L’Epouvantable Peur d’Epiphanie Frayeur, tome 2 (Gauthier & Lefèvre)

Il y a quatre ans, en refermant « L’épouvantable peur d’Epiphanie Frayeur », j’étais bien loin d’imaginer que cet opus aurait une suite. Alors c’est aussi étonnée que curieuse que j’ai eu envie de plonger dans ce « Temps perdu », second tome de la Saga.

Gauthier – Lefèvre © Soleil Productions – 2020

Six mois ont passé depuis qu’elle a affronté sa plus grande peur. Epiphanie avait peur de son ombre. En acceptant de la regarder en face, elle a dépassé ses angoisses et est désormais prête à affronter la vie plus sereinement.

Mais Epiphanie reste une enfant songeuse. Elle se perd régulièrement dans ses pensées et ressent même de l’angoisse lorsque ses parents veulent organiser une fête pour son anniversaire. Elle doit inviter des amis mais… quels amis !!? Il ne faut pas plus que cette petite pointe de malaise pour que l’ombre d’Epiphanie réapparaisse. Ni une ni deux, prise d’une trop grande émotion, Epiphanie perd connaissance et se réfugie dans son monde intérieur. Elle y retrouve ses amis qui l’attendaient pour lui souhaiter son neuvième anniversaire… et lui montrer le chemin pour combattre cette nouvelle peur qui vient pointer le bout de son nez !

Epiphanie va devoir retourner en enfance pour comprendre pourquoi elle a si peur de se faire des amis.

« Les amis, ça s’apprivoise. »

Nous revoilà donc en compagnie d’Epiphanie Frayeur, une petite fille de neuf ans qui a très peur de grandir et de quitter le cocon familial. L’enfant est pourtant bien consciente qu’elle doit aller de l’avant mais trop introvertie, elle n’ose pas se confier. Secrète et solitaire, Epiphanie Frayeur va donc chercher par ses propres moyens l’origine de ses peurs. Et l’endroit le plus logique qu’elle trouve pour cela est de se réfugier en elle-même et d’y retrouver ses amis imaginaires.

Le postulat de départ de Séverine Gauthier est judicieux, d’autant plus que j’adhère assez à l’idée que nous hébergeons en nous les solutions qui permettent de résoudre les problèmes auxquels nous nous heurtons. Face à ces points de butée, certains s’en remettent à leur instinct tandis que d’autres vont intellectualiser à outrance, peser le pour et le contre et parfois, vont finir par se perdre en circonvolution… Epiphanie Frayeur fait partie de ces derniers. A force de mentaliser, l’enfant se prive de tout un tas de choses : elle n’a pas d’amis, pas de loisirs, pas de jeux de prédilection… Elle se prive de tout ce qui permet à l’enfance d’être une période douce et pétillante. La scénariste place ainsi son personnage sur son échiquier narratif et c’est une fois encore dans l’imaginaire que les clés de compréhension sont à trouver. Le courage dont sa petite héroïne fait preuve donne beaucoup d’élan au scénario. Elle bute mais ne renonce pas… sa vie en dépend. Une quête qui a pour but de parvenir à l’épanouissement personnel.

« Flotter est la raison d’être des enfants. »

L’utilisation de métaphores rendent l’ambiance très douce et poétique mais il faut être un jeune lecteur sacrément futé pour ne pas buter sur les nombreuses images verbales qui sont présentes dans la narration. Heureusement, le travail d’illustration de Clément Lefèvre vient nous prêter main forte. A l’aide de clins d’œil appuyés à différentes références de la culture populaire enfantine *…

* [la petite Alice de Lewis Carroll mais aussi des personnages de contes comme celui de Pinocchio, des références aux Animés (Astro, Gigi, Goldorak… ou des personnages de Miyazaki) mais aussi pêle-mêle : les Gremlins, le Muppet Show, Casimir… il n’est pas possible de tous les énumérer !]

L’Epouvantable Peur d’Epiphanie Frayeur, tome 2 – Gauthier – Lefèvre © Soleil Productions – 2020

… , le dessinateur crée un monde imaginaire d’une grande richesse. Le lecteur se sent en terrain familier et peut ainsi se laisser porter sereinement par le récit. On s’égare dans les illustrations par moments, on se régale de laisser notre œil fureter dans les visuels car ici, prendre le temps de contempler certaines cases, c’est aussi voyager dans le terrain connu de notre propre enfance.

Séverine Gauthier parvient parfaitement à transmettre l’idée que grandir, c’est parvenir à dépasser certaines étapes. Un tome beaucoup plus alerte que le précédent. Un régal d’album jeunesse !

L’Epouvantable Peur d’Epiphanie Frayeur

Tome 2 : Le Temps perdu

Editeur : Soleil / Collection : Métamorphose

Dessinateur : Clément LEFEVRE / Scénariste : Séverine GAUTHIER

Dépôt légal : octobre 2020 / 80 pages / 18,95 euros

ISBN : 97823020897304

Aliénor Mandragore, tome 3 (Gauthier & Labourot)

Gauthier – Labourot © Rue de Sèvres – 2017

Merlin est mort. Aliénor, sa fille, a eu beau tenter de le ramener à la vie grâce à un sortilège, la fée Morgane a eu beau chercher à le faire passer de trépas à vie, les éléments s’enchaînent et Merlin ne revit que quelques heures avant de passer de vie à trépas. Et cette situation n’est pas pour déplaire à l’Ankou qui veille sur ses ouailles avec une grande attention et est déterminé à amener Merlin où il doit être : au royaume des morts !
Mais Merlin, ou du moins son fantôme, ne l’entend pas de cette oreille et Aliénor fait tout ce qui est en son pouvoir pour trouver un nouveau sort de résurrection. En attendant le moment où tous les ingrédients seront réunis, il reste à comprendre ce qui a provoqué le terrible tremblement de terre du second tome. Aliénor et le jeune Lancelot étaient au cœur de l’épicentre du séisme et se rappellent encore lorsque le sol s’est dérobé sous leurs pieds, les faisant échouer brutalement dans un cimetière de dragons. Ils ont accepté de montrer le lieu à Morgane et Merlin afin que ces derniers puissent y récupérer quelques ingrédients magiques et dissimuler l’entrée aux yeux des simples mortels.
En chemin ils croisent l’Ankou. A la surprise de tout le monde, ce n’est pas Merlin qu’il emmène au royaume des morts… mais Aliénor. La jeune fille a tôt fait de comprendre qu’elle a été parachutée sur Avalon. Reste à comprendre pour quelle raison l’Ankou s’est saisie d’elle.

