Polina (Vivès)

Vivès © Casterman – 2011
Vivès © Casterman – 2011

Polina Oulinov est encore une fillette lorsqu’elle passe le concours d’une prestigieuse école de danse russe. Elles sont nombreuses à rêver d’y entrer mais les places sont rares. Polina en décroche et les années qui suivront seront exclusivement consacrées aux études et à la danse.

Polina quitte sa famille et entre en Internat. Elle vit désormais au rythme de l’école. La fatigue et la tension d’un côté, la technicité s’ancre d’année en année, les nerfs lâchent aux périodes d’examen et, dans ce microcosme, les amitiés s’ancrent profondément. Polina grandit et est très vite repérée pour intégrer les cours de danse classique du professeur Bojinski. Réputé pour être autoritaire et exigeant, les élèves appréhendent. Polina est inquiète et très vite, elle mesure le degré d’exigences et d’attente de l’enseignant. Polina s’entraîne avec rigueur, Bojinski est intransigeant. Elle ne se décourage pas, s’obstine ; elle trouve en elle la force et la détermination. Elle se rend aux cours en ayant la boule au ventre et avec la certitude de ne pas être à la hauteur. Bojinski ne l’épargne pas pourtant, c’est bel et bien une rencontre qui s’est opérée entre ces deux personnes. De la rigueur des entraînements quotidiens naît un respect réciproque, une amitié.

Début 2011 paraissait « Polina », un album très vite repéré par les lecteurs et très vite encensé par la critique. Un an avant, j’avais lu « Le Goût du chlore » et je m’étais jurée d’être au rendez-vous pour la sortie de « Polina », impressionnée par la maîtrise du trait de Bastien Vivès et surtout sa capacité à faire ressentir les sensations (essoufflement, effort, gêne, désir, élancement…). Puis « Polina » a été récompensé par le Prix des libraires en mai 2011… nouvelle pluie de critiques alléchantes. L’envie de lire l’ouvrage est accrue. L’album est ensuite le lauréat du Grand Prix de la Critique ACBD en 2012… nouvelle pluie d’avis dithyrambiques. Rappel qu’une découverte m’attend là, dans les pages de l’album. Il m’a fallu attendre 2016 pour le lire enfin. L’avantage : les propos élogieux ont décanté lu çà et là sur la toile.

La souplesse et la grâce ne s’apprennent pas. C’est un don.

Polina – Vivès © Casterman – 2011
Polina – Vivès © Casterman – 2011

Le coup de crayon est épais, il oublie volontairement les détails des visages, des plis d’étoffe, des accessoires divers et se concentre entièrement sur l’émotion brute et l’attitude corporelle. Dépourvu de couleurs, le trio noir-blanc-gris crée une ambiance dépouillée, ramenée à l’extrême et forçant le lecteur à apposer ses propres couleurs à cet univers. Contraste permanent d’ombre et de lumière, appuyant un sourcil qui se lève ou qui se fronde. On mesure le prix de l’effort à fournir. On sent la tension, le poids du corps des ballerines tandis qu’en apparence, rien de tout cela ne semble transparaître.

Plus de légèreté, ça doit paraître facile. C’est important que ça « paraisse ». Les gens ne doivent rien voir d’autre que l’émotion que vous devez faire passer

Et sous le trait de Bastien Vivès… ça passe. Grâce et souplesse, les deux mamelles de la réussite. Les deux objectifs à atteindre, quel qu’en soit le prix, à force d’entraînement et d’acharnement.

Corps tendus par l’effort, corps effilés, maigres, légers, cassés, musclés, fatigués. La danseuse glisse sur l’air. Trois pas chassés plus loin, elle a atteint l’autre bout de la scène. Contraste d’émotions, quand la tension se concentre à l’intérieur d’elle tandis que sur son visage, c’est une expression de sérénité et de plénitude qui se lit. Bastien Vivès se saisit du mouvement, il le dessine à merveille.

