Dans la nuit la liberté nous écoute (Le Roy)

Dans la nuit la liberté nous écoute
Le Roy © Le Lombard – 2011

« En 1943, Albert a 16 ans. Ulcéré par l’occupation de son pays, il épouse les idéaux communistes… Trois ans plus tard, la France est libre et il s’engage dans l’armée, pour voyager et sortir de sa misère sociale. Dépêché en Indochine « pour combattre les terroristes du Viêt-minh », il ne tarde guère à frayer avec les indigènes, en dépit des consignes de l’état-major. Les exactions commises par ses camarades au nom de la liberté le dégoûtant un peu plus chaque jour, Albert comprend alors qu’être libre, c’est aussi faire des choix, parfois radicaux ! » (synopsis éditeur).

Au gré des rencontres, Albert Clavier sympathisera avec Bat, un jeune Vietnamien. Les mois passent, les deux hommes se lient d’amitié, Bat lui dévoile sa véritable identité et lui propose de rejoindre les opposants vietnamiens. En 1949, Albert déserte l’Armée française pour défendre la Liberté du peuple vietnamien. Il devient Ngô-An : « Le Pacifique ». Peu à peu, il trouve sa place dans cette organisation, apprend à parler le vietnamien et devient un instrument de la propagande communiste sous l’égide de Hô Chi Minh.

Cet album est la biographie d’Albert Clavier. En entame d’album, Maximilien explique la genèse de cet ouvrage. En sortant de la lecture De l’Indochine coloniale au Vietnam libre, je ne regrette rien d’Albert Clavier, l’envie d’adapter ce récit voit le jour. Maximilien Le Roy rencontre l’auteur et organise un séjour d’un mois au Vietnam en février 2010 afin de faire des repérages pour l’album.

En se basant sur les mémoires écrites de Clavier, Maximilien Le Roy réalise une nouvelle fois une œuvre engagée (cf Hosni, Les chemins de Traverse…) qui dénonce cette fois les dérives du dictat français et les comportements colonialistes. Nous découvrons donc la vie de garnison d’un soldat à l’étranger dans un conflit politico-économique sensible. De la France au Vietnam, de Saigon à Hanoï en passant par la jungle tropicale, de l’emprise française à l’arrivée des troupes américaines en passant par le culte de la personnalité d’Hô Chi Minh, cet ouvrage est pour nous l’occasion de revisiter un pan de l’Histoire via la destinée d’un homme. Son combat l’a entrainé dans un long exil de 21 ans, il ne rentrera en France qu’en 1968. En chemin, cet homme a eu le courage de défendre ses convictions au point de mettre sa vie en péril :

« Je suis certain d’une chose en tout cas : tous les peuples doivent disposer d’eux-mêmes, aucun territoire ne doit être soumis à une puissance étrangère (…). On déserte quand on a quelque chose à se reprocher, pour échapper à la Justice ou pour ne pas se battre, par lâcheté. Mais je ne peux pas me résigner à combattre dans une armée au service d’une doctrine coloniale, qui réprime dans le sang la lutte d’un peuple pour son indépendance et sa liberté. Non, je ne suis pas un traître. Je ne trahis pas ma Patrie… Je l’aime et je reste fidèle à ses idéaux : Liberté – Egalité – Fraternité ».

Il se consacre corps et âme pour défendre cette cause. Il sera tour à tour journaliste pour une presse vietnamienne, speaker radio, comptable… Maximilien Le Roy complète régulièrement le récit de quelques annotations à l’usage du lecteur et permettant à ce dernier de disposer du degré d’informations nécessaire à la bonne compréhension des événements et du contexte historique.

Tout en bichromie, le graphisme est totalement au service du récit qui se compose essentiellement d’une voix-off : celle d’Albert Clavier. Les dialoguent ponctuent les mémoires du personnage principal et dynamisent le récit.

Une lecture que je partage avec Mango et les participants aux

MangoPictoOKUne nouvelle fois, la bande dessinée est utilisée à bon escient. Le médium permet non seulement de retranscrire un fait historique mais aussi une aventure humaine. Il dénonce également les dérives d’une suprématie idéologique d’un pays sur un autre. Sous couvert d’un discours théorique, l’Etat français a envoyé des milliers de soldats en Indochine à des fins avant tout économiques (ce pied-à-terre en Asie permettait également de maintenir un pont commercial de la France sur cette partie du Globe). On assiste donc à des bataillons entiers presque livrés à eux-mêmes qui ont bien vite oublié le but premier de leur intervention et le souvenir des abus que les nazis ont perpétrés durant la Seconde Guerre Mondiale. Ils sont avides, zélés, démunis face à ce fossé culturel et linguistique qui les sépare de la société vietnamienne, dépassés par les conditions de vie difficiles dans la jungle vietnamienne… tortures, jeux de massacres, décapitations… autant d’actes barbares et malsain pour contraindre un peuple au silence et à l’avilissement. L’occasion également de constater à quel point le culte de la personnalité voué à « L’Oncle Hô » prive les hommes de toute remise en question du régime, ils sont comme aveugles face aux dérives dictatoriales du Parti Communiste.

