Les Cahiers japonais (Igort)

Igort © Futuropolis – 2015
Igort © Futuropolis – 2015

Après la Russie et l’Ukraine, Igort voyage au pays du Soleil Levant. Une plongée dans un univers bleu pour les premières pages de cet album, histoire de mettre le lecteur dans l’ambiance : naviguer sur la mer pour rejoindre l’île et, lors de la traversée, penser déjà à toutes les images qui symbolisent pour nous le Japon : Tezuka et son petit Astro, la célèbre vague d’Hokusai, la calligraphie au pinceau, le mont Fuji…

Je mentirais si je disais que tout a commencé de façon inattendue. Avant d’y poser le pied pour la première fois, au printemps 1991, je rêvais du Japon depuis au moins 10 ans. C’est-à-dire depuis que j’avais commencé à le dessiner, de manière presque inconsciente, dans les pages de ce qui allait devenir ma première BD : “Goodbye baobab« .

Qu’est-ce que je cherche ? Cette question m’accompagne désormais depuis presque 25 ans. Progressivement, ce lieu mystérieux m’est entré dans la peau. Langueurs et nostalgie s’installant m’ont même amené à y vivre pendant une courte période, dans les années 90. Ce livre raconte la poursuite d’un rêve et la découverte de cette évidence, à laquelle il faut se rendre, que les rêves, on ne peut pas les attraper.

(Igort)

Ce carnet de voyages regroupe donc une somme de connaissances et de croquis réalisés lors de différents séjours au Japon (entre 1990 et 2014). Au début des années 1990, Igort décroche un contrat avec l’éditeur Kodansha et s’installe à Tokyo. Son appartement est situé non loin des jardins du Temple Tennoji où il prend l’habitude de se rendre pour dessiner dans le calme.

Bunkyo- ku, dans ses ruelles intérieures, loin du fracas de Shinobazu dori, semblait être un quartier assoupi, enclos dans une bulle hors du temps.

Il profite de cette opportunité pour découvrir le Japon et les grands noms qui ont marqué l’histoire de l’Art japonais (peintres, dessinateurs). « Le Japon était devenu pour moi l’écrin des désirs, une valise pleine de choses de différentes natures, mais c’était surtout le paradis des dessinateurs. » Par la suite, ses autres séjours lui permettront de mieux se sensibiliser à la culture (société, patrimoine, art de vivre…) nippone. Igort se penche ainsi sur les travaux de Hokusai, Hiroshige, Utamaro, Sharaku… et les estampes qu’ils ont réalisées. Il s’essaye lui-même à la réalisation d’estampes mais n’est pas satisfait du résultat.

Ses réflexions le conduisent à regarder dans le rétroviseur et prendre la mesure du parcours qu’il a réalisé, à identifier ses points forts, travailler ses points faibles, en un mot : progresser (dans son art). Le dessin fait partie intégrante de la vie d’Igort. Il dessine depuis l’enfance et débute sa carrière d’auteur BD à l’âge de 20 ans. Très tôt, il s’inspire des préceptes d’Ekiken pour trouver un équilibre de vie et nourrit une véritable fascination pour le Japon. C’est pourquoi, il n’a pas hésité un instant à saisir cette opportunité professionnelle au vol. Il découvre donc le Japon de l’intérieur et s’y fait un nouveau réseau professionnel. Ses séjours sont autant d’occasion de flâner dans les rues de Tokyo, de lire ou relire Mishima, Mizuki, Tagawa (l’auteur de « Norakuro »), Tsuge (auteur de « L’homme sans talent« ), Matsuo Basho… Durant ses voyages, il rencontre Taniguchi, Tanaka, Go Nagai, Miyazaki … Sa vie change, tout contribue à modifier son rapport aux autres, au monde et à son environnement…

Evidemment, ça voulait dire aussi entrer dans un monde nouveau, un univers fait de règles indéchiffrables qui, à l’époque, se présentaient comme lunaires et fascinantes. Et naturellement mon rapport à l’espace a changé aussi.

… et l’aide à avancer.

Avec lui, j’ai appris énormément de choses sur mon monde à moi, sur ce que je cherchais, sur ce qu’étaient les thèmes de mon travail de conteur.