Polina – Vivès © Casterman – 2011
Polina – Vivès © Casterman – 2011

L’idée du scénario a germé suite à une vidéo de la danseuse Polina Semionova. Bastien Vivès s’en inspire et y injecte des bribes de sa propre expérience pour enrichir la fiction. Il pioche également dans la relation qu’il a avec son père : « Pour Bojinski, je me suis inspiré de mon père. Le point de départ de Polina, c’est mon père et ce qu’il a voulu m’apprendre. Quand je pense à son enseignement, j’ai l’impression que je n’ai rien appris. C’est un peintre, et moi j’ai un énorme blocage, je ne sais pas faire de la couleur.  Il a essayé de m’apprendre énormément de choses et ça n’a jamais marché. Je suis un dessinateur et lui, un peintre » (extrait de l’interview que l’auteur a accordée à Helena pour le site cccdanse.com).

Le scénario suit chronologiquement (j’aurais tendance à dire « sagement ») le parcours de Polina. La formation reçue à l’Académie Bojinsji puis le théâtre puis quelques années à suivre une troupe de danse contemporaine avant de se consacrer entièrement à un projet qu’elle monte de toute part avec deux amis. Au terme de ces années de pratique, la notoriété. Bastien Vivès s’attarde sur la détermination du personnage, son obstination à maîtriser son corps. Les pieds en sang, elle prend sur elle, elle cache et étouffe la douleur, elle lui fait la guerre ; un combat permanent. On suit également la romance de la ballerine et ses premiers pas lorsqu’elle sort pour la première fois de Russie, découvrant ainsi un ailleurs où d’autres expressions sont possibles, d’autres courants artistiques, d’autres facettes de son métier.

PictoOKSceptique au départ, je dois bien l’avouer. La danse classique est un domaine que je connais peu et avec lequel j’ai bien peu d’affinité. En abordant le sujet comme il l’a fait, Bastien Vivès donne à cette fiction beaucoup d’humanité. Les motivations de l’héroïne sont à notre portée, compréhensibles… on se les approprie et on les transpose sans difficulté.

Les chroniques : la chronique à plusieurs mains de kbd (regroupant les avis de David, Champi, Lunch, Badelel, Choco, OliV, Zaelle, Mr Zombi et Mitchul) et les chroniques solo de Moka, Noukette, Lorraine

Polina

One Shot
Editeur : Casterman
Collection : KSTR
Dessinateur / Scénariste : Bastien VIVES
Dépôt légal : mars 2011
198 pages, 20 euros, ISBN : 978-2-203-02613-1

Bulles bulles bulles…

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Polina – Vivès © Casterman – 2011

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La « BD de la semaine » se pose aujourd’hui chez moi. Je vous invite à découvrir les trouvailles des autres bédéphiles !

                  Karine                                        Mylène                                   Nathalie

                  Enna                                             Jérôme                                             Stephie

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Auteur : Mo'

Chroniques BD sur https://chezmo.wordpress.com/

36 réflexions sur « Polina (Vivès) »

  1. J’ai aimé cet album, sans qu’il me marque de manière impérissable. L’histoire m’a plu, et cette immersion dans la vie de Polina, au-delà de la danse aussi.

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    1. Vivès rend accessible cet univers. Par contre, j’étais un peu étonnée de voir que les stigmates corporels soient si peu présents (à un seul moment, on voit la difficulté qu’a Polina de soigner ses blessures aux pieds). Pourtant, il me semble que c’est le pendant de cette pratique, et d’autant plus à ce niveau.
      Mais l’album est agréable. Je ne regrette pas d’avoir attendu aussi longtemps pour le lire ; ainsi, tout ce que j’ai pu lire sur ce titre a pu décanter.

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  2. Ah ben moi je suis BD et danse (oui même classique 😉 donc tu imagines bien combien cette BD m’a conquise. Bastien Vivès a incontestablement un grand talent et me surprend à chaque nouvel album.

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    1. Pour l’accroche avec ce titre, ce n’était pas gagné pour moi. J’ai lu assez peu d’albums de Vivès (4 dont un collectif et celui-ci). Et dans ce petit lot, il y avait eu « Amitié étroite » qui m’avait laissé de marbre. Mais je poursuivrais volontiers ma découverte (à dose homéopathique cela dit ^^)

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  3. Ce que tu dis sur cet album et sur « Le goût du chlore » correspond exactement à ce que j’ai ressenti. J’ai été très touchée par ces deux albums.

