Les petites victoires (Roy)

Roy © Rue de Sèvres – 2017

Marc et Chloé filent l’amour parfait. Ils ont trouvé leur équilibre, une harmonie complice, un respect mutuel et une confiance l’un envers l’autre qui les amène peu à peu à avoir un désir d’enfant. La naissance d’Olivier est une grande joie et durant les deux premières années de sa vie, le couple profite de chaque instant. Balade, jeux, câlins. Jusqu’au jour où Marc s’ouvre à Chloé pour partager ses doutes :

Je n’osais pas en parler pour ne pas t’inquiéter, mais ça fait un bout de temps que je me dis qu’Olivier a quelque chose… Et puis, il n’a toujours pas dit un seul mot.

Ils décident de consulter. Olivier subit des tests. Le diagnostic tombe quelques semaines plus tard : il est autiste. Commence alors une période émaillée de consultations, de tensions à la maison. Un sentiment d’impuissance grandissant envahit Marc. Il perd pieds. Le couple se sépare et une garde alternée se met en place. Au début, ce n’est pas simple. Marc oublie ses jours de garde, hésite mais progressivement, il fait le deuil de l’enfant idéal qu’il aurait aimé avoir, apprend à mieux connaître Olivier, à l’accepter tel qu’il est et fait tout son possible pour que son fils – tout en tenant compte de ses capacités – puisse s’épanouir au mieux.

L’autisme est encore peu connu. Je me dis qu’en observant mon fils, j’en saurai plus que quiconque sur son autisme à lui.

Yvon Roy est un auteur canadien. Il est aussi le père d’un enfant autiste aujourd’hui âgé de 12 ans. Ils ont parcouru un chemin semé d’embûches mais aujourd’hui, son fils est parvenu à s’affranchir de son handicap, à prendre le dessus sur ses angoisses, à domestiquer son monde intérieur souvent angoissant. On lui a maintes fois conseillé de faire une bande dessinée pour témoigner de son parcours. Il a refusé pendant longtemps puis peu à peu, à réfléchi à la question. Il a balayé ses doutes, cherché à savoir finalement ce qu’il pouvait transmettre lui de son expérience et s’est lancé. Pourtant, la peur était là, bien présente. Comment transmettre finalement une expérience somme toute très personnelle sans compter que s’il se lançait dans le projet, il risquait de voir ressurgir des souvenirs assez douloureux ?

Ce que je retiens de ce témoignage, c’est avant tout la détermination d’un père à refuser la fatalité.

J’te jure, si je les écoute tous, Olivier n’arrivera jamais à lire ni à écrire, peut-être parler, si on est chanceux. Je veux bien accepter leur diagnostic, j’ai pas trop le choix, mais le pronostic, ils peuvent le rouler serré et se le mettre là où je pense.

Une obstination bénéfique dans laquelle il puise sans cesse pour trouver la force de continuer. Ne pas baisser les bras face aux angoisses de son fils et toujours, aider ce dernier à gagner du terrain sur son handicap. Aider son fils à ne pas se replier dans son monde imaginaire, l’aider à dompter ses peurs, à gérer ses angoisses et ses colères, à prendre confiance en lui tant dans le rapports à l’autre que dans les apprentissages. A l’instar de « Tombé dans l’oreille d’un sourd », on voit une nouvelle fois la lourdeur des prises en charge médico-sociales, l’aigreur de certains professionnels qui sous prétexte de connaître leur sujet en deviennent des monstres d’égocentrisme, repliés sur leur précieux savoir et plus attentifs aux protocoles de prises en charges qu’aux particularités de chaque personne auprès desquelles elles sont amenées à intervenir. Pour incarner cette froideur asociale, la figure de la responsable du service spécialisé est plus explicite que les longs discours :

Les petites victoires – Roy © Rue de Sèvres – 2017

Des petites victoires obtenues à force de répétition. Beaucoup de bienveillance dans l’attitude de ce papa. La force de ce couple parental aussi qui, bien que séparé, parviennent à communiquer et à avancer dans la même direction.

Pour parvenir à réaliser cet album, Yvon Roy s’est appuyé sur des anecdotes qu’il a vécues avec son fils de la naissance jusqu’à son huitième anniversaire. Le fait de ne pas utiliser les prénoms des différentes personnes qu’il a côtoyées durant cette période lui a permis de conserver une certaine neutralité par rapport au scénario tout en proposant un ton intimiste qui nous permet d’accueillir ce témoignage sans difficultés. Cette légère distance lui a permis de finaliser ce projet. Il nous livre un album sensible qui ne verse pas dans le pathos ni dans la plainte. Une expérience à la fois très personnelle mais sur laquelle bon nombre de parents d’enfants autistes peuvent s’appuyer, prendre confiance en eux pour accepter le handicap de leur enfant et l’accompagner.