Le moins que l’on puisse dire c’est que ce tome remue et que l’intrigue saute de rebondissement en rebondissement. Séverine Gauthier propose un scénario retors qui pique la curiosité du lecteur. Du coup, il faut tout de même beaucoup d’explication pour permettre au lecteur de se situer, d’appréhender les références qui sont faites à la légende arthurienne et pour comprendre un tant soit peu les tenants et les aboutissants de l’intrigue. Les personnages sont plus bavards que dans les deux tomes précédents et certaines planches sont assez verbeuses. Une fois n’est pas coutume pour un album jeunesse, je ne suis pas parvenue à le lire d’une traite (contrairement à mon fils de 11 ans). Mais lui aussi reconnait que cet album est plus compliqué pour autant, cela n’a pas d’impact sur le plaisir qu’on a à découvrir ce récit. On termine l’album en dévorant les six pages de « L’écho de Brocéliande », la gazette des habitants de Brocéliande. Pour le lecteur, c’est l’occasion de combler ses lacunes sur certains personnages du cycle arthurien ou sur la mythique Avalon.

Les dessins de Thomas Labourot montrent toute l’espièglerie des personnages. Excepté le personnage de Lancelot enfant, les autres protagonistes sont tout de même de joyeux fiers-à-bras et les illustrations mettent en valeur toute la malice de ces individus. Les couleurs ludiques permettent de décaler les choses, de diffuser de la bonne humeur malgré la mauvaise foi évidente de certains. C’est très agréable à l’œil, on savoure les détails graphiques (l’auteur s’éclate à détailler la flore notamment) tout autant que les rares planches muettes que l’on accueille comme des respirations.

C’est potache, ironique et plein d’entrain. Encore une fois, on referme l’album avec cette envie de lire le prochain tome (il faut dire que le dénouement de ce troisième opus est assez inattendu !).

Egalement sur le blog : tome 1 et tome 2.

Aliénor Mandragore

Tome 3 : Les Portes d’Avalon
Série en cours
Editeur : Rue de Sèvres
Dessinateur : Thomas LABOUROT
Scénariste : Séverine GAUTHIER
Dépôt légal : juin 2017
48 pages, 12 euros, ISBN : 978-2-36981-448-1

Bulles bulles bulles…

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Aliénor Mandragore, tome 3 – Gauthier – Labourot © Rue de Sèvres – 2017

Chroniks Expresss #28

Des restes de novembre…

Bandes dessinées : Le Problèmes avec les Femmes (J. Fleming ; Ed. Dargaud, 2016), Aliénor Mandragore, tome 2 (S. Gauthier & T. Labourot ; Ed. Rue de Sèvres, 2016), Sweet Tooth, volume 2 (J. Lemire ; Urban Comics, 2016).

Romans : Le nouveau Nom (E. Ferrante ; Ed. Gallimard, 2016), Hors d’atteinte ? (E. Carrère ; Ed. Gallimard, 2012), Au sud de nulle part (C. Bukowski ; Ed. Le Livre de poche, 1982), Garden of love (M. Malte ; Ed. Gallimard, 2015), De nos frères blessés (J. Andras ; Ed. Actes Sud, 2016), Le vieux Saltimbanque (J. Harrison ; Ed. Flammarion, 2016).

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Bandes dessinées

 

Fleming © Dargaud – 2016
Fleming © Dargaud – 2016

Une lecture libre du sexisme et de la domination masculine. Le propos est un peu acide et à prendre au second degré. On revisite l’Histoire en se concentrant sur la place de la femme dans la société au travers des siècles. Puisqu’elle n’a pas eu son mot à dire pendant longtemps, nous voilà donc en mesure d’en tirer des conclusions… l’auteur pioche allègrement des morceaux choisis dans des citations d’hommes célèbres.

Comme disait Ruskin : L’intelligence de la femme n’est ni inventive ni créative… Sa grande fonction est la louange

A force d’obstination, on voit comment les femmes sont parvenues à changer les mentalités et à obtenir de (très) petits acquis, comme celui d’étudier.

De temps à autre, une femme apprenait une langue étrangère, partait étudier à l’étranger et revenait avec un diplôme de médecin, mais tout ça ne prouvait rien excepté que laisser les femmes sortir à leur guise, ça ne fait que des problèmes

Un humour « so british », pince-sans-rire, qui revisite l’histoire de la femme et l’évolution de sa place dans la société. Quelques figures célèbres sont mentionnées à titre d’exemples farfelus : ainsi, l’expérience d’Anne-Marie de Schurman vient corroborer le fait que les études accélèrent la chute des cheveux des femmes. Les références faites à d’illustres figures féminines sont souvent atypiques [tel est le cas d’Eliza Grier (première femme noire qui a obtenu du diplôme de médecin), de la mathématicienne Emmy Noether ou d’Annie Oakley célèbre pour sa précision au tir…] et renforce le ton burlesque du récit. L’auteur y associe un dessin un peu brut, austère et un univers visiblement ancré dans le XVIIIème siècle [vu le « look » des personnages], s’aidant ainsi du côté dépouillé des illustrations pour renforcer le comique de situation. C’est cinglant voire cynique.

En 1896, un homme nommé baron de Coubertin remit les Jeux Olympiques au goût du jour. Vous avez probablement entendu parler de lui à l’école. C’était un génie. Il disait que le spectacle de femmes essayant de jouer à la balle serait abject, mais qu’elles paraissaient plus naturelles si elles applaudissaient.

