C’est avec gourmandise et curiosité que je me suis plongée dans ce nouvel album que ta patte a façonné. A la fois surprise que de tant de violences tu parviennes à t’accommoder et de la beauté de ton trait… cette beauté toujours et encore, pleine de douceur et de poésie. Je m’échappe.
Voilà donc qu’en cet An 2022 je reviens au clavier pour te dire ce que Rocking Chair a touché en moi. Que de cette collaboration artistique dans laquelle tu t’es plongé m’a plu. De ton acolyte j’avais lu deux superbes ouvrages (Le Désespoir du Singe et L’Inversion de la courbe des sentiments) que je garde en mémoire… certes de façon moins marquée que les voyages imaginaires que tu m’as déjà permis de faire (peut-on reparler une fois encore de ce grand régal que m’avais procurée la lecture de Balade Balade ??!).
Tu m’avais déjà étonnée quand, à l’occasion du numéro 2 de la Revue Dessinée, tu t’associais à David Servenay pour illustrer l’histoire de Jacques Monsieur, trafiquant d’armes hors pair. Tu es toujours à me surprendre par tes choix sans cesse renouvelés, sans jamais ne rien perdre de la douce musique qui accompagne chacune de tes illustrations.
Avant même de m’engouffrer dans la lecture, il y avait ce balancement rassurant dans le titre de l’album qui ne m’a jamais quitté. C’est avec l’image d’être confortablement assise dans un fauteuil à bascule à profiter d’un léger bercement que je suis partie à la conquête de l’Ouest. Le rocking chair est le personnage principal de cette épopée… l’objet central de l’intrigue autour duquel tout gravite.
Les périples et rebondissements tissés par Jean-Philippe Peyraud sont nombreux. Le scénariste construit un récit choral qui raconte l’histoire de tous ces immigrés européens partis à la conquête de l’Ouest américain pour fuir les horreurs d’une vie de misère. Mettant leur destin dans les mains d’inconnus aux mines patibulaires et souvent peu scrupuleux, des familles entières ont bravé les dangers de territoires sauvages pour atteindre un rêve, un Eldorado qu’ils ont totalement fantasmés. Jean-Philippe Peyraud rend hommage à cette multitude de courageux. Parmi eux, il y aura des chanceux… et ces innombrables qui n’arriveront jamais à destination.
Ce sont ces vies brisées que l’on rencontre tout au long de l’album. Ces vies parfois réparées quand la présence d’une bonne étoile a aidé un destin à se faufiler au travers des mailles de la déveine. On les découvre une à une, au fil du récit : orpailleur, garçon de ferme, orpheline, infirme… Des hommes et des femmes de tous horizons, venus des quatre coins de la vieille Europe.
Des solitudes déracinées en quête de liberté.
Des individus en quête d’un terreau où ils pourront enfin s’épanouir.
Le rocking chair nous accompagne de bout en bout, comme un objet transitionnel que l’on garde avec soi pour se rassurer. Cette chaise à bascule est le fil rouge de cette histoire.
Sans concessions mais avec beaucoup d’humanité, le scénario se pose d’un personnage à l’autre puis, comme happé par un souffle de vent capricieux, il reprend son envol jusqu’à un autre héros anonyme. De saut de puce en saut de puce, le scénariste nous fait traverser le continent américain puis revenir sur nos pas, comme pour boucler la boucle. Je n’ai rien su anticiper, rien deviné à l’avance… rien n’était cousu de fil blanc dans ce récit. Cette lecture m’a surprise et rien que ça, c’est très agréable.
J’ai été happée, fascinée et le travail d’Alain Kokor sur la mise en images. Loin des univers qu’il construit d’habitude, il parvient à insuffler au milieu de ce tumulte humain quelques touches de poésie, des émotions et des sentiments. On est dans une réalité crue mais ses dessins et ses couleurs parviennent merveilleusement bien à atténuer le côté trop incisif de certains passages. L’ambiance graphique nous enveloppe et nous aide à traverser des tourments sans qu’on ne perde rien de l’intensité et de l’ambiance de chaque instant. . Je ne m’attendais pas à rencontrer cette violence au bout du crayon d’Alain Kokor mais rien n’est surjoué ni surexploité. Les passages où la stupéfaction m’a saisie laissent une belle place à des instants plus tendres, plus intimistes… un apaisement après la tempête. Tout passe en finesse.
Très surprise par cet album dont certains passages m’ont un peu chamboulée. La finition est soignée « aux petits oignons » et la lecture d’une fluidité incroyable.
