
L’Académie magique des SuperMutants accueille des élèves dotés de pouvoirs paranormaux. Des adolescents boutonneux ou charismatiques, des beaux et des laids, des doués et des cancres…
Entre rêveries et réalité, les adolescents de Jillian Tamaki font le grand écart entre le monde de l’enfance qu’ils peinent à quitter (malgré leurs grands discours pour se convaincre du contraire) et le monde des adultes qu’ils rejettent, ils s’y opposent autant qu’il les fascine. Ils sont en équilibre permanent sur ce fil ténu qui sépare le monde fantastique de leur imaginaire et le monde tout aussi vaste de la réalité virtuelle. Ces ados sont capables de tout et de rien et consacrent des heures entières à jouer à Donjon & Dragon, à procrastiner, à refaire le monde ou à se morfondre.
Il y a Wendy que les garçons reluquent à tout bout de champ, Masha et son éternel mal de vivre, Frances et ses idées réactionnaires, Trevor et son côté morbide, Trixie et ses préoccupations aussi insipides que superficielles… tous deviennent tour à tour le personnage principal. La structure du récit choral fonctionne à merveille, nous permettant d’avoir un œil sur tous les personnages et de les voir interagir entre eux. On a une vision d’ensemble de ce petit microcosme où l’on voit évoluer des ados au physique parfait, d’autres avec des têtes d’otaries, d’aliens ou simplement des petites oreilles de chat toutes mignonnes… Heureux sont ceux qui n’ont pas à ajouter encore, sur ces difformités, d’épaisses lunettes.
Jillian Tamaki questionne toujours et encore l’adolescence. La dernière fois que je l’avais lu, c’était sur Cet été-là, un album qui montrait tout ce qu’il y a de douloureux et de fascinant dans cette période de la vie. Qu’est-ce qui se passe quand on n’a pas totalement quitté le monde de l’enfance mais que l’on n’est pas encore prêt à entrer de plein pied dans l’âge adulte ? Qu’arrive-t-il lorsqu’on a déjà force de conviction mais que par ailleurs, on est incapable de s’assumer économiquement, sainement, pleinement ? Une période charnière durant laquelle on ne peut éviter la remise en question.
Bien que cet album compile des historiettes d’une page, Jillian Tamaki parvient à construire un récit patchwork cohérent. Au début de la lecture, on peut avoir l’impression de butiner des anecdotes mais le fait de voir revenir les personnages à intervalles réguliers nous permet finalement de bien les cerner. Ils ont des personnalités aussi différentes que complémentaires, la scénariste ne fait jamais dans la caricature grossière et le résultat est qu’elle donne une vision assez juste de ce qu’est l’adolescence. Une vision assez complète des problématiques de cet âge. On retrouve l’importance du paraître (du look en général, de la fringue à la coiffure) mais Jillian Tamaki parle aussi de la mutation du corps que l’adolescent ne reconnaît plus tant il est en état de changement permanent. La métaphore graphique rend très bien compte de ce flottement chez l’adolescent. Enfin, Tamaki s’intéresse aussi aux sujets de conversations que les ados peuvent avoir : un discours à la fois naïf et puéril mais rempli de questions métaphysiques et existentielles très pertinentes.
Je me rappelle de ma cuisante déception après avoir lu Les Mutants, un peuple d’incompris (de Pauline Aubry). Cet album parlait des ados (à la décharge de l’album, il parlait de ces ados « border-line » qui ont besoin d’un accompagnement des équipes de psychiatrie). Les mêmes questions revenaient mais c’est surtout cette étiquette de « mutant » qui me fait faire le parallèle. Mais l’album de Pauline Aubry était décevant (trop naïf, trop autocentré et trop terre-à-terre). Pas évident de parler de l’adolescence mais je sais pourtant qu’un tel sujet peut être transcendé grâce au médium qu’est la bande-dessinée. Comment ne pas penser à Black Hole de Charles Burns ?
Le récit choral fonctionne bien. La structure narrative sert réellement le sujet de l’histoire. L’album a le mérite d’être clair et d’employer la métaphore graphique de façon pertinente. Un album sur lequel vous devriez jeter un œil ne serait-ce pour qu’on puisse en reparler ensemble.
La « BD de la semaine » a aujourd’hui rendez-vous chez Noukette.
SuperMutant Magic Academy
One shot
Editeur : Denoël
Collection : Denoël Graphic
Dessinateur / Scénariste : Jillian TAMAKI
Traducteur : Lili SZTAJN
Dépôt légal : octobre 2017
276 pages, 21.90 euros, ISBN : 978-2-207-13470-2
Bulles bulles bulles…