Feu de paille (Demont)

Demont © 6 Pieds sous Terre – 2015
Demont © 6 Pieds sous Terre – 2015

Etrange prémonition que ce titre qui nous emmène au cœur d’un été surprenant, dans un monde à la croisée du réel et de l’imaginaire.

« Tout a commencé pendant l’été martien ».

Après avoir été victime d’un accident et subit une lourde intervention chirurgicale, un homme revient dans sa région natale pour s’y installer avec sa femme et son fils. Elle espère que ce nouveau départ sera bénéfique mais cela sera-t-il le cas ? Car ici, dans cette vallée perdue, l’étranger est tenu à distance. D’autant que d’intrigants événements inquiètent les habitants. Une fois la nuit venue, les on-dit prétendent que les champs sont le terrain d’étranges allées et venues. Les enfants se racontent ces histoires pour se faire peur mais les vieux continuent de colporter ces légendes afin que la mémoire des lieux ne s’efface pas. Il est question d’un homme de paille qui errerait la nuit non loin des habitations ou du fantôme d’un enfant qui chercherait un peu de compagnie. Il y a également cette fillette qui a disparu il y a quelques décennies… et la centrale nucléaire qui rejette constamment ses toxiques et dissémine ses maladies.

A moins que…

A moins que tout cela ne se passe dans un monde parallèle, comme l’expliquent ces enfants aux faciès singuliers. Enfants d’ailleurs qui croient en l’existence d’une vie sur d’autres planètes que la leur.

Il paraît que l’univers ressemble à une grosse radio. Ignorant l’existence d’une multitude de mondes parallèles, nous occupons actuellement l’une de ses fréquences, mais il arrive qu’un événement bouscule l’ordre établi et provoque de graves interférences capables de bouleverser notre perception de la réalité. C’est ce qui s’est passé ici, il y a quelques années. Les portes d’un autre monde sont restées entrouvertes, laissant échapper des créatures qui ont traumatisé la région. Je vous jure, c’est une histoire vraie.

Il aura fallu quatre ans à l’auteur pour parvenir à finaliser cet ouvrage. L’idée a germé lentement, elle a pris le temps de la maturation et s’est nourri de souvenirs d’enfance épars qui peu à peu ont trouvé leur place dans ce récit.

Adrien Demont développe une histoire fascinante où l’on retrouve avec plaisir les ambiances si atypiques de vieilles séries comme « La Quatrième Dimension » ou « Les Envahisseurs » ; du moins, c’est vers ces références que le récit m’a fait pencher et l’état d’esprit dans lequel j’ai baigné tout au long de la lecture. Impossible de savoir réellement si nous sommes sur Terre ou ailleurs, aujourd’hui ou dans un futur [plus ou moins] proche. Qu’à cela ne tienne. Il y a des éléments qui nous sont familiers. La place du village s’anime à l’occasion de son marché hebdomadaire, les moissonneuses-batteuses s’agitent dans les champs à l’occasion des moissons. Chacun est affairé à ses tâches quotidiennes, de la visite de courtoisie du voisinage au rituel de l’histoire du soir racontée aux enfants. Cependant, on y croise régulièrement un robot-facteur ou une cigale électrique. De fait, dans ce lieu-là, le passé, le présent et le futur cohabitent et les vieilles histoires ont une résonance particulière.

Hugo était un être à part. Il me fascinait. Il faisait partie de ces gens magnétiques, que l’on choisit de croire (…). Ce gamin avait réussi à coloniser notre imaginaire.

A l’instar des fables urbaines que nous avaient déjà racontées par Comès (La Belette, Silence, La Maison où rêvent les arbres…), Adrien Demont emploie ici les parfums d’ambiance adéquats pour maintenir une atmosphère narrative qui diffuse les relents sournois et hypnotisant propres aux histoires auxquelles on reste attentifs. Dès les premières pages, lorsque le personnage principal retrouve sa maison, on frissonne à l’idée de vivre dans cette bâtisse perdue au milieu des champs. La distance et le sentiment d’isolement seront d’autant plus fort que les indigènes nourrissent une crainte farouche à l’égard de l’étranger. L’hostilité campagnarde est un ingrédient dont a besoin le récit pour s’épanouir.