Jacky Fleming épluche au burin les clichés et se moque des différents arguments qui – pendant plusieurs siècles – ont relégué la femme à un rôle bassement domestique. Réalisé par une femme, cet album prête à sourire. Détente garantie.

La fiche de présentation de l’album sur le site de l’éditeur.

 

Gauthier – Labourot © Rue de Sèvre – 2016
Gauthier – Labourot © Rue de Sèvre – 2016

« Rien ne va plus à Brocéliande : les grenouilles s’agitent, annonciatrices d’une catastrophe, Merlin est toujours fantôme et ne veut pas revenir à la vie, tandis Aliénor, effrayée, ne cesse de voir l’Ankou… quand revient Viviane, la fée du Lac. Elle délivre à Lancelot et Aliénor une mystérieuse prophétie, qui va les guider sur les traces de l’Ankou, loin de la forêt. » (synopsis éditeur).

Après un petit rappel des faits du tome précédent, on repart de plus belle dans cette aventure loufoque. Séverine Gauthier explore la légende de Merlin l’Enchanteur en y apportant une touche de dingueries. Les personnages ne se prennent pas au sérieux et leurs répliques cinglantes sont pleines d’humour. Aliénor est entièrement consacrée à sa quête (re-redonner vie à Merlin) et embarque tout le monde dans son périple. Ce que Séverine Gauthier a fait de ces personnages mythiques vaut le détour. Lancelot est un enfant peureux, la fée Viviane est une godiche, la fée Morgane est détestablement autoritaire et refuse d’avouer qu’elle a un faible pour l’acariâtre et têtu Merlin.

Le travail de Thomas Labourot nous invite à nous installer dans cet univers ludique. Couleurs lumineuses, trognes expressives, gros plans pour ne pas perdre une miette de l’action.

PictoOKChouette adaptation de la légende du roi Arthur qui d’ailleurs, pour le moment, est le grand absent de cette série jeunesse. L’ouvrage se termine par un petit fascicule de six pages et nommé « L’Echo de Brocéliande » qui contient des billes supplémentaires pour mieux connaître le monde d’Aliénor.

La chronique de Jérôme.

 

Lemire © Urban comics – 2016
Lemire © Urban comics – 2016

« La fin du monde n’était que le début d’un long voyage pour le jeune Gus, désormais conscient que le sang qui coule dans ses veines pourrait bien être la clé d’un futur possible pour l’Humanité. Maintenu en détention par une milice armée et sans pitié, le jeune garçon devra compter sur l’aide d’un Jepperd avide de vengeance. Ce dernier saura-t-il s’associer aux bonnes personnes ? Car une fois libérées, certaines forces peuvent rapidement devenir incontrôlables » (synopsis éditeur).

Alors que le premier volume de la série prenait le temps d’installer intrigue et personnages de cet univers post-apocalyptique et nous laissait incertains quant aux chances de survie des différents protagonistes, ce second volume ose un rebondissement inespéré et relance ainsi l’épopée. Pour rappel : il y a 8 ans, un nouveau virus se propage. Rapidement, aux quatre coins du globe, les gens meurent dans d’atroces souffrances. Consécutivement à cela, les femmes enceintes mettent au monde des enfants mutants, mi-hommes mi-animaux, qui – pour une raison inexpliquée – semblent immunisés contre la maladie. Un homme décide alors de mettre en place un camp qu’il présente comme un lieu où les survivants peuvent vivre en toute sécurité ; sa milice veille à leur sécurité. La réalité est toute autre puisqu’une fois arrivés sur place, les malheureux sont violentés, parqués dans des cages et utilisés comme cobaye pour les recherches du Docteur Singh qui espère ainsi trouver un vaccin contre le fléau qui décime l’humanité. C’est dans ce camp de l’horreur que la femme de Jepperd meurt en même temps que l’enfant qu’elle portait et c’est dans ce même camp que Jepperd livre Gus – l’enfant-cerf – monnaie d’échange qui lui permet de récupérer le corps de sa compagne. Mais pris de remords, Jepperd mettra tous les moyens en œuvre pour sortir Gus de ce tombeau à ciel ouvert.

Jeff Lemire imagine un scénario catastrophe. Ce récit d’anticipation, post-apocalyptique, nous permet de côtoyer des personnages troublants. Leur fragilité est réelle face à un quotidien qui les dépasse. Ils luttent à chaque instant pour leur survie. Ils hésitent, se méfient, doutent puis finalement acceptent de faire confiance à l’inconnu qui leur tend la main, espérant ainsi profiter d’une aubaine, espérant que la chance tourne… enfin.

Le scénariste crée un monde sans pitié, cruel, où toutes les déviances humaines sont à l’œuvre. Des communautés sauvages se constituent et créent leurs propres lois. La terre est devenue une jungle où le danger est partout. L’homme solitaire est une proie, une cible sur laquelle on peut se défouler. Les fanatiques, les hommes peu scrupuleux et avides de pouvoir ont là un terrain de jeu inespéré. Il n’y a plus de limite qui vient contenir leur folie ; ils prennent ainsi le dessus sur les plus faibles, les manipulent, deviennent les rois de micro-territoires sordides.

Dans ce contexte, un groupe hétérogène se forme. En son sein, quatre adultes, une adolescente et trois enfants mutants. Ensemble, ils vont tenter de rejoindre l’Alaska ; le virus aurait été créé là-bas, dans un laboratoire. Sur place, le groupe devrait trouver la solution pour l’éradiquer ainsi que les réponses quant aux origines de Gus. Une promesse à laquelle ils se raccrochent. Ils s’engagent à corps perdue dans cette quête insensée.

PictoOKUn moyen de revisiter l’Histoire de l’Humanité grâce à la métaphore, une manière d’imaginer un scénario catastrophe, une opportunité de réfléchir aux fondements de différentes croyances. La présence de visions et de prémonitions qui viennent saupoudrer le tout d’un soupçon de paranormal. Tout est inventé mais Jeff Lemire exploite si bien les émotions et les peurs de ses personnages que l’on fait cette lecture la peur au ventre, pris dans les mailles du récit. Je vous invite vraiment à découvrir cette série si ce n’est pas déjà fait.

