Notre Mère la guerre : Requiem (Kris & Maël)

Notre mère la guerre :Requiem
Kris – Maël © Futuropolis – 2012

Retour au front dans l’horreur de la guerre, au creux des tranchées.

Nous sommes en septembre 1917 et l’enquête du Lieutenant Vialatte (sur les meurtres de plusieurs femmes perpétrés en janvier 1915) stagne toujours. Pourtant, un fait nouveau survient et pousse Vialatte à reprendre son enquête à zéro, espérant cette fois parvenir à comprendre l’événement déclencheur qui explique « pourquoi » ces victimes ont été visées. La réponse à cette question devant ensuite le conduire au(x) meurtrier(s)…

Il m’aura fallu quelques temps pour digérer la frustration générée par le dénouement du tome 3. En effet, Notre mère la guerre était initialement annoncé en triptyque. Je m’attendais donc à découvrir la résolution de l’enquête dans le tome précédent, un ouvrage qui avait balayé tout le scepticisme que j’avais jusque-là à l’égard de cette série.

Pourtant, il m’est difficile de parler de ce tome. J’ai depuis longtemps perdu l’habitude de présenter les séries de manière morcelée, préférant de loin rendre compte d’une vue d’ensemble. En revanche, s’il est bien une chose que permet le partage d’un ressenti par à-coups, c’est de mesurer le cheminement progressif du lecteur d’un tome à l’autre : appropriation des personnages et de l’ambiance, réactions suscitées par une orientation narrative. Cela permet aussi, longtemps après lecture, de comprendre comment le laps de temps qui sépare la parution entre deux tomes a été mis à profit pour prendre du recul, intégrer les éléments narratifs… voire donner du sens à l’ensemble ?

Car dans cette série, il est bien question de cela. Sans relire mes précédents articles, j’ai souvenir d’une accroche ténue avec le premier tome et de scepticisme après le second tome. Ce n’est que dans le troisième tome que l’histoire a – pour moi – pris du sens et que j’ai enfin accepté qu’un événement historique de cette ampleur serve de « décor » à une enquête policière fictive.

Je chasse rapidement les bémols rencontrés durant la lecture de Requiem : 1/ une difficulté ponctuelle à me situer dans le temps lors des passages oniriques qui sont mal délimités au niveau narratif (est-ce réel ? est-ce avant ou après la guerre ?). Le traitement graphique nous met certes la puce à l’oreille mais l’effet déstabilise le lecteur au moins autant que le personnage qui fait ces rêves. 2/ Les quelques interventions de soldats allemands ne sont pas traduites. Certes, aucun des soldats français que nous côtoyions dans cette histoire ne semble maitriser l’allemand mais… quelques discrètes traductions auraient pu, me semble-t-il, profiter au lecteur sans que la tension palpable de ces scènes n’en soit altérée.

Ce dernier tome, intitulé Requiem, conforte pourtant mon ressenti du tome précédent. Est-ce parce que je maîtrise mieux la personnalité des protagonistes ? Est-ce parce que je parviens à les situer les uns par rapport aux autres malgré leur multitude ? Est-ce parce que je suis enfin parvenue à accepter que la guerre puisse aussi… me divertir ??? Il est vrai que je préfère généralement des auteurs comme Igort, Sacco, Squarzoni, Le Roy… qui transmettent une vision très réaliste des conflits. Sauf rares exceptions, les escapades qui tracent des destins fictifs sur trame de fond historique réel ont du mal à me convaincre voire m’agacent. Notre mère la guerre fait partie de ces « rares exceptions ».

La qualité du scénario et des dialogues de Kris ont eu raison de mes réticences, le travail graphique de Maël a fait le reste. Dans le tome 1, Maël avait développé une ambiance graphique assez terne pour décrire le quotidien de la guerre. Nous évoluions alors au milieu de gris, de marrons et de blanc face auxquels j’étais restée spectatrice. Peu à peu, cette ambiance a glissé vers quelque chose de plus chaud. La couleur terre est restée le fil conducteur des illustrations mais peu à peu, les bruns ternes se sont transformés en ocres, en rouille. A l’instar des quatre couvertures des tomes de la série, les ambiances graphiques intérieures se sont peu à peu détournées des gris et des bleus délavés pour devenir plus toniques. On finit cette épopée sur une note moins crue, moins factuelle dans sa description de la vie dans les tranchées. Ces couleurs chaudes donnent une autre dimension au récit.

Il me tarde maintenant de découvrir la chronique de Jérôme qui partage aujourd’hui son ressenti sur la série complète. Je vous invite à lire sa chronique !

Une lecture que je partage également avec Mango à l’occasion de ce mercredi BD

Et découvrez les albums présentés par les autres lecteurs !

