Les Enfants pâles (Phang & Dupuy)

Les enfants pâles
Phang – Dupuy © Futuropolis – 2012

Dans une société en crise, le chômage, les expulsions locatives et la famine ébranlent les fondements familiaux. Angoissés par cette situation qui s’enkyste, les adultes décident de tuer leurs enfants pour leur épargner tous ces maux. Mais quelques petites victimes parviennent à s’échapper et certaines témoignent. Ainsi, les enfants commencent à comprendre que leurs parents sont devenus leurs meurtriers.

Les enfants se cachent et se regroupent pour être moins vulnérables. Une bande – d’une vingtaine d’enfants – décide de fuir la ville. A leur tête, Jonas, le plus âgé d’entre eux. Il a 15 ans. Il leur assure que quelque part, sur Terre, il existe un lieu, véritable havre de paix. Il connait le chemin et les invite à la Grande Marche. Il faudra traverser la plaine, puis la forêt et au bout du chemin, il leur assure qu’ils pourront se reposer et vivre sereins. Rêvant de ce monde juste où l’on peut étancher sa soif et manger à satiété, les enfants se mettent en mouvement.

Jonas s’avèrera être un leader autoritaire mais la musique de son violon est comme une drogue…

« Les enfants pâles – Roman graphique » peut-on lire sur la couverture.

J’ai rarement été d’accord avec une telle dénomination car ici, l’appellation de roman graphique a tout son sens. Après Une élection américaine en 2006, Les Enfants pâles sont la seconde collaboration de Loo-hui Phang (Cent mille journées de prières, J’ai tué Géronimo…) et Philippe Dupuy (Monsieur Jean, Les héros ne meurent jamais, Boboland…). L’ouvrage alterne des pages d’écriture pure, des passages illustrés totalement muets et d’autres en bandes dessinées. Le tout représente 432 pages.

L’ensemble est harmonieux, chaque mode d’expression semble prendre le dessus au moment opportun de l’histoire, martelant son rythme et modelant l’atmosphère. Pourtant, si chaque élément narratif et graphique semble effectivement à sa place et que les rouages semblent parfaitement huilés, la lecture n’a pas été facile.

Tout d’abord, il m’a été difficile d’accepter la cruauté de cet univers. Les enfants sont livrés à eux-mêmes, ils fuient ensemble un monde cruel. Pourtant, ils reproduisent inconsciemment des codes et des croyances tout aussi cruels. Il crée une Justice qu’ils assortissent de sanction. Un système de récompense et de privation de liberté… l’absurdité en plus. Rappelons que nous sommes en présence d’enfants, on peut donc tout à fait concevoir que les normes et les valeurs de nos sociétés leur échappent. Dans cet ouvrage, on accède à une vision possible que nos enfants peuvent en avoir.

La lecture débute par une démonstration de ce qu’est la chaine alimentaire. Une proie rencontre son prédateur, qui à son tour rencontre son prédateur, qui à son tour… Le ton est donné. Puis vient une description narrée du contexte social dans lequel s’ancre le récit : famine, expulsion, misère… Le développement de l’intrigue décrit bien des changements (climatiques, environnementaux, relationnels…) autour du groupe d’enfants. Tout au long de ma lecture, cet univers m’a déstabilisée, voire écœurée. Les enfants évoluent dans un milieu qui leur est constamment hostile et l’ambiance est angoissante, instable. On ne peut se raccrocher à rien. Les leaders qui se succèdent sont des despotes imprévisibles.

L’éditeur précise que « ce récit, destiné aux adultes, posant des questions d’adultes, emprunte les figures du conte pour enfants afin d’interroger le parcours de tout homme, depuis l’enfance ». Mais même en m’aidant de ces éléments de compréhension pour pondérer mon ressenti, je n’ai pas adhéré aux métaphores employées par Loo-hui Phang. Certes l’écriture est fluide mais cet univers est si malsain et si oppressant que je n’y ai pas trouvé la juste distance à mettre pour profiter de cette lecture. Devais-je rester spectatrice ? Devais-je m’impliquer ?… Je n’ai pas trouvé ma place. Aucun positionnement ne me convenait. De nombreuses fois, j’ai reposé le livre pour faire une pause et respirer. Puis, je reprenais ensuite le livre avec appréhension, impatiente à l’idée d’atteindre le point final du récit.

L’épopée est éprouvante pour les personnages comme pour le lecteur. Le songe est cauchemardesque, la descente aux enfers semble inévitable. Nos lueurs d’espoir sont étouffées dans l’œuf. Tout est pensé à l’extrême. Pêle-mêle, il est question de folie, d’autorité, de discipline, de rêve, de communauté, d’individualisme, de survie, de croyances. Un mélange constant de fatalité et d’optimisme.

La vie s’entêtait en eux. Il y avait toujours mieux à faire que de mourir. Prendre une nouvelle inspiration, regarder la vibration des feuilles, avaler une baie. Et, juxtaposés les uns aux autres, les gestes formaient une séquence indécise qui s’étirait jusqu’au soir. A celle-ci succédait une autre, traçant un motif répétitif qui, sans qu’ils eussent la force de s’en rendre compte, était devenu leur vie.