La chronique de José Maniette.

 

Romans

 

Ferrante © Gallimard – 2016
Ferrante © Gallimard – 2016

« Naples, années soixante. Le soir de son mariage, Lila comprend que son mari Stefano l’a trahie en s’associant aux frères Solara, les camorristes qui règnent sur le quartier et qu’elle déteste depuis son plus jeune âge. Pour Lila Cerullo, née pauvre et devenue riche en épousant l’épicier, c’est le début d’une période trouble : elle méprise son époux, refuse qu’il la touche, mais est obligée de céder. Elle travaille désormais dans la nouvelle boutique de sa belle-famille, tandis que Stefano inaugure un magasin de chaussures de la marque Cerullo en partenariat avec les Solara. De son côté, son amie Elena Greco, la narratrice, poursuit ses études au lycée et est éperdument amoureuse de Nino Sarratore, qu’elle connaît depuis l’enfance et qui fréquente à présent l’université. Quand l’été arrive, les deux amies partent pour Ischia avec la mère et la belle-sœur de Lila, car l’air de la mer doit l’aider à prendre des forces afin de donner un fils à Stefano. La famille Sarratore est également en vacances à Ischia et bientôt Lila et Elena revoient Nino. » (synopsis éditeur)

Suite de « L’Amie prodigieuse » (vous trouverez également la chronique de Framboise ici), ce nouveau roman d’Elena Ferrante continue le récit de vie d’Elena Greco. Si le premier opus s’attardait sur l’enfance du personnage et sur son amitié si particulière et si précieuse avec Lila Cerullo, nous nous arrêtons cette fois sur la période qui couvre la fin de l’adolescence et l’entrée dans l’âge adulte. L’auteur raconte, sur le ton de la confidence et du journal intime, le parcours de vie des deux protagonistes. Depuis le début de la saga, la romancière montre à quel point ces deux destinées sont intimement liées, comme si l’une ne pouvait vivre sans l’autre et réciproquement. Passée la polémique qui, pendant le mois de septembre 2016, a révélé le vrai nom de l’écrivain – puisque « Elena Ferrante » est un nom de plume – je ne peux m’empêcher de penser que cette saga est signée du nom du personnage principal et que va surgir, tôt ou tard, un certain Monsieur Ferrante qui demandera Elena Greco en mariage. J’avais déjà cette idée lorsque j’ai découvert « L’Amie prodigieuse » et l’idée a pris racine.

PictoOKReste que, face à ce récit, on est fasciné, comme aspiré par le tourbillon des événements qui viennent perturber la tranquillité à laquelle les deux femmes aspirent pourtant. Au-delà de ces portraits féminins, c’est aussi un superbe tableau de la société italienne des années 1960. Mafia, corruption, pauvreté, cercles estudiantins, classes sociales… « Celle qui fuit et celle qui reste », le troisième roman de cette saga, devrait paraître chez Gallimard en janvier 2017. J’ai hâte !

 

Hors d’atteinte ? –

Carrère © Gallimard – 2012
Carrère © Gallimard – 2012

L’ouvrage commence par une soirée qui s’annonce d’avance catastrophique. Frédérique, une enseignante, et Jean-Pierre, le père de son fils dont elle est séparée, ont prévu d’aller voir un film. La baby-sitter arrivant en avance, la réservation d’un taxi s’annonçant plus ardue que prévu, la file d’attente interminable devant le cinéma… Frédérique constate avec amertume qu’elle préférerait être n’importe où… mais ailleurs… et pas avec son ex.

Pas moins de cinq chapitres seront nécessaires pour décrire cette looongue soirée entre deux anciens conjoints. J’avoue, j’ai sauté des paragraphes mais je n’ai pas raté l’information nous précisant qu’ils passeront les prochaines vacances de la Toussaint chez la sœur de madame. Quoi qu’il en soit, on repère les éléments à avoir à l’esprit : elle n’a plus de sentiment pour lui voire il l’agace quant à lui, il est chiant mais bienveillant à l’égard de son ex-compagne. Et pour des parents séparés, ils passent tout de même pas mal de temps ensemble.

« Ne vivant plus ensemble, ils n’avaient pas pour autant renoncé à ce qu’ils estimaient être devenu, l’orage de la rupture passé, une satisfaisante et durable amitié amoureuse »… vous m’en direz tant !

Sautons encore quelques insipides chapitres (consacré à la description du quotidien morose et routinier de madame) pour en arriver à ces fameuses vacances d’automne, chez la riche sœur de madame. Cette dernière étant enceinte, Emmanuel Carrère ne nous épargnera ni la sempiternelle discussion sur le choix du prénom de l’enfant à venir ni les clichés sur tel ou tel prénom. Au chapitre 8, on arrive enfin au cœur du sujet : les protagonistes (Frédérique et son ex, la sœur de Frédérique et son mari) se rendent au casino durant une balade. Et là, le démon du jeu attrape cette femme, la réchauffe, l’anime bref… ramène à la vie cette femme sans saveur. Passés ces préliminaires (une soixantaine de pages), le récit commence effectivement. On sent que les présentations sont terminées et l’on se concentre davantage sur cette femme plutôt que sur ce qui l’entoure. Observer, écouter, ressentir, sentir l’adrénaline monter… voilà que la plume du romancier vibre enfin. On sent les émotions, les hésitations, la griserie, la liberté…

Une sorte d’anonymat lui semblait protéger les hôtes du casino, brouiller les procédures familières d’identification et de classement. On n’était plus personne devant le tapis vert, plus qu’un joueur en possession d’un certain nombre de jetons.

On sent l’exaltation et le pouvoir d’attraction de la table de jeu. La roulette et la course fascinante de la boule sur le cylindre. On sent l’obstination à ne pas regarder la réalité en face.

Le brouhaha (…) de la salle de jeu, manquait soudain à Frédérique. Elle se sentait grise, la tête chaude, dans un de ces états d’excitation et de lassitude mêlées dont on serait en peine de décider s’ils sont agréables ou pénibles.

