Frères d’exil (Kochka)

Kochka – Haugomat © Flammarion - 2016
Kochka – Haugomat © Flammarion – 2016

Enoha est le grand-père de Nani. Il écrit pour accompagner le départ de sa petite-fille qui doit quitter leur île natale. Enoha est triste, il ne verra plus sa petite fille qui s’apprête à vivre un long voyage, comme tant d’autres enfants de l’île. Enoha est en colère car vu son âge et le fait qu’il est grabataire, il ne peut ni les aider ni les accompagner. Alors Enoha écrit à sa petite-fille, elle a 8 ans.

Enoha écrit des lettres, des lettres courtes, des lettres très longues… des lettres pour que Nani ne ressente pas le vide de son absence, des lettres pour l’aider et l’accompagner dans le périple qui l’attend, pour qu’elle se rappelle de lui, pour qu’elle se rappelle de Moo (sa grand-mère) ou encore de l’île sur laquelle elle est née et elle a grandi.

(…) il est temps que je t’écrive mon histoire pour que tu l’emportes avec toi : l’histoire d’Enoha qui perdit le soleil à dix ans car il se crut seul et abandonné, mais qui le retrouva ensuite… Chaque fois que tu seras découragée, lis-la, et le soleil de l’île reviendra te chatouiller les oreilles. Le soleil de l’île qui est en toi !

Puis c’est le départ. Un départ précipité car l’île disparaît. A cause du réchauffement climatique, le niveau de l’eau monte rapidement. La situation est critique et il n’y aura bientôt plus que des terres inondées dans la région. Des terres noyées, incapables de nourrir les hommes, dangereuses.

Alors Nani fuit. Elle suit ses parents. Vers où ? Ils n’ont pas la réponse. Leur route croise celle de Semeio. Il a le même âge que Nani et il vient de voir mourir son grand-père. L’aïeul était le dernier membre de sa famille. Face à sa détresse, à sa tristesse, les parents de Nani décident de l’adopter.

Lorsque Kochka s’empare du sujet de l’exil, elle l’attrape avec pudeur. Elle raconte une histoire que l’on entend tous les jours : celle de l’exode de milliers d’hommes qui quittent leur pays natal car leur vie est en jeu.

Dans ce roman jeunesse, point de guerre, point de tortures (si ce n’est celle de l’arrachement à ses racines), point de dictature, mais un scénario catastrophe provoqué par le réchauffement climatique. Le postulat de départ n’est malheureusement pas de la fiction… dans quelques années à peine, des milliers d’hommes et de femmes seront dans ce cas de figure, contraints de quitter leurs terres car elles sont devenues trop arides, menacées par les inondations… Le processus est déjà enclenché.

Parce que son île se fait lentement engloutir par la mer, la famille de Nani choisit le moment de son départ. Ce n’est pas un choix aussi raisonné qu’ils l’auraient souhaité, car l’heure tourne et l’eau monte. Kochka nous fait sentir l’urgence de la situation mais c’est avec douceur qu’elle raconte ensuite l’histoire de cette petite fille qui doit quitter sa vie pour aller à la rencontre d’une autre vie, inquiétante, différente… inconnue. Le périple raconté permet au jeune lecteur de comprendre que la peur de l’autre vaut aussi bien pour celui qui voit arriver des étrangers sur son sol que pour celui qui arrive sur un territoire peuplé d’étrangers. Il comprendra aussi que la perte définitive d’un membre de sa famille n’est pas une fatalité ; qu’il faut accepter la douleur, qu’il faut prendre le temps de faire son deuil mais qu’ensuite, vient toujours le temps de la reconstruction. Il faut l’accepter et accepter de se laisser prendre dans le tourbillon de la vie.

La narration prend quelques respirations lorsque, interrompant le récit des différentes étapes de l’exil, il laisse la place aux lettres que le grand-père de Nani lui a écrites avant qu’elle ne parte. Des pages bleues marquent ces respirations. Loin d’être moralisatrices, elles témoignent finalement et durablement de tout l’amour que ce grand-père destinait à sa petite-fille. Elle marque aussi la sérénité et la sagesse, calme l’emportement et l’angoisse que les épreuves du voyage peuvent générer.

PictoOKUn message de tolérance. Une invitation à tendre la main à celui qui est en difficulté. Une requête : celle de regarder au-delà des apparences.

LABEL LectureCommuneUne lecture que je partage avec Moka !

La chronique de Noukette, celle de Jérôme.

Extraits :

« Avec ses trombes d’eau, elle gomme en partie les visages, et de loin, dans leurs imperméables, comme dans une aquarelle où les contours des formes sont flous, tous les gens se ressemblent : ils sont tous des hommes qui fuient ! Des hommes qui fuient comme des toutes petites fourmis devant la nature en grande colère qui les dépasse » (Frères d’exil).

« Et, le cœur rempli d’inquiétude, ils s’apprêtent à quitter le bateau. Et telle l’arche de Noé, le paquebot déverse son chargement de milliers d’âmes : des hommes, des femmes et des enfants aux visages défaits et aux regards un peu hagards. Ils n’ont pas encore vraiment réalisé ce qui leur arrive ; ils ont perdu leurs repères ; tout a été si soudain » (Frères d’exil).

Frères d’exil

Roman jeunesse

Editeur : Flammarion

Collection : Flammarion Jeunesse

Auteur : KOCHKA

Illustrateur : Tom HAUGOMAT

Dépôt légal : septembre 2016

154 pages, 12 euros, ISBN : 978-2-0813-8953-3

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Frères d’exil – Kochka – Haugomat © Flammarion – 2016

Auteur : Mo'

Chroniques BD sur https://chezmo.wordpress.com/

9 réflexions sur « Frères d’exil (Kochka) »

  1. Il faut de jolies plumes pour traiter de ces sujets si lourds avec beaucoup de finesse. Kochka en fait partie !
    Bonne lecture avec ton petit bonhomme. Qu’il aime autant que nous ce joli roman.

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    1. Je te dirai quand on aura terminé. On a dû faire une pause (week-end avec le papa oblige). Mais il aime et on avance. Il pose beaucoup de questions aussi, cherche à valider ses suppositions également. En tout cas, je ne peux pas dire que ce roman le laisse de marbre.

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    2. Il a adoré et est passé par toutes les émotions pendant la lecture. Il avait les oreilles grandes ouvertes ! Et parfois, les yeux un peu cachés par sa main… pas facile ce(s) grand(s)-père(s) qui meurent, ce déracinement, cet élan d’entraide initié par les femmes du quartier. Bref… je crois que j’ai le droit de lui proposer un autre roman. Ca tombe bien, j’ai « Hugo de la nuit » qui attend sur les étagères :mrgreen:

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    1. Je trouve réellement cette œuvre pertinente. Certes, la fin me plait moins mais c’est mon regard d’adulte qui me dicte ce ressenti… Mais elle ne pouvait être autrement compte tenu du lectorat auquel s’adresse ce roman. Le reste de la lecture n’étant pas forcément facile (au vu des sujets abordés) et cela laisse une note d’optimisme. Je suis curieuse de savoir ce qu’en pensera fiston (je pense qu’on le termine dans la semaine, je saurais donc assez vite)

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