le même choc à la lecture et pourtant je l’ai découvert lors de sa parution ! ( pour l’anecdote : tout premier billet BD sur mon blog, c’est dire si j’étais motivée à présenter ce livre, au point de créer une catégorie BD… ;))

    J’aime

    1. 🙂
      Je ne l’ai pas découvert aussi tôt que toi mais oui, toujours la même claque à chaque relecture.
      Depuis ta chronique, je guette également l’occasion de découvrir « A l’ombre des tours mortes » 😉

      J’aime

  4. découverte cette année mais toujours en retard de commentaire : pas toujours facile de trouver les mots pour l’indicible !

    J’aime

    1. Difficile de parler de certains albums sans les dénaturer. Bon, ici, je me serais bien passée de faire une chronique sur Maus pour les raisons que tu cites… mais c’était sans compter kbd ! ^^

      J’aime

  5. Une chronique très complète et qui va dans le sens de toutes les autres.
    C’est très rare qu’une bande dessinée ait un tel accueil, un engouement partagé et unilatéral, y compris dans le monde de la presse (auréolé par le Prix Pulitzer). C’est la marque de la grandeur de cette œuvre, qui touche tout public.

    L’approcher à Angoulême, alors qu’il est président du Festival. Cela ne vas pas être donné à tout le monde. Mais il fera sûrement une rencontre-débat, et une exposition. L’occasion de se plonger un peu plus dans son œuvre.
    J’en serais, dans tous les cas.

    J’aime

    1. Il faut reconnaître que rarement les témoignages sont d’une telle qualité ! J’ai oublié de mentionner le Pullizer (shame on me ^^)

      J’aime

    1. C’est une collègue de travail qui me l’avait fait découvrir il y a quelques années. La connaissant très peu à l’époque, je ne savais pas trop évaluer l’intérêt de son conseil. Un vendredi soir, elle m’a carrément mis les deux tomes entre les mains en me demandant de lui en reparler le lundi qui suivait. J’étais sceptique, cela me semblait verbeux et puis… de relecture en relecture, je savoure toujours ce chef-d’œuvre ! ^^

      J’aime

  6. Cette BD est vraiment bouleversante, surtout le tome 2 je trouve…
    J’aime beaucoup le fait qu’il ne se contente pas de parler uniquement de la guerre mais parle aussi de l’après guerre et de la façon dont son père est marqué à vie. C’est quelque chose que je vois et lis rarement.

    J’aime

    1. C’est tout à fait le genre d’ouvrages qui nous apprennent bien plus que les manuels d’histoire classiques. Ces derniers sont généralement dépourvus de tout affect

      J’aime

  7. J’ai enfin lu cette BD culte et quelel claque en effet ! Je l’ai dévoré en un après-midi. Le choix de l’anthropomorphisme permet en effet un certain détachement (du coup je vais me renseigner sur la « symbolique nazie » dont tu parles sur le choix des animaux). L’histoire est bouleversante et en même temps voir Vladek dans les années 70 permet de se remettre de ses émotions car comme le dit si bien Art à son propre personnage « il est caricatural du mythe du juif par certains aspects » ça permet un peu de légèreté dans ce genre de récit lourd d’émotions.

    J’aime

    1. C’est ce que j’ai bien aimé aussi : une gravité traitée sans pathos, un propos qui n’est pas malaxé pour rendre une réalité historique acceptable, un traitement graphique qui suggère parfaitement les choses sans étouffer le lecteur. Une claque aussi. Je relis très rarement les BD, mais ce diptyque-là fait partie des ouvrages que j’aime revisiter régulièrement

      J’aime

    1. Oh non 🙂 « Maus » est aussi apprécié des amateurs de BD :mrgreen:
      Une des rares œuvres BD que je parviens à relire sans lassitude (la relecture n’est pas une habitude chez moi)
      Quant à ce making-off, je l’ai déjà offert plusieurs fois mais je ne l’ai toujours pas lu ! ^^

      J’aime

    1. La BD ne nous apprend rien que l’on ne sache déjà. Elle nous permet de prendre connaissance d’une expérience très personnelle, à savoir celle de la famille de l’auteur.

      J’aime

  8. je n’avais vraiment pas été emballée par le dessin mais quelle claque pour le contenu et l’ambiance !
    Il m’aurait plu de le lire en complément des cours d’histoire, au lycée.
    Indispensable !

    J’aime

    1. Indispensable oui. Malheureusement pour nous, à l’époque où on uait nos fonds de culotte sur les chaises de l’école, la grande majorité des lecteurs avait encore une vision toute étriquée des productions BD. Heureusement, on a un peu avancé depuis et avec un peu de chance, certains enseignants le proposent aujourd’hui. Et s’ils ne le font pas… j’espère bien que les parents se chargeront de réparer cette bévue.

      J’aime

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.