Le jeu et son univers particulier, ses codes, ses manies, son jargon. Le jeu qui envahit progressivement tous les champs de la vie de Frédérique, comme une pensée qui l’obnubile.

La buée de leurs paroles formait devant eux comme des bulles de bande dessinée où se seraient inscrits des souvenirs de parolis retentissants

PictomouiReste la présence de quelques paragraphes intermédiaires nous ramenant brutalement au quotidien, dont on peut déplorer la (relative) longueur et le contenu parfois assez fade. Mais Emmanuel Carrère resserre de plus en plus sur son sujet à mesure que l’on s’approche du dénouement. L’héroïne s’en remet totalement à la chance, se laisse porter. La tête lui tourne. Martingale, Manque, rouge, noir, impaire, Passe… tout ce charivari de stimuli provoqués par le jeu convergent vers un unique fantasme : l’appât du gain. L’observation de l’addiction au jeu est intéressante à observer. La fin en revanche est trop convenue comparée aux frasques et aux déboires décris par l’intrigue.

 

Bukowski © Le Livre de poche – 1982
Bukowski © Le Livre de poche – 1982

Recueil de nouvelles, où l’on découvre notamment un jeune étudiant américain qui défend les idées nazies sans juger bon de s’intéresser un tant soit peu aux idées qu’elle véhicule, une femme qui répond à une annonce matrimoniale placardée sur la porte d’une voiture, des lilliputiens lubriques, une cette idylle entre une occidentale et un cannibale… et ce fil rouge incarné par Henry Chinaski, double & alter-égo voire incarnation même de Charles Bukowski. Chinaski, personnage récurrent des oeuvres de l’auteur, Chinaski qui incarne ses fantasmes, ses doutes, ses faiblesses, sa part d’ombre…

Un roman dans lequel j’ai butiné, au début, parvenant difficilement à me poser dans un récit, le ton adéquat de chaque nouvelle toujours trop bon mais toujours trop court… désagréable sensation que l’on me retire le pain de la bouche. Je sais pourtant parfaitement bien que ce format ne me convient absolument pas, mais s’agissant d’une œuvre de Charles Bukowski, je me refusais d’abandonner. Puis, le déclic, à force d’insister.

On est en tête-à-tête avec Charles Bukowski ou plutôt, avec son double de papier, son jumeau : Henry Chinaski.  Projection de lui-même, alter égo…  La plume incisive et directe de l’auteur, les ambiances qu’il parvient à installer en quelques mots, les maux qu’il instille au cœur des mots, son regard à la fois courroucé et attentif le conduit à construire des personnages désabusés, à vif… des hommes et des femmes désabusés qui tentent de donner un sens à leur vie.

PictoOKOn y retrouve les sujets de prédilections et des affinités que l’auteur utilise pour donner vie à ses personnages. L’alcool, le jeu, la précarité, le sexe, la haine, le nazisme. Le style de Bukowski est direct, son écriture vient des tripes, elle peut être vulgaire. On sent le stupre, les vapeurs d’alcool et les relents de tabac froid mais aussi la peur, la rage, l’abandon. Fort.

Extrait :

« (…) fallait être un gagnant en Amérique, y’avait pas d’autre moyen de s’en sortir, fallait apprendre à se battre pour rien, sans poser de question » (Charles Bukowski dans « Confessions d’un homme assez fou pour vivre avec les bêtes »)

 

Malte © Gallimard – 2015
Malte © Gallimard – 2015

« Il est des jardins vers lesquels, inexorablement, nos pas nous ramènent et dont les allées s’entrecroisent comme autant de possibles destins. À chaque carrefour se dressent des ombres terrifiantes : est-ce l’amour de ce côté ? Est-ce la folie qui nous guette ? Alexandre Astrid, flic sombre terré dans ses souvenirs, voit sa vie basculer lorsqu’il reçoit un manuscrit anonyme dévoilant des secrets qu’il croyait être le seul à connaître. Qui le force à décrocher les ombres pendues aux branches de son passé ? Qui s’est permis de lui tendre ce piège ? Autant de questions qui le poussent en de terrifiants jardins où les roses et les ronces, inextricablement, s’entremêlent et dont le gardien a la beauté du diable… » (synopsis éditeur).

Un roman qui demande un peu de concentration puisque différents récits se chevauchent, tantôt ancrés dans le présent, tantôt ancrés dans le passé. Charge au lecteur de remettre les éléments à la bonne place.

Un roman prenant, où l’on s’engouffre dans l’intrigue et on se laisse prendre à la gorge par le suspense. On suppose, on croit deviner le dénouement… du moins c’est ce que Marcus Malte nous laisse miroiter.

PictoOKMeurtres, fantasmes, amitié, manipulation, folie et deuil… Tout s’imbrique tellement bien, tout se tient, toute est certitude fragile, tout est mis en balance. L’extrait d’un poème de William Blake revient régulièrement dans cette intrigue, laissant planer l’image d’un cimetière, de la mort qui rôde, de l’assassin qui veille sur sa victime et s’assure qu’il la tient entre ses serres de prédateurs.

Je n’en dirai pas plus. Rien de sert de dévoiler l’intrigue si vous n’avez pas lu ce roman.

 

De nos frères blessés –

Andras © Actes Sud – 2016
Andras © Actes Sud – 2016

« Alger, 1956. Fernand Iveton a trente ans quand il pose une bombe dans son usine. Ouvrier indépendantiste, il a choisi un local à l’écart des ateliers pour cet acte symbolique : il s’agit de marquer les esprits, pas les corps. Il est arrêté avant que l’engin n’explose, n’a tué ni blessé personne, n’est coupable que d’une intention de sabotage, le voilà pourtant condamné à la peine capitale. » (extrait synopsis éditeur).

Un roman très prenant qui revient sur les dernières semaines de vie de Fernand Iveton. Joseph Andras a choisi de donner la parole à Fernand. Deux temps de narration pour ce récit, deux périodes. Au cœur du témoignage, Fernand : le narrateur.