Les « Cahiers japonais » sont différents des précédents carnets déjà édités chez Futuropolis (« Cahiers ukrainiens » et « Cahiers Russes »). Igort reste ici dans une démarche très humaniste et cherche en permanence la rencontre avec d’autres individus. Pour autant, ces rencontres s’opèrent essentiellement dans le secteur de la création artistique. Il est donc avant tout question du propre regard d’Igort sur son expérience que de regrouper des témoignages d’inconnus sur la société dans laquelle ils vivent.

Dans cet album, l’auteur partage ses réflexions et ses connaissances sur le Japon. Il fait référence à des auteurs de tous bords (manga, cinéma, littérature), propose des reproductions d’œuvres qu’il a lui-même réalisées ou insère des photos d’archives pour illustrer son propos. De plus, il plonge dans sa mémoire et se remémore le travail qui a produit lors de la réalisation de « Yuri » (manga prépublié dans la revue « Comic Morning »). Des extraits de « Yuri » sont proposés et le fait de faire référence à cette série lui permet également de parler des conditions de travail [secteur du manga] au Japon.

J’ai commencé à comprendre que mes éditeurs avaient pris au sérieux cette histoire que, dans une autre vie, j’avais été japonais. Les légendes sur les conditions de travail dans le monde des mangas avaient ricoché jusqu’en Europe. (…) Je recevais des réponses techniques qui me servaient à rendre crédibles les histoires : Midori à Rome attendait les textes et, tandis que je terminais de dessiner, elle les traduisait et les expédiait à la rédaction de Tokyo par fax. La machine japonaise du travail d’équipe à l’œuvre.

Enfin, c’est l’occasion pour le lecteur de découvrir un peu la ville de Tokyo et – de manière plus générale – les traditions japonaises, la qualité de vie, le patrimoine culturel et artistique… de parler de sumo, de haïkus… Contemplation de l’architecture et de la nature, plaisir de reproduire les estampes et autres illustrations dans ses carnets pour mieux pouvoir en garder le souvenir… Ponctuellement, le propos est plus didactique, histoire de permettre au lecteur d’asseoir ses propres connaissances, comme dans ce passage durant lequel Igort revient sur la définition des grands genres de manga :

Les histoires dessinées de Tsuge et de Tatsumi étaient douloureuses. Celles de Mizuki grotesques. Des histoires de mal-être, cruelles et pleines d’une profonde douleur d’inspiration psychologique qui ont imposé un mouvement développé dans les années 60 dans les pages de la revue underground “Garo”. Le mouvement a pris le nom de gekiga (“images dramatiques”) qui s’opposait au terme manga (“images non engagées”). Le mot gekiga a été créé en 1956 par Yoshihiro Tatsumi.

PictoOKLe plaisir du partage est ici palpable. Le don de cet album est assez différent de ce à quoi Igort nous avait habitués mais on se laisse aller avec satisfaction dans ces pages. Le rythme est lent, propice à la contemplation.

La chronique de Al Capone.

Extraits :

« Bien vite, j’ai appris à apprécier le caractère intime, recueilli des choses. Bien que Tokyo soit une mégapole de presque 9 millions d’habitants, la structure de la ville garde cette dimension d’agglomérat de villages. (…) Cette ville avait le don de me calmer, de laisser déposer sur le fond le sable de mon existence » (Cahiers japonais – Un voyage dans l’empire des signes).

« Je vis le présent au Japon comme un voile léger qui laisse transparaître le passé » (Cahiers japonais – Un voyage dans l’empire des signes).

« Le papier enveloppe les objets, dans ce rite de l’emballage qui nécessite la feuille oblique (en losange) et non orthogonal (en carré, comme chez nous). Sur le couvercle des boîtes, souvent en carton vergé, sont imprimés des idéogrammes par simple gaufrage, invisibles en apparence, sur lesquels le papier d’emballage créera d’autres transparences. Le toucher et la vue, le jeu du voir et du ne pas voir, deviennent un art, un rite qui tourne ici au sublime selon la coutume qui prône “le don” comme geste de partage symbolique plus important que le cadeau lui-même » (Cahiers japonais – Un voyage dans l’empire des signes).

