Salto (Bellido & Vanistendael)

Bellido – Vanistendael © Le Lombard – 2016
Bellido – Vanistendael © Le Lombard – 2016

Un pendentif de Saint Jude autour du coup, une arme de poing sur la table de chevet, Miguel se réveille doucement. Comme chaque matin, après sa douche, il prend son premier café de la journée, sa première cigarette et part rejoindre Rose, sa co-équipière. Puis, ils iront chercher Javier, un maire d’une commune de Navarre menacé par l’E.T.A. et assureront sa protection jusqu’au soir. Il rentre très tard, se glisse comme un ombre dans son lit… et la même journée que la veille recommence. Sa femme l’a quitté, il voit ses enfants au petit bonheur la chance, quand les missions de protection rapprochée lui laissent le temps de passer quelques heures avec eux.

Pourtant, rien ne prédisposant Miguel à devenir garde du corps. Foncièrement pacifique, cet ancien marchand de bonbons ambulants n’avait jamais tenu d’arme en main. Originaire d’Andalousie, Miguel était heureux : une femme, des enfants, des amis sur qui compter, une vie agréable et insouciante. Certes, les fins de mois étaient compliquées, les traites non payées s’accumulaient. Et puis ce projet d’écrire un livre qui n’avançait pas. C’est en entendant un journaliste commenter un attentat de l’E.T.A. au journal télévisé que l’idée de devenir garde du corps privé commence à germer. Miguel se dit qu’il trouverait-là un vivier d’histoires à raconter. Et puis c’est plutôt bien payé.

En août 2007, sa décision est prise. Avec sa famille, ils quittent le sud de l’Espagne et s’installent à Pampelune. Il devient Mikel, un garde du corps chargé de protéger des personnalités menacées par l’E.T.A., un « chien » comme disent les gens du coin. Mikel était à mille lieues d’imaginer à quel point sa vie allait changer.

Salto – Bellido – Vanistendael © Le Lombard – 2016
Salto – Bellido – Vanistendael © Le Lombard – 2016

« Salto – L’histoire d’un marchand de bonbons qui disparut sous la pluie » est le premier roman graphique de Mark Bellido qui soit traduit en français. Touche-à-tout, sa biographie en fin d’album fait penser à un homme multi-facette : « Pour certains, c’est un photojournaliste de guerre, pour les autorités espagnoles, un militant politique, mais en réalité, c’est juste un conteur de mensonges qui utilise des images et des mots. À la recherche d’histoires, et armé d’un appareil-photo, il a vécu des guerres et quelques nuits en prison. Pendant quatre ans, il a protégé des politiciens basques menacés par l’ETA. Il vit tout ce qu’il écrit. Son nom est Mark Bellido, mais cela est aussi un mensonge… » (extrait de la biographie de l’auteur).

Salto – Bellido – Vanistendael © Le Lombard – 2016
Salto – Bellido – Vanistendael © Le Lombard – 2016

Autobiographie ? Autofiction ? Fiction ? Je ne suis pas en mesure de le dire en revanche, ce qui est plus simple à décrire, c’est l’effet que procure cette lecture. Le scénario propose quelques repères temporels, principalement en lien avec des attentats perpétrés par l’E.T.A. Pour autant, Mark Bellido ne s’attarde pas sur le contexte socio-politique de l’Espagne. Il ne décrit ni ne juge l’organisation indépendantiste dont il tente de contrer les actions. Le personnage principal est le narrateur. Il décrit souvent avec humour, parfois avec dépit, son quotidien de garde du corps. On comprend vite qu’il a dû tirer un trait sur sa vie de famille… que son nouveau boulot ne laisse aucune place à la vie privée.