Rocking chair est un récit complet (one shot) de Jean-Philippe PEYRAUD et illustré par Alain KOKOR
En 2016, les éditions Cambourakis font entrer dans leur catalogue la traduction de « L’Ours est un écrivain comme les autres » de l’auteur américain William Kotzwinkle. Me voilà plongée dans sa lecture. L’ouvrage m’interpelle même si quelques longueurs chatouillent régulièrement mes humeurs en raison de quelques longueurs… Mais le mouvement des personnages me séduit. Ce qui leur arrive m’amuse et la lecture ainsi faite de notre société et de ses dérives est à la fois drôle, cynique, cinglante et pertinente. Cerise sur le gâteau, l’écriture descriptive de Kotzwinkle nous demande peu d’efforts pour imaginer les scènes et les décors. De quoi est-il question ? Voilà, voilà, je vous explique :
Arthur Bramhall est un américain en quête de reconnaissance. Ce professeur déprime dans sa chaire universitaire. Il a pris un congé sabbatique pour se consacrer pleinement à l’écriture. Il rêve de notoriété et nourrit beaucoup d’espoirs dans un écrit mais ceux-ci partent en fumée lors d’un violent incendie qui détruit sa maison.
« Cette nuit-là un incendie faisait rage dans un vieux chalet. Les flammes indifférentes se nourrissaient maintenant des feuilles d’un manuscrit tout juste achevé. »
Depuis, Arthur a fait reconstruire son chalet avec l’argent qu’il a touché de l’assurance et réécrit son manuscrit. Parvenu à ses fins et satisfait du résultat, il ressent l’envie de fêter l’aboutissement de son travail.
Avant de partir, il place le manuscrit dans une mallette qu’il cache dans la cavité creuse d’un tronc d’arbre. Non loin de là, un ours assiste à la scène. Piqué par la curiosité, et pensant que la mallette contient des pots de miel, l’ours attend le départ de l’écrivain pour s’enquérir du contenu de ce précieux butin. Surpris de tomber nez-à-nez avec le manuscrit d’un roman, le plantigrade réfléchit à toute vitesse ; si les humains aiment lire, c’est que les livres valent de l’argent. Et avec de l’argent, on peut acheter quantité de pots de miel ! Voilà qui est alléchant !! Ni une ni deux, il décide de se rendre à New-York avec son joli magot. En chemin, l’ours ambitieux se crée une identité et c’est sous le nom de Dan Flakes qu’il emprunte malgré lui le chemin qui le mène droit à la célébrité.
« PittoResque ! »
C’est donc un ours gourmand qui prend les rênes du récit. Alléché par l’idée d’accéder à quantité de pots de miel, il entre sans se méfier dans la communauté des hommes. Incapable d’en comprendre les codes, il se laisse porter comme un pantin. Mais il reste naturel et son caractère imprévisible provoque des situations totalement loufoques. Le plantigrade est placide et se montre bien décidé à répondre lui-même à ses envies les plus folles. Tant qu’à la clé, il ait de quoi manger… il a tout pour être heureux.
« Sa voix, on dirait la corne du ferry de Staten Island ! »
Surprenante idée que celle de William Kotzwinkle d’utiliser un ours à la truffe humide, qui roule les « R » comme personne et s’amourache des humains, de leurs maux, de leurs mots… pour singer nos propres défauts et la passivité que l’on a à regarder dériver nos sociétés sous l’influence du capitalisme. Sans aucun complexe pour sa grosse bedaine et son excessive pilosité, cet ours débonnaire va susciter chez nous (lecteurs) de belles émotions, beaucoup de sympathie et l’image d’un personnage réellement rassurant. C’est totalement fou de constater à quel point on est bien à son contact. Pour équilibrer cet excès d’aménité… il y a tout ce qui compose l’environnement du plantigrade.
En toile de fond, l’ambiance opère. Le poids des mots joue un jeu aussi subtil que sournois. Il y a d’abord le fait que chaque personnage secondaire ne voit la vie que par le biais des intérêts qu’il peut en tirer. Puis il y a le reste… Les coups de pub savamment étudié, le jeu des non-dits et celui des journalistes, les soirées de promotion, les stratèges éditoriaux, le placement de produits par la voie des services de presse, des interviews et des plateaux télé… On assiste à la construction insensée d’une idole, d’un mythe, d’une mode. Et tout cela nait de quoi ? De la naïveté désarmante d’un individu. Sa candeur est prise pour du génie… et ce génie emballe les esprits.
« Il faut capitaliser là-dessus »
L’air de rien, Alain Kokor nous embarque sur le fond autant que sur la forme. Dans des tons ocres-sépia, on découvre le parcours de cet ours comme dans un rêve. Le coup de crayon à la fois tendre et espiègle d’Alain Kokor ravit les pupilles et le propos ravit l’esprit. C’est doux et piquant à la fois, à la fois irréel et pourtant bien ancré dans notre société. Alain Kokor a extrait l’essentiel du roman de Kotzwinkle, ce qui fait sens, ce qui rend drôle, ce qui nous tient en haleine et en alerte. Je n’ai rien retrouvé des lourdeurs de ma lecture du roman, j’ai savouré et me suis laissée surprendre une seconde fois par le dénouement. Il n’y a qu’un seul passage [du texte de Kotzwinkle] que je n’ai pas retrouvé mais le cahier graphique inséré en fin d’album vient lever le voile sur cette absence et reprend en substance l’extrait mis au silence.
