Eve sur la balançoire – Conte cruel de Manhattan (Ferlut)

Ferlut © Casterman – 2013
Ferlut © Casterman – 2013

« Evelyn « Eve » Nesbit (1884-1967) est la première pin-up du XXe siècle, la première muse d’une société de consommation qui fabrique l’image d’une vedette pour la brûler ensuite. Adolescente, Eve est magnifique. Chaperonnée par une mère abusive qui exploite outrageusement ses charmes naturels, elle arrive à 16 ans à New York, une mégapole alors en pleine explosion économique. Très vite, sa beauté rayonnante est captée par les peintres, les photographes et les publicitaires de la Belle Époque. Mais l’ascension de la « vraie Eve américaine » – « the true American Eve », comme on l’avait qualifiée – est aussi fulgurante que le sera sa chute, sordide » (extrait synopsis éditeur).

Pourquoi commencer la lecture d’un album par ses annexes ? Je ne sais pas en fait. Je ne sais pas expliquer ce qui m’a pris d’aller fureter en fin d’ouvrage et de m’engouffrer dans le documentaire de 7 pages contenant de brèves biographies d’Eve Nesbit, Stanford White, John Barrymore et Harry K. Thaw.

J’étais donc sensibilisée à l’intrigue et à son dénouement bien avant que les faits ne soient divulgués en tant que tel. Cela m’a gênée en partie. Bien sûr, j’ai tiré avantage de cette situation en observant librement les personnages sans être à la merci des rebondissements ultérieurs. Mais l’intrigue n’a pas eu de réelle prise sur moi, je suis restée très extérieure au drame qui se joue dans ces pages.

Evelyn Nesbit
Evelyn Nesbit

J’ai pourtant trouvé cette petite Eve sensible, touchante mais malheureusement pour elle, bien trop naïve ! Certes, il est nécessaire d’avoir en tête le fait que ces évènements ont eu lieu dans les années 1900. Les conventions, la place de la femme dans la société… difficile de pouvoir transposer les habitudes de notre époque à celle d’alors. Oui… mais, vu le contexte familial d’Eve, nous aurions pu nous attendre à ce qu’elle se rebelle davantage plutôt que de se plier au bon vouloir d’une mère maquerelle qui voit en sa fille une source de profit.

« Ton premier contrat ! On va pouvoir payer le loyer ! Et ton frère ira à l’école ! »

Eve reprendra plus tard la suite de cet échange avec sa mère :

« – Et pourquoi moi je n’y vais pas, à l’école ?

– Tu sais déjà tout ce que tu dois savoir ! Pourquoi irais-tu gâcher ta jeunesse à l’école ? »

Et puis Eve a tendance à se mettre totalement au service de l’Autre et à lui vouer une confiance presque aveugle. Fait avéré ou interprétation de Nathalie Ferlut ? Quoi qu’il en soit, la personnalité de l’héroïne m’a quelque peu exaspérée.

 « Toi, tu pardonnes toujours. Tu hésites, tu as peur de décevoir, et tu finis par faire ce qu’on te dit de faire » lui reproche à demi-mots son amant lors de leur dernière rencontre.

Dans cet album, on sent l’importance du travail de recherche documentaire (mode vestimentaire, détails architecturaux, courant artistique…). Un souci de la précision dont Nathalie Ferlut (Elisa, Lettres d’Agathe) témoigne également par le fait de s’être tournée dans les deux autobiographies écrites par Evelyn Nesbit. Il est précisé dans la partie annexe de l’album, qu’Eve ne raconte pas tout à fait la même chose d’une version à l’autre, alors que quelques années seulement séparent ces deux écrits. Comment Nathalie Ferlut a-t-elle fait la part des choses ? Quoi qu’il en soit, elle s’est attachée à montrer une jeune fille soucieuse de bien faire et assez immature jusqu’à sa rencontre avec Thaw.

L’ouvrage dispose d’une unité graphique agréable. Des premières années frivoles au quotidien de femme mariée, les magnifiques illustrations réalisées au pinceau lèchent l’ambiance des années 1900 et l’effervescence new-yorkaise du début de siècle dernier. Malgré le contexte dans lequel a grandi Evelyn Nesbit, on ne ressent absolument pas l’influence de la mère comme étant oppressante ; la personnalité de son mari en revanche imposera une tension malsaine sur chacune des pages où il apparaît, à commencer par son faciès grimaçant plus proche des expressions de La Faucheuse (teint blafard, sourire démesuré et crispé…) que de celle d’un humain ordinaire.