Salto – Bellido – Vanistendael © Le Lombard – 2016
Salto – Bellido – Vanistendael © Le Lombard – 2016

Ses journées se suivent et se ressemblent : du lever au coucher, de l’heure à laquelle il passe chercher le politique à protéger avec sa coéquipière, l’heure à laquelle ils le déposent à son bureau, l’heure à laquelle il fait sa pause, mange, se balade… Les scènes se passent majoritairement en plein air ou dans l’habitacle d’un véhicule. Peu de personnages sont amenés à intervenir. Et même si l’emploi du temps est assez ritualisé, le lecteur ne ressent pas de lassitude, il n’y a pas de redondances, peu de redites. Les pages filent, le récit se déplie dans une parfaite alternance entre des passages narrés et des passages silencieux et pourtant lourds de sens. On voit le personnage principal changer, il s’adapte à son environnement professionnel. Au début très naïf et totalement inexpérimenté, il va peu à peu prendre de l’assurance, faire preuve de capacités d’anticipation et d’analyse de situation, il devient plus réactif, moins tétanisé par le danger.

Salto – Bellido – Vanistendael © Le Lombard – 2016
Salto – Bellido – Vanistendael © Le Lombard – 2016

Les pastels gras et le pinceau de Judith Vanistendael (« La jeune fille et le nègre », « David, les femmes et la mort ») font mouche. Elle développe deux ambiances très distinctes qui parlent d’elles-mêmes. Elle pose en abondance des couleurs chaleureuses à la vie passée de Miguel, celle où il était encore un marchand de bonbons sympathique, un père de famille attentif, un mari attentionné, un ami que l’on a plaisir à retrouver. Le dessin est très libre sur ces passages. On y voit un personnage décontracté, maladroit parfois, drôle… qui n’hésite pas à faire le clown. Et puis, il y a l’autre facette de cet homme. Pour illustrer Mikel, la dessinatrice se saisit de pastels gris, bleus délavés, noirs et quelques rouges… Et comme le soleil de l’Andalousie s’est effacé derrière la pluie de la Navarre, l’ambiance est brumeuse, humide… le personnage est statique, son visage est impassible, seul ses propos contiennent une certaine ironie qui montre l’importance de relativiser ce qui se passe.

PictoOKUn album intéressant que je vous recommande.

Les chroniques de Mike Léonard, Eric Guillaud et Jean-Laurent Truc.

Lire un extrait de l’album sur Le Monde.fr.

Extraits :

« Tuer est simple. Entre la vie et la mort il n’y a pas de ligne de démarcation. C’est juste un point, un point final… Le trou d’une balle dans une tête ensanglantée… » (Salto).

« Nous, les chiens, on sert à ça… faire le sale boulot. Inspecter chaque recoin, fouiller les poubelles, humer les bagnoles et se coucher pour être à la hauteur des bombes » (Salto).

Salto

– L’histoire du marchand de bonbons qui disparut sous la pluie –

One shot

Editeur : Le Lombard

Dessinateur : Judith VANISTENDAEL

Scénariste : Mark BELLIDO

Dépôt légal : juin 2016

354 pages, 22,50 euros, ISBN : 978-2-8036-3384-5

Bulles bulles bulles…

Quelques visuels sur cet article de Judith Vanistendael.

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Salto – Bellido – Vanistendael © Le Lombard – 2016

Auteur : Mo'

Chroniques BD sur https://chezmo.wordpress.com/

10 réflexions sur « Salto (Bellido & Vanistendael) »

  1. Quand tu dis intéressant, ça me fait un peu peur ! Aime bcp l’histoire que tu nous as raconté, suis intriguée, toutafé moa :-p
    bisous copine ❤

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    1. Intéressant, j’ai dit intéressant moi ?? ^^ Agréable aussi, bien fichu quoi. Sans prétentions en tout cas, plutôt drôle vu le contexte décrit. Une moment agréable et un ouvrage qui se lit vite malgré la pagination (assez conséquente)
      Des bises m’dame ❤

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    1. Va pour la médiathèque mais le dessin est assez joyeux en fait. Enfin, assez fluide, ce qui contraste avec la posture statique que le personnage doit avoir pendant ses heures d’intervention

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    1. Il y a de nombreux passages muets dans cet album. Il se lit très facilement, sans que l’on ressente l’ennui. Mais après, beaucoup de planches grises, où il pleut, où il se passe peu de choses en terme d’actions (mais beaucoup de bavardages en revanche). A voir, je pense que le bouquin peut te plaire mais je n’en mettrai pas ma main au feu non plus 😀

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