Sous la plume de l’ami Kokor, je me suis surprise à aimer de nouveau cette Amérique-là, à la fois lobotomisée, formatée et pourtant si gourmande d’accueillir la nouveauté, l’originalité… si capable de nous faire croire qu’à l’impossible nul n’est tenu. Et tandis que le plantigrade flirte avec les étoiles, l’écrivain perdu [Arthur Bramhall] fait le mouvement inverse en revenant peu à peu à l’état de nature [cerise sur le gâteau, on reconnaît en lui les traits d’un personnage qui est familier des amateurs de l’auteur et que l’on côtoie dans « Kady » ou encore dans « Le commun des mortels » ]. La question est entière de savoir laquel de ces deux énergumènes est le plus clairvoyant ? De l’homme ou du plantigrade, qui se fourvoie et qui s’épanouit ?
« Rock and Roll boRdel !! »
« L’Ours est un écrivain comme les autres » est une succulente fable urbaine et Alain Kokor l’illustre d’une douce folie qui nous enchante.
Il baguenaude dans les rues de la ville. De-ci de-là, il se penche sur une fenêtre pour observer l’intérieur des maisons. Puis il repart, les yeux repus de ce qu’il a vu, l’esprit occupé à jauger si le maître des lieux sera à même d’apprécier sa prose. Il se fie à son instinct, tantôt reprend sa route tantôt sonne chez les gens. Vie errante, à cheval entre rêve et réalité. Poète vagabond. Un certain art de vivre.
Je me présente, Alexandrin de Vanneville, poète des campagnes et des villes, arpentant les chemins et les villes, de terre ou de bitume, par vent et par la pluie, sans me taire et sans amertume, je survis en proposant ma poésie
Il flâne, vaque à ses occupations, surveille son maigre budget et profite de la moindre brise qui souffle, de la moindre rencontre, d’un simple « bonjour » pour en savourer la moelle et trouver l’inspiration. Ce qui fait battre son cœur, c’est le plaisir des mots.
Les faire sonner, les faire rimer…
C’est ce jeu avec les mots qui me tient debout,
c’est cette quête du beau qui m’évite de rester à genoux
… et partager son regard sur la société.
Un jour, Alexandrin fait la connaissance de Kevin, un jeune fugueur, qu’il va prendre sous son aile.
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Une histoire assez douce au demeurant même s’il est vrai que la précarité d’Alexandrin donne un autre sens aux propos. On ne côtoie pas un poète oisif mais un amoureux de la rime qui vit pour et par son Art. Ses idéaux semblent l’avoir poussé à vivre une vie miséreuse plutôt que de chercher à aménager les choses pour s’assurer un minimum de confort (un toit et trois repas quotidiens).
On ne sait rien de son histoire ce qui le rend mystérieux, vierge de toute vie. C’est un poète, rien de plus. Amoureux de la rime, foncièrement humain, bienveillant quelle que soit la situation, sa placidité étonne autant qu’elle rassure. Pascal Rabaté le rend parfois un peu trop bavard, comme si – sous l’influence de son personnage – il s’était laissé aller par ces mots qui coulent et qui riment. Alors oui, cette manie qu’à le « héros » de parler en alexandrin va contaminer les autres personnages (du moins ceux qui sont amenés à le côtoyer au quotidien). A la longue, j’ai craint un certain écœurement et j’ai même appréhendé que l’histoire se noie dans une sorte d’obstination de la-rime-à-tout-prix. Mais ce n’est pas le cas. Bien au contraire, je me suis même étonnée d’autant de fluidité et finalement, qu’il y ait autant de naturel dans les échanges entre les personnages. Le seul « hic » les concernant est visuel : les phylactères s’imposent comme s’ils étaient plaqués sur les illustrations (il y a un gros contraste avec les illustrations).