Les Cahiers Japonais – Un voyage dans l’empire des signes

One shot

Editeur : Futuropolis

Dessinateur / Scénariste : IGORT

Dépôt légal : octobre 2015

ISBN : 978-2-7548-1199-6

Bulles bulles bulles…

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Les Cahiers japonais – Igort © Futuropolis – 2015

5 est le numéro parfait (Igort)

Igort © Casterman – 2009
Igort © Casterman – 2009

« 1972. Peppi Lo Cicero dit « Peppi », un ancien tueur à gages à la retraite depuis plus de quinze ans, ne vit plus que pour la pêche, sa passion, et pour prendre soin de son fils Nino, qui lui a succédé au sein de la mafia. Bon sang ne saurait mentir… Mais une nuit, Nino est assassiné peu de temps avant son anniversaire, alors qu’il se rendait à Naples exécuté un contrat.

Le monde s’écroule pour Peppi. Jusqu’à ce que les anciens réflexes refassent surface. En dépit des objurgations de son copain de toujours Salvatore (« T’es plus ce que t’étais avant, t’appartiens à une autre époque, notre époque, et elle est finie. »), qu’il réussit à entraîner dans son sillage, Peppi exhume les armes du passé et repart en guerre. Dans le petit monde des clans mafieux, sa vendetta va déchaîner l’enfer… Aucune importance : comment Peppi craindrait-il la mort, alors qu’il ne passait plus son temps qu’à l’attendre? Il ne fait finalement, cette fois, que devancer le rendez-vous… » (synopsis éditeur).

Je connaissais Igort suite à ses récentes publications chez Futuropolis : La ballade de Hambone (diptyque dont les tomes sont sortis en 2009 et 2010), Les cahiers ukrainiens (2010) et Les cahiers russes (2012). Son style incisif m’avait faits forte impression, je souhaitais mieux connaitre son œuvre.

Cet ouvrage est l’un de ses premiers puisqu’il a été édité une première fois en 2002 chez Casterman. Epuisé, la seconde édition propose un visuel de couverture beaucoup plus épuré (voir visuel en début de chronique), en parfaite adéquation avec les visuels intérieurs de l’album.

Il nous emmène tambours battants découvrir le personnage de Peppi, vieux mafioso qui a quitté le milieu depuis longtemps, passant fièrement le flambeau à son fils. Le meurtre de ce dernier va tout d’abord terrasser le vieillard avant qu’il ne décide de venger la mort de son rejeton. C’est avec ce postulat de départ qu’Igort lance son scénario, hommage non dissimulé aux univers de Georges Simenon et George Herriman.

Vous savez ce que je crois ? C’est que je n’ai jamais osé voir grand. Une vie de larbin. Poum ! Poum ! Toujours à tirer sur commande. Qui pourrait croire qu’à mon âge, j’aurais eu l’idée de me mettre à mon propre compte ?

Seul le premier chapitre est posé. Il se construit autour d’une scène matinale dans laquelle le père et son fils échangent au sujet de la journée qui s’annonce : le fils doit s’absenter quelques heures pour honorer un contrat. Le lecteur attrape quelques éléments sur la vie et le parcours de ces deux hommes, sur le code d’honneur qui se transmet d’une génération à l’autre. La scène à laquelle on assiste nous permet de découvrir l’étrange complicité qui unit père & fils. Leurs opinions sont divergentes pourtant, la conversation ne s’envenime pas. Les hommes sont volubiles, ce qui nous permet de cerner peu à peu leurs personnalités. Malgré les nombreux non-dits contenus dans cette conversation, l’univers est déjà bien installé… le développement de l’intrigue nous donnera les réponses en temps et en heure.

