Saison brune (Squarzoni)

Saison brune
Squarzoni © Guy Delcourt Productions – 2012

Réchauffement climatique ? C’est un terme qui nous est familier mais, je le reconnais, qui m’est également très abstrait. Dès qu’un discours (interview, documentaire…) manie plus de trois termes trop techniques ou de considérations trop scientifiques, mon attention se dérobe.

Pourtant, certains mots sont récurrents. Canicule, ouragans, fonte des glaces, pollution… tout cela, nous connaissons. C’est concret du moins, quand on prend le temps d’écouter un minimum les informations. Voilà pour la partie visible de l’iceberg. Sans être trop naïve, je savais que cela ne se limitait pas qu’à cela mais je suis incapable de faire un état des lieux pertinent. Ce qui n’est pas le cas de Philippe Squarzoni. Avec Saison brune, il nous permet d’entre-apercevoir la partie immergée de l’iceberg. Et honnêtement, vous dire que je n’ai pas eu peur serait vous mentir.

Durant tout l’album, on sent la difficulté de l’auteur à traiter son sujet. Cette difficulté est liée à une raison : comment, aux vus des éléments en sa possession, ne pas livrer un ouvrage alarmant ? Comment laisser au lecteur la possibilité de ne pas sortir totalement abattu de cette lecture ? C’est impossible.

Squarzoni : … et je ne vois pas pourquoi je me priverais de ce voyage. Alors que dehors il y a 3000 mecs qui roulent en 4×4 en ville. Eux aussi, ils sont au courant ! Tout le monde a entendu parler du réchauffement. Tout le monde sait !
Sa femme : Non. On ne sait pas.
Squarzoni : Tu ne sais pas que les 4×4 émettent des gaz à effet de serre ?
Sa femme : Je ne savais pas que la situation était si grave.

Dès les premières pages, on sent que le sujet sera grave. L’auteur tâtonne et tente plusieurs entrées en matière. Ainsi, il prend le temps de présenter les motivations et les constats qui l’ont conduit à la réalisation d’un album entièrement dédié à la question du réchauffement climatique. Puis, il rentre dans le vif du sujet, ce qui donnera lieu à un chapitre certes un peu didactique mais ô combien utile pour préparer le lecteur à accueillir la suite. Il y aura ensuite des redondances, des propos récurrents tout au long de l’album, mais cela aide réellement le lecteur à mémoriser les informations importantes. Cela l’aide aussi à prendre du recul et à ne pas être tétanisé par cette quantité d’informations… Cela nous aide enfin à réfléchir à la question objectivement, à nous remettre en question individuellement et à nous positionner.

A l’aide d’interviews de scientifiques, de journalistes, climatologues, économistes, ingénieurs, physiciens… on prend connaissance des savoirs actuels sur le réchauffement climatique. On accède aussi à tout un champ de possibles répercussions que cet impact climatique pourrait produire. Et elles sont nombreuses. Cela nécessite que les solutions soient pensées non pas aux plans nationaux mais à l’échelle internationale. Cela nécessite que l’on repense aussi nos modes de consommation très énergivores. Je ne vais pas vous faire un résumé de l’ouvrage car cela ne rimerait à rien, d’autant que le travail de Squarzoni est déjà un résumé très dense de la situation.

Délité davantage, le message se perdrait.

Quoi qu’il en soit, on accède aux causes et aux effets, on s’interroge sur les limites et les solutions. Mais les freins sont nombreux, hétérogènes et étroitement liés.

Alors oui, en tant que lecteur, on suffoque face au constat. On respire lorsque apparaissent quelques pleines pages disséminées çà et là ouvrant sur un massif montagneux ou une vallée verdoyante. Courbes, graphiques, tableaux cohabitent harmonieusement avec des images issues de l’imagerie collective (Peter Pan, Santa Claus…). Squarzoni n’hésite pas à conserver les slogans publicitaires qui sont associées à ces images d’Epinal, ce qui donne une  dimension parfois ironique, parfois sarcastique… On avait déjà vu les bénéfices narratifs que Alpha… Direction tirait de ce procédé (lu mais une simple chroniquette sur le blog, je vous renvoie vers la synthèse kbd). On mesure tout le décalage entre l’objectif commercial (et l’idéal de vie qu’il sous-tend) et les contraintes écologiques auxquelles les sociétés doivent faire face (et face auxquelles elles se dérobent). Cela en devient parfois pathétique de voir à quel point nos comportements sont irresponsables. La faute à qui ? Aux médias qui servent les intérêts des politiques et des lobbyings industriels. En vulgarisant et en contredisant les conclusions des rapports produits par des scientifiques, les médias créent le doute dans l’opinion publique et aident les climato-sceptiques à construire leurs arguments.