Et puis ce duo que nous observons tout au long de l’histoire. D’un côté un idéaliste qui accepte de quitter sa solitude pour accompagner un jeune adolescent en mal de liberté. Cet homme parvient parfaitement à nous faire croire à une forme de naïveté quant à la réalité de cet enfant. Certains passages nous prouvent régulièrement le contraire mais la magie du scénario parvient vite à nous faire oublier que le poète est lucide. Et puis de l’autre, nous sommes face à un adolescent qui défie ses parents et veut se prouver qu’il est capable de grandir sans eux. La rencontre avec le poète est pour lui une aubaine puisqu’il va se reposer sur l’adulte comme si c’était un père de substitution. Tous deux vont se soutenir dans les épreuves qu’ils vont traverser mais l’histoire n’est – somme toute – rien d’autre qu’une quête initiatique
Côté dessin, je fonds d’amour, définitivement love de ce coup de crayon, cet album ne vient que confirmer le talent d’Alain Kokor. Avec un plaisir non dissimulé, j’ai retrouvé les trognes que lui seul est capable de dessiner ces silhouettes nonchalantes, dépourvues de toute animosité même quand il s’agit d’olibrius désagréables. Alain Kokor brosse leur portrait puis trois petites cases et puis s’en vont. Je savoure cette manière qu’il a de caresser et d’accompagner ses personnages. Et ses couleurs, son bleu, ses ocres… Bref, l’alchimie était encore une fois au rendez-vous.
Un joli duo au cœur de ces pages. Des rimes qui sonnent agréablement à nos oreilles. Une parenthèse enchantée dans mes lectures.
A toi qui lit peut-être là,
J’ai trouvé ton Poilala.
Au tout début, dans un tableau, je crois.
Mais tu l’as mis deux fois ??!!
Plus loin dans un pot à crayons…
… J’ai bon ? 😛
Extraits :
« Liberté, liberté… Vous n’avez que ce mot à la bouche. Liberté de crever de faim, de froid, d’être sales à attirer les mouches. C’est un mot bien trop grand pour un si jeune enfant » (Alexandrin).
Alexandrin
– où l’art de faire des vers à pied – One shot Editeur : Futuropolis Dessinateur : Alain KOKOR Scénariste : Pascal RABATE Dépôt légal : août 2017
96 pages, 22 euros, ISBN : 978-2-7548-1843-8
La vie est un éternel chassé-croisé entre ceux qui arrivent et qui partent. Ceux qui arrivent pour prendre un nouveau départ, ceux qui partent parce qu’ils ont fait leur temps sur cette terre, ceux qui partent parce qu’ils souhaitent panser leurs blessures, ceux qui arrivent pour accueillir tous ces voyageurs en transit.
Alain Kokor, c’est avant tout un univers, une sensiblerie et un cœur énorme lorsqu’il donne vie à un personnage. Il le prend au berceau, le berce lorsqu’il est fragile et le repose délicatement après lui avoir tenu compagnie plusieurs pages durant. « Balade balade », « Le commun des mortels », « Les voyages du Docteur Gulliver »… voici autant de voyages que ce conteur hors-normes nous a déjà offerts.
Un artiste rare, à la fois poète, philosophe et magicien de l’image, il propose à son lecteur des récits d’une tendresse incroyable. Amoureux de la vie, profondément altruiste, il injecte dans ses scenarii des réflexions contenant à la fois une sublime profondeur et une naïveté troublante. Enfin, Alain Kokor excelle dans l’art de la métaphore et « Au-delà des mers » n’y échappe pas… loin de là. Il me semble même que cet album soit celui qui regorge le plus de métaphores dans ceux qui composent la bibliographie de l’auteur.
« Au-delà des mers » est un prolongement de « Supplément d’âme », album où de mystérieux personnages marins avaient fait leur apparition. On les sentait désireux de nous emmener découvrir leurs profondeurs et c’est logiquement dans les grands fonds marins que cet ouvrage commence. Le lecteur est accueilli par une scène muette de 12 pages où nous tenons compagnie à deux inséparables bestioles aquatiques, fascinées par la lumière du soleil. Leur course folle vers la surface nous fait tournebouler dans les remous avant d’être happés par un horizon à perte de vue, ivres de pouvoir respirer à pleins poumons.
Puis ce préambule se referme. L’histoire peut commencer. Nous sommes au Havre. Quoi de mieux qu’un port pour servir la métaphore de nos vies. Le nouvel arrivant porte tous ses espoirs dans cette nouvelle vie qui s’offre à lui. Celui qui part en fait tout autant, regardant loin devant, espérant y voir peut-être la silhouette de jours meilleurs. Le port est le témoin de ces petites transhumances à taille humaine, de ces ruptures volontaires ou forcées, de ces accueils chaleureux ou méfiants.
Un ouvrage qui parle de la vie et de la mort, de départs et d’arrivées, de deuils et de naissances, de joies et de tristesses… et d’une certaine forme de solidarité humaine, celle qui réchauffe et permet de donner du sens à la vie.