A partir du moment où le père apprend le décès de son fils, le rythme s’emballe. Partant du principe qu’il n’a plus rien à perdre, le vieillard fonce tête baissée pour assouvir son désir de vengeance. La souffrance causée par la perte de son enfant unique lui donne le courage d’affronter les principaux parrains en place alors qu’il s’était jusqu’alors contenté de suivre aveuglément les ordres, sans jamais oser assumer ses convictions. Seul soucis : le lecteur est pris dans la frénésie du mafioso et perd souvent le fil de l’intrigue. Durant ma lecture, j’ai souffert du manque de fluidité du scénario qui s’éparpille dans tous les sens, s’appuie sur des personnages secondaires qui apparaissent de manière abrupte sans que l’on perçoive réellement le lien qu’ils ont avec le Vieux, sans que l’on comprenne pourquoi finalement il se saisisse d’un prétexte pour mener à bien la vendetta engagée.

Le travail graphique qu’Igort a réalisé pour cet album est aux antipodes des albums que je connaissais. Il s’appuie sur un style très dépouillé, très sobre, dont les illustrations sont mises en couleurs à l’aide d’une bichromie de bleu assez froide. Si cette ambiance graphique m’a surprise, elle sert pourtant parfaitement l’atmosphère de ce thriller. L’auteur navigue entre deux périodes : le présent qui sert d’ancrage à l’intrigue et le passé qui nous fait remonter dans les années 1950. On remonte régulièrement dans les souvenirs du vieux Peppi, découvrant ainsi pourquoi il a été contraint d’élever seul son fils, quelle était sa place dans la Mafia et découvrant ainsi – parfois tardivement – la particularité des liens qu’il a entretenus avec certains personnages secondaires.

pictobofOn navigue à vue dans cette folle cavalcade. Une chasse à l’homme, des flingues, un code de l’honneur, des clans qui s’entretuent, des amitiés viriles et les folles ambitions d’un vieux loup solitaire. Je n’ai pas accroché avec cet univers et son dénouement totalement inattendu… presque trop beau !

Une biographie d’Igort sur Etonnants Voyageurs.

Les chroniques étaient pourtant bonnes : Li-An, Emmanuelle Zakarian (A voir A lire) et David T (Kutcorners).

Une lecture que je partage avec Mango

Logo BD Mango Noir

Extraits :

« C’est qu’un homme. Il n’est pas ce qu’il mange. Il n’est pas ce qu’il chie. Il est comme il tue. Et Dieu merci mon fils, il tue comme il faut » (5 est le numéro parfait).

« Mais c’est la guerre. J’ai tout perdu. Ça c’est chez moi maintenant. Tu la vois ma nouvelle maison ? Deux bras, deux jambes, une figure et c’est tout » (5 est le numéro parfait).

« – Comment tu te sens aujourd’hui Salvatore ?
– Comme un cadavre » (5 est le numéro parfait).

« – Mais pourquoi tout ça ?
– Parce qu’il était temps que certaines petites choses changent.
– Vous avez déchaîné l’enfer dans la famille. Vous le savez ?
– Je le sais. A mes yeux, c’est le clan qui a trahi. Moi, je fais que leur rendre la monnaie de leur pièce » (5 est le numéro parfait).

Du côté des challenges :

Petit Bac 2013 / Nombre : 5

Petit Bac 2013
Petit Bac 2013

5 est le numéro parfait

One shot

Editeur : Casterman

Collection : Ecritures

Dessinateur / Scénariste : IGORT

Dépôt légal : mai 2009

ISBN : 978-2-203-02259-1

Bulles bulles bulles…

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5 est le numéro parfait- Igort © Casterman – 2009

Le jour où… France Info 25 ans d’actualités (Collectif d’auteurs)

Le jour où... France Info 25 ans d'actualités
Collectif d’auteurs © Futuropolis & France Info – 2012

1987-2012.

Cet album retrace les faits majeurs qui ont marqués l’actualité durant cette période : la chute du mur de Berlin, l’attentat du 11.09.2001, la tempête de 1999, l’élection d’Obama…

Chaque chapitre est couvert par un auteur ou un duo d’auteurs, mettant ainsi en exergue toute la richesse, la technicité et la variété de la bande dessinée.

Le lien vers la fiche éditeur est inséré dans les références de l’album (en bas d’article).

Cela faisait très longtemps que je souhaitais lire la première version de cette collaboration entre France Info et Futuropolis.

Mitchul présentait ici cette édition, celle dont je vais vous parler est une version augmentée de 7 chapitres (couvrant les années 2008-2012).