Le personnage parle du présent, de ce qu’il vit depuis l’arrestation : sa garde à vue et les sévices qu’il a subit, la torture pour lui faire avouer son acte, lui extirper les noms de ses collaborateurs, le chantage puis l’incarcération. Une procédure judiciaire qui piétine, qui hésite, qui divise l’opinion publique comme les magistrats. Mais les ordres viennent de très haut. Ils viennent de France. Le verdict tombe le 21 novembre 1956. La peine de mort est demandée. Fernand espère être gracié. René Coty suit le dossier de près.

Le personnage parle du passé. Une vie qui semble commencer avec la rencontre avec Hélène. Coup de foudre. Elle deviendra sa femme.

Deux vies pour un homme : celle de détenu. Certains le traiteront de terroriste. D’autres acclameront le camarade idéal, dévoué à la cause du Parti, intègre, fiable.  L’autre vie, c’est sa vie d’homme, d’ami et de mari.

Joseph Andras alterne ces deux temps, ces deux chronologies. L’une grave l’autre pleine de vie. L’une porteuse d’espoir l’autre limitée à l’espace d’une cellule. Il montre comment Iveton a été utilisé par le pouvoir en place. Son arrestation est tombée en pleine période de troubles (règlements de compte, assassinats, guerre en Algérie, action du FLN…). La tension. Iveton sert d’exemple. Le gouvernement français veut rétablir l’ordre.

Un chapitre dans le présent, la prison et les compagnons de cellule. Un chapitre dans le passé et la relation avec Hélène qui s’installe. Passé, présent. Une alternance. Prison, sentiments. La régularité.

PictoOKOn rage. On rit. On est sidéré. On est emporté. Une alternance. Prison, sentiments. On s’attendrit, on baisse la garde malgré la fin inévitable. Malgré l’inévitable fin. Celle que l’on connait. Il faut forcer un peu pour trouver le bon rythme de lecture, trouver la bonne intonation à mettre sur la voix du narrateur. Une fois qu’on est réglé sur la bonne fréquence, il est difficile de lâcher l’ouvrage.

La chronique de Framboise.

 

Harrison © Flammarion – 2016
Harrison © Flammarion – 2016

« Dans l’avant-propos de ce dernier livre publié début mars 2016 aux états-Unis, moins d’un mois avant sa mort, Jim Harrison explique qu’il a décidé de poursuivre l’écriture de ses mémoires sous la forme d’une fiction à la troisième personne afin d’échapper à l’illusion de réalité propre à l’autobiographie.
Souvenirs d’enfance, mariage, amours et amitiés, pulsions sexuelles et pulsions de vie passées au crible du grand âge, célébration des plaisirs de la table, alcools et paradis artificiels, Jim Harrison, par la voix d’un écrivain en mal d’inspiration, revient sur les épisodes les plus saillants de sa vie. » (synopsis éditeur).

Appâtée par la chronique de Jérôme, il me tardait de lire ce roman-témoignage. Jim Harrison regarde dans le rétroviseur et fait le bilan de sa vie… en quelque sorte. L’écriture à la troisième personne passe à la première sans qu’on s’en aperçoive. Récit d’un grand auteur qui n’a jamais réellement compris son talent, encore moins ce que les gens pouvaient trouver à ses livres. Son lectorat, il l’a trouvé en France, à son grand étonnement.

Il parle de sa vie de tous les jours, de sa femme, de la relation qu’il a avec sa femme, de ses travers, de l’alcool, de son enfance, de ses cochons (il parle plus de ses cochons qu’il ne parle de ses filles). Il parle de son œil aveugle, des vaines tentatives pour le réparer. Il parle de son rapport à l’écriture, à la nature, aux femmes. De son penchant pour l’alcool, la bonne bouffe, le luxe, les excès. Il a écrit ce livre puis pfuuuutttt, il est décédé. Point final. Un mois, tout au plus, sépare ces deux moments. Un témoignage où il se livre sans fard et sans apparats. Un ton direct, un regard lucide, une autocritique cinglante ; il ne rate aucun de ses défauts… lucide… cynique… drôle.

Un livre assez court vu son parcours. Des mémoires. Un livre dévoré… la première moitié du moins. Puis la lassitude. L’intérêt s’est évaporé doucement. J’ai commencé à m’ennuyer un peu… puis plus fermement sur les deux derniers chapitres.

L’Epouvantable Peur d’Epiphanie Frayeur (Gauthier & Lefèvre)

Gauthier – Lefèvre © Soleil Productions – 2016
Gauthier – Lefèvre © Soleil Productions – 2016

Épiphanie a 8 ans ½ et elle a peur de son ombre. Par je ne sais quel miracle, cette fillette se retrouve toute seule dans une forêt surprenante, peuplée d’êtres aussi mystérieux que bienveillants. Epiphanie se lance dans une quête : celle de parvenir à trouver le moyen de se débarrasser de sa peur qui la hante depuis toujours.

– Aaahhh !!! Vous m’avez fait peur ! Qu’est-ce que c’est que ça ?
– Ma peur justement.
– On dirait votre ombre.
– Oui, j’ai peur de mon ombre.

« Garance », « Cœur de pierre », « Aliénor Mandragore »… les scénarios de Séverine Gauthier m’ont déjà emportés plusieurs fois. Mes enfants aussi ont succombé à ses histoires. Ces dernières les captivent, les font rire, les émeuvent. Des livres qui ne laissent pas indifférents, qui apportent cette satisfaction rare d’avoir vécu un moment de lecture qui laissera une trace. Des livres vers lesquels on revient, que l’on relit et à chaque nouvelle découverte, on savoure… encore et encore.