Avec beaucoup d’humour, Alain Kokor mène son lecteur par le bout du nez. Il le fait languir, le mène sur de fausses pistes tout en lui faisant percevoir qu’il a de l’intuition et qu’il n’est jamais très loin de comprendre de quoi il en retourne. L’auteur réalise quelques ellipses ; le récit omet de mentionner des éléments qui pourtant faciliteraient la compréhension. Sur le moment, cela fait pester, cela nécessite éventuellement de reprendre la lecture quelques cases en amont… mais la lecture se poursuit, délicieuse et si mystérieuse. Il y est notamment question d’une certaine Sonia, belle adolescente qui – à défaut de parvenir à disparaitre totalement – parvient du moins à se cacher sous la capuche de son sweet rouge. Il est aussi question d’un certain « Matelot » qui, en attendant le jour de son grand départ et du fait de son grand âge, se rappelle quotidiennement tous ceux qu’il a aimé et qui sont partis avant lui.
Une belle musicalité dans cet album qui traite de relations humaines, d’intégration, d’amitiés et de sentiments. L’auteur a certes eu la main un peu lourde sur la métaphore mais le juste dosage de poésie et de tendresse, Alain Kokor nous livre encore une fois un très bel album qu’il faudra laisser cependant décanter un peu afin de profiter de tout son arôme.
Une lecture faite en compagnie de Marilyne qui découvre pour l’occasion le somptueux « Balade balade » !
Second numéro de La Revue dessinée, une initiative que l’on doit à cinq auteurs et un journaliste (Franck Bourgeron, Sylvain Ricard, Olivier Jouvray, Kris, Virginie Ollagnier et David Servenay). Grâce à leur impulsion, d’autres artistes se sont mobilisés sous ce leitmotiv :
« Parce qu’ils constatent la paupérisation des auteurs de bande dessinée, ils décident que La Revue Dessinée permettra aux auteurs de prépublier leurs travaux, avant de les proposer aux éditeurs classiques. Il faut le dire, les cofondateurs sont d’abord des créateurs qui veulent redonner de la valeur à leur métier ».
J’avais déjà partagé avec vous mon engouement pour le premier numéro de LRD. Mécontente de la manière que j’avais employée pour vous transmettre la richesse de ce magazine, je récidive et vous présente aujourd’hui le second numéro que vous pouvez trouver dans toutes les bonnes librairies depuis le mois de décembre (ou sur tablette puisque LRD sort simultanément en version papier et en version numérique). Chaque trimestre, le lecteur a ainsi l’opportunité d’accéder à une douzaine de reportages et de documentaires qui s’intéressent aux différents sujets d’actualité. Ils sont réalisés par des duos d’auteurs improbables composés de journalistes et d’auteurs BD ; pour exemple, dans ce numéro ont collaboré David Servenay & Alain Kokor, Jean-Marc Manach & Nicoby ou encore Sylvain Lapoix & Daniel Blancou. Tous se sont rassemblés pour enrichir davantage encore les travaux déjà édités dans le domaine de la BD reportage. Certains reportages s’étalent sur plusieurs numéros, à l’instar du travail réalisé par Marion Montaigne au Zoo du Jardin des Plantes ou celui de Sylvain Lapoix sur les gaz de schiste.
Les reportages et les documentaires
numéro 2 – Collectif – Hiver 2013-2014
Un VRP en guerre (David Servenay & Alain Kokor) revient sur le parcours atypique de Jacques Monsieur aujourd’hui âgé de 59 ans. David Servenay s’intéresse à ce célèbre trafiquant d’armes belge depuis plus de dix ans et avait eu l’occasion de l’interviewer en 2004. A l’occasion de la publication de ce reportage, le scénariste explique : « j’ai donc remis de nombreux éléments à Alain Kokor, qui a donné une interprétation aussi libre qu’imaginative du parcours du trafiquant d’armes, tout en respectant à la lettre le ʽʽfactuelʼʼ de ce destin hors norme ». En plus de l’intérêt que l’on accorde aux dires des auteurs durant la lecture, le résultat est plaisant à voir. Baignant dans les ambiances de Kokor, on navigue dans un récit intemporel où la réalité fait bon ménage avec les métaphores visuelles. Les propos sont cinglants du fait que le cynisme du personnage envahit le moindre recoin de page. Un homme sans scrupule qui joue avec des vies humaines comme il jouerait aux billes. Un reportage sur un homme amoral dont le business impacte fortement les marchés pétroliers… et fait donc la pluie et le beau temps sur les forces politiques internationales.
