Tombé dans l’oreille d’un sourd (Levitre & Mahieux)

Levitre – Mahieux © Steinkis – 2017
Levitre – Mahieux © Steinkis – 2017

En 2005, les jumeaux de Grégory Mahieux et de Nadège viennent au monde avec deux mois d’avance par rapport au terme de la grossesse. Les premières semaines, ils seront donc en couveuses jusqu’à ce que leur état ne se stabilise. Mais passées les premières angoisses des parents, ceux-ci vont devoir en affronter de nouvelle. Charles est atteint d’une maladie génétique rare : la galactosémie congénitale. Le métabolisme des personnes atteintes de cette maladie ne parvient pas à transformer le galactose en glucose. Pour pas que Charles s’empoisonne, il faut donc proscrire de nombreux aliments, à commencer par les produits à base de lait. Grégory et Nadège vont devoir repenser complètement la manière de nourrir leur fils.

Tristan – le second jumeau – a quant à lui un autre handicap… et pas des moindres. Pourtant, ce n’est qu’après de nombreux examens que le diagnostic tombe : il est atteint de surdité.

Pour les parents, c’est le début du parcours du combattant. Entre les démarches administratives, médicales, médico-sociales… Grégory et Nadège sont ballotés et contraints de jongler avec le peu de temps qu’ils ont. D’autant plus que l’employeur de Grégory, un directeur de lycée professionnel mal embouché, est peu disposé à faciliter les choses à son enseignant.

Agaçant cet album, non pas sur la forme ni sur le fond… mais sur le constat qu’il dresse de différents secteurs : le médico-social tout d’abord, le système éducatif ensuite.

Tombé dans l’oreille d’un sourd – Levitre – Mahieux © Steinkis – 2017
Tombé dans l’oreille d’un sourd – Levitre – Mahieux © Steinkis – 2017

Car Grégory Mahieux n’affabule absolument pas quand il montre la lourdeur et la lenteur des dispositifs. Des rencontres avec les spécialistes dans le cadre d’un suivi adapté, des mêmes spécialistes dont le jargon est totalement hermétique. Des professionnels butés, bornés, ritualisés dans leur quotidien de travail et qui ne font même plus l’effort de prendre en considération les familles… et qui traitent le patient comme un symptôme et non comme une personne à part entière. Des négociations avec l’Éducation nationale pour pas que l’enfant ne soit coincé dans une voie de garage dont il n’arrivera pas à s’extirper plus tard. Des accompagnements proposés par un CAMSP (Centre d’Action Médico-Sociale Précoce), des dossiers de la MDPH (Maison Départementale des Personnes Handicapées) à monter et à remonter régulièrement, des interventions d’AVS (Auxiliaire de Vie Scolaire)… et tout un tas de termes qui surgissent de mon jargon professionnel et que je ne pensais pas utiliser un jour sur ce blog ! 🙂

Et je ne parle même pas du côté administratif. Ne serait-ce que de renouveler éternellement son dossier et prouver qu’il est toujours bien sourd… au cas où on aurait passé les vacances à Lourdes !

Avec l’aide d’Audrey Levitre, le scénario trouve son juste équilibre et le ton juste. Il y a de la plainte, c’est certain, mais elle est justifiée. Il y a de la consternation mais il ne s’agit pas de la subir. Un témoignage intelligent qui sensibilise à ce handicap et montre que lorsqu’il y a une alliance thérapeutique entre la famille et l’équipe pluridisciplinaire qui intervient, les solutions trouvées sont bien plus efficaces et adaptées que lorsque l’équipe se contente d’imposer son protocole. Pour ça, il faut un couple solide, où les partenaires communiquent et sont à même de s’épauler, de se relayer et de s’aider à supporter cette culpabilité que beaucoup de parents d’enfants handicapés ressentent… parfois aidés par des professionnels qui mériteraient un zéro pointé en matière de relations sociales.

‟ C’est le lait maternel qui a empoisonné Charles après sa naissance, ce qui explique tout ce qui s’est produit ensuite ˮ.
Pour Nadège qui culpabilisait déjà énormément, cette petite phrase, probablement anodine pour la pédiatre, a eu un effet dévastateur.

… et la généticienne, pour ne citer qu’eux :
‟ C’est une surdité génétique, de naissance… Chacun de vous est porteur d’un gène. Vous n’étiez pas faits pour être ensemble en fait ! ˮ

Le dessin de Grégory Mahieux est très explicite. Il donne du poids au propos. Il vient appuyer là où ça fait mal mais aide aussi beaucoup à dédramatiser les choses… l’humour aide à quitter la rancœur ; il sert de transition dans la narration.

PictoOKJ’avais très envie de lire ce témoignage qui couvre les dix premières années de la vie de Tristan. De l’inquiétude à la lourdeur des démarches à entreprendre régulièrement, de la loi de 2005 qui peu ou prou appliquée, des institutions qui stigmatisent la personne handicapée… « Tombé dans l’oreille d’un sourd » est un ouvrage très intéressant qui n’oublie pas de parler des petites joies du quotidien en famille.

La chronique de l’album sur Lirado.

Tombé dans l’oreille d’un sourd

One shot
Editeur : Steinkis
Dessinateur : Grégory MAHIEUX
Scénaristes : Audrey LEVITRE & Grégory MAHIEUX
Dépôt légal : février 2017
188 pages, 22 euros, ISBN : 978-2-36846-023-8

Bulles bulles bulles…

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Tombé dans l’oreille d’un sourd – Levitre – Mahieux © Steinkis – 2017

Auteur : Mo'

Chroniques BD sur https://chezmo.wordpress.com/

16 réflexions sur « Tombé dans l’oreille d’un sourd (Levitre & Mahieux) »

  1. J’imagine très bien à quel point le parcours « médico-éducatif » est compliqué. Il faut beaucoup de force et de courage pour l’affronter avec un minimum de sérénité.

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    1. Oui et de la patience aussi ! Quand je vois la complexité de certains dispositifs, je me dis que les gens ont de quoi se tirer les cheveux. Sans compter certaines aberrations du système. Une passage (j’ai mis un extrait, celui où le narrateur ironise sur Lourdes) m’a fait penser à une personne que j’accompagne. Elle est aveugle de naissance. Et bien pareil… tous les 10 ans, pour continuer à percevoir l’AAH et voir sa carte d’invalidité renouvelée, elle doit produire des certificats médicaux qui constatent… qu’elle est toujours aveugle 😦

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  2. Très beau billet poulette et merci de cette découverte, même si, hein, c’est pas bien léger cette affaire, c’est un peu comme la vie koa !
    Je t’embrasse mhuuuuuum plein ❤

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    1. C’est pas bien léger mais c’est bien dit.
      Et puis comme la vie oui… et trop comme le boulot aussi, mais ça, je le pique un peu dans mon article. En tout cas, même constat partout : il y a des gens (des professionnels) dans le médico-social qui mériteraient une bonne paire de baffes !
      (edit : et puis certains professionnels du système éducatif aussi…)

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    1. On a très peu accès au regard de l’enfant sur ce qu’il vit. D’un autre côté, cela se comprend tout à fait vu son âge. On devine, en tout cas, grâce à certains passages, que la situation le fait souffrir

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    1. Le sujet est peu abordé. L’auteur explique ce qu’est cette maladie et ses conséquences mais il y revient très peu par la suite. Il témoigne principalement de ce qui a trait à Tristan et des conséquences de la surdité : vie quotidienne, arrivée de la LSF dans leur cellule familiale et puis cette somme de démarches (administratives, médicales, médico-social, négociations avec l’employeur et avec l’école) 😉

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