Mars aller-retour (Wazem)

Mars aller-retour
Wazem © Futuropolis – 2012

« Il suffit d’écraser un hérisson avec un petit dossard pour faire une millième anecdote improbable à raconter. Sauf que maintenant, ces histoires, Pierre Wazem s’en fiche. Il n’a plus aucune envie de raconter quoi que ce soit. Il y a bien ce fameux projet qui traîne, Mars aller-retour, mais à quoi bon ? Il y a tellement d’excuses pour ne pas s’y mettre : les soucis d’argent, les soucis avec sa femme et ses enfants, les soucis avec ces autres femmes que la sienne,  les soucis avec ses collègues dessinateurs qui dessinent sans dépasser, les soucis avec les chats de son père, les soucis avec sa mère qui a une tête de souris…

Acculé par la réalité, il s’enfonce dans la forêt, espérant y trouver un peu de calme et d’isolement. C’est là, sous le plancher d’une vieille cabane en bois qu’il va trouver Mars. Un déclic, comme une autoroute devant lui : reprendre ce projet de bande dessinée, le temps d’un voyage éprouvant mais nécessaire, sur une planète où tout et n’importe quoi semble s’être donné rendez-vous.

Pierre Wazem revient comme auteur complet après cinq ans d’absence pour livrer un album qu’il qualifie lui-même de sorte d’autobiographie mélancolique autocritique, auto-apitoyée, auto-flagellante, un genre de  salon de l’auto » (synopsis éditeur).

« Ceux qui ne savent raconter que la vérité ne méritent pas qu’on les écoute » :

Cette citation du grand-père de Jonas Jonasson nous accueillait dans Le vieux qui ne voulait pas fêter son anniversaire… Elle nous accueille de nouveau dans Mars aller-retour. D’ailleurs, je n’ai pas su déceler à quels moments la réalité prenait les chemins de traverse. Bien sûr, nous ne sommes pas dupes quant à la nature de certains éléments narratifs comme la présence d’un hérisson vêtu d’un dossard (numéro 16 !?) ou le fait de rejoindre Mars grâce à une vieille bicoque en bois. Mais dans l’ensemble, le fait que la frontière entre le rêve et la réalité soit si poreuse rend ce voyage atypique.

Cet album confronte le lecteur à un récit intimiste, à une mise en abyme de l’auteur. Ce dernier fait face à une importante crise existentielle… la « crise de la quarantaine » certainement. On pourrait représenter sa vie à l’aide d’une pelote de laine pleine de nœuds. Il est déprimé, en manque de reconnaissance professionnelle et en quête de repères personnels (crise de son couple, adultère…). Enfin, il questionne également sa place de fils et sa place de père :

J’aimerais traverser cette pièce sans rien toucher. Sans rien casser. Sans rien abîmer. Parce que j’ai l’impression qu’il n’y a que ça que je suis capable de faire : abîmer ce que je devrais chérir.

C’est autour d’une question centrale (la création artistique) que Pierre Wazem tente d’y voir plus clair. On voit l’homme en proie à ses propres démons ; tétanisé par sa panne d’inspiration, il ne parvient plus à trouver l’envie d’écrire. Conséquence directe : l’absence de contrat l’enlise dans des difficultés financières et il devient le spectateur de sa propre vie. Recroquevillé dans ce fatras de problématiques, un projet d’album vivote tant bien que mal. Wazem lui a déjà donné un titre depuis bien longtemps : Mars aller-retour. Reste à trouver la mobilisation nécessaire.

A l’instar de son état d’esprit mélancolique, les bruns, les kakis et les bleus imposent l’atmosphère sombre d’un quotidien qui ne parvient plus à lui apporter satisfaction :

Demain n’est pas un autre jour. Demain c’est le même jour qu’aujourd’hui… sauf qu’il pleut.

Pour pallier à ce statu-quo, Wazem s’enferme finalement dans une bulle créative. La métaphore est utilisée au sens propre comme au sens figuré puisqu’il va jusqu’au point d’imaginer que son personnage effectue physiquement le voyage sur la planète rouge. Le dépaysement est de taille, la remise en question est en premier lieu personnelle… la prise de recul aidera à la réorganisation professionnelle. La modification de l’environnement géographique (paysages désertiques, ambiances ocrées, événements climatiques inconnus…) semble matérialiser le repli sur soi et l’isolement extrême, comme si la solitude était nécessaire à l’auteur pour retrouver l’inspiration et l’envie d’écrire.

