L’Art du chevalement (Phang & Dupuy)

Phang – Dupuy © Futuropolis – Musée du Louvre Editions – 2013
Phang – Dupuy © Futuropolis – Musée du Louvre Editions – 2013

Orféo a la délicate mission de remonter Pigeon à la surface. Pigeon est un cheval qui aspire à une retraite bien méritée après dix années passées dans les galeries de la Fosse 9.

Pour mener à bien ce délicat retour au grand air, Orféo a bandé les yeux du canasson afin qu’il ne soit pas aveuglé par la lumière. Mais une fois remontés à la surface, et à la grande surprise d’Orféo, ils se retrouvent nez-à-nez avec un étrange bâtiment tout en verre : le musée du Louvre à Lens.

Orféo va guider calmement Pigeon dans les galeries parsemées d’œuvres d’art et lui décrire ce qu’il voit.

Ce nouvel album vient enrichir la collection Louvre/Futuropolis dont certains titres ne sont plus à présenter (Période Glaciaire, Le chien qui louche, La traversée du Louvre, Les Sous-sols du Révolu…). A plusieurs reprises, ce travail – fruit de la collaboration entre Loo Hui Phang et Philippe Dupuy – m’a fait penser à celui que Nicolas De Crécy avait réalisé sur Période glaciaire. Pourtant, le lecteur n’est pas ici en présence d’une projection futuriste de notre société ou de la manière dont ses œuvres pourraient être perçues par les générations futures. Cela tient plus à la nature des réflexions soulevées dans le scénario et aux scènes dans lesquelles elles s’inscrivent ; le personnage principal interagit avec les œuvres du musée qui prennent vie comme par magie après que le personnage ait posé leur regard sur eux.

Les auteurs montrent également leur volonté de créer des passerelles entre deux mondes très différents, celui de la mine et celui de la création artistique. A ce sujet, le lecteur dispose en fin d’album d’un lexique qui reprend les termes communs à ces deux univers (« la mine » et « l’histoire de l’art »). C’est l’occasion de constater que les champs lexicaux ne sont pas si éloignés et que les passerelles rendues visibles par cette fiction ne sont pas si factices que ça.

Des parallèles entre le quotidien des mineurs, conditions de vie (rapide), habitude de travail tel le fait de donner des noms de femmes aux veine de charbon. Ainsi, l’une de ces veines est appelées Madeleine ce qui est l’occasion que prenne les auteurs pour faire apparaitre la sculpture de Madeleine Marchand de Thomas Boudin (se reporter en bas de cet article sur Wikipedia) qui sera au Louvre-Lens jusqu’en 2014.

« Qu’est-ce que la beauté selon vous ? »

En toute logique, il est essentiellement question de l’Art et de sa fonction sociale. Les rebondissements dans l’intrigue permettent également d’aborder la question du « beau », de l’utile, des sentiments et de la mort. Le personnage se retrouve parachuté dans un monde dont il ne connait rien. Issu d’un milieu social très modeste, la question de l’Art n’a jamais fait partie de sa vie. Il regarde les œuvres d’art avec un œil de néophyte pourtant, la justesse de ses questions et de ses interprétations sont pertinentes et invitent le lecteur à la réflexion plus qu’à l’introspection. Un voyage onirique entre passé et présent, art et réalité. Contraint de côtoyer Pharaons, Ouchebtis et idoles, Orféo nous sert de guide dans cette expérience mystérieuse. Je n’ai pu m’empêcher de penser au personnage d’Orphée capable d’émouvoir des êtres inanimés.

Le titre de cet ouvrage, L’Art du chevalement, s’avère au final porteur de sens. Du chevalement, nous saurons cependant bien peu de chose si ce n’est le fait de pouvoir accéder à la définition de ce terme. Mais il n’est qu’artifice dans cette fiction et représente seulement un point de chute qu’Orféo souhaite à tout prix rejoindre. Quant à l’Art, cet ouvrage – fruit d’une nouvelle collaboration entre Le Louvre et Futuropolis – nous pousse une fois encore à réfléchir à notre conception de l’Art, nos accroches personnelles avec telles ou telles œuvres, la place qu’on lui accorde dans notre quotidien. On suit très facilement ce personnage et on se laisse porter par les associations d’idée qu’il fait durant ce voyage intemporel. Comment nous interprétons les œuvres d’art, la manière dont nous décodons le message qu’elles contiennent ?