Albert Clavier est décédé le 9 mars 2011. En février 2011, Maximilien Le Roy avait eu l’occasion d’échanger avec lui une dernière fois, lui montrer la majeure partie des planches de l’album et l’informer qu’il serait publié en septembre 2011. Un témoignage essentiel complété par les bonus de l’album : galerie de photos et retranscription de l’interview que Maximilien Le Roy a réalisée auprès d’Alain Ruscio.

Extraits :

« Ils mettent vraiment le paquet pour la préparation idéologique et le conditionnement psychologique, ne laissant pas le temps de réfléchir à ceux qui en auraient encore la volonté » (Dans la nuit la liberté nous écoute).

« Vous savez, les petits esprits calculateurs nous parlent de kilomètres de routes, de canaux ou de ponts… mais construits par qui ? Les indigènes. Pour qui ? Le colonat. Nous, nous avons à répondre, plutôt que par de la comptabilité, par toutes ces vies humaines sacrifiées, à qui on a enseigné l’agenouillement. Ils nous parlent de progrès, nous répondons qu’ils ont piétiné nos traditions, vidé nos sociétés et volé nos terres » (Dans la nuit la liberté nous écoute).

Dans la nuit la liberté nous écoute

Challenge Carnet de VoyageOne Shot

Éditeur : Le Lombard

Dessinateur : Maximilien LE ROY

Scénariste : Maximilien LE ROY,

d’après le récit d’Albert CLAVIER

Dépôt légal : septembre 2011

ISBN : 9782803629824

Bulles bulles bulles…

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Dans la nuit la liberté nous écoute – Le Roy © Le Lombard – 2011

Auteur : Mo'

Chroniques BD sur https://chezmo.wordpress.com/

20 réflexions sur « Dans la nuit la liberté nous écoute (Le Roy) »

  1. Une fois de plus, Leroy semble réaliser une BD de grande qualité. Par contre, je suis étonné de voir cet album au Lombard. Je l’aurais davantage vu chez Futuropolis.

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    1. J’ai également été étonnée de le voir au Lombard. Ses reportages sont maintenant éparpillés chez plusieurs éditeurs : La Boite à Bulles, Casterman.
      Une fois encore, ce que j’apprécie chez cet auteur, c’est sa capacité à transmettre un témoignage sans nous prendre à la gorge pour que l’on prenne parti. Le contenu est pertinent, marquant et force à la réflexion

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    1. Oui, comme toi, je pense que c’est important de ne pas tomber dans la « BD divertissement » à tout prix. C’est pour cela que j’apprécie des auteurs comme Max Le Roy, Joe Sacco, Ted Rall…
      Pas de BD pour toi aujourd’hui ?

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  2. J’espère que la biblio va l’acheter (j’en ferai la suggestion le 15 octobre lors du club lecture BD au cas où ils auraient oublié !) … ils ont déjà Les chemins de traverse, que je n’ai pas encore lu mais que je compte emprunter !

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  3. Voilà une nouvelle BD engagée qui mérite d’être connue. je suis étonnée et heureuse de constater le nombre plus grand que je ne pensais de titres qui affirment nettement leurs opinions ou qui défendent une cause. On est loin de la simple BD de divertissement!

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    1. Ce que j’apprécie également, c’est que plus en plus les auteurs/éditeurs pensent à la BD comme un support incontournable pour dénoncer, témoigner… Regardes les Collectifs « Paroles de… », « En chemin elle rencontre » ou « Immigrants ». Cela devient courant et c’est une très bonne chose !

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    1. Je ne connaissais pas non plus Clavier. Cet album que j’ai assez mal servi avec ma chronique (j’ai eu bien des misères pour la rédiger et je n’en suis pas tellement satisfaite)… cet album – disais-je – m’a donné envie de lire l’ouvrage que Clavier a écrit

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    1. si tu acceptes de te mettre dans la peau du personnage ça passera. Si tu attends une critique acerbe du communisme, la pilule risque d’être difficile à digérer. Le personnage sert complètement sa cause, c’est donc au lecteur de faire ce travail de recul. Je pensais trouver une regard plus cru sur la propagande, les camps… tous ces éléments sont présents mais sous le regard du héros. C’est un témoignage intéressant en tout cas. Sacré parcours ! Mais cet album n’est pas mon préféré de Le Roy

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  4. Je viens de le lire et c’est vrai que la bd est un médium qui permet de faire découvrir des choses importantes. Je n’aurais jamais eu le courage de lire un documentaire sur le même sujet alors qu’en bd c’est plus facile d’accès.

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    1. C’est mon cas aussi. Je ne suis pas certaine que je serais parvenue à me tourner spontanément vers l’ouvrage d’Albert Clavier. La seule chose que je regrette un peu, c’est que cet album de Le Roy n’a pas la même force que les autres. Le fait qu’il ne décale pas du tout son regard par rapport au personnage historique m’a genée

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