Le Désespoir du Singe (Peyraud & Alfred)

Peyraud – Alfred © Guy Delcourt Productions – 2016
Peyraud – Alfred © Guy Delcourt Productions – 2016

« Au bord d’une mer intérieure menacée de disparition, une ville est agitée par un vent révolutionnaire. Josef, peintre à la carrière avortée, va se fiancer à Joliette. Mais Édith, la cousine de Josef, lui présente Vespérine, l’épouse d’un opposant politique paralytique au charme troublant. Quand la répression s’abat sur la ville, les destins de Josef et Vespérine basculent. » (synospis éditeur).

Débuté en 2006, ce triptyque a vu son dernier tome paraître il y a maintenant cinq ans. Quel plaisir de pouvoir profiter de la publication de cette intégrale et ainsi découvrir le récit complet de cette histoire. Il m’est difficile de parler de l’intrigue, je dirai seulement qu’elle se déroule à une époque proche du XIXème siècle. Peu de moyens de locomotion si ce n’est à dos de cheval ; le chemin de fer relie à peine quelques villes entre elles. Le transport fluvial est le principal moyen de transporter des marchandises cependant, le commerce maritime est sur la sellette. En effet, le pays étouffe, s’essouffle, oppressé par un tyran qui contrôle le gouvernement d’une main de fer. Il mène une politique coercitive et privilégie l’économie agricole, au détriment de tout ce qui a trait à l’activité maritime. Sous couvert de l’orientation du gouvernement qui cherche à détruire le commerce maritime et développer l’économie agricole, c’est avant tout un conflit ethnique qui opère de façon sournoise. Jean-Philippe Peyraud décrit un contexte social au bord de l’implosion. Le peuple est sous tension, réprimé et contrôlé en permanence par des milices qui font appliquer des règles arbitraires au pied de la lettre. Les sanctions sont violentes et irréversibles, comme celle réservée aux marins sortis en mer en dehors des jours autorisés par la loi subit une double peine ; le contrevenant est d’abord molesté, puis il assiste ensuite à la destruction de son bateau avant d’être jeté en prison.

« Bon Dieu, vous croyez peut-être que vos calendriers tiennent compte de nos enfants qui ont faim ?! »

Un état policier où les allées et venues sont contrôlées, où le peuple est affamé… où tous doutent des uns et des autres. Une simple étincelle suffirait à déclencher une révolution. Et c’est ce qui se passe. On assiste aux événements, au mouvement d’un peuple qui se soulève ; la peur des uns les force à fuir tandis que les autres font front et coordonnent les interventions à venir.

C’est dans ce contexte que le scénariste permet à deux individus – un homme et une femme – de faire connaissance. On est là face à ces rencontres si particulières et si rares qui marquent définitivement des êtres. Pourtant, rien ne laissait supposer que leurs chemins se croisent. Leurs parcours, leurs valeurs, le milieu social dont ils sont issus… tout les sépare et pourtant…

Josef Setznar est un jeune peintre qui a pourtant rangé ses pinceaux depuis longtemps. Il est rongé par différentes impressions, notamment celle d’avoir raté sa vie. Par facilité, il s’est engagé auprès de son père à reprendre l’entreprise familiale mais cette activité ne lui apporte aucune satisfaction. Pour éviter de penser à tout cela, il retrouve chaque soir son ami Lazlo. Ensemble, ils font la tournée des tavernes. Et si Lazlo est un incroyable séducteur, ce n’est pas le cas de Josef qui noie son spleen dans l’alcool et dans les fêtes. Pourtant, depuis quelques temps, il s’investit dans une relation amoureuse avec Joliette. Un attachement timide, Josef hésite encore à s’engager. Jusqu’à ce qu’il rencontre Vespérine. Fougueuse, rebelle, charismatique et fervente militante qui défend les libertés individuelles, Vespérine est l’épouse d’un notable envers lequel elle n’a plus de sentiments. Mais depuis que celui-ci est atteint d’un lourd handicap, elle n’ose se résoudre à le quitter.

Ils vivent tous deux dans une société hyper normée où le régime en place est omnipotent. Tout est réglementé et la Milidza – forces de l’ordre de cet état – est omniprésente dans les rues de la ville. Ombres noires dotées de grandes bouches ouvrant sur des dents de carnassiers, ces agents ont une apparence terrifiante, belle métaphore graphique qui symbolise le régime autoritaire de cette société. Une nouvelle fois, j’ai trouvé le travail d’Alfred (« Pourquoi j’ai tué Pierre », « Je mourrai pas gibier »…) très juste et dégageant une ambiance intemporelle. Aucune certitude que l’intrigue se déroule à une période antérieure à la nôtre ni même que nous soyons sur Terre. Courants politiques, courants artistiques, noms des lieux… impossible d’identifier une époque ou de faire le parallèle avec un événement historique précis. Pourtant, les similitudes sont troublantes avec nombre d’entre eux, on connait déjà cette Histoire de l’humanité mais l’histoire construite par Jean-Philippe Peyraud et Alfred est unique. De fait, elle parvient à nous surprendre et à nous emporter.

PictoOKBelle découverte que je ne manque pas de vous conseiller.

la-bd-de-la-semaine-150x150Une lecture que je partage dans le cadre des « BD de la semaine » ; tous les liens sont chez Noukette.

Le Désespoir du singe

Intégrale (triptyque)

Série terminée

Editeur : Delcourt

Collection : Conquistador

Dessinateur : ALFRED

Scénariste : Jean-Philippe PEYRAUD

Dépôt légal : mai 2016

183 pages, 29,95 euros, ISBN : 978-2-7560-7830-4

Bulles bulles bulles…

Ce diaporama nécessite JavaScript.

Le Désespoir du singe – Peyraud – Alfred © Guy Delcourt Productions – 2016

Auteur : Mo'

Chroniques BD sur https://chezmo.wordpress.com/

18 réflexions sur « Le Désespoir du Singe (Peyraud & Alfred) »

    1. Quant à moi, je suis ravie d’avoir pu la lire d’une traite d’autant que le tome 2 a un rythme moins soutenu. Je ne suis pas certaine que je serais allée au-delà de ce tome si j’avais suivi la série au fur et à mesure de ses parutions.

      J’aime

    1. La réflexion induite par cette fiction est intéressante. Et puis les personnages sont sympathiques, rien ne m’a semblé être surjoué

      J’aime

    1. :mrgreen:
      Jamais déçue par une BD sur laquelle Alfred a bossé. Cela dit, celle-ci est tout de même moins forte (ça nous prend moins à la gorge) que les deux titres que j’ai cités. Logique tu me diras, quoi que de nouveau, voilà un album bien engagé qui dénonce le totalitarisme

      J’aime

  1. Très emballée par le premier tome, je n’avais pas accroché avec le 2ème… et du coup je pense ne pas avoir lu le 3ème. Mais cette intégrale avec sa couverture magnifique donne envie de lui redonner sa chance!!

    J’aime

    1. Cette couverture est une belle invitation à la lecture. C’est l’ambiance qu’elle dégage qui m’a permis de remarquer l’album. Ce n’est qu’ensuite que j’ai vu qu’Alfred était au dessin

      J’aime

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.