Un enfant qui s’épanouit contre toutes attentes, un pied de nez aux spécialistes. Avec patience, avec amour et avec un soupçon de créativité, on réussit de belles choses.

Très bel album. J’ai partagé ma lecture avec Noukette qui a elle aussi été conquise.

Un album parfait pour ma « BD de la semaine ». Toutes les pépites dégotées par les participants sont chez Noukette !

Extraits :

« Mais qu’est-ce que je vais faire de toi, p’tit gars… Qu’est-ce que tu vas devenir ? Les spécialistes nous envoient de la documentation sur toi, faut voir ça. On dirait un guide d’assemblage pour un meuble Ikea avec cinq morceaux en moins… » (Les petites victoires).

« Un soir, les mots sortent si naturellement que je n’ai même pas à y penser. Et je peux enfin faire mes adieux au fantôme de ce fils qui ne s’est jamais présenté, et accueillir celui qui a décidé de venir vivre avec moi » (Les petites victoires).

« Je ressens parfois de la honte, puis, j’ai honte d’avoir eu honte. Il me vient aussi l’envie de m’isoler avec mon fils. Ne plus sortir. Ne plus devoir faire face aux réactions des autres » (Les petites victoires).

Les petites victoires

One shot
Editeur : Rue de Sèvres
Dessinateur / Scénariste : Yvon ROY
Dépôt légal : mai 2017
158 pages, 17 euros, ISBN : 978-2-369-81469-6

Bulles bulles bulles…

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Les petites victoires – Roy © Rue de Sèvres – 2017

Auteur : Mo'

Chroniques BD sur https://chezmo.wordpress.com/

31 réflexions sur « Les petites victoires (Roy) »

    1. Vraiment bien, je te jure ! 😛 Touchant, absolument pas larmoyant, absolument pas incisif ou agressif mais réflexif, sincère et pertinent 😉

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  1. 3 billets aujourd’hui ahahaha on ne pourra pas y résister ! alors je note évidemment 😉
    Bizzzzzzz ma copine

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    1. :mrgreen:
      Donc tu ne risques pas d’oublier cette couverture ! 😉
      J’espère que tu auras l’occasion de découvrir l’album par toi même. Tu devrais l’apprécier 😉

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  2. Je suis hyper curieuse, comme je le disais chez Noukette. Étant une de ces vilaines orthophonistes chez qui il y a de l’attente, j’adore lire ces histoires de l’intérieur, autrement.

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    1. Merci infiniment d’avoir mis en mots et en images votre témoignage. Extrêmement intéressant, touchant et optimiste en fin de compte. Il fait réfléchir et cherche à bouger les lignes. Refuser qu’un diagnostic serve de paravent et justifie des pratiques qui sont incapables de s’adapter à la spécificité/particularité de chaque personne. Les parents s’en remettent trop souvent aux prétendus savoirs des équipes médico-sociales alors que institutions et familles sont au final si complémentaires !
      Régis Loisel a bien fait de vous convaincre à réaliser cet album 🙂

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  3. Un album pour me faire fondre!!! ça me fait un peu penser à l’histoire de Fabien Toulmé Ce n’est pas toi que j’attendais, qui aborde la trisomie de son bébé.. Toujours très touchant ce genre de récit!

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    1. C’est cette question posée en toile de fond de comment accueillir (et accepter) cet enfant qui n’est pas celui qu’on avait imaginé. Mais c’est une belle rencontre. Comme celle de Toulmé effectivement.
      Je trouve pourtant « Les petites victoires » plus proche de l’album que je citais dans mon article (« Tombé dans l’oreille d’un sourd »). Je le trouve plus proche parce que les handicaps présents ne sont pas « visibles » au premier coup d’œil. Pour Toulmé par contre, vu qu’il s’agit de trisomie, il y a le regard des gens qui pèse un peu plus du fait des stigmates physiques de la trisomie justement

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  4. La ténacité dont fait preuve Yvon avec son film m’a vraiment impressionnée. Je été très touché par ce témoignage. Mais ce qui m’a plus c’est qu’au delà de l’autisme, la façon d’aborder les choses par Yvon est une leçon pour tous les parents. J’ai beaucoup aimé cette lecture aussi parce qu’elle m’a fait réfléchir à mes propres réactions face à mes enfants

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    1. Je suis d’accord avec toi. Je trouve que sa manière de voir les choses est vraiment positive. Refuser de rentrer bêtement dans le moule sous prétexte que les médecins « sont ceux qui savent » , adapter les solutions à chacun, etc… Un témoignage touchant et constructif

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