Une pause. La fin d’un chapitre…

… et on repart pour une apnée de lecture et des pages qu’on ne peut que dévorer de manière boulimique. Le constat est alarmant, certes, mais dans cette nouvelle prise de conscience, nous ne sommes pas seuls. En effet, Philippe Squarzoni n’hésite pas à se mettre lui-même en scène pour partager ses doutes, ses inquiétudes, ses dégouts et ses espoirs. Car il ne faut pas oublier que quel que soit le rythme de lecture de chacun, l’album accompagnera le lecteur tout au plus sur 4 ou 5 jours ! L’auteur a consacré six années de travail (recherches documentaires, interview…) pour réaliser ce projet qui tient en « seulement » 500 pages. Les recherches bibliographiques qu’il a effectuées et les informations qu’il a récoltées l’ont mis à mal. Il ne cache pas les répercussions que cela a produit sur son quotidien et la forte remise en question tant personnelle que professionnelle que cela a suscité et que cela doit susciter encore.

Et comme il fallait conclure, l’auteur bute de nouveau sur la manière de clore son ouvrage. On le sent soucieux d’explorer son sujet sans rien omettre, soucieux de rester objectif, soucieux de ne laisser planer aucune ambiguïté sur la question et SURTOUT soucieux de ne pas laisser son lecteur sur un dénouement pessimiste. Mais cela n’est pas possible.

Une lecture que je partage avec Mango à l’occasion de ce mercredi BD

Allez découvrir les lectures des autres lecteurs !

 » Two thumbs up  » !! ^^

Un autre album sur ce sujet : Grumf.

Les chroniques : Yvan, Lorraine, Pierre (sur Sans connivence).

Une interview de Philippe Squarzoni sur ActuaBD, une preview sur Rue 89 et une video (interview) sur Vimeo.

Extraits :

« Quel cap choisir ? Comment maintenir un choix ? Quelle direction se fixer ? Nous sommes pris dans trop de contradictions. Page de gauche, nous savons que nous allons dans le mur. Page de droite, nous continuons à vivre dans ce monde imaginaire où il n’y a pas de contradiction entre nos désirs matériels et la préservation de la planète. Nous savons, mais nous ne changeons pas. L’ignorance initiale a laissé place à la schizophrénie. Pour continuer à vivre dans ce monde de fiction, nous jouons à cache-cache avec ce que nous connaissons. Dans cette schizophrénie qui nous touche, nous percevons l’urgence d’agir…. Sans croire en nos moyens d’action. Nous savons qu’une autre histoire a commencé. Mais nous continuons à faire comme si de rien n’était. Et le pire… c’est que c’est tellement agréable » (Saison brune).

« Évidemment, ailleurs dans le monde, certains sont déjà victimes du réchauffement. 300 000 morts par an selon l’ONU. 300 000 personnes, dans la corne de l’Afrique, au Bangladesh, en Inde ou au Vietnam. Mais ces morts sont dues à l’aggravation de problèmes déjà existants. Sécheresse, malnutrition, inondations… rien de manifestement climatique. Par ailleurs, les victimes du réchauffement meurent lentement, l’une après l’autre, drames diffus, non médiatiques, atomisés toute l’année sur toute la planète. S’il leur prenait la bonne idée de mourir tous le même jour, comme les victimes du tsunami de 2004, notre prise de conscience serait facilitée. Mais les morts de tous les jours ne valent pas les morts d’un jour… De petites vies. Dans de petites cases » (Saison brune).

« Comment des sociétés, organisées politiquement et économiquement pour produire plus et consommer plus, dont le développement repose sur l’exaspération du désir de possession, pourraient-elles s’accorder avec une culture de la sobriété et de la responsabilité collective ? Comment un système dédié à laisser chacun maximiser ses avantages en toute liberté pourrait-il être compatible avec une forme d’autocontrainte et de modération matérielle ? Au bout du compte, la liberté vantée par le modèle libéral est devenue le déguisement d’un individualisme forcené. C’est la liberté de ne pas rendre de comptes. Le refus de toute contrainte. De toute limite. Le refus du collectif. La société, disait Thatcher, une telle chose n’existe pas » (Saison brune).

Saison Brune

Challenge Petit Bac
Catégorie Couleur

One Shot

Éditeur : Delcourt

Collection : Encrages

Dessinateur / Scénariste : Philippe SQUARZONI

Dépôt légal : mars 2012

ISBN : 978-2-7560-1808-9

Bulles bulles bulles…

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Saison brune – Squarzoni © Guy Delcourt Productions – 2012

Auteur : Mo'

Chroniques BD sur https://chezmo.wordpress.com/

39 réflexions sur « Saison brune (Squarzoni) »

    1. Clair : oui
      Simple : il faut tout de même un temps avant de rentrer complètement dans l’album
      Incontournable : oui, car utile et pédagogique 😉

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  1. Rha je sais pas… Je suis amoureuse de la nature et écolo à mon niveau donc je devrais m’intéresser à cette BD, mais il y a certains sujets pour lesquels je me dis moins j’en sais, mieux c’est. Je suis assez lâche, j’avoue :p