Séverine Gauthier propose une réflexion sur un sujet qui touche de nombreuses personnages, adultes et enfants confondus : la peur viscérale que l’on nourrît vis-à-vis de quelque chose et dont, souvent, on en ignore la cause réelle. Ce genre de peur qui nous grignote, insidieusement, et finit par envahir totalement l’esprit. La peur qui grandit et devient phobie. La phobie qui fige, qui empêche de vivre les choses, qui frustre, qui paralyse…

La scénariste installe facilement la fillette au cœur de cette fable contemporaine. Les illustrations de Clément Lefèvre campent pourtant l’histoire au beau milieu d’une forêt généreuse, où les hautes cimes se substituent à l’architecture austère des villes. L’ambiance graphique donne vie à ce décor apaisant… en apparence, car Epiphanie est terrorisée. Tout est contraste mais on se sent bien dans ce dédale de sentiers forestiers. On mesure à chaque page toute l’ambiguïté de la phobie d’Epiphanie. Les auteurs jouent avec l’électricité créée par cette rencontre entre la tension intérieure de l’enfant et les vertus apaisantes de la nature. En parallèle, l’héroïne joue elle aussi de ses ambivalences ; elle cherche à la fois à se débarrasser de ce qui la gêne mais elle y est si habituée… qu’elle s’est finalement attachée à cette ombre encombrante. Sa peur fait partie d’elle, de sa personnalité. On perçoit une autre peur sournoise qui la fait hésiter, un doute immense : qui sera-t-elle lorsqu’elle sera « guérie » ?

Par ailleurs, chaque étape de cette épopée nous permet de rencontrer de nouveaux personnages ; certains ont dépassé leurs peurs, d’autres les ont laissé prendre de l’ampleur. L’héroïne, en toute innocence, va leur permettre de témoigner voire de se confier quant à ces peurs inavouées… honteuses. Difficile de ne pas rire en découvrant des phobies totalement loufoques. Difficile de ne pas s’attendrir en observant cette entraide tacite qui se met en place. Les plus forts viennent en aide à ceux qui sont en difficulté et leur montrent les différents choix qui sont à leur portée. Séverine Gauthier ne formule aucun jugement, elle construit son récit à l’aide de métaphores qui laissent au lecteur toute la liberté de s’approprier les choses à sa guise. Avec la présente du docteur Psyché (psychiatre), Séverine Gauthier montre que la parole est libératrice. Au final, l’auteur est parvenu à créer un récit initiatique drôle, magique et surprenant.

Initialement, je n’avais pas envisagé de proposer cet album à mon fils. A 10 ans, je le trouve encore un peu jeune pour ce genre de sujet. Pourtant, j’ai cédé face à ses demandes insistantes. Et si je n’ai pas accompagné sa première lecture, nous en avons parlé dès qu’il a fermé l’album… puis nous l’avons relu ensemble. Cet album peut-être un bon support pour parler des peurs (enfantines) à son enfant ou – car c’est valable dans l’autre sens – pour permettre à son enfant de parler de la peur quelle que soit sa raison. Que ce dernier le lise seul ou en compagnie du parent, il fait rapidement des liens avec son environnement direct ; il fait le parallèle avec des peurs concrètes (la peur d’aller à l’école, la peur du noir…) ou plus cocasses (en cela, la lecture du petit lexique – donnant la définition de phobies loufoques croisées dans l’album – inséré en fin d’album invite à imaginer des peurs imaginaires et, au final, à dédramatiser les choses… au point de rire de ses propres peurs ! Un must !).

PictoOK

Superbe conte moderne, « L’Epouvantable peur d’Epiphanie Frayeur » raconte le combat d’une fillette pour surmonter ses angoisses. Dans son périple, elle sera amenée à rencontrer des personnages éclectiques (du psychiatre au « preux chevalier sans peur »). Des influences de toutes parts enrichissent l’histoire ; créatures légendaires, voyante et gentils monstres peuplent cet univers surprenant et Ôh combien fascinant.

Pour plusieurs raisons (le thème de la peur, le dessin), cet album m’a fait penser au superbe « Cœur de l’ombre » (de Laura Iorio, Marco D’Amico et Roberto Ricci paru chez Dargaud en début d’année). Les deux albums se répondent à merveille.

Tentée par Moka et je vous invite bien évidemment à lire sa chronique.

Extrait :

« Pourquoi tu fais ça ? Tu prends toujours tellement de place. Je n’arrive plus à respirer. Tu ne me laisses jamais respirer. Tu dois t’en aller. Tu dois me laisser. Tu me fais mal » (L’Epouvantable peur d’Epiphanie Frayeur).

L’Epouvantable peur d’Epiphanie Frayeur

One shot

Editeur : Soleil

Collection : Métamorphose

Dessinateur : Clément LEFEVRE

Scénariste : Séverine GAUTHIER

Dépôt légal : octobre 2016

90 pages, 18,95 euros, ISBN : 978-2-3020-5385-4

Bulles bulles bulles…

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L’Epouvantable peur d’Epiphanie Frayeur – Gauthier – Lefèvre © Soleil Productions – 2016

Aliénor Mandragore (Gauthier & Labourot)

Gauthier – Labourot © Rue de Sèvres – 2015
Gauthier – Labourot © Rue de Sèvres – 2015

« ‟ La légende dit qu’au moment où l’on déterre une racine de mandragore, elle pousse un cri si puissant qu’il tue le premier être vivant qui l’entend. ”

Dans la paisible forêt de Brocéliande, la jeune Aliénor suit l’enseignement druidique de son père l’enchanteur Merlin… jusqu’au jour où le grand magicien est tué, terrassé par le terrible cri d’une racine de Mandragore. Mais le fantôme de Merlin n’entend pas rester mort bien longtemps et ce sera à sa fille de le tirer d’affaire. » (quatrième de couverture).

Séverine Gauthier (« Aristide broie du noir », « Cœur de pierre »…) et Thomas Labourot avec qui la scénariste avait déjà travaillé sur  « Mon Arbre », « Garance »… difficile de passer à côté de cette publication.

L’album s’ouvre sur une double page consacrée à la présentation des personnages principaux : Merlin l’Enchanteur (vieux chnoque caractériel), Aliénor (la fille de Merlin), la fée Morgane (qui est au moins aussi grincheuse que Merlin… mais beaucoup plus maline), Viviane (pour qui Merlin a le béguin mais ce n’est visiblement pas réciproque) et le jeune Lancelot (apprenti chevalier).