Chaque sujet est abordé de manière très personnelle. Le cahier des charges adressé aux auteurs semble large. Certains sont scrupuleux quant au sujet et partagent points de vue et connaissances sur l’événement. D’autres détournent le sujet et abordent ce « buzz médiatique » indirectement ; certes, quelques anecdotes rapportées ici n’apportent rien au sujet mais ce cas de figure se présente ponctuellement.

De David B. à Davodeau, de Jean-Denis Pendanx à Igort, de Stassen à Sacco… imaginez la richesse de styles, de graphismes et de points de vue !!

Je n’aborderais pas le détail de chaque nouvelle et la manière dont les sujets sont traités. Deux récits ont cependant retenu mon attention :

  • Le travail de Pierre Christin & Guillaume Martinez (repéré récemment dans Motherfucker) : la narration très journalistique tout d’abord. Christin énumère les impacts de l’événement aux quatre coins de la planète, mettant ainsi en exergue la diversité des accueils consacrés à cette information allant ainsi de la plus farouche des paranoïas (des chrétiens fondamentalistes de l’Arkansas au « obsessionnels du chiffre 11) à l’indifférence totale dans les régions les plus reculées d’Afrique Noire ou dans les communautés ouvrières du sud de la Chine. Le dénouement tombe comme un couperet au terme de 8 pages. Le graphisme de Guillaume Martinez est sombre, réaliste, délicat bref… le ton est juste de bout en bout pour ce volet d’actualité.
  • Le travail d’Etienne Davodeau sur la tempête de décembre 1999. C’est beau, poétique et la narration joue parfaitement avec une ambiguïté très bien dosée entre premier et second degré. La métaphore est belle et la narration… tant de charme et d’ironie s’en dégage ! Voici comment cela commence :

J’ai toujours bien aimé le vent. Là où je vis, c’est le vent d’ouest qui règne en maître, familier mais changeant. L’hiver, cet idiot fait du zèle, distribuant ses averses sans avarice. Pour se faire pardonner, certains soirs, il nous invite au spectacle et nous offre un crépuscule sanguine et ardoise. On pardonne. Au printemps, bon ouvrier, il se fait brise guillerette. Toujours prêt à rendre service, il transporte sans barguigner pollens et giboulées

… je vous laisse découvrir la suite lors de la lecture… Pour illustrer cette ode au vent et contrecarrer la douceur de ses mots, les visuels de l’auteur se teintent d‘ocres, de bruns et de gris et mettent en scène l’élément quand il se déchaîne. Superbe.

PictoOKLes amateurs de BD reportages devraient apprécier tant la qualité des compositions que les propos qu’elles contiennent.

Les chroniques : Jérôme, Eric Guillaud, Madoka, Gwordia et Bulles en Champagne (site consacré au Festival éponyme).

Extrait :

« Perdre sa liberté, c’est perdre sa dignité. Le rapport avec toi-même ne t’appartient plus. Tu ne peux plus décider seule ce que tu ressens dans ton cœur. Tu essaies de vivre dans ta tête… dans tes pensées. C’est là la seule liberté que l’on ne peut jamais t’enlever. Jamais. Et tu en arrives même à haïr ton corps, car il est source de douleur, même si c’est la seule chose qui te fasse sentir en vie » (Le jour où… France Info 25 ans d’actualitésLa Libération d’Ingrid Bettancourt par Igort).

Le jour où… France Info 25 ans d’actualités

Anthologie

Éditeurs : Futuropolis & Editions Radio France

Collectif d’auteurs :

en plus des auteurs pointés par les Catégories de publication de mon article (voir au début de l’article, en dessous du titre de l’album), ont également collaboré à cet ouvrage :

Thierry MARTIN, BLUTCH, Jean-Claude DENIS, Jacques FERRANDEZ, Mathieu BLANCHIN, Christian PERRISSIN, Emmanuel MOYNOT, Jean-Pierre FILIU, Cyrille POMES, TIGNOUS, Miles HYMAN & JUL

Dépôt légal : juin 2012

ISBN : 978-2-7548-0822-4

Bulles bulles bulles…

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Le jour où… France Info 25 ans d’actualités – Collectif d’auteurs © Futuropolis – 2012

Les Cahiers Russes (Igort)

Les Cahiers Russes
Igort © Futuropolis – 2012

Suite indépendante des Cahiers Ukrainiens, Les Cahiers Russes d’Igort relatent son voyage en Russie. Suite car c’est la même démarche que l’auteur poursuit. Indépendante car le sujet de son enquête est différent. Ici, Igort part de la mort de la journaliste Anna Politkovskaïa abattue pour avoir dénoncé la politique de Poutine et les atrocités de la guerre de Tchéchènie.