« Achat. Vente. De loin, cela ressemble à n’importe quel deal. Comme la guerre sur le terrain ressemble à n’importe quelle autre guerre ».
numéro 2 – Collectif – Hiver 2013-2014
Dans les pas des soigneurs, la suite et fin du reportage de Marion Montaigne au Zoo du Jardin des Plantes. L’auteure s’intéresse cette fois au personnel du zoo. J’avais apprécié le ton décalé que Marion Montaigne utilise dans le premier volet de son reportage. Pourtant ici, j’ai survolé la lecture d’un œil distrait, lui trouvant des longueurs malgré la brièveté du documentaire (une quinzaine de pages). C’est de loin la contribution que j’ai le moins apprécié dans ce deuxième numéro.
numéro 2 – Collectif – Hiver 2013-2014
Les écoutes made in France – Amesys en Libye (Jean-Marc Manach & Nicoby). En 2010, Jean-Marc Manach reçoit un message anonyme d’une « gorge profonde » (nom utilisé par les journalistes pour désigner leur informateur. D’abord sceptique, Manach décide cependant de vérifier cette information qui « indique que Bull ne fait pas que protéger la vie privée, mais qu’elle aurait aussi vendu un système de surveillance de l’Internet à Kadhafi ». Ses recherches l’amènent à enquêter sur AMESYS, une P.M.E. rachetée par Bull en 2010 ; Amesys aurait créé un système de surveillance massive d’internet (appelé « Eagle ») à la demande du gouvernement libyen. C’est finalement grâce au Printemps arabe (voir également l’ouvrage de Pierre Filiu et Cyrille Pomès sur ce mouvement) qui va impacter la Libye en février 2011, qu’il va pouvoir accéder aux éléments qui lui manquaient et faire aboutir son investigation.
« Eagle, c’est un peu comme Google. Tu entres le nom de celui que tu veux surveiller et il te ressort la liste de tout ce qu’il a fait sur le Net, des gens avec qui il était en contact avec la liste des mails et fichiers qu’ils ont échangés. Tu peux aussi entrer un mot-clé et avoir la liste de tous ceux qui l’ont recherché dans Google ou écrit dans leur mail ».
Un reportage consistant parfaitement illustré par Nicoby. Une dérive numérique effarante tant la facilité avec laquelle s’utilise l’application de surveillance est enfantine. Des sous-entendus sont également présents, comme le fait que la Libye aurait été « un laboratoire d’expérimentation » pour les équipes d’Amesys soucieuse de tester leur produit… sous-entendant de fait que d’autres états ont également payé pour se procurer ce produit…
Opérationlobbying, seconde partie du reportage sur les gaz de schiste (Sylvain Lapoix & Daniel Blancou). Les méandres de l’Administration (Ministère, Préfectures, Mairies… tous les échelons organisationnels sont concernés) mais aussi compagnies pétrolières. Le journaliste prend le temps de revenir sur chaque terme : fracturation hydraulique, pollution des nappes phréatiques, énergies extrêmes…
Gros gros travail d’investigation qui nous est livré ici. Extrêmement documenté, extrêmement argumenté. Le travail de Daniel Blancou m’a légèrement fait pensé à celui de Philippe Squarzoni sur l’utilisation de visuels issus de l’imagerie collective, un choix qui appuie parfaitement le propos de Sylvain Lapoix. La dernière partie de ce reportage se penchera sur « la dimension géopolitique de cette nouvelle industrie », propos extraits du dossier thématique figurant à la fin du reportage. Ce dossier thématique nous apprend aussi que les trois volets de ce reportage consacré aux gaz de schiste feront prochainement l’objet d’un album à paraître aux Editions Futuropolis. Un régal… pour ceux qui n’ont pas encore lu les deux premiers numéros de la Revue dessinée, je vous recommande vivement l’achat de cet album à venir 😉
numéro 2 – Collectif – Hiver 2013-2014
Les plaies de Fukushima, un reportage sur le nucléaire réalisé par Emmanuel Lepage. Il fait le point trois ans après la catastrophe. Trois ans ! 11 mars 2011 ! Déjà !!
« Le dessinateur Emmanuel Lepage s’est rendu sur place en novembre 2012. Il a obtenu le droit de pénétrer dans la zone d’exclusion et raconte dans ce reportage la désolation et la détresse de cette terre sinistrée pour une durée impossible à estimer » (extrait du texte de présentation du reportage).