PictomouiUn projet sur lequel Nathalie Ferlut travaille depuis 2010.La personnalité d’Eve, son insouciance et son envie de croquer la vie à pleines dents envahit les pages de l’album et évite que le propos ne s’alourdisse. Cependant, les quelques bizarreries des différents personnages (cupidité de la mère, naïveté de la jeune femme, folie du mari) m’ont tenu à distance de cette lecture.

Une interview de Nathalie Ferlut réalisée à l’occasion de la sortie d’Eve.

Lecture commune avec Jérôme, je vous renvoie vers sa chronique.

Une lecture que je partage avec Mango à l’occasion de ce mercredi BD

Logo BD Mango Noir

Extraits :

« Poudres dentifrices, poudres parfumées, poudres pour le teint, cigarettes et corsets de soie : j’étais partout ! Pour la petite Eve Nesbit de Pittsburgh, le XXè siècle avait inventé un nouveau métier : j’étais l’image de l’envie et de la perfection, j’étais une icône de publicité » (Eve sur la balançoire).

« J’attendais juste qu’elle s’endorme et je m’en allais vivre une heure ou deux. Le temps de sa sieste » (Eve sur la balançoire).

Du côté des challenges :

Petit Bac 2013 / Sentiment : cruel

Petit Bac 2013
Petit Bac 2013

Eve sur la balançoire – Contre cruel de Manhattan –

Editeur : Casterman

Collection : Univers d’auteurs

Dessinateur / Scénariste : Nathalie FERLUT

Dépôt légal : septembre 2013

ISBN : 978-2-203-06639-7

Bulles bulles bulles…

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Eve sur la balançoire – Ferlut © Casterman – 2013

Auteur : Mo'

Chroniques BD sur https://chezmo.wordpress.com/

23 réflexions sur « Eve sur la balançoire – Conte cruel de Manhattan (Ferlut) »

  1. Ben oui quelle idée de commencer par la fin ! Moka m’a tapé sur les doigts la dernière fois que j’ai fait ça au festival d’Amiens. Depuis j’ai retenu la leçon^^ Bon sinon j’ai trouvé c’est album magnifique graphiquement mais j’ai trouvé l’histoire sans intérêt. Dommage…

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    1. Ben oui mais d’habitude je râle toujours de ne pas profiter des éléments historiques du scénario. Alors pour une fois, je me suis dit que j’allais me couper l’herbe sous le pied à ces reproches récurrents. Manque de bol, pour une fois, c’était mieux de ne pas connaître 😀

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    1. 😀 Dommage quand même. Après, j’ai toujours très envie de découvrir « Lettres d’Agathe ». Cette déception ne m’a pas vaccinée pour autant ^^

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  2. Malgré ton avis en demi-teinte (et le commentaire de Jérôme), je suis séduite. Plus par le personnage je pense, ainsi que par l’époque. Mais du coup je n’exclue pas de découvrir tout ça par le biais de cet album. 😉

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    1. J’espère avoir l’occasion de lire ta chronique et ainsi comprendre ce qui n’a pas fonctionné pour moi dans cette lecture 😉

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    1. Les illustrations sont superbes. N’hésites pas à plonger dans cet album pour en profiter. Peut-être que leur présence te sera plus profitable qu’à moi 🙂

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    1. Je pensais que le fait de lire le dossier documentaire m’avait porté préjudice mais après avoir lu l’avis de Jérôme, j’ai écarté cette hypothèse ^^

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  3. Si je vois cet album, je le feuilletterai pour voir ces beaux dessins très séduisants mais je repenserai à ton avis peu enthousiaste, tout comme l’est aussi celui de Jérôme! ,

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    1. Pour une fois, nous avions très peu échangé sur nos impressions avant que nos billets ne paraissent. Une déception commune sur cette lecture. La LC a aussi des vertus réconfortantes : savoir que l’on n’est pas seul à avoir trouvé un album hermétique ^^

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    1. Désolée. L’avantage de nos chroniques, c’est que l’on te fait revoir ton degré d’attentes… tu risques moins d’être déçue comme ça 😛

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