KZ Dora (Walter)

Walter © Des Ronds dans l’O – 2015

Pourquoi Pierre Walter était-il là ? Il a été arrêté en mai 1943, près de la frontière franco-espagnole, qu’il voulait franchir irrégulièrement pour rejoindre les forces françaises d’Afrique du Nord. Prisonnier de 1943 à 1945, aux prisons et camps du Boulou, Perpignan, Compiègne, Buchenwald puis Dora, il y vit l’enfer. Il attendra pourtant d’être à la retraite pour transmettre réellement ses mémoires, à travers ses souvenirs écrits, à ses enfants et petits-enfants, ainsi qu’au cours des visites des camps qu’il fait accompagné de plusieurs membres de sa famille, dont Robin Walter, l’auteur de cet ouvrage.

(extrait de la préface de Stéphane Hessel).

Emile a 18 ans quand il est dénoncé par un villageois aux Allemands. Emile faisait passer clandestinement des Juifs, il leur permettait de fuir la zone occupée, passer la ligne de démarcation pour pouvoir de nouveau vivre libre.
Paul vient de terminer l’école de l’Armée de l’Air, il est maintenant officier. Refusant de se soumettre, il décide de passer clandestinement la frontière de l’Espagne pour rejoindre les forces aériennes libres basées en Afrique du Nord.

Et puis il y a tous les autres qui ont été pris dans les mailles du filet allemand. Comme eux, ils vont passer de camp de concentration en camp de concentration, exploité par les allemands pour effectuer des travaux colossaux dans des conditions de vie déplorables… plus que déplorables. Inhumaines. Privation d’eau, de nourriture, de sommeil. Soumis quotidiennement aux humiliations, aux coups, aux travaux forcés, aux intimidations, à la cruauté sans frontière des officiers allemands. Dormants entassés sur des paillasses, sans matelas et encore moins de couverture. Dans le froid.

J’ai eu la chance de pouvoir refermer le livre pour faire un break sur les passages les plus crus. Les victimes des rafles n’ont pas eu ce luxe. Pour certains, ils ont vécu l’enfer pendant plusieurs mois… des mois qui se comptent en années. D’autres malheureusement n’ont pas eu « la chance » de s’en sortir.

Des prisonniers, des scientifiques, des officiers SS. Les points de vue se croisent et ne se rencontrent jamais. Des réalités totalement aux antipodes. Trois manières de voir et de vivre l’horrible réalité.

Des morts. Des centaines de morts. Des milliers de morts… Des charniers. Des cheminées d’où sortent en permanence de la fumée. Des examens médicaux dont on ne ressort jamais. Des tunnels à creuser. Des paillasses à partager. Des kilos de corps, de terre, de fer… à porter. Des charniers. Des colis qui arrivent au compte-goutte. La vie se poursuit dehors. Des proches qui pensent à leurs proches. Des colis qui arrivent… et les SS qui se sont servis avant.

Des corps entassés dans des wagons. Dans des baraquements. Dans des fosses communes.

L’horreur.

Robin Walter adapte les carnets de son grand-père, Pierre Walter, survivant des camps. Robin Walter sculpte les corps. Il suit le lent processus morbide provoqué par les conditions de vie des prisonniers. A mesure que l’on tourne les pages, les joues se creusent, les yeux se cernent, les corps s’affinent jusqu’à devenir squelettiques. On sent la force vitale qui s’échappe par tous les pores de la peau ; certains ont un instinct de survie qui parvient à perdurer grâce à leur foi ou la certitude que le pire est derrière eux et que c’est n’est plus qu’une question de jours…

On s’indigne face aux comportements des gardes de camps qui prennent goût aux horreurs qu’ils pratiquent. Des civils qui regardent, les bras ballants et à peine choqués par ce qu’ils voient, des hommes agoniser devant eux… certains allant même jusqu’à se dire scandalisés que les travaux des prisonniers n’avancent pas aussi vite qu’ils l’auraient souhaité.

