Les habitants de cette petite ile bretonne font peu cas de l’assassinat d’un archiduc austro-hongrois par un jeune nationaliste serbe. Pêcheurs et paysans se cassent l’échine à la tâche pendant que les femmes entretiennent leurs foyers. Personne ne fait grand cas de cet événement qui s’est produit dans un lieu qu’ils localisent à peine sur la carte du monde. Pourtant, quelques jours plus tard, l’ordre de mobilisation générale est décrété. La première guerre mondiale vient de commencer.
« Aucune île n’est à l’abri des continents imbéciles »
Les hommes âgés de 20 à 50 ans sont appelés sous les drapeaux. Gonflés d’un orgueil patriotique, ils partent au combat. Ils sont plutôt amusés de pouvoir donner une bonne déculottée à ces allemands qui nous ont déclaré la guerre. Dans les esprits, ils reviendront dans quelques semaines, quelques mois tout au plus.
« Ces derniers laissent derrière eux de vieux parents, fiers peut-être, mais inquiets, des femmes ulcérées, des fiancées éplorées, des enfants incrédules… »
L’île se vide. Maël lui ne part pas. Une amertume pour lui. Une fois de plus il est mis à l’écart, rabaissé. Avec son pied-bot qui le handicape, il restera à l’arrière, avec les femmes, les enfants et les vieillards. La vie se réorganise sur l’île. En plus des tâches ménagères, les mains des femmes feront aussi la traite et prendront faux et fourches pour s’occuper des récoltes. Les vieux remontent leurs manches pour les aider. Solidarité.
Maël quant à lui, puisqu’il sait lire, sera chargé de la distribution du courrier. A sa surprise, il constate que cette tâche a un goût grisant de liberté et lui permet de se soustraire à l’autorité brusque de son père. Au fil des jours, il lie connaissances jusqu’à accueillir leurs confidences. Il se révèle habile pour distraire ces dames qui vont se surprendre à l’attendre, à l’apprécier et… à le désirer.
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L’ambiance graphique de Sébastien Morice est trompeuse. Elle nous installe dans un îlot de quiétude et nous berce de doux pastels. Le dessinateur caresse les courbes d’un bout de Bretagne isolé, une enclave baignée de toutes parts par cette immensité bleue dans laquelle le regard se perd. Les ocres de l’automne, les fades gris de l’hiver, les verts gorgés de vie printanière et durant l’été, les jaunes sont délavés à force d’être exposés au soleil. La nature impose aux hommes son rythme. Des formes douces des collines au charme fou des vieilles pierres qui résistent au souffle des vents démontés, on se love là au bord d’un feu de cheminée ou dans les herbes folles d’une nature sauvage. On est loin des affres de la guerre. Sur ce coin de terre, chaque chose a sa place, chacun a son rôle et la vie file ainsi. Tout est quiétude… en apparence du moins.
Car sur ces images idylliques, Didier Quella-Guyot développe un scénario pour le moins surprenant et incisif. Il rentre au cœur de son personnage et montre, page après page, les étapes de sa métamorphose. C’est un jeune homme écorché par la vie qui nous accueille. On assiste à sa lente ouverture aux autres. On mesure à quel point cela modifie son regard sur le monde et lui permet de prendre confiance en lui. Et lorsqu’il en prend conscience, l’innocent garçon se dépouille de sa naïveté aussi rapidement qu’une gourgandine se déleste de ses vêtements. Son nouveau lui procure une énergie qu’il va utiliser de façon malsaine. Il devient fourbe et son attitude stupéfie.
Une intrigue fort bien ciselée, des visuels de toute beauté et une issue aussi inévitable qu’imprévisible.
Merci ma Nouk pour cette délicieuse découverte !
La chronique de Framboise est déjà sur le blog depuis au moins une éternité !!
Facteur pour Femmes (one shot)
Editeur : Bamboo / Collection : Grand Angle
Dessinateur : Sébastien MORICE / Scénariste : Didier QUELLA-GUYOT
Dépôt légal : septembre 2015 / 120 pages / 18,90 euros
ISBN : 978-2-81893-413-5
De bons souvenirs de cette lecture aussi, que je n’avais pas chroniqué à l’époque. Il y a en effet des suprises dans l’intrigue…ce qui ne peut donner envie que de le lire, bien sûr.
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Oui, on se demande en permanence jusqu’où Maël est capable d’aller !
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Oh oui, je suis contente tiens ! Il est surprenant cet album là… j’ai beaucoup aimé ! Ravie que tu aies fait enfin la connaissance de Maël 😊
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Ce n’était pas l’envie qui en manquait mais il y a ça aussi : à un moment donné, quand je vois passer beaucoup de critiques (positives), il faut que je laisse décanter. Trop d’infos sur un titre… ça casse l’effet de surprise. Et dans le cas présent, cela aurait été bien dommage !
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On le garde en mémoire de facteur-là ! Et tu m’as même donné envie d’y retourner…
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Merci 🙂
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Ah mais tu m’as complètement ferré, là ! Je sus bien curieux de savoir comment le petit facteur a profiter de la situation…
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Cool ! 😀 Tu me diras ce que tu en as pensé ? A moins que cette lecture t’ait donné envie de rédiger une jolie chronique 😉
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Chronique, il y aura… Jolie, je ne sais pas… et quand, je ne sais pas plus 🙂
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Et bien je sais être patiente 😉
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Une très belle lecture
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Oui, aussi belle que surprenante ! 🙂
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Après ce billet tentateur, je suis obligée de me le noter!
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