Mademoiselle à la folie – Pascale Lécosse

« Je m’appelle Catherine, Catherine Delcour. J’aurai quarante-huit ans dans quelques mois, je suis plus vieille que ma mère ne l’était quand elle s’est tuée dans un accident de la route – elle venait d’avoir quarante ans. J’habite un grand appartement sur l’île Saint-Louis, où je vis depuis…. Depuis je ne sais plus quand. J’ai aussi une grande maison à la campagne, mais c’est à Paris que j’aime être, dans mon quartier, où les touristes ne me connaissent pas et où les commerçants restent discrets. Quand je désire quelque chose ou quelqu’un, il m’arrive, pour l’obtenir, d’implorer un dieu que j’oublie aussitôt après. Je ne crois pas au destin, ce que je veux, je le prends. J’ai depuis toujours le goût de l’effort, du travail, sans lesquels le talent ne suffit pas. L’échec me fait horreur et je suis loin de penser, comme certains, que c’est un mal nécessaire. C’est un mal, point. Que je me suis efforcée d’éviter tout au long de ma vie. Je n’ai pas peur du temps qui passe mais du temps perdu. Quant à la maladie, le meilleur remède que j’ai trouvé pour la combattre, c’est de rester en bonne santé. Je ne me ressers jamais d’un plat, j’ai renoncé au fromage, au pain, et je finis rarement mon verre de vin. Je fais du sport, raisonnablement, je travaille ma respiration et ma mémoire. Je fais l’amour régulièrement et bien. Je dors huit heures d’affilée, quelque soit le fuseau horaire qui m’abrite. Je ne fume pas, je ne me drogue pas, je bois du champagne chaque jour. Je canalise mes énergies vers ce et ceux qui m’élèvent, je fuis la médiocrité. Mon fonds de commerce, c’est moi et j’en prends le plus grand soin.

Le théâtre est ma façon de vivre. »

Catherine. Comédienne. Femme libre. Indépendante. Un brin narcissique. Ou auto centrée plutôt. Attachante. Volontaire. Forte et drôle. Belle et toutafé farfelue. Malade… Un jour, le diagnostique est tombé. Sévère le diagnostique. Et sans appel. Alzheimer.

Peu à peu, Catherine perd les mots. Des instants. Des souvenirs. Des noms. Des visages. Des proches. La mémoire. Peu à peu, Catherine perd la tête….

« Je perds le fil, le sens de tout cela m’échappe. Je suis prise de vertiges, suspendue au-dessus de l’abîme, sur le point de basculer, à moins que je ne dérive, incapable de remonter le courant. Je veux appeler à l’aide, mais ma langue bute, ma voix s’étouffe, ma volonté plie et se tord. »

Mais tout contre elle, il y a Mina. La fidèle. L’amie. Confidente et assistante. Et tellement plus encore… Elle est la mémoire de Catherine. Son secours. Elle est celle qui tient chaud. Qui tient droit. Envers et contre tout. Qui aime et qui s’inquiète pour Catherine. Son double.

Et ça dit l’amitié et la famille que l’on s’est choisie,  l’angoisse, l’oubli et la solitude, l’existence rétrécie et la maladie, le temps qui passe et qui arrache, les petites joies et les grandes douleurs, les rires, le champagne (tout de même, un peu de pétillant dans ce monde de brutes !) et la littérature… La vie surtout.

C’est un très beau premier roman, plein de délicatesse et de légèreté malgré le sujet grave. Lu 2 fois déjà et drôlement aimé !

 

Extraits 

« Je m’appelle Mina Flamand. Il y a dix-huit ans, j’ai laissé ma vie pour accompagner Catherine. Notre attachement repose principalement sur le respect et sur l’admiration. Nos échanges sont vifs, nos disputes de courte durée et notre partenariat est fondé sur la liberté que nous avons chacune d’y mettre fin à tout moment. Comme elle, je suis …. »

« Elle semble être si loin de là où nous sommes. Je voudrais l’accompagner, mais je ne sais pas quel chemin emprunter pour la rejoindre. »

« Combien de temps ? Quelques semaines ou quelques années avant qu’elle ne m’oublie. Je retiendrai les heures qu’il faut, pour les partager avec elle. […] Je resterai éveillée, repoussant ma fatigue pour veiller sur ses courtes plages de repos. J’épongerai de mes larmes contenues ses chagrins, je la ramènerai de ses déserts. Je lui inventerai un avenir souriant pour apaiser ses colères et balayer ses cris. […] Et puis quand elle ira mieux, enfin, je pourrais m’étendre et dormir un siècle durant. »

Un très beau 1er roman découvert grâce aux 68 (et pour lire les billets c’est par ici !)

L’avis de Leiloona à lire ici aussi !

 

Pascale Lécosse, Mademoiselle, à la folie !, Éditions de La Martinière. 2017.

5 réflexions sur « Mademoiselle à la folie – Pascale Lécosse »

  1. Je suis extrêmement touchée par viotre critique de Mademoiselle…
    Vous en parlez avec les mots du coeur, les plus beaux.
    Merci, vous rendez ma journée plus belle.
    À bientôt
    Pascale

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