Trois heures (Neyestani)

En matière de BD documentaire et/ou reportage, il y a – pour moi – des auteurs incontournables. Au même titre que Joe Sacco, Emmanuel Lepage ou encore Igort [pour ne citer qu’eux], Mana Neyestani a déjà prouvé à plusieurs reprises qu’il avait tout à fait sa place dans les auteurs qui ont ce talent de raconter une histoire en dépliant l’Histoire. Que ce soit dans un registre autobiographique comme dans « Une métamorphose iranienne » ou en reprenant un fait historique réel comme avec « L’Araignée de Mashhad » , Mana Neyestani témoigne avec force et conviction sans toutefois s’autoriser à juger arbitrairement. Sa plume nous informe, nous rend critique et nous permet d’acquérir une vision large d’une situation, d’une problématique… on se glisse alors entre les mots et on s’appuie sur ces espaces blancs laissés entre les cases pour tirer nos propres conclusions. Enrichissant.

Témoigner pour ne pas oublier. Témoigner pour dénoncer et dire sa désapprobation. Témoigner pour que d’autres sachent, que d’autres y réfléchissent… que d’autres en parlent à leur tour. Voilà la manière dont je perçois son travail.

Avec « Une métamorphose iranienne » , l’auteur nous parlait d’improbable. Improbable que la liberté d’expression soit aussi malmenée. Improbable qu’un régime politique aille aussi loin pour museler des individus, les contraindre au silence et les forcer à la docilité. Et pourtant… C’est « à cause » d’un petit crobard que Mana Neyestani a été contraint à fuir clandestinement l’Iran. Un petit crobard pour la presse que des gens sans humour, sans consistance, sans libre-arbitre ont jugé inapproprié et ont prétendu que ce crobard était capable d’ébranler tout un système…

C’était en 2006.

Depuis, les années ont filé. Mana Neyestani a vadrouillé. Il a obtenu des résidences d’auteur et a trouvé un « chez-soi » sur le territoire français. En 2017, il vivait en région parisienne. Sa vie reconstruite, il n’oublie pourtant rien des troubles qu’il a vécus. Il n’oublie rien des pressions, du chantage, des détentions, des gardes-à-vue que les autorités de son pays lui ont fait subir. Il n’a rien oublié du traumatisme qu’il a subit en Iran. Il a profondément changé. Marqué au fer rouge par cette période, il perdu cette part de nonchalance qui l’autorisait à croire qu’il n’avait rien à craindre pour son intégrité. Cette expérience a, en revanche, renforcé ses convictions. Il continue à avancer, conscient que la vie ne l’attendra pas s’il décide d’en être un passager.

Neyestani © Çà et Là & Arte Editions – 2020

Et le voilà à vivre ces « Trois heures » de 2017. « L’Araignée de Mashhad » vient de paraître et Mana Neyestani doit se rendre au Canada pour la promotion de l’album. Il soigne particulièrement les préparatifs de son départ. Papiers d’identité, planning une fois sur place… il pense le moindre détail, anticipe tout pour que les impondérables n’aient aucune prise sur lui.

« Je ne dois pas porter de chaussures à lacets. Quand on n’est pas très doué pour faire et défaire rapidement ses lacets, ce qui est mon cas, les contrôles de sécurité peuvent être considérablement prolongés par le fait de retirer puis de remettre ses chaussures. »

Le jour du départ, il se rend à l’aéroport trois heures avant l’heure de l’embarquement. Trois heures c’est largement pour enregistrer ses bagages, passer les contrôles de sécurité, lire pour oublier d’avoir stressé à l’idée des complications qu’il aurait pu rencontrer. Trois heures, c’est plus que trop même. Pourtant, une fois de plus, le contrôle de routine va virer au cauchemar. Son passeport n’est pas reconnu par le système informatique de l’aéroport. Le temps des vérifications administratives s’éternise. Une heure. Deux heures. Trois heures. Une interminable attente durant laquelle Mana Neyestani a tout loisir de repenser aux expériences passées et à son quotidien… à commencer par la course folle des déboires administratifs qu’il a dû mener pour effectuer ce voyage. Balloté entre la Préfecture, les ambassades… ce récit est l’occasion d’aborder la réalité kafkaïenne des réfugiés…

« Pourquoi je ne dis rien et je ne râle pas ? Peut-être parce qu’en tant que réfugié, je me sens comme un gosse que sa mère n’a pas hésité à virer de chez lui d’un coup de pied dans le derrière… et qui a été recueilli par des étrangers. Un réfugié est un orphelin qui ne doit pas se montrer trop exigeant avec sa famille d’accueil. »

Le récit nous met face à un constat édifiant, déprimant. Bien sûr, on connait cette réalité. On connaît la rigidité des démarches administratives. La rigueur des fonctionnaires veillant à ce que chaque mot soit à la bonne place et que chaque justificatif fourni corrobore chaque information. « Qu’est-ce que vous avez foutu dans les cases ? Ça déborde ! (…) on vous demande de répondre par « oui » ou par « non » alors : ça dépend, ça dépasse ! » constate Katia en lisant le formulaire complété par Zézette dans « Le père noël est une ordure » . Sauf qu’ici, Mana Neyestani veille à ne rien laisser dépasser pour qu’aucun grain de sable ne grippe les procédures. Mais c’est sans compter l’existence d’aprioris des gens natifs du Moyen-Orient. Délit de sale gueule, préjugés… la suspicion complexifie tout, jusqu’aux rapports humains. Mana Neyestani fait le point sur cette expérience qui a un goût de déjà-vus.