L’auteur crée ensuite des des superstitions, entretient quelques peurs et nous ancre à cet album de telle sorte qu’on n’interrompt pas notre lecture. Une fillette a disparu dans cette vallée il y a longtemps. Lorsqu’on l’a retrouvé, elle était morte, un épouvantail planté dans son corps ; on dit que l’âme de l’enfant vit toujours et qu’elle aurait trouvé refuge dans ce grand échalas. Il y a aussi le jeune Martin qui jouait jadis près d’un essaim…

Piqué sans répit, l’enfant s’est écroulé agonisant au pied de l’arbre. Quelques jours plus tard, des promeneurs ont retrouvé l’enfant couvert d’abeilles. Mais lorsqu’ils ont chassé les insectes, le corps avait disparu. On peut le voir apparaître certains soirs, attiré par la lumière des campeurs. Il erre parmi nous, solitaire, prisonnier de l’espace et du temps…

Jeunes et vieux se racontent ces légendes à leur manière, à la lumière d’un feu de camp ou de cheminée, entre amis ou en famille… Quant à nous, lecteurs, on profite de la manière dont chaque génération s’approprie ces légendes et prend plaisir à se faire peur. On est dans une ambiance à part, un environnement intemporel. Le scénario nous permet de traverser cette intrigue en ayant l’impression que le temps s’est arrêté. On flotte, comme sur un nuage, entre les différents protagonistes qui vivent tour à tour des expériences à la fois fascinantes, étranges et terrifiantes. Tout est là.

De belles trouvailles graphiques titillent nos yeux tout au long de la lecture. Adrien Demont apporte de nombreuses variations à son dessin. Pour nous, lecteur, ce sont autant d’occasion à prendre pour nous saisir de la mémoire des lieux, des mémoires tantôt capricieuses tantôt précises des habitants de la vallée.

PictoOKFeu de paille est le genre de lecture qui marque. Ici, nous n’avons pas d’autre certitude que celle de nous laisser porter. Il y a un petit quelque chose qui fait qu’on ne cherche même pas à maîtriser complètement cet univers. Un récit qui mêle l’ici, l’ailleurs et des événements qui font délicieusement frissonner. Que cet article vous donne envie de découvrir l’album et que vos chroniques fleurissent aussi vite qu’un feu de paille sur la toile ! 🙂

La chronique de PaKa.

Mercredi… Stephie recense les partages BD du jour (cliquez sur le logo pour être redirigé).

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Du côté des challenges :

Petit Bac 2015 / Couleur : paille

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Feu de paille

One shot

Editeur : 6 Pieds sous Terre

Collection : Plantigrade

Dessinateur / Scénariste : Adrien DEMONT

Dépôt légal : janvier 2015

ISBN : 978-2-35212-115-2

Bulles bulles bulles…

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Feu de paille – Demont © 6 Pieds sous Terre – 2015

Auteur : Mo'

Chroniques BD sur https://chezmo.wordpress.com/

22 réflexions sur « Feu de paille (Demont) »

    1. Il faut essayer pour s’en rendre compte. L’atmosphère de l’album est assez difficile à décrire. Mais si tu as aimé les vieilles séries que je cite en début d’article, cela devrait te plaire 😉

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    1. Il le faut Jacques, je pense que tu aimeras. Une chouette expérience de lecture et graphiquement, cela vaut le coup d’oeil. Certaines illustrations sont vraiment surprenantes !

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  1. À lire ta chronique on est vraiment sur la même longueur d’onde. C’est fou comme la construction de nos écrits est proche dans ce qu’on a retenu et qui a attiré notre attention.

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