« J’ai été choqué lorsque, le 7 octobre 2006, Anna Politkovskaïa a été assassinée dans l’ascenseur d’un immeuble anonyme de Moscou. Je me rappelle avoir écrit quelque chose sur mon blog à ce sujet, bien qu’il soit réservé habituellement à la narration. Anna était morte. Une lumière s’était éteinte de quatre coups de Makarov dans le ventre et dans la tête.

La brutalité d’une démocratie travestie, à laquelle les soviétologues ont donné le nom de démocrature, avait parlé.

Pour ma part, je ne savais pas encore que, seulement trois ans plus tard, je rentrerais dans cet ascenseur, au numéro 6 de Lesnaja Ulitza, que je parlerais avec les personnes les plus proches d’Anna. Que je suivrais certains de ces parcours  en quête d’un sens, malgré les questions qui se multipliaient en moi » (extrait de la présentation d’Igort sur le blog de Futuropolis).

Les Cahiers Ukrainiens m’avaient laissée sans voix. Remuée, mal, cette lecture m’avait pourtant ouvert tout un pan de l’histoire ukrainienne que j’avais méticuleusement pris soin d’oublier. Pourtant, malgré l’insupportable de certaines scènes, malgré la violence des témoignages, je voulais lire ce second volet du voyage d’Igort.

Quelques mots sur l’auteur pour commencer, Igor Tuveri alias Igort est né en Italie. Ses parents sont originaires de Russie. Il publie dès l’âge de 20 ans et trouve peu à peu écho auprès des éditeurs francophones (Les Humanoïdes associés à partir de 1991, Amok éditions et Coconino Press en 2001, Casterman en 2002… la collaboration avec Futuropolis débute en 2009 avec le premier tome de La Ballade de Hambone). L’histoire de sa famille l’a conduit à s’installer en Ukraine. D’abord de façon temporaire puis de manière plus stable puisque cela fait maintenant deux années qu’il passe là-bas. Les Cahiers Ukrainiens sont d’ailleurs un moyen pour l’auteur de partager ses carnets de voyages, retranscrivant ses rencontres, illustrant les régions qu’il a traversées…

Si le premier tome m’avait heurtée malgré l’intérêt que je lui ai porté, je pensais être plus à même de faire face à la force de ce nouvel album. S’appuyant sur un graphisme sobre et sans aucun artifice, Igort relate le fruit de ses recherches sur le parcours d’Anna Politkovskaïa. L’ouvrage accueille le lecteur sur les faits tels qu’on les connait aujourd’hui et les circonstances de son assassinat puis, on part dans des allers-retours entre passé et présent (on y côtoiera notamment l’amie et traductrice française d’Anna : Galia Ackerman). Igort reconstitue le puzzle, met en exergue toutes les répercussions (sociales, politiques…) de l’action menée par la journaliste russe. Il aborde les pressions dont elle a été l’objet et son modus operandi professionnel, rend compte de son combat, de ses valeurs éthiques et humaines. Il livre-là un superbe hommage à cette femme.

Pour enrichir le contexte dans lequel Anna Politkovskaïa est intervenue, Igort intègre de nombreux témoignages, essentiellement ceux de civils tchétchènes victimes de la guerre et des brutalités des soldats russes. Ces derniers considèrent les Tchétchènes comme une sous-race animale juste bonne à leur servir d’exutoire. Ainsi, Les Cahiers Russes sont à l’image de leur prédécesseur –Cahiers ukrainiens– puisqu’ils dévoilent l’horreur et la cruauté auxquelles sont confrontés les Tchétchènes depuis des décennies. Viols, tortures et « zatchistka » (en termes militaires, cela signifie une opération de nettoyage).

