L’Araignée de Mashhad (Neyestani)

Neyestani © Ça et là – 2017

Saïd Hanaï était un maçon, père de famille et mari attentionné. Il vivait à Mashhad (la ville est considérée comme une ville sainte, elle se situe dans l’Est de l’Iran). Saïd Hanaï était musulman, croyant et fervent pratiquant. Musulman, croyant, Saïd Hanaï s’était donné pour mission de nettoyer Mashhad de la débauche. Entre août 2000 et août 2001, il a tué 16 prostituées. En août 2001, il s’en prend à une dix-septième prostituée mais c’est l’acte de trop. Il est arrêté et emprisonné. Surnommé « le tueur araignée », il croupira en prison jusqu’à son exécution en avril 2002.

Durant son incarcération, deux journalistes, Mazia Bahari et Roya Karimi, sont allés l’interviewer. Ils ont filmé cette rencontre. C’est en regardant ce documentaire que Mana Neyestani a eu envie d’adapter ce parcours atypique en bande dessinée et d’y mêler faits réels et fiction. En introduction, l’auteur précise d’ailleurs : « Ce livre résulte de la combinaison entre le documentaire de Mazia Bahari et mon propre imaginaire. Je n’ai pas tenu à être fidèle point par point à la réalité des faits, mais plutôt à m’inspirer de l’esprit des événements décrits ».

Ce qui marque en premier lieu, c’est la vie très ordinaire du tueur en série. Une enfance banale jusqu’à ce qu’il parte à la guerre dans les années 1980 (guerre Iran-Irak). On saisit vite que le conflit l’a traumatisé. Puis, il retourne à la vie civile, trouve du travail et se marie. Le Coran lui montre la voie à suivre, les règles à respecter ; la religion rythme sa vie. En fidèle croyant, il connaît les textes sacrés par cœur mais applique sa propre vision de la charia.

Quelle créature ? Une créature divine ne tomberait pas dans la débauche et la luxure. Si vous vouliez appliquer la loi divine, vous feriez vous-même lapider une femme adultère. Ce n’est pas un meurtre, c’est la stricte justice divine.

Mana Neyestani s’était fait connaître en France avec son excellent témoignage autobiographique « Une métamorphose iranienne ». On retrouve ici son style. Le propos va à l’essentiel et montre sans jugement toutes les contradictions d’une société prise à son propre piège et ballotée entre les traditions, la religion et la démocratisation.

Le journaliste iranien nous permet d’avoir plusieurs points de vue sur cet événement. Les entretiens avec le meurtrier sont le cœur du récit mais l’auteur l’enrichit du point de vue d’une victime, du juge en charge de l’affaire, de l’opinion publique. Des extraits de la rencontre avec la femme et le fils sont également de la partie.

Graphiquement, c’est tout aussi pertinent. Les dessins n’agressent à aucun moment et les jeux de hachures construisent une narration visuelle très fluide. L’ambiance graphique est sereine, presque posée. Elle donne un côté intimiste au reportage. Pas de tensions, pas de suspense mais une observation à la fois objective et empathique.

La personnalité du tueur est à la fois fascinante et terrifiante. Jamais il ne s’excusera pour les meurtres commis, convaincu d’être dans son bon droit et d’appliquer la justice divine.

Mana Neyestani relate, expose et suppose. Il tisse des liens entre le passé du tueur et son présent, il cherche à comprendre ce qui peut conduire un homme à tuer avec un tel sang-froid, sans aucune considération pour les prostituées, les considérant comme des choses insignifiantes. Il se questionne aussi sur le fait que l’opinion publique donne raison à cet homme et l’excuse au point d’en faire un héros.

Extraits :

« C’est comme d’aller à la guerre, j’estime que c’est le devoir de tout bon musulman » (L’Araignée de Mashhad).

« Si Saïd avait tué quelqu’un sans raison, j’aurais été perturbée, effrayée… mais seize femmes dépravées, ça ne s’appelle pas des assassinats. Il y a un projet derrière, un engagement. Saïd a toujours été un homme très responsable. (…) Si Saïd a commis une faute, c’est peut-être d’avoir accompli le devoir du gouvernement à sa place » (L’Araignée de Mashhad).

« J’avais une soif de revanche insatiable. L’autre jour, en isolement, je me suis mis à compter. Il reste encore quatre-vingt femmes dont je voulais m’occuper dans le secteur que je surveillais. Mais le temps m’a manqué » (L’Araignée de Mashhad).