PictoOKPictoOKRequiem fait décoller la série dans le sens où l’orientation de ce tome final donne une portée plus grande au message qu’il contient. L’enquête policière devient secondaire, elle laisse la place à une réflexion plus profonde sur la guerre et son absurde fonction. Je garderais en mémoire le fait que Notre mère la guerre est avant tout un hommage aux combattants avant d’être un « simple polar » qui se développe sur fond d’Histoire.

Extraits :

« Est-ce que je me bats encore pour la Patrie ? Sans doute, oui. Mais c’est un sentiment qui s’apparente aux reliefs d’un repas, autrefois apprécié, mais dont on s’est écœuré à force d’indigestions… Est-ce que je me bats pour l’Alsace et la Lorraine ? C’est le théâtre où j’opère en ces premiers jours de novembre 1918 et je dois bien avouer qu’il n’est, comme tous les autres, qu’une scène de souffrances et de fureur qui désormais me fait horreur… Est-ce que je me bats pour écraser et ruiner nos ennemis ? Non, je n’ai plus d’ennemis autres que la distance qui nous sépare. Et cette distance s’appelle la guerre, et non l’Allemagne… Je me bats par loyauté, par habitude et par force… JE me bats parce que je ne peux faire autrement. Je me bats parce qu’après les découragements vient encore et toujours la résignation. Je n’imagine même plus que cela puisse changer. Je l’espère toujours, je n’y compte plus… Longtemps, j’ai cru que le devoir fondait l’homme. Je me demande aujourd’hui s’il n’est pas simplement une tromperie magnifique de l’esprit pour mener le corps là où il ne veut pas » (Notre mère la guerre, tome 4).

« La guerre a grignoté l’homme que j’étais » (Notre mère la guerre, tome 4).

Notre mère la guerre

Tome 4 : Requiem

Série terminée

Éditeur : Futuropolis

Dessinateur : MAËL

Scénariste : KRIS

Dépôt légal : septembre 2012

ISBN : 978-2-7548-0752-4

Bulles bulles bulles…

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Notre mère la guerre, tome 4- Kris – Maël © Futuropolis – 2012

Auteur : Mo'

Chroniques BD sur https://chezmo.wordpress.com/

31 réflexions sur « Notre Mère la guerre : Requiem (Kris & Maël) »

  1. Il est certain que l’enquête n’est qu’un prétexte. Je ne connaissais pas, j’ai lu tes trois premiers billets et j’ai constaté avec beaucoup d’intérêt l’évolution de ton ressenti, c’est ce qui m’a convaincu de me lancer dans cette série. Et franchement je ne regrette pas. C’est tellement fort et tellement différent de Tardi que l’on considère souvent comme le seul capable de parler de la 1ère guerre en BD.
    Je crois qu’il faut tout lire d’un seul coup pour comprendre l’ensemble du projet. En tout cas j’ai pris cette histoire de plein fouet, j’en ressors sonné et très heureux de l’avoir découverte grace à toi^^

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    1. L’enquête n’est qu’un prétexte mais cela ne m’a pas semblé être une évidence au début (deux premiers tomes). Même si on le pressent, ce n’était pour moi qu’une supposition. De même, je trouvais que les personnages manquaient d’humanité au début, alors qu’en fait, ils en regorgent !!
      En tout cas, merci à toi de m’avoir remis le pied à l’étrier concernant la lecture. Je ne t’ai pas encore lu mais ça ne saurait tarder ^^

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    1. Oui oui, c’est une très belle série ! Il faut un peu de temps pour apprivoiser cet univers mais le résultat est assez marquant 😉

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  2. pareil que Nahe, les dessins m’attirent…
    (je sais, je ne laisse pas de comm très différent de celui chez Jérôme)

    (pas trop de visite de blog en ce moment, bcp de retard dans les infolettres)

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    1. Les dessins sont splendides Lystig. On ne peut qu’y succomber ^^
      Pour ton investissement sur la blogo en ce moment, ce n’est pas moi qui te ferais des remarques. En ce moment, j’ai bien du mal à tenir le rythme. Par contre, cela me manque énormément de ne plus pouvoir partager autant qu’avant. J’espère que tout va bientot « rentrer dans l’ordre » 🙂

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  3. Effectivement, Jérôme évoque ces moments de doute, mais le fait d’avoir lu cette série dans son intégralité lui a permis de dépasser ça. En tout cas, merci à vous deux pour ces billets élogieux !

