L’écorce des choses (Bidault)

Bidault © Warum – 2017

C’est l’été. Le temps des vacances est revenu. C’est moment de prendre la voiture, de monter à l’arrière, d’observer les paysages qui défilent, de s’émerveiller des couleurs de la nature, de ressentir les vibrations de la voiture. A l’avant, papa conduit et maman est assise sur le siège passager. Ils parlent en regardant une carte routière mais mon regard est attiré par un chat qui court se cacher dans la forêt. On a dû lui faire peur avec notre grosse voiture rouge.
La voiture freine. On doit être arrivé. Aujourd’hui, on emménage dans notre nouvelle maison à la campagne. C’est grand et puis il y a un arbre magnifique juste à côté de la maison. J’irai le voir demain. Mais aujourd’hui, je reste avec mes parents. Maman me parle. Je ne l’entends pas. Je suis sourde. Depuis toujours.
C’est l’histoire de cet été où tout à changer, où mon refuge est devenu cet arbre dont j’aime caresser l’écorce rugueuse. C’est la détresse de ma mère qui ne me comprend pas et que je ne comprends pas. C’est l’histoire de mon père qui n’est jamais là. C’est l’histoire où j’avance dans le silence espérant qu’un jour, je pourrais rencontrer quelqu’un qui acceptera de plonger son regard dans le mien et qui, patiemment, m’aidera à comprendre le monde dans lequel je suis née.

Le coup de cœur est venu dès que j’ai vu la couverture. « Ça ne présage » de rien me direz-vous (et vous avez raison) pourtant ici, la première impression était la bonne. Le fait de pouvoir plonger dans les yeux de cet enfant au sourire discret, le fait de la voir ainsi assise au milieu des feuilles rouges de l’automne… c’est à cet instant précis que la rencontre s’est faite. Ouvrir le livre, entrer dans l’histoire à pas feutrés, balayer du regard ces planches muettes, puis revenir au début, prendre le temps de scruter détails et visages. On est très vite aux côtés de cette fillette. Et très vite, on voit que son rapport au monde est différent du nôtre.

Sans emphase, Cécile Bidault aborde le monde de la surdité. En un coup de crayon elle nous fait voir le fossé qui sépare les entendants des malentendants. Elle nous montre la détermination de ce père à faire parler sa fille, exagérant les « A » et les « O » que fait sa bouche, invitant la fillette à toucher sa gorge pour sentir les vibrations, l’incitant à reproduire à l’identique un son qu’elle n’entend pas…

Des parents désarmés face à une enfant qui cherche à communiquer. Avec ses propres moyens, elle mime, dessine et cherche à apprivoiser ce sens dont elle est dépourvue. Le travail d’illustration de Cécile Bidault est délicat. L’auteur nous invite, le temps d’une lecture, à nous mettre à la place de cette fillette. On a très vite de l’empathie pour le personnage, on attrape le moindre détail qui nous permet de mieux appréhender ce qui se passe autour d’elle. Une dispute, un orage, une radio qui hurle des sons mais joie ! car ce sont autant de vibrations qui s’en dégagent, un rythme qui permet d’être bercé. Les premières pages contiennent quelques phrases ; la fillette nous parle en voix-off. Puis le silence s’installe définitivement et c’est au lecteur de comprendre seul le reste.

Coup de cœur pour cet album silencieux !

Sur le site Combat, une interview de Cécile Bidault qui revient sur la genèse de cet album. Je vous propose aussi ce lien qui vous permettra de découvrir le site Tumblr de l’album.

L’écorce des choses

One shot
Editeur : Warum
Dessinateur / Scénariste : Cécile BIDAULT
Dépôt légal : octobre 2017
128 pages, 20 euros, ISBN : 978-2-36535-297-0

Bulles bulles bulles…

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L’écorce des choses – Bidault © Warum – 2017

Auteur : Mo'

Chroniques BD sur https://chezmo.wordpress.com/

26 réflexions sur « L’écorce des choses (Bidault) »

  1. Elle a tout pour me plaire celle-ci ! Une superbe couverture (quel rouge lumineux !), un sujet qui m’interpelle et de belles couleurs… sans parler du billet, qui donne très envie de la découvrir.

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    1. Mes enfants l’ont adoré aussi (surtout mon cadet qui a 8 ans). Mais je crois que le public auquel s’adresse cet album n’a pas d’âge. Une vraie jolie pépite je trouve

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  2. Pareil que les autres, je le veux! Le monde de la surdité m’a toujours fascinée! (J’ai un jour commencé à apprendre la langue des signes et puis j’ai arrêté, soit!) Il m’intéresse!

    Désolée, je n’ai pas fait de fouilles sur ton blog mais as-tu lu « Annie Sullivan et Hélène Keller »? Hélène K. est sourde et aveugle. Une très belle bd!

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    1. Non je n’ai pas lu « Annie Sullivan… », mais je me rappelle des chroniques et notamment celle de Val. Il m’intéresse cet album.
      Moi aussi j’ai appris la LSF. Pratiqué à une période mais j’ai beaucoup perdu aujourd’hui parce que j’ai moins d’occasions de signer.
      Sur la surdité, tu as aussi l’album « Tombé dans l’oreille d’un sourd » 😉

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  3. J’aime beaucoup le dessin et le travail sur les ombres et les couleurs, je pense que je vais essayer de me le procurer et le tester =)

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        1. Chouette (non parce que je suis très curieuse de savoir comment d’autres lecteurs vont accueillir cette histoire 😀 )
          Au plaisir de te lire dans ce cas 😉
          Très bon week-end à toi

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  4. Bonjour,
    J’ai beaucoup aimé cette BD, mais je suis resté sur ma faim car je n’ai rien compris à la fin !
    J’ai parcouru tout le web et je n’ai trouvé aucune explication.
    Pourquoi sont-ils -presque- tous sur le tronc d’arbre qui flotte ?
    Merci pour votre aide
    Lou, 16 ans, peut-être trop jeune pour comprendre ?!

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    1. Bonjour Lou 🙂
      Je ne suis pas certaine d’avoir la bonne réponse à votre question, car c’est une fin ouverte qui permet à chaque lecteur d’imaginer la suite qu’il souhaite donner à ce récit.
      Pour ma part, j’ai pris cette fin comme une note optimiste pour plusieurs raisons :
      – la promesse que des parents font à leur fille : ils seront toujours là auprès d’elle, ils sauront dépasser leurs désaccords pour protéger leur enfant
      – la naissance d’une nouvelle amitié entre la fillette et ce garçon, entre la fillette et la vieille dame
      Je me suis aussi posée la question de savoir si l’inondation était bien réelle ou si elle était une métaphore pour dire que la vie est semée d’embûches mais pour dire aussi que quand on est entouré, ces accidents de la vie sont moins durs à surmonter.
      Voilà. Je suis désolée de n’apporter que des suppositions à ma réponse mais comme rien n’est figé dans le dénouement, je crois qu’il faut accepter d’imaginer soi-même ce qu’il y a après la dernière page.
      Et je suis certaine que vous avez vous aussi imaginé un prolongement à cette histoire. Ça me ferait plaisir de la connaître 🙂

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