Les vieux fourneaux, tome 1 : Ceux qui restent (Lupano & Cauuet)

Lupano – Cauuet © Dargaud – 2014
Lupano – Cauuet © Dargaud – 2014

Fourneau : « (Populaire) (Désuet) Vagabond, mendiant (par métonymie : habitué au fourneau de charité) ; d’où misérable, bon à rien, naïf, imbécile. Fourneau, signifie crétin, imbécile. Quand on imprime dans les journaux que nos ministres et nos députés sont des fourneaux, ils ne sont pas, je pense, habitués des asiles de nuit. — (Charles Virmaître, Dictionnaire d’argot fin-de-siècle, 1894) » (source : Wiktionary).

Trois amis d’enfance se retrouvent pour un enterrement. Cela faisait des années que Pierrot, Mimile et Antoine ne s’étaient pas vus. Pourtant, ils se connaissent tellement bien que c’est comme s’ils s’étaient quittés la veille. Et puis, quand on est septuagénaire, on relativise un peu les choses. Ce sont donc eux « les vieux fourneaux ». Un trio de choc que Sophie – la petite-fille d’Antoine qui est enceinte de 7 mois – va rejoindre. Ensemble, ils vont vivre une escapade dépaysante. En chemin, on croisera entre autres le « Théâtre du Loup en slip », une vieille bagnole truffée de fientes d’oiseaux, un mouroir qui répond au doux nom de « Meuricy » et des « privette joque ».

Tout commence donc avec la mort de Lucette, la femme d’Antoine. Après plus d’un demi siècle de vie commune, elle quitte la scène en laissant une lettre à son Antoine… lettre qu’il va devoir aller chercher chez le notaire. Lui, le vieux syndicaliste, plus enclin à monter au créneau qu’à se pencher sur la paperasse ! Il va pourtant respecter les dernières volontés de sa femme. Les révélations qu’elle lui fait dans cette lettre posthume vont mettre le feu aux poudres et marquer le début d’une escapade complètement déjantée qui nous conduira en Toscane.

L’histoire nous propose un mélange passé-présent très sympathique, où une douce nostalgie vient narguer de façon espiègle l’esprit bravache affiché par ce trio de vieilles canailles. L’arthrite, la cécité, l’incontinence… rien ne les arrête. Ces flibustiers décrépits balayent leurs maux d’un rapide revers de la main et affichent un sens de la répartie certain.

A l’instar de Ma révérence, Wilfrid Lupano reprend les ingrédients narratifs qui tordent les clichés habituels qu’on peut avoir ; en l’occurrence ici, on retrouve le même plaisir qu’on avait eu en découvrant les retraités présents dans Les petits ruisseaux ou Fais péter les basses Bruno [trop peu d’albums proposent ce genre de personnages, autant y faire référence].

Lupano – Cauuet © Dargaud – 2014
Lupano – Cauuet © Dargaud – 2014

Le scénario ne manque pas de nous surprendre. On se retrouve à bord d’un vieux combi rouge en route vers la Toscane afin d’empêcher un acte improbable. De scènes cocasses en situations extravagantes, le récit nous installe aux côtés de personnages au caractère bien trempé. Difficile de retenir quelques éclats de rire tant on est pris au dépourvu par certaines réactions. Pour ne rien gâcher, le rythme du récit est enlevé et les quelques respirations qui nous sont accordées sont dues à des souvenirs que ces vieux ressassent et dont ils parlent avec un plaisir non dissimulé. On en vient à naviguer entre plusieurs ambiances graphiques ;  le noir et blanc est retenu pour l’enfance, la couleur marque le présent tandis que des tons sépia viendront plutôt compléter la période intermédiaire. Et je trouve qu’il est de bon ton d’avoir ainsi fait référence à cette habitude qu’ont les seniors de regarder sans cesse dans le rétroviseur ; d’autant qu’ici, avec sept décennies d’amitié, il y a réellement matière ! Les dialogues sont très imagés et donnent davantage de relief aux différentes personnalités. Le scénariste puise pour beaucoup dans le vocabulaire argotique ; il n’est pas une page qui passe sans que l’on profite d’une expression fleurie et d’une métaphore explicite. Cela accroît le charme de ces vieux.