Durant la lecture, j’ai également pensé à d’autres références culturelles : Shéhérazade et les Contes des mille et une nuits, Mandrake le magicien et plus particulièrement un épisode où des esclaves sont utilisés comme mobilier vivant (je n’ai pas retrouvé le titre de l’épisode).

PictomouiUn très bel album cependant. La fin est belle, poétique et nostalgique, pleine de sens… je crois… car la morale de cette histoire m’échappe, ce qui accroît la frustration. De même, l’homme-cerf que l’on voit sur la couverture de l’album est un personnage-clé du récit mais là encore, je ne comprends pas cette symbolique…

Les chroniques : David Fournol, France Info et Marie Rameau.

Extraits :

« S’ils ne nous avaient pas tués hier, ils l’auraient fait tôt ou tard. D’un coup sec ou à petit feu. Ils font toujours les mauvais choix pour nous. Ils nous imposent le même malheur que celui qui les pourrit. Ils nous retiennent à leurs côtés pour ne pas crever tous seuls » (Les enfants pâles).

« Puis il improvisa une messe pour les martyrs de la Révolution et exécuta un adagio lancinant. Mais la suavité des sanglots battit en retraite devant le froid et la nuit. Tels des prédateurs affamés, les terreurs familières émergèrent des ténèbres. Ni l’éclat du soleil ni l’âtre salvateur ne les éloignerait désormais. Les enfants appelèrent au secours une intervention providentielle. Ils réclamèrent leurs parents, la police, un instituteur. Jonas se redressa et, pour mettre fin à toute plainte, hurla à pleins poumons. Sa voix était un gouffre sans fond, ouvrant dans la nuit un abîme d’une béance éperdue. Sa gorge douloureuse vomissait des échos menaçants, sa fureur invaincue dévora les peurs. Les enfants se turent. Orphelins de leur effroi, ils se rendirent au sommeil » (Les enfants pâles).

Les enfants pâles

Roman graphique

Éditeur : Futuropolis

Auteur / Scénariste : Loo-hui PHANG

Illustrateur / Dessinateur : Philippe DUPUY

Dépôt légal : septembre 2012

ISBN : 978-2-754801454

Bulles bulles bulles…

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Les enfants pâles – Phang – Dupuy © Futuropolis – 2012

Auteur : Mo'

Chroniques BD sur https://chezmo.wordpress.com/

14 réflexions sur « Les Enfants pâles (Phang & Dupuy) »

  1. Déjà, graphiquement, j’aurais beaucoup de mal. Si en plus c’est plein de symbolique plus ou moins obscure, je préfère passer mon chemin.

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    1. Je n’étais peut-être pas très réceptive à tout cela. J’aime bien couper les cheveux en quatre habituellement mais là, c’était un peu trop me concernant 😉

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    1. Feuillettes tout de même. Le montage est intéressant.
      Mais tu n’avais pas trop accroché avec le dernier opus de « Cent mille journées de prière » du coup, me semble que tu n’auras pas trop de plaisir à lire celui-ci

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    1. Merci pour tes retours 😉
      J’avais déjà attrapé le lien de Marie Rameau (il est après ma conclusion, avant les références de l’album). J’avais hésité à l’insérer dans mon article, je trouve quand même que ce récit est autre chose que l’apologie de la déprime ^^ Il y a d’autres albums aussi plombant qui sont des petits bijoux narratifs (le premier qui me vient en tête : « Lucille » de Ludovic Debeurme). Après, oui, cette lecture m’a coûté, certains passages sont vraiment dérangeants.

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  2. Je viens de le terminer et il sera publié pour ma bd de la semaine. Je partage à 100% ton avis: j’ai moi aussi dû arrêter ma lecture pour ne pas m’effondrer tellement c’est noir! J’aurais bien voulu que tu m’éclaires sur la symbolique du cerf… ! Bon sur ce, je m’en vais pondre mon billet!

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    1. Le cerf (de ce que j’en ai compris mais mes connaissances sont tout de même limitées), c’est une symbolique double. A la fois figure bienveillante et protectrice, le souverain d’un lieu (souvent sacré, souvent une forêt) qui veille sur les autres crétures/espèces qui vivent en ce lieu. Il intervient en cas de conflit si celui-ci prend une ampleur trop inquiétante, il veille à l’harmonie, au respect mutuel entre les espèces.
      Je l’ai vu aussi comme une entité plus sombre, une entité vengeresse. Le fantôme d’un cerf qui aurait été tué et qui vient se venger de son assassin.
      Auprès, il y a des personnes qui se sont réellement documentées et qui expliquent cela bien mieux que mois, et sans erreurs d’interprétation. Je crois que rappeler que Romain Renard a expliqué cette symbolique dans « Melvile » et Miyazaki l’utilise aussi dans « Princesse Mononoké ».
      Je m’en fais une vague représentation que je complète à chaque fois que je croise cette figure symbolique dans un récit. Il y a quelques années, j’avais lu un ouvrage qui expliquait cette légende de l’homme-cerf (très présente dans les mythes celtiques où Cernunnos est un dieu) mais la référence de l’ouvrage m’échappe 😦

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        1. Avec plaisir 😉 Mais j’ai de grosses lacunes sur le sujet. Il me fascine alors dès que j’en ai l’occasion, je complète mes connaissances. Mais il reste du boulot !! 😀

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