Frappé par les images d’une réalité difficile à accepter, happé par les souvenirs de Tchernobyl, fort du recul et de la connaissance qu’il a de sa première expérience… le regard de l’auteur est juste, rempli d’émotions, il mesure parfaitement la gravité des constats qu’il fait et nous permet d’en prendre pleinement la mesure…
« Mon dosimètre indique un chiffre supérieur à celui observé au pied de la Centrale de Tchernobyl »
Il accueille le témoignage de locaux, à l’instar de celui de Monsieur Shigihara, propriétaire d’une maison située à deux pas de la centrale. Ce qu’il livre est édifiant : il parle du tremblement de terre, plus long qu’à l’accoutumée, il parle de ses petites filles qui étaient chez lui au moment de la catastrophe, il parle des démarches qu’il a faites pour se renseigner après avoir appris qu’il y avait eu un incident à la Centrale et « Je suis allé demandé des informations aux autorités. On m’a garanti qu’il n’y avait rien à craindre. Je suis allé interroger ces hommes en combinaison blanche. Ils nous confirment que les taux n’étaient pas dangereux pour notre santé. J’ai gardé mes petites-filles à la maison. Je faisais confiance aux hommes en blanc, au professeur Takamura qui était venu nous voir au Gouvernement, à Tepco. Ma peau a pelé. Le 22 juin, on nous a dit de partir. Trois mois plus tard. (…) On nous a menti ». Il s’arrête aussi sur l’incertitude dans laquelle on le maintient : conséquence sur sa santé et celle de ses petites-filles, possibilité de revenir un jour habiter dans sa maison…
Des morts forts, des mots honteux… comment ne pas être indignés par l’irrespect flagrant dont témoigne le gouvernement japonais dans la gestion de cette crise. Une gestion médiocre… jugez-en
« Tout semble neuf ici. Neuf et abandonné. Ce ne sont pas encore des ruines. Ca n’en est que plus troublant. Seule la maison de retraite est restée ouverte. Les autorités ont estimé que la contamination aurait peu d’effets chez les personnes déjà âgées… et qu’il n’était donc pas nécessaire de les déplacer ».
La couleur ici n’apparait pas ou timidement. Elle n’a pas sa place comme elle pouvait l’avoir, à juste titre, dans Un Printemps à Tchernobyl. « Paysage de désastre où tout n’est plus que camaïeu de bruns, d’ocres et de sépias »…
Les rubriques
Le Binôme propose de courtes chroniques économiques et met en scène MisterEco, un personnage qui vulgarise les grands concepts économiques ; Le binôme se penche cette fois sur l’américain Robert Barro, un économiste libéral,
Hervé Bourhis & Adrien Ménielle s’associent pour alimenter la rubrique Informatique ; il s’agit cette fois de visiter l’histoire des jeux vidéo,
Olivier Jouvray & Maëlle Schaller alimentent quant à eux le registre anticipatif sur la place que pourraient prendre, dans un avenir plus ou moins proche, nos petits gadgets modernes en apparence anodins ; une rubrique cynique, hilarante… et un peu flippante tout de même,
Arnaud Le Gouëfflec & Marion Mousse nous embarquent dans une nouvelle chronique musicale qui présente cette fois le jamaïcain Lee Perry,
David Vandermeulen & Daniel Casanave ferment ce second numéro de LRD sur une chronique de culture générale qui brosse le portrait de Thalès de Milet
Et toujours des bonus
Outre les publications exclusives publiées sur le site, chaque reportage donne la possibilité de scanner un code QR pour accéder à des contenus complémentaires. Enfin, les documentaires et témoignages s’achèvent sur un mini-dossier thématique regroupant les informations importantes de manière concise, renvoient vers une bibliographie qui explore la thématique et qui est toujours très riche en informations.
Manon ne s’entend pas avec son frère jumeau. Ce dernier ne cesse de se moquer d’elle devant leurs copains et à la maison, c’est jalousies, bouderies et compagnie ! Du coup, pour couper court aux chamailleries, maman demande souvent à Manon et à Tom (son frère) d’aller se calmer dans leurs chambres.
Pourtant, depuis quelques temps, cette punition n’en est plus réellement une pour Manon. Son copain secret – Eléphant – l’attend dans sa chambre. Avec lui, Manon parle de tout et de rien, mais surtout de ses petits soucis. Eléphant la conseille et la câline. Enfin, elle a trouvé quelqu’un qui fait attention à elle.
Mais ce n’est pas évident de garder le secret surtout qu’Eléphant fait de grosses bêtises !
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Après Petite souris, grosse bêtise paru aux Éditions La Gouttière en octobre 2009, cet album est la seconde collaboration entre Loïc Dauvillier et Alain Kokor. C’est l’occasion pour les auteurs de revenir sur le thème de la solitude de l’enfant et celui des bêtises. Mais aussi amusantes soient-elles, quelles en sont les conséquences ?
Avec beaucoup de finesse et de douceur, Loïc Dauvillier puise de nouveau dans les mondes imaginaires de nos petites têtes blondes pour construire son récit. Le petit lecteur peut s’identifier facilement à Manon car avouons-le… lorsqu’enfant on est pris dans le jeu ou que l’on s’ennuie, c’est bien naturel d’imaginer un voire plusieurs « amis » à qui donner la réplique. Qui parmi vous ne s’est jamais inventé un ami fictif étant enfant ?