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    1. Il ne faut pas pour e sujet-là. J’aime beaucoup la BD reportage. J’en ai lu d’excellentes ces derniers mois. J’ai eu des commentaires me disant que les lecteurs tenteraient surement et puis jamais rien. Mais ça, je peux le comprendre car ces albums parlaient de guerres… ailleurs… donc loin. Mais là, sur un sujet comme cela, je trouve que ce serait dommage de se tenir loin de la compréhension de ce qui se passe. On est tous concernés. De mon coté, c’est un sujet qui m’intéresse mais je ne suis jamais réellement parvenue à lire de bout en bout les ouvrages que j’avais emprunté. J’ai capitulé face aux propos un peu trop compliqués pour moi.
      En revanche, cet album est accessible. J’ai l’impression maintenant d’avoir les bonnes bases pour reprendre ces ouvrages que j’avais abandonné

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        1. En fait, je suis convaincue de l’utilité de cet ouvrage 😉 Et puis, j’ai très envie de parler de cet ouvrage avec d’autres lecteurs qui l’ont lus. Découvrir l’accueil qui lui a été réservé ainsi que les questions que le lecteur soulève. Voir quel est l’impact chez d’autres lecteurs en somme. Envie d’en parler, c’est certain. Je tanne mon homme pour qu’il le lise aussi. Vous n’êtes pas les seules à subir ma pression 😀

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  2. Je suis contente de voir que certains albums ou livres réussissent à faire prendre conscience. Mais est-il encore temps ? Vu que les dirigeants ne se soucient pas de « ces problèmes » mais uniquement de leur score électoral à court terme. Et que la plupart des gens préfèrent faire l’autruche plutôt que de changer leurs modes de consommation.

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    1. S’il est encore temps, je ne sais pas Manu. Je l’espère en tout cas, mais ça ne pèse pas bien lourd d’espérer.
      Tu développes en partie une des réflexion de Squarzoni. Il dit qu’à notre échelle d’individu, on est effectivement convaincu par la nécessité de se réguler, de faire attention sur ses consommations d’énergie, de limiter un peu les transports, de trouver à se réorganiser pour pouvoir concilier les choses. Mais c’est vrai aussi que quand tu regardes ton voisin, il ne donne pas l’impression de faire attention, il ne se prive pas. Alors pourquoi se priver si les autres ne le font pas ? Sauf qu’en raisonnant tous comme cela, on ne va pas vraiment faire avancer les choses… En tout cas, cet album a déjà fait bouger des choses en moi. Je vais continuer à m’informer et voir aussi comment je peux changer mes habitudes. Après tout, je ne sais pas si je verrais le réchauffement ou pas, mais les générations futures sont pénalisées par nos comportements actuels.
      Et puis ce qui est le plus inquiétant au final, c’est que comme il n’y a pas d’antécédents, les climatologues ne savent pas réellement dire quelle marge de manœuvre on a. Donc combien de temps on a pour réagir et changer nos comportements ? 10 ans ou 75 ans ??

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  3. J’ai lu les premières pages en librairie il y a quelques temps déjà. En fait, je connaissais déjà le procédé de Squarzoni depuis que j’avais lu Dol & Guarduno.
    Sur les quelques pages que j’ai lu, j’avoue avoir eu un peu de mal. Sans doute lié au manque de surprise sur la forme et à son discours toujours très politiquement orienté. Pour moi, ça nécessite un regard critique constant. Du coup, je n’ai pas eu trop envie d’en savoir plus. Le lieu ne se prêtait pas à la lecture d’un tel ouvrage.

    Mais vu ton enthousiasme, il y a des chances que j’y repasse.

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    1. Cool ! ^^
      Je n’ai pas trouvé le discours politiquement orienté ici. Je n’ai pas trouvé d’orientation politique à vrai dire ^^
      Lis-le steuplééé 😉
      De mon côté, je vais aller m’acheter Torture blanche ce soir… puis Daytripper aussi ^^

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  4. Vu que j’ai déjà quelques bases sur le sujet, je ne pense pas faire de grosse dépression en le lisant et je trouve la démarche intéressante. Donc je note. Seulement, avec moi, faut pas être pressé…

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  5. Bonjour Mo’; je suis silencieuse en ce moment c’est vrai, je n’ai plus d’entrain pour des chroniques, mais je passe toujours pars ces phases, ou tout ce que je lis ne m’emporte pas, en plus des vacances….là j’ai recommencé à lire, lire plein de choses, donc des chroniques sont en préparation, mais avant tout je dois travailler un peu la rentrée s’annonce assez bonne, il me faut de la place en rayon…. merci de ta sollicitude, et à bientôt

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  6. En te lisant , je me suis dit que je devais absolument lire cet album. C’est une évidence mais étant particulièrement sensible à ce sujet, je crains de devoir une fois de plus me contenter de désespérer de l’avenir en constatant que rien n’avance vraiment!

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    1. Certes mais si on reste tous sur nos positions. L’auteur dit à plusieurs reprises qu’on a deux alternatives : soit on se donne les moyens de penser le changement et on trouve nos propres solutions soit, on tourne le dos à nos responsabilités et dans quelques années, les modalités du changement nous seront imposées et on aura aucun moyen de les négocier

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