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    1. Je n’ai appris qu’hier soi que Jérôme avait eu un coup de cœur. On s’est juste organisé pour publier en même temps, je viens seulement de découvrir le contenu de son avis mais je le rejoints à 200%. Kris et Mael ont réalisé un travail d’orfèvres. A lire Messieurs Dames 🙂

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  4. Meme remarque que chez jérome, je suis dans le dur pour écrire sur ma lecture de ce requiem… Pas simple d’évoquer le dernier tome d’une série… mais fort agréable de ressentir l’évolution dans le temps.
    1/ J’ai rencontré aussi une difficulté ponctuelle à me situer dans le temps lors des passages oniriques mais très ponctuelle !! Disons que ça fait travaillé la mémoire !
    2/ L’absence de traduction ne m’a pas gêné, je ne parle plus l’allemand, et j’ai donc rien compris, mais je ne me suis pas senti mis de côté.
    Sublime et élogieux sont les deux mots qui vous caractérisent 🙂

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    1. Pour la transition des passages oniriques, ça fait travailler la mémoire mais… c’est perturbant !!! J’ai initialement pensé qu’on se situait bien après la guerre et que les auteurs avaient fait un grand bond dans le temps. Et puis, sortie de ce passage, il a fallu de nouveau que je réajuste le tir ^^
      Quant à l’absence de traduction, vu que je suis curieuse et que j’aime bien savoir… ben… ^^ Après, j’étais prise dans la lecture donc je ne suis pas aller chercher mon traducteur ^^
      Pas évident non de parler d’un tome 4. Déjà avec un tome 1 ou un one shot, j’ai peur du spoil ais là, la série étant bien avancée, j’ai eu des difficulté. Je n’ai pas l’impression d’avoir parlé de l’album en tant que tel. En revanche, j’avais besoin de faire le point sur mon cheminement entre les tomes. Je n’aurais pas parié ma chemise après la lecture du tome 1. A cette époque, si on m’avait dit que je mettrais mes deux pouces, j’aurais pensé que c’est une belle blague ^^

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  5. Bon, au début j’étais emballée par le résumé, puis moins par ton avis (du fait que la série ne soit vraiment intéressante qu’à partir du troisième tome), et puis finalement je lirais bien la série les quatre tomes à la suite, selon le conseil de Jérome 😉

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  6. Ah ben tu vois moi au départ je pensais que c’était un diptyque. J’ai l’impression qu’ils allongent toujours plus. C’est bien fini avec le T4 ?

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        1. Ah chouette chouette !! En parlant de ressenti, je me suis mis ton article sur le dernier Chabouté de côté. Je voudrais le lire à tête reposée…

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            1. Yep ! ^^ Par contre, j’avais vu l’échange sur le blog de Dame Choco. On verra bien mais il est vrai que d’ordinaire, quand le rythme est trop lent… Mo’ s’endort ^^

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            2. Je l’ai trouvé sympa sinon dans l’ensemble. Un poil longuet mais sympa.
              Pas une Grande BD avec un Grand G quoi !

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            3. C’est ce que j’appréhende en fait. Déjà, son précédent album (Les princesses aussi…) ne m’avait pas trop emballée alors que jusqu’ici j’avais toujours trouvé ses albums succulents (exception bien sûr ^^ avec Landru dont on avait parlé sur kbd). Mais généralement, je trouve ses univers assez forts et très prenants. Je pensais avoir le temps de lire des titres plus anciens (Purgatoire notamment). Et puis la sortie 2012 a été annoncée et j’ai l’impression que la lecture sera un peu fade me concernant… alors je repousse ^^

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            4. Tu verras bien 🙂
              Moi j’avais beaucoup apprécié son travail sur Landru et j’ai pas eu l’occasion de revenir sur d’anciens titres à lui, ce que je regrette un peu. On est souvent plus dans l’actualité que dans les lectures anciennes quand on va chez le libraire ^^

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            5. C’est vrai ! Il faut dire que ça doit leur être difficile de faire autrement. Nous aussi, on a plus souvent le réflexe de conseiller un livre qu’on vient juste de lire qu’un titre envers lequel on a des souvenirs un peu défraichis ^^ Après, vu que je titille souvent mon libraire sur ce qu’il peut avoir en stock, je sors souvent de chez lui avec, sous le bras, des sorties récentes comme des ouvrages plus « classiques » (parce que si je dis « vieux », j’ai David qui va me tomber sur le coin du poil :P)

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  7. Voilà une lecture commune très intéressante… Vos ressentis à tous les deux me poussent à la découvrir à mon tour maintenant qu’elle est complète…!

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    1. C’est pour cette raison que je suis de plus en plus frileuse à l’idée d’entamer de nouvelles séries. Je le fais sans sourciller pour des auteurs que j’apprécie (Peeters, Brunschwig par exemples) mais sinon, je préfère attendre. On n’est jamais à l’abri d’une interruption dans la série ou d’un récit qui part sur les chapeau de roue et retombe comme un soufflé dès le 2è ou 3è tome.

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