Lupano – Cauuet © Dargaud – 2014
Lupano – Cauuet © Dargaud – 2014

Le dessin de Paul Cauuet ne cherche pas à épargner les protagonistes. Nerveux, fluide, il illustre de façon amusée les ventres bedonnants qu’un pantalon recouvre jusqu’au-dessus du nombril. Avec générosité, il s’arrête sur de larges sourires édentés, griffe avec humour les trognes parfois renfrognées de ces papis à qui on ne la raconte plus depuis longtemps. Et cette jeune femme – embarquée un peu malgré elle dans cette escapade – vient apporter un supplément de fraicheur à cette troupe atypique ; la rondeur de son ventre fécond ne sera en aucun cas un frein au projet déjanté des anciens. Quoiqu’il en soit, ces rides, ces nez poilus, tous ces petits défauts inesthétiques sont ici travaillés avec beaucoup de tendresse par l’auteur. Habitué au registre fantastique et totalement fictif, Paul Cauuet illustre pour la première fois un univers réaliste… et c’est une réussite.

PictoOKPictoOK Une comédie sociale déjantée.

Le premier tome des Vieux fourneaux nous apporte une histoire complète (présentation des personnages, intrigue et dénouement). On embarque facilement dans ce road-trip prenant dont le second tome est déjà annoncé pour la rentrée (octobre 2014) ! Cette série originale s’annonce prometteuse.

Les chroniques de Jérôme, Noukette, Pierre Darracq, Moka et la pétillante dame du Petit Carré Jaune ! Sans compter la très belle synthèse de kbd (regroupant les avis de Lunch, Yvan, Badelel et Legof).

Du côté des challenges :

Roaarrr Challenge : Prix des libraires 2014 et Prix du Public Cultura (Angoulême 2015)

Roaarrr Challenge
Roaarrr Challenge

Les vieux fourneaux

Tome 1 : Ceux qui restent

Série en cours

Editeur : Dargaud

Dessinateur : Paul CAUUET

Scénariste : Wilfrid LUPANO

Dépôt légal : avril 2014

ISBN : 978-2-5050-1993-0

Bulles bulles bulles…

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Les vieux fourneaux, tome 1 – Lupano – Cauuet © Dargaud – 2014

Auteur : Mo'

Chroniques BD sur https://chezmo.wordpress.com/

40 réflexions sur « Les vieux fourneaux, tome 1 : Ceux qui restent (Lupano & Cauuet) »

  1. C’est même plus que prometteur ! Je n’ai rien lu de mieux en BD depuis le début de l’année, c’est vraiment un coup de cœur pour moi.

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        1. Oui, j’ai bien vu 👿 Et puis j’ai dit au libraire qu’on m’avait forcé à l’acheter. Il m’a demandé des noms. J’ai donné le tien 😛

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            1. Ah mais j’ai donné plusieurs noms ! ^^ Mais bon, tu avais fui à l’étranger… garde-à-vue impossible… 😀

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    1. Ah chouette !!! Bon par contre, si vraiment tu ne devais en choisir qu’un, et bien je te conseillerais davantage ces vieux fourneaux ! 😉
      Enfin, c’est mon modeste avis, on peut tout à fait ne pas être d’accord 😀

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      1. Malheureusement, ma biblio ne l’a pas encore. Par contre, elle a « Ma révérence » donc je vais probablement commencer par celui-là. Mais au fond pourquoi je ne devrais qu’en choisir qu’un ? 🙂 Je lirai les deux, c’est bien mieux 😉

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  2. Tu as bien raison de parler avec autant de tendresse du dessin. On ne l’a peut-être pas assez dit, mais Paul Cauuet a fait du bon boulot : tu as su trouver les bons mots pour l’illustrer !

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    1. 😳
      Tu n’y vas pas de main morte quand tu complimentes toi ! ^^
      J’ai vraiment bien aimé ces personnalités en apparence vitriolée mais qui en fait c’est un bel élan d’amitié

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    1. Là j’ai découvert coup sur coup deux de ses albums (dans les derniers qui sont parus). J’aime beaucoup aussi, comme j’avais aimé « Alim le Tanneur ». J’ai « Lydie » qui m’attend dans ma PAL et si j’en crois les avis des copinautes, cela promet encore un beau moment de lecture 😀

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          1. Ceci dit en parlant de Zidrou, j’ai deux albums à la maison mais j’ai encore rien lu de lui…
            (non, pas Lydie mais La peau de l’ours et Folies bergères).

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  3. Avec toute la promo que j’ai vue sur la bande-dessinée, j’hésitais beaucoup à me laisser tenter, mais elle a l’air de vraiment valoir le coup ! J’ai hâte de pouvoir la lire ! 🙂

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    1. Oui vraiment, c’est un bon moment de lecture. Drôle et divertissant. On ne voit pas le temps passer (et j’ai préféré le second tome ;))

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