Mais dans un contexte où le massacre des Tchétchènes est une pratique quotidienne et le passe-temps préféré des soldats russes en garnison dans le Caucase, les zatchistkis ne sont rien d’autre que des razzias, des expéditions punitives. La violence gratuite contre les gens sans armes, les femmes, les vieux ou les enfants, est comme une drogue, une dépendance. A tel point que les soldats qui sont retournés en Russie ne peuvent pas s’en passer et se dépouillent entre eux (propos d’Igort).

Une nouvelle fois, la violence m’a submergée. Récalcitrante à l’idée d’abandonner cet album, captivée par le travail d’Igort, c’est une réelle ambiguïté qui m’a accompagnée durant toute la lecture. Régulièrement parcourue par des frissons qui me remontaient le long de l’échine, parfois sujette à des haut-le-cœur à la découverte de certains témoignages et/ou de certains visuels, je suis sortie mal à l’aise. Je ne dirais pas « plus fort que le premier album », je dirais « différent » car je m’étais tout de même préparée à l’idée de me retrouver dans cet état d’esprit. Le genre d’album qui, lorsqu’on le referme, nous prive de toute envie de parler. Dans les Cahiers ukrainiens, j’ai été marquée par un passage où une femme parlait de son enfance et où, face à la famine, les gens n’avaient d’autre alternative que celle de manger leurs morts. Ici, ce sont les « anecdotes » de deux enfants de 16 ans qui m’ont frappée : l’un fut violé à maintes reprises par les soldats russes, quant à l’autre… ils lui ont scié les dents avec du fil de fer…

Une Guerre sale qui ne laisse d’autre choix – aux bourreaux comme aux opprimés – que celui de sombrer dans la folie. Une folie teinte de noirs, bruns, rouille sang et verts… des couleurs qui portent toute la mélancolie, toute la souffrance et toute l’absurdité de ces vies. Les dessins d’Igort sont réalistes. Ils ne s’attardent pas sur les détails, griment souvent une expression de visage en un masque d’horreur ou d’hébétude… le rendu est très fort. Comparé à d’autres reportages (journalisme d’immersion), je n’ai jamais eu ce ressenti. Par exemple, sur les dessins de Joe Sacco qui, bien qu’il décrive lui aussi les horreurs de la guerre, ne me prend pas à partie comme ici. La rondeur de ses traits exclu la violence (qui agresse le lecteurs) dans ses illustrations, ce qui n’est pas le cas dans le mode d’expression d’Igort.

Prix Région Centre 2012 au Festival BD Boum de Blois.Roaarrr Challenge J’inscris cette lecture au Roaarrr.

PictoOKUne lecture difficile, pour public averti mais c’est malgré tout, un témoignage que je vous conseille.

La chronique d’Arianne, d’Aurélie Champagne sur Rue89, la présentation de l’ouvrage sur le site d’Amnesty International et le podcast de l’émission du 18 janvier 2012 sur France Inter.

Extrait :

« Mais la réponse à mes questions ne soufflait pas dans le vent et les étendues blanches ne me donnaient nullement le sentiment de paix et de réconfort que j’avais espéré. Dans cet hiver moscovite, la tension était palpable, un sentiment de malaise croissant auquel je ne savais pas encore donner un nom. La Grande Mère Russie offre aujourd’hui un destin oppressant à ceux qui s’occupent des droits de l’homme, à ceux qui n’acceptent pas les vérités préfabriquées » (Les Cahiers Russes).

Les Cahiers Russes

Challenge Petit Bac
Catégorie Objet

– La guerre oubliée du Caucase –

Éditeur : Futuropolis

Dessinateur / Scénariste : IGORT

Dépôt légal : janvier 2012

ISBN : 9782754807579

Bulles bulles bulles…

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Les cahiers russes – Igort © Futuropolis – 2012

Les cahiers ukrainiens (Igort)

Les cahiers ukrainiens, tome 1
Igort © Futuropolis – 2010

En 2008, Igort s’est rendu deux ans en Ukraine. Un voyage qui matérialise une quête personnelle, une forte envie de découvrir « ces noms exotiques que j’entendais chez moi depuis l’enfance, Kiev, Odessa, Poltava, Sébastopol, Leopoli, Yalta » pour reprendre les propos de l’auteur.