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    1. A voir dans quelques temps, mais « Le Goût du chlore » m’avait fait forte impression et je ne suis pas certaine que celui-ci me marque autant

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  4. Avec du recul, je pense que c’est l’une des BD que je garderai si je ne devais en avoir qu’une poignée. L’histoire est très touchante, notamment dans la relation bien plus forte que le simple lien maître/élève entre Polina et Bojinski. Pour moi l’œuvre majeure de Vivès, quand bien même on n’aime pas la danse, quand bien même on n’aime pas Vivès.

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    1. Je n’ai pas encore ce recul sur ma lecture. Pourtant, et c’est bien le problème quand on a lu quantité de critiques élogieuses sur un ouvrage, je m’attendais à prendre une claque. Mais ça n’a pas été le cas. Il faut que mes impressions de lecture décantent encore un peu et puis je verrais ce qu’il en reste ^^

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      1. Souvent, on n’a pas la même analyse d’un album à chaud et avec le recul.
        Pour Polina, c’est un souvenir de lecture encore fort et très agréable que je retiens. Une émotion particulière que j’ai ressentie à la lecture, tout comme j’en ai eu sur Maus ou Le journal de mon père, dans d’autres registres.

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        1. Je comprends tout à fait ce que tu décris mais j’ai eu une lecture plus linéaire que toi sur cet ouvrage (très beau au demeurant). Bojinski m’a fait forte impression, bien plus que le personnage de Polina

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          1. Je ne peux que te suivre sur Bojinski. Il y a pour moi une cage magistrale dans l’album, dans laquelle on voit le maître avec des cheveux gris. Une seule case qui raconte tellement de choses !

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            1. Ce serait intéressant que Vivès reprenne ce récit en nous permettant de le vivre via le point de vue de Bojinski. J’adorerais ! ^^

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  5. J’ai lu cette bd il y a des année sous les conseille de ma fille qui a l’époque était au collège. Sur le coup ça m’a laissé septique mais ça m’a marqué parce que des années plus tard je m’en souviens encore. Ma fille, elle, avait adoré dès la première lecture

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    1. C’est effectivement une des qualités de l’album que de s’adresser à un large lectorat (un peu comme « Les Ignorants » mais dans un autre registre)

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    1. C’est une BD détente qui n’est pas désagréable. Mais je n’irai pas jusqu’à dire qu’elle est incontournable 🙂
      Bonne année à toi Eric 😉

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  6. j’adore la danse alors imagine comme j’ai aimé cet album ! Bon, j’aurais préféré des couleurs mais l’univers est si bien rendu ! Par contre, j’avais eu du mal avec Le Goût du Chlore.

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    1. Ah ah ! J’ai bien apprécié l’absence de couleurs par contre (par ce que sur les autres Vivès que j’ai lus, je trouve justement que les couleurs piquent un peu) ^^

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  7. J’en garde un très, très bon souvenir ! Parfois, un coup de coeur, c’est une question de « timing ». Cette fois-là, il était excellent. Je l’ai lu il y a quelques années pendant le temps des Fêtes alors que je venais de voir Casse-Noisette. La danse ne m’attire pas plus que ça et la natation non plus mais j’ai aimé les deux albums de Vivès pour les mêmes raisons que toi.

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    1. Un album agréable oui ! L’héroïne m’a surprise : je ne m’attendais pas à ce qu’elle assume aussi bien certaines décisions qu’elle a prises. Je ne pensais même pas qu’elle oserait aller si loin de sa zone de confort

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    1. C’est ce que j’appréhendais un peu. L’album avait fait beaucoup parler de lui. Je pense que si je l’avais lu à la période de son exposition médiatique, je me serais dit « tout ça pour ça ?? »

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  8. Une bd lue à sa sortie qui m’avait bien plus au final… La grâce, la légèreté et le mouvement des danseurs sont vraiment bien vus. Bastien Vivès est un auteur que j’aime bien (le goût du chlore mis à part !), il fait des choses très différentes à chaque fois.

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    1. C’est parce que j’ai aimé son « Goût du chlore » que j’ai fini par venir à celui-là. Sans quoi, vu le sujet, je crois que j’aurais royalement fais l’impasse 😀

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