Les illustrations de Philippe Dupuy sont sobres et complétées de couleurs sombres qui contrastent sur le fond blanc des murs du musée. Loo Hui Phang (Cent mille journées de prière, Les Enfants pâles) invite une nouvelle le lecteur à découvrir un univers où réel et surnaturel se côtoient. Ce récit est l’occasion d’explorer un épisode de l’histoire (conditions de vie/conditions de travail des mineurs…) et d’entrapercevoir la galerie du temps du Louvre-Lens. Un devoir de mémoire une fois encore. Une lecture agréable cependant, j’y suis restée très extérieure.

Une lecture que je partage avec Mango pour les BD du mercredi. Découvrez les albums partagés aujourd’hui par les autres participants en cliquant sur ce logo :

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Extrait :

« – L’art n’a pas pour vocation d’être agréable

– Il sert à quoi alors ?

– A rien. Rien d’utile. C’est là sa valeur. L’art permet de se défaire du monde pragmatique, du monde des tâches à accomplir. Il transporte vers l’essentiel, vers l’invisible, un lieu à part. Il est l’occasion d’un vécu intense ».

L’Art du chevalement

One shot

Editeur : Futuropolis / Musée du Louvre Editions

Dessinateur : Philippe DUPUY

Scénariste : Loo Hui PHANG

Dépôt légal : novembre 2013

ISBN : 978-2-7548-0958

Bulles bulles bulles…

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L’art du chevalement – Phang – Dupuy © Futuropolis – Musée du Louvre Editions – 2013

Auteur : Mo'

Chroniques BD sur https://chezmo.wordpress.com/

28 réflexions sur « L’Art du chevalement (Phang & Dupuy) »

  1. Un ouvrage intéressant en effet, même si dans la plupart des cas les chevaux des mines n’étaient jamais remontés 😦 Merci pour cette jolie chronique

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    1. D’ailleurs, les auteurs parlent de ces chevaux condamnés à la vie sous terre, que ce soit des suites de la guerre ou de la silicose.
      Un bel album. Dommage qu’il m’ait été aussi difficile de faire la part des choses entre le plaisir modéré que j’ai eu à le lire et l’intérêt de la réflexion qu’il porte

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        1. 😀
          « Les enfants pales » n’était pas un titre très accessible. J’ai beaucoup flotté pendant la lecture, trouvant certains passages d’une longueur monotone ^^

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    1. Tout à fait. En tout cas, on retrouve bien le style de Loo hui Phang : de l’étrangeté au coeur d’un message toujours très engagé

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    1. Je ne sais pas, je reste assez neutre sur ce coup. L’album se lit sans difficulté mais j’ai eu quelques flottements. Des associations d’idées m’ont un peu échappé. Bref, je me suis appuyée sur d’autres lectures (comme « Sang noir » ou les quelques titres que j’ai lu de cette collection Louvre/Futuro) pour donner un peu de sens à ma lecture

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  2. J’ai peur de rester un peu hermétique à cet album. En dehors du Chien qui louche j’ai quand même beaucoup de mal avec cette collection qui intellectualise un peu trop la BD pour moi^^

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    1. Je crains que tu ne t’ennuies sur cette lecture en effet. Mais je te le redis : avant de conclure sur l’accroche que tu as avec les titres de cette collection, fais un petit tour du côté de « La traversée du Louvre » de David Prudhomme 😉

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  3. Vu mon expérience avec cette collection avec « Le chien qui louche », est-ce que je me laisse tenter ? Allez, on va dire que si cet album est trouvable à la médiathèque, je vais jeter un coup d’oeil et plus si affinités. Merci pour le lien wiki au fait, j’étais à mille lieux de penser que c’était ça le chevalement ^^

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    1. Pareil que pour Jérome : si tu as du mal avec le ton de la collection (et je partage votre ressenti), je te conseille plutot l’album de Prudhomme. J’avais passé un bon moment en le lisant 😉

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  4. J’étais passée à côté de Période glaciaire, j’avoue que celui là a l’air particulier aussi dans le genre… En même temps, un cheval qui s’appelle Pigeon, moi j’aime bien !

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    1. Vu comme ça 😀
      Ensuite, je n’en ai pas parlé mais il y a une très belle amitié entre ce cheval et son maître. C’est très agréable 😉

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    1. Il a vraiment de quoi intriguer de cet album. En ce qui me concerne, j’étais restée un peu sur ma faim concernant leur précédente collaboration (« Les enfants pâles », j’avais trouvé que cet album avait quelques longueurs). Mais j’aime bien ce que fait la scénariste. « Cent mille journées de prières » m’avait émue et je pensais retrouver cela ici

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