Cet album réunit les deux tomes de « KZ Dora » publiés en 2010 et 2012. Il est enrichi d’une troisième partie « Notes sur mes années d’internement et de déportations – 1943-1947 » ; ce sont les écrits de Pierre Walter. Il explique en introduction :

« Dès ma libération, j’ai pensé intéressent d’écrire des souvenirs de ma captivité, sans idées préconçues. (…) Pendant cinquante ans, je n’y ai plus pensé et je les ai laissés dans mon coffre à la banque. C’est à la demande de mon fils Michel que je les ai récupérés et rendus lisibles, tout en gardant le vocabulaire des camps et des personnes que j’ai rencontrées. Ce travail m’a ramené vers un passé que j’avais oublié et m’a fait souffrir ; car contrairement à beaucoup de déportés, la vie que j’ai menée depuis 1945 a été consacrée à ma famille et à mon travail d’aviateur, et non pas à mes souvenirs. »

Un récit poignant, révoltant. Un témoignage, tout simplement, qui tord le ventre.

Je partage ma lecture avec les bulleurs de « La BD de la semaine » … on se retrouve aujourd’hui chez Noukette !

KZ Dora

(Intégrale)
Editeur : Des Ronds dans l’O
Collection : Histoire
Dessinateur / Scénariste : Robin WALTER
Dépôt légal : mars 2015
240 pages, 24 euros, ISBN : 978-2-917237-77-9
L’ouvrage sur Bookwitty.

Bulles bulles bulles…

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KZ Dora – Walter © Des Ronds dans l’O – 2015

Auteur : Mo'

Chroniques BD sur https://chezmo.wordpress.com/

57 réflexions sur « KZ Dora (Walter) »

    1. Il est assez éprouvant. Visuellement, on est épargné mais la violence psychologique de certaines situations, le fait de voir des individus (civils allemands) observer sans rien faire… bref, c’est révoltant

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    1. Cet album est un précieux témoignage en tout cas. C’est navrant de constater chaque jour que l’Homme oublie les leçons qu’il avait pourtant tirées de ses propres erreurs

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  1. Tellement courageux de s’être replongé dans cette periode pour nous livrer un témoignage aussi précieux pour l humanité, je note

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  2. L’auteur est une très très belle rencontre de notre périple Angoumois et j’avais bcp aimé sa façon de conter cette sombre histoire …. Bref je détiens cette BD il me faut juste un brin de courage pour me lancer …

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    1. Bien s’installer, respirer un grand coup et ensuite, tu vas être portée par la voix-off. Les premières pages te permettent de rencontrer les principaux protagonistes et une fois les présentations faites, on part doucement dans le vif du sujet. Une lecture qui secoue 😉

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  3. Je ne suis pas sûre d’avoir le mot juste, mais oui intéressée, bien sûr, toujours! Comme dit Jérôme, « on n’en parlera jamais assez » bien que la mémoire soit à double-tranchant… Je note évidemment!

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    1. Il y a des témoignages si forts qu’on est un peu impressionné à l’idée de les lire.
      « KZ Dora » en faisait partie (je l’avais déjà vu à quelques rares occasions sur les blogs) jusqu’à ce que je le lise à mon tour. Il faut trouver le moment opportun mais oui, il ne faut pas tourner le dos à ces témoignages importants

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  4. je me rappelle notre rencontre et cette façon dont Robin Walter nous a parlé de cette BD. Je suis toujours autant épatée par tes émotions et ta manière de nous impliquer dans ta lecture. Tu me donnes envie une nouvelle fois et dieu sait que j’ai regretté de ne pas avoir cédé à mes pulsions. Bravo Steph et merci de nous rappeler l’essentiel

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    1. Ah oui, c’était une belle rencontre avec Robin Walter !!
      Pour la transmission des émotions provoquées par un album, je prends la mesure du compliment d’autant que tu es très généreuse dans tes chroniques !! Mais comme tu le sais, ça ne marche pas à tous les coups… ça ne marche pas pour tous les albums en fait. Mais face à un témoignage de cette force, comment ne rien ressentir ?

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  5. Ouf, ça semble très dur… mais je pense que le contexte me fera tenter la lecture. Quand je serai bien en forme. Ces récits sont toujours éprouvants.

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    1. C’est dur oui. On suit le grand-père de Robin Walter dans les différents transferts qu’il a dû effectuer. Et chaque fois, on plonge un peu plus dans la cruauté.
      Mais il n’y a pas que le point de vue des prisonniers que l’on entend. On suit un peu un gardien de camp et on le voit lui aussi devenir de plus en plus ignoble, désabusé. C’est fou de dire ça mais j’ai eu de la pitié pour ce personnage. Il est abject et à chaque fois que le scénario se pose un peu sur lui, il a perdu un peu d’humanité

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