L’idée d’en faire un album semble être venue ensuite. Je le cite encore :

« Il suffit de gratter un peu pour entendre s’écouter, sous la discrétion soviétique, l’envie d’être écouté. Je me suis retrouvé là au moment où avait lieu le vingtième anniversaire de la chute du mur de Berlin. J’ai tendu l’oreille pour écouter les histoires et j’ai décidé de les dessiner. Je ne pouvais tout simplement pas les garder pour moi. Ce sont des histoires vraies de personnes rencontrées par hasard dans la rue à qui il a été donné de vivre à l’étroit dans l’étreinte du rideau de fer ».

A quelques dix planches du début de la lecture, nous avons déjà largement eu le temps de mesurer la portée de ce qui nous est donné de lire. On ne peut qu’être émus de la sincérité des propos de chacun des protagonistes et de la gravité des actes qu’ils ont souhaité relater. Des vies brisées, « d’un autre temps » peut-on dire, Nous, Européens de l’Ouest qui n’avons jamais connus tels événements (du moins, pas ceux de ma propre génération ni même de la génération de mes parents).

A l’aide d’enregistrements audio, de prises de notes, de croquis, Igort nous livre un témoignage poignant sur l’histoire des hommes et des femmes qu’il a croisés pendant son voyage.

Nous revisitons, par leur intermédiaire, une période sensible de l’histoire de l’Union Soviétique. De Lénine à la catastrophe nucléaire de Tchernobyl, nous (re)découvrons  une population ukrainienne livrée à la peur, à la famine (celle de 1932), au génocide, à l’asservissement, au cannibalisme, au capitalisme, aux goulag… Les gens se confient à Igort malgré la peur qui les tenaille encore. Une peur ancrée dans leur chair, un peuple prisonnier de ses démons et du régime politique en place. Les Cahiers ukrainiens est un objet rare qui traite avec prudence et respect de l’Histoire de l’Ukraine pendant le XXème siècle et des effets nocifs de l’étau soviétique imposant une chape de silence et terrorisant les populations sous leur emprise.

A l’aide de crayonnés et de jeux de hachures, Igort met en images les propos qu’il a recueillis. Quelques ambiances conservées en noir et blanc mais dans l’ensemble, c’est à l’aide sépias délavés qu’il campe une atmosphère lourde, intimiste qui met en exergue toute la souffrance qui émane de cette mémoire collective, toute cette souffrance à fleur de peau présente chez chacun de ces individus.

Une lecture conseillée par Cécile (dans cet article), cet avis intègre le Challenge PAL Sèches

PictoOKUne lecture douloureuse et bouleversante qu’il est difficile de soutenir. Je n’ai pu m’empêcher d’avoir pitié de ces pauvres gens, un sentiment souvent négatif pourtant c’est que je j’ai ressenti à la lecture de tous ces drames qui se succèdent ici.

L’avis de Catherine et celui de Cécile.

Extrait :

« District de Vyssokopolsk. Le 16 février, à Zagradovka, le jeune Nikolaï, 13 ans, est mort dans la famille d’un paysan pauvre. Sa mère F. et sa voisine Anna S. ont coupé le cadavre en morceaux et l’ont servi avec les plats qui avaient été préparés. Presque la totalité du corps a été consommée. Il ne restait que la tête, les pieds et une partie de l’épaule, une paume de la main, la colonne vertébrale t quelques côtes. Toutes les parties du corps ont été retrouvées dans le sous-sol de l’isba. F. a expliqué son geste par l’absence totale de nourriture. Il lui reste trois enfants, tous gonflés. Une aide a été apportée à cette famille » (Les cahiers ukrainiens, tome 1).

Les Cahiers Ukrainiens

Tome 1 : Mémoires du temps de l’URSS

Série en cours

Éditeur : Futuropolis

Dessinateur / Scénariste : IGORT

Dépôt légal : juin 2010

ISBN : 9782754802666

Bulles bulles bulles…

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Les Cahiers Ukrainiens – Igort © Futuropolis – 2010

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