La Nuit mange le jour (Hubert & Burckel)

Hubert – Burckel © Glénat – 2017

Après plusieurs échecs amoureux, Thomas rencontre un jour l’homme de sa vie. Fred, « grand, fort, barbu… la quarantaine ». Une rencontre comme on n’en fait peu dans une vie. Le couple prend l’habitude de se retrouver chez Fred. Son appartement est spacieux, confortable, agréable. Thomas s’étonne lui-même en s’entendant dire à sa meilleure amie qu’il croit bien tomber amoureux.
Leur relation s’installe tranquillement jusqu’au jour où Thomas commence à questionner Fred sur les photographies qui décorent son appartement. Dans toutes les pièces prônes des clichés d’un mystérieux jeune homme, dénudé, attaché la plupart du temps, des ecchymoses apparaissent sur certaines photos, des coupures, des marques de liens aux poignets. Fred lui explique qu’il s’agit d’Alex, son ex, avec qui il a eu une relation forte mais destructrice. Fred étant photographe, Alex lui a servi de modèle à plusieurs reprises.
Sur les photographies, Alex est beau, mystérieux, séduisant, troublant… Face à ce charisme, Thomas complexe rapidement. Pourquoi Fred s’intéresse à lui ? Que lui trouve-t-il ? Comparé à l’ex de son mec, Thomas est frêle, d’une beauté commune, insipide. Inconsciemment, Thomas va chercher à repousser ses limites et découvrir avec effroi que la brutalité est pour lui source d’excitation et de plaisir.

« La nuit mange le jour » est un album aussi fascinant que terrifiant. Hubert décrit le mécanisme de la dépendance affective et les ravages qu’une passion dévorante peut produire dans un couple.

C’est la rencontre entre David et Goliath, où David s’éreinte à provoquer celui qui lui fait face au risque de sa vie.

C’est l’attirance immodérée pour le corps de l’autre, c’est l’incapacité d’équilibrer le désir et la raison, c’est l’impossibilité de faire taire les fantasmes, l’envie fulgurante du coït et de la jouissance qu’il procure. Les personnages sont comme aimantés l’un à l’autre, fascinés par le désir destructeur de l’autre.

La nuit mange le jour – Hubert – Burckel © Glénat – 2017

C’est cet état dans lequel on peut être lorsqu’on découvre une part de soi que l’on ne connaissait pas, un double obscur qui nous fait perdre pied.

C’est l’incapacité de vivre sans l’autre, d’être sans l’autre, de trouver une consistance en dehors du désir de l’autre.

C’est le goût du risque, l’envie d’avoir la tête qui tourne, de se sentir vivant.

C’est ce jeu cruel que l’on peut mener parfois, celui qui nous fait perdre tout repère et qui conduit loin de sa zone de confort, un voyage dont on ne sait pas si on pourra en revenir indemne.

C’est l’incapacité de pouvoir identifier ses limites, de vouloir connaître le point de rupture.

C’est lorsqu’on ne se reconnaît plus et que l’on est incapable de retrouver le chemin de notre vie « d’avant » .

C’est quand on s’isole, quand on s’enferme dans une pratique, que l’on coupe tous les liens avec l’extérieur et que plus rien n’est en mesure ne nous raccrocher à la réalité.

C’est l’incapacité de distinguer ce qui est réel ou fantasmer, ce qui s’est produit et ce qui a été affabulé.

Une perte de contrôle de soi.

Paul Burckel utilise une bichromie de noir et de gris pour illustrer ce récit. Loin d’affadir l’atmosphère, elle donne force et profondeur aux propos et rend l’ambiance électrique. La beauté imposante et bestiale de l’un fait face à la fragilité chétive de l’autre. Un rapport de forces sensuel où chacun a l’ascendant psychologique sur son partenaire, une lutte entre le corps et l’esprit. Les dessins explicites décrivent des scènes de sexe où les deux corps fusionnent.

Wow !

La Nuit mange le jour

One shot
Editeur : Glénat
Dessinateur : Paul BURCKEL
Scénariste : HUBERT
Dépôt légal : juin 2017
226 pages, 22.50 euros, ISBN : 978-2-344-01220-8

Bulles bulles bulles…

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La nuit mange le jour – Hubert – Burckel © Glénat – 2017

Auteur : Mo'

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21 réflexions sur « La Nuit mange le jour (Hubert & Burckel) »

    1. Un album atypique. Je ne me tourne pas tellement vers ce genre de sujets habituellement mais là avec Hubert aux commandes… Il avait aussi écrit « La Chair de l’Araignée » qui vaut le détour 😉

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    1. C’est totalement OMG mais alors qu’est-ce que c’est bon ! 😉 On ressent vraiment cette passion, ces pulsions qui les traversent… franchement bien 😉

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    1. Avec plaisir Fanny !! Et moi je suis bien curieuse de savoir l’effet que produit cet album chez d’autres lecteurs !! Dis… tu vas le lire hein ? 😛 😉

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    1. Laisse-toi titiller copine !! Pi mets-y ton poilu aussi (le mien l’a lu et je dois dire que j’ai scruté en douce ses réactions… il a bien aimé hein, mais ça l’a bien moins excité que moi 😛 )

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    1. Mais c’est que je pensais que ça me laisserais de marbre et que ça me laisserait aussi une impression de brutalité… et oui pour la brutalité mais sans son côté glauque ni son côté écœurant.

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    1. Ah mais tant mieux !!
      C’est mon libraire qui me l’a conseillé. Sans lui, je ne me serais pas lancée (le sujet et les représentations que j’ai sur la sexualité entre deux hommes). Et je suis bien contente d’avoir tenté pour le coup ! 😉

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    1. Oui ! J’ai mis trop peu de ses albums sur ce blog. Et puis, il y a toujours « Monsieur désire ? » qui me fait gravement de l’œil !

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  1. Belle critique, mais l’histoire n’est pas que la dérive d’un jeune homme qui se découvre des penchants SM. C’est aussi l’histoire d’une manipulation, de l’emprise et du contrôle. C’est en ce sens que ce récit est « terrifiant » car il dépasse largement la communauté homosexuelle pour atteindre une part d’universel. Oui, ces « alchimies délétères » existent en effet. D’ailleurs un des personnages secondaires (Yann) se plaît à le rappeler cruellement au jeune Thomas : il n’est qu’un objet.
    Et la mise en image, bien plus subtile que ce que les scènes de sexe pourraient faire croire de prime abord, sert ce scénario glaçant et finement observé à la perfection.

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    1. Votre retour est très juste et je suis complètement d’accord avec vous. Pourtant j’en parle dans ma chronique mais j’ai eu le tort de ne pas nommer les choses de façon plus explicite. C’est ce que j’avais en tête lorsque j’ai parlé de cette incapacité à identifier ses propres limites, de cette incapacité à se reconnaître soi, comme fasciné par ce que le personnage peut faire tout en étant totalement incapable de prendre la main sur ce jeu morbide qu’il installe. Quand je parlais de « quand on s’enferme dans une pratique » c’est cela aussi, ce jeu double du corps et de l’esprit. C’est un livre à double tranchant, double facette, le pile et le face et – pour reprendre le titre – le jour et na nuit.
      Merci pour votre commentaire qui pointe justement le fait que cette manipulation qui est montrée dans ce récit fait le sel de l’intrigue. Elle prend les personnages en étau. Et la métaphore contenue dans le titre rend tout à fait compte de ce qui se joue entre les personnages et ce qui les met en tension de façon plus intime, plus personnelle.

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