L’Araignée de Mashhad

One Shot
Editeur : Ça et là
Dessinateur / Scénariste : Mana NEYESTANI
Traduction : Massoumeh LAHIDJI
Dépôt légal : mai 2017
164 pages, 18 euros, ISBN : 978-2-36990-238-6

Bulles bulles bulles…

Ce diaporama nécessite JavaScript.

L’Araignée de Mashhad – Neyestani © Ça et là – 2017

La « BD de la semaine » est aussi chez :

Sabine :                                      Enna :                                    Mylène :

Antigone :                                Saxaoul :                                   Karine :

Amandine :                                     Fanny :                                  Blandine :

Sophie :                                Gambadou :                                 Noukette :

Jérôme :                                   Jacques :                                    Bouma :

Soukee :

.

 

Auteur : Mo'

Chroniques BD sur https://chezmo.wordpress.com/

35 réflexions sur « L’Araignée de Mashhad (Neyestani) »

    1. La partie fiction est bien traitée et permet au lecteur de se décoller de l’aspect factuel. Les questions posées de la partie « inventée » montrent aussi la manière dont l’interview a interpellé l’auteur

      J’aime

    1. Avec plaisir. Le premier album que Mana Neyestani avait publié en France est très bon. Si tu as l’occasion, n’hésite pas 😉

      J’aime

  1. Je ne suis pas super emballée moi je dois dire… Pas follement gai comme histoire, et le trait n’est pas du tout ma tasse de thé… A feuilleter pour voir…

    J’aime

    1. Je ne sais plus si tu avais lu (ou non) « Une métamorphose iranienne » ?
      Par contre, concernant le sujet, j’ai préféré cette approche de Neyestani à celle que Derf Backderf dans « Mon ami Dahmer ».

      J’aime

    1. Ce tueur-là colle à l’actualité. Il interprète les textes religieux et exécute ses propres lois au nom de son Dieu. Entre ça et se faire sauter dans un lieu public, il n’y a qu’un pas.

      J’aime

  2. Après mon ami Dahmer, l’éditeur se spécialise dans les portraits de Serial Killer on dirait !
    Sinon je garde un excellent souvenir d’une Métamorphose iranienne, je retrouverais donc Mana Neyestani avec grand plaisir.

    J’aime

    1. Le récit du tueur en série est fascinant. Autant, dans « Mon ami Dahmer » j’avais ressenti un malaise autant ici, on comprend les raisons qui le poussent à agir mais sans le côté glauque ; on a très peu de détails sur les meurtres, juste l’essentiel qui nous permet de mieux comprendre. C’est avant tout une critique de société qui pointe toutes les contradictions engendrées par la place que la religion a

      J’aime

    1. Si tu as l’occasion de feuilleter l’album… en une poignée de pages, on se représente très bien l’atmosphère qui y plane 😉

      J’aime

    1. Je comprends tout à fait.
      Je sais que la BD-reportage n’est pas toujours très attirante mais j’aime beaucoup ce genre d’ouvrage. Peut-être que si tu vois cet album en rayon, la curiosité sera plus forte que ton appréhension… 😛

      J’aime

  3. Je ne sais pas mais si tu dis que c’est bien alors …. tu le sais, te suivrai jusqu’au bout du monde :-p
    des bisous copine

    J’aime

    1. Mouarf.
      J’aime beaucoup cet auteur et sa manière de nous exposer les faits, tenants et aboutissants. Ici, le mélange entre fiction et réalité marche très bien. Il ne surjoue rien, ne semble pas omettre grand chose. J’ai un très bon souvenir de son premier album et celui-ci a complètement répondu à mes attentes 😉
      Biz coupine
      (Petit aparté entre nous : Rhooo… le tic tac est enclenché tu sais. Ça devient bon là !! :mrgreen: )

      J’aime

  4. Voilà qui me fait drôlement froid dans le dos… pas certaine que j’aille me frotter à pareil thème… brrr. Ce qui n’enlève rien à la qualité de l’album, parce que sur ce point là je te fais confiance !! 😉

    J’aime

    1. En lisant, je n’ai pas pu m’empêcher de penser à « L’attentat » de Yasmina Khadra ou à d’autres ouvrages qui nous amène à entrer dans la tête de certaines personnes qui, au nom de la religion et de l’interprétation qu’ils font des textes, s’autorisent à tuer des innocents. C’est d’actualité… 😦

      J’aime

Répondre à Mo' Annuler la réponse.

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.