Mais le scénariste pousse la chansonnette un peu plus loin en donnant vie à un personnage que l’on imagine inventé de toutes pièces par la fillette… sauf qu’il agit de manière totalement autonome ! Certes, l’aspect pataud de l’éléphant sert parfaitement le comique de situation et permet d’aborder des thèmes douloureux (les moqueries, la solitude, le mensonge…) sans que l’on s’apitoie sur la petite fille. Mais à trop vouloir protéger la fillette, le pachyderme en devient revanchard, ce qui donne lieu à des scènes cocasses ! Mais ce n’est pas tout, et c’est là que c’est intéressant car l’héroïne n’est pas du tout d’accord avec les agissements de son « copain secret ». Manon est donc confrontée à un sérieux dilemme : comment dire à son ami qu’elle n’est pas d’accord avec ce qu’il fait… tout en préservant leur amitié ? Qu’est-ce qui est bien ? Qu’est-ce qui est mal ?
Face à ces questions, l’enfant-lecteur n’est pas insensible. Partagé entre l’envie de rire et celle de dénoncer, la première lecture a mis mon fils dans l’embarras. Autant dire que Mon copain secret l’a déstabilisé :
– Tu dis que ce sont les Messieurs qui ont écrit Petite souris, grosse bêtise qui ont fait Mon copain secret ?
– Oui.
– Et tu crois que ce qu’ils disent ça peut se passer pour de vrai ?
– Je ne pense pas bonhomme.
– Mais qui fait les bêtises alors ? C’est Manon ?
– Je pense que c’est son copain secret.
– Ah ! … [un moment de réflexion… son cerveau est en ébullition]… Alors je vais jouer un peu et on pourra lire encore l’histoire cet après-midi ?
En effet, ce n’est pas toujours évident de prendre du recul sur une histoire fictive lorsque celle-ci est si joliment amenée. D’autant que les chamailleries des jumeaux lui rappellent ses propres chamailleries avec son frère, d’autant que mon bonhomme a tendance à se perdre dans ses pensées (avec qui ?? ^^)… Et le fait que la jeune héroïne (âgée de 10 ans) soit la seule à donner son avis sur les faits et gestes de ce copain secret est visiblement déroutant. Qu’en pense l’adulte dans tout ça ?? La seconde lecture lui a permis de mieux appréhender le contenu de cet album et de garder son aplomb face à mes « non-réponses ». En effet, je voulais qu’il se positionne seul face à l’histoire, qu’il se fasse sa propre opinion avant de partir avec lui dans l’échange réciproque…
… et finalement, voici ce qu’il en dit :
C’est une histoire que je relirais parce qu’elle est rigolote. L’éléphant fait plein de bêtises et ça m’a fait penser aux animaux qui sont un peu zinzin.
Tom et Manon font pareil que moi et mon frère, ils se disputent fort pour des choses quand ils ne sont pas d’accord. C’est comme quand Manon a dit qu’elle a trouvé un éléphant dans son placard. Si mon frère me disait ça, je regarderais dans son placard et je lui donnerais un coup de pied dans les fesses parce que j’aime pas quand il se moque de moi !
Et un éléphant dans une chambre… euh… c’est pas sa place !!! Du coup, je trouve l’histoire très bizarre et c’est pour ça qu’elle me fait rire. Moi je rêve pas d’un copain secret mais j’aimerais quand même bien avoir un chien ! Pour le Monsieur qui a dessiné l’histoire, je voudrais lui dire que je l’ai trouvé très gentil et que je trouve le dragon qu’il m’a dessiné (*) très beau. En fait, je suis plus fâché, même s’il a oublié de lui dessiner des ailes. Et puis je trouve les trouve jolis [les dessins de Manon], j’aime bien ses dessins !
Le graphisme justement, parlons-en. La douceur et la poésie se sont installées au bout des crayons d’Alain Kokor. L’ambiance pétille un peu moins que dans Petite souris, grosse bêtise, mais cela tient également aux personnalités différentes des fillettes. Suzie était plus spontanée que Manon, mais elle était aussi plus jeune. Manon a plus de retenue et de maturité. Les roses-orangés qui accompagnent son univers sont donc plus délicats mais tout aussi chaleureux. Visuellement, le voyage est très agréable.
Une lecture que je partage également avec Mango à l’occasion de ce mercredi BD
Et découvrez les albums présentés par les autres lecteurs !
Décidément, les choix éditoriaux de La Gouttière ne laissent pas les jeunes lecteurs insensibles. Après avoir refermé les albums, il y a toujours un temps d’échange durant lequel l’enfant (se) questionne spontanément. De publication en publication, la forme ludique sert habillement le fond qui est plus réflexif. Il y a un jeu de miroir entre l’univers raconté et la réalité de l’enfant… il revient donc au parent d’aider l’enfant à tisser les passerelles entre un monde et l’autre. Laissez-vous tenter !!