Au passage, Wazem n’hésite pas à faire le point sur ses relations privées et professionnelles : sa perception du couple, son environnement professionnel. Les noms des protagonistes ont été changé mais la modification est très artificielle dans certains cas (par exemple : Tom Tirabosco devient  » Tim « ). Cela m’a permis de reconnaître dans le personnage de  » Fritz  » un certain Frederik Peeters que Wazem arrange à sa sauce. Ainsi, le dernier album de Fritz – Hippopotame – serait en compétition avec un album de Wazem à l’occasion d’un Festival International de Bande dessinée. Retour en arrière puisqu’en 2009, Pachyderme a effectivement été nominé pour le Prix du Jury Œcuménique de la Bande dessinée… la compétition récompensera La fin du monde (Pierre Wazem et Tom Tirabosco).

Une lecture que je partage avec Mango à l’occasion de ce mercredi BD

Allez découvrir les lectures des autres lecteurs !

Très bel album d’un auteur qui n’a pas froid aux yeux. Se livrer autant en proposant un récit aussi universel n’est pas à la portée de tout le monde. Merci Monsieur Wazem ; c’est toujours avec autant de plaisir que nous lisons vos albums.

Les chroniques : David Fournol, PaKa, Yvan.

Extraits :

« Il y a quelques années, j’aurais dessiné mille récits sur cette improbable rencontre. Maintenant, je m’en fiche. Sans doute que raconter était une façon de comprendre. Maintenant, je doute qu’il y ait quelque chose à comprendre. Je vis les choses sans essayer de les coucher sur du papier. Comme tout le monde. Ou presque. Je suis devenu un jouisseur » (Mars aller-retour).

« Ça fait longtemps que je n’ai plus d’amis. Je suis égocentrique, envieux, méchant, faussement humaniste et vraiment misanthrope. Mes amis ont passé du temps avec moi donc ils ont fini par me démasquer ! » (Mars aller-retour).

« … et puis un sentiment de solitude quelque fois insupportable… plus que d’habitude… Il arrive certains jours que même les fantômes soient aux abonnés absents » (Mars aller-retour).

Mars aller-retour

One shot

Éditeur : Futuropolis

Dessinateur / Scénariste : Pierre WAZEM

Dépôt légal : août 2012

ISBN : 9782754801287

Bulles bulles bulles…

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Mars aller-retour – Wazem © Futuropolis – 2012

Auteur : Mo'

Chroniques BD sur https://chezmo.wordpress.com/

15 réflexions sur « Mars aller-retour (Wazem) »

  1. Voir revenir Wazem au dessin est un petit événement. Je sais pas si ce récit très intimiste me conviendrait, ce n’est d’ordinaire pas trop ma tasse de thé.

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    1. J’avoue que je connais mal Wazem excepté ce qu’il a fait avec Peeters. Mais bien envie de creuser de ce côté-là en tout cas 😉

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    1. J’espère que tu auras bientôt l’occasion de le lire. J’espère que le rythme de l’album, somme toute assez lent, ne te prendra pas au dépourvu 😉

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    1. J’ai cru que j’allais suivre le même chemin que toi puisque les première pages (une bonne dizaine) ne me permettaient pas du tout de voir où l’auteur voulait nous emmener. Puis finalement, entre le fait d’être assez gourmande de ce genre de récits et l’auteur que je trouve assez touchant, je n’ai pas vu le temps passer. J’ai été happée par le récit, j’aime beaucoup cette autodérision, autocritique, « auto-apitoyée, auto-flagellante, un genre de salon de l’auto » comme il dit ^^

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  2. Excellent avis pour un album qui met du temps à « démarrer », mais qui est tout de même parvenu à me séduire. J’ai particulièrement apprécié le passage sur Mars…

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    1. C’est vrai que j’ai pensé, un moment, que j’allais rester sur le bord de la route avec le hérisson ^^ Merci piur les retours sur cet avis Yvan, mais je trouve que j’ai laissé de côté pas mal de choses et notamment tout ce qui à trait au ressenti du lecteur. C’est si personnel que je n’ai pas voulu m’embarquer sur ce terrain-là mais c’est aussi ce qui rend l’album savoureux

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    1. Larcenet / Wazem ?? Je n’avait pas fait le parallèle de moi même, peut-être le côté « pas sérieux » et « décontracté » des dessins ??

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    1. Contente d’avoir su te donner envie de le lire. Un album à lire tranquillement, sans attentes particulières car la réflexion est assez personnelle

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