Cet univers est d’une fraicheur redoutable. Il nous emmène au cœur de la forêt de Brocéliande où le lecteur espère trouver un moyen de ressusciter Merlin d’entre les morts. Le temps presse, d’autant que l’Ankou veille au grain ! Séverine Gauthier nous offre une plongée dans les légendes bretonnes et agrémente cette quête de quelques sortilèges, potions magiques et Magie en tout genre. On saute de rebondissements en retournements de situations avec bonne humeur. La scénariste nous permet régulièrement de prendre un instant de répit que l’on met à contribution pour contempler le travail d’illustration de Thomas Labourot. L’humour est présent d’un bout à l’autre de l’album. Aliénor et ses compères ne manquent pas de sens de la répartie et les dessins de Labourot appuie avec amusement les mimiques des uns et des autres.

En fin d’album, un complément de six pages nous permet de glaner deux ou trois informations supplémentaires sur cet univers. Intitulé « L’Echo de Brocéliande », ces bonus contiennent de courts articles qui reprennent des sujets abordés par l’intrigue principale.

PictoOKDrôle et enjoué, « Aliénor Mandragore » exploite un univers maintes fois exploré mais on n’a pas l’impression de redite ou de « déjà-vu ». En espérant que ce tome sous-titré « Merlin est mort, vive Merlin ! » inaugure une nouvelle série jeunesse.

Aliénor Mandragore

Tome 1 : Merlin est mort, vive Merlin !

Série en cours

Editeur : Rue de Sèvres

Dessinateur : Thomas LABOUROT

Scénariste : Séverine GAUTHIER

Dépôt légal : septembre 2015

ISBN : 978-2-36981-197-8

Bulles bulles bulles…

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Aliénor Mandragore, tome 1 – Gauthier – Labourot © Rue de Sèvres – 2015

Coeur de pierre (Gauthier & Almanza)

Le duo d’Aristide broie du noir est revenu et c’est en compagnie de Lunch et Badelel que j’ai découvert cette petite pépite !

Gauthier – Almanza © Guy Delcourt Productions – 2013
Gauthier – Almanza © Guy Delcourt Productions – 2013

Cœur de pierre est une histoire d’amour entre deux enfants diamétralement opposés. Un petit garçon, né avec un cœur de pierre, va grandir à l’abri des regards et loin de tout amour parental. La petite fille quant à elle est née avec un cœur d’artichaut, ce qui lui vaudra d’être choyée et hyper-protégée par ses parents.

Un jour, ces enfants vont se croiser. Pour la fillette, ce sera le coup de foudre mais malheureusement, les sentiments ne seront pas réciproques.

« L’enfant au cœur de pierre était né en décembre,

Et tous les médecins lors de l’auscultation

Annoncèrent aux parents qu’ils ne pouvaient entendre

Les battements du cœur de ce petit garçon ».

Dans cet album jeunesse, Séverine Gauthier (Mon arbre, Garance…) signe un superbe texte en alexandrins. De métaphore en métaphore, on y croise les thèmes de l’enfance, des sentiments et de la maltraitance. Un texte subtil, tout en retenue et qui nous fait naviguer en permanence entre désespoir et allégresse.

Les illustrations de Jérémie Almanza (Eco) appuient sur le côté intemporel du récit ; elles sont à la fois magiques et intrigantes. L’atmosphère est atypique et sous le coup de crayon de l’auteur, naissent deux univers d’enfants diamétralement opposés. Le premier, tout de marrons vêtu, décrit un lieu laissé à la dérive. L’épicentre de cet univers est le garçonnet qui vit replié dans un vieux manoir délabré. Autour de lui, le mobilier est patiné, les sièges sont élimés. Lui-même est habillé de vêtements défraichis et rapiécés. A l’extérieur, le spectacle est tout aussi désolant. Les herbes folles ont envahi le jardin, les arbres n’ont plus de sève depuis longtemps. Aucun adulte ne semble vivre-là, il n’a pas même un animal de compagnie, juste une vieille poupée de chiffon. Une empathie se crée rapidement à l’encontre de ce petit homme malheureux.

Mais avant que le désespoir n’envahisse entièrement l’histoire, le scénario glisse vers la fillette. Un rose-violacé vient recouvrir les teintes marrons qui s’étaient imposées jusque-là. On entre alors dans un monde pétillant et chaleureux, une maison pleine de vie, une nature égayée par les couleurs des fleurs et les sourires qui s’affichent sur le visage de l’enfant. Des parents vigilants, omniprésents et hyper-protecteurs.

PictoOKPetits et grands se laissent bercer par une douce mélodie. On a des pincements au cœur et des élans de joie ; on passe parfaitement d’un registre à l’autre. Les auteurs ont su trouver un très bon équilibre entre la mélancolie du petit garçon et le romantisme naïf de la fillette. L’ambiance graphique y est pour beaucoup. Les crayonnés, mis en couleur à l’aquarelle, matérialisent un univers fascinant. Chaque lecteur, quel que soit son âge, peut s’approprier cette histoire. Les plus jeunes pourront s’appuyer sur cette lecture pour parler de la question des sentiments amoureux, sujet souvent tabou et difficile à définir pour les enfants. Les adultes pourront profiter de l’emploi de la métaphore pour s’approprier une réflexion sur les attitudes parentales ou profiter, nostalgiques, de quelques souvenirs d’enfance qui remontent à la surface durant cette lecture.

Un livre à lire… si le cœur vous en dit ! 😉

Merci à vous pour cette découverte : Jérôme, A chacun sa lettre, Noukette, Livr0ns-n0us, Cristie, Marion, Moka, Zaelle, Yvan.

Une lecture commune partagée avec Lunch et Badelel.

Je vous invite à découvrir leurs chroniques respectives sur BenDis.

Du côté des challenges :

Petit Bac 2013 / Partie du corps : cœur

Petit Bac 2013
Petit Bac 2013

Cœur de pierre

One shot

Editeur : Delcourt

Dessinateur : Jérémie ALMANZA

Scénariste : Séverine GAUTHIER

Dépôt légal : avril 2013

ISBN : 978-2-7560-2426-4

Bulles bulles bulles…

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Cœur de pierre – Gauthier – Almanza © Guy Delcourt Productions – 2013

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