Il liste les amères et angoissantes auxquelles il a été maintes fois confronté. La France est-elle vraiment la terre d’accueil qu’elle prétend être ? Pourquoi accule-t-elle des personnes réfugiées des peurs sourdes comme celle du rejet ? Avec des mots crus, Mana Neyestani se confie sur les maux qui le ronge. A l’aide de son crayon, il dépeint de façon réaliste son quotidien et évite l’écueil du pathos en utilisant de belles métaphores graphiques. Un dessin tout en rondeur, tout en douceur pour décrire un quotidien aux facettes anguleuses et qui entretient un sentiment d’insécurité permanent.

Une réflexion sur l’identité, le déracinement, la place qu’une société laisse à un individu et le fait qu’elle le ramène sans cesse à son statut d’étranger. Un très beau témoignage.

Trois heures (récit complet)

Editeurs : Çà et Là & Arte Editions

Dessinateur & Scénariste : Mana NEYESTANI

Traduction : Massoumeh LAHIDJI

Dépôt légal : octobre 2020 / 124 pages / 16 euros

ISBN : 978-2-36990-283-6

L’Araignée de Mashhad (Neyestani)

Neyestani © Ça et là – 2017

Saïd Hanaï était un maçon, père de famille et mari attentionné. Il vivait à Mashhad (la ville est considérée comme une ville sainte, elle se situe dans l’Est de l’Iran). Saïd Hanaï était musulman, croyant et fervent pratiquant. Musulman, croyant, Saïd Hanaï s’était donné pour mission de nettoyer Mashhad de la débauche. Entre août 2000 et août 2001, il a tué 16 prostituées. En août 2001, il s’en prend à une dix-septième prostituée mais c’est l’acte de trop. Il est arrêté et emprisonné. Surnommé « le tueur araignée », il croupira en prison jusqu’à son exécution en avril 2002.

Durant son incarcération, deux journalistes, Mazia Bahari et Roya Karimi, sont allés l’interviewer. Ils ont filmé cette rencontre. C’est en regardant ce documentaire que Mana Neyestani a eu envie d’adapter ce parcours atypique en bande dessinée et d’y mêler faits réels et fiction. En introduction, l’auteur précise d’ailleurs : « Ce livre résulte de la combinaison entre le documentaire de Mazia Bahari et mon propre imaginaire. Je n’ai pas tenu à être fidèle point par point à la réalité des faits, mais plutôt à m’inspirer de l’esprit des événements décrits ».

Ce qui marque en premier lieu, c’est la vie très ordinaire du tueur en série. Une enfance banale jusqu’à ce qu’il parte à la guerre dans les années 1980 (guerre Iran-Irak). On saisit vite que le conflit l’a traumatisé. Puis, il retourne à la vie civile, trouve du travail et se marie. Le Coran lui montre la voie à suivre, les règles à respecter ; la religion rythme sa vie. En fidèle croyant, il connaît les textes sacrés par cœur mais applique sa propre vision de la charia.

Quelle créature ? Une créature divine ne tomberait pas dans la débauche et la luxure. Si vous vouliez appliquer la loi divine, vous feriez vous-même lapider une femme adultère. Ce n’est pas un meurtre, c’est la stricte justice divine.

Mana Neyestani s’était fait connaître en France avec son excellent témoignage autobiographique « Une métamorphose iranienne ». On retrouve ici son style. Le propos va à l’essentiel et montre sans jugement toutes les contradictions d’une société prise à son propre piège et ballotée entre les traditions, la religion et la démocratisation.

Le journaliste iranien nous permet d’avoir plusieurs points de vue sur cet événement. Les entretiens avec le meurtrier sont le cœur du récit mais l’auteur l’enrichit du point de vue d’une victime, du juge en charge de l’affaire, de l’opinion publique. Des extraits de la rencontre avec la femme et le fils sont également de la partie.

Graphiquement, c’est tout aussi pertinent. Les dessins n’agressent à aucun moment et les jeux de hachures construisent une narration visuelle très fluide. L’ambiance graphique est sereine, presque posée. Elle donne un côté intimiste au reportage. Pas de tensions, pas de suspense mais une observation à la fois objective et empathique.

La personnalité du tueur est à la fois fascinante et terrifiante. Jamais il ne s’excusera pour les meurtres commis, convaincu d’être dans son bon droit et d’appliquer la justice divine.

Mana Neyestani relate, expose et suppose. Il tisse des liens entre le passé du tueur et son présent, il cherche à comprendre ce qui peut conduire un homme à tuer avec un tel sang-froid, sans aucune considération pour les prostituées, les considérant comme des choses insignifiantes. Il se questionne aussi sur le fait que l’opinion publique donne raison à cet homme et l’excuse au point d’en faire un héros.

Extraits :

« C’est comme d’aller à la guerre, j’estime que c’est le devoir de tout bon musulman » (L’Araignée de Mashhad).

« Si Saïd avait tué quelqu’un sans raison, j’aurais été perturbée, effrayée… mais seize femmes dépravées, ça ne s’appelle pas des assassinats. Il y a un projet derrière, un engagement. Saïd a toujours été un homme très responsable. (…) Si Saïd a commis une faute, c’est peut-être d’avoir accompli le devoir du gouvernement à sa place » (L’Araignée de Mashhad).

« J’avais une soif de revanche insatiable. L’autre jour, en isolement, je me suis mis à compter. Il reste encore quatre-vingt femmes dont je voulais m’occuper dans le secteur que je surveillais. Mais le temps m’a manqué » (L’Araignée de Mashhad).

L’Araignée de Mashhad

One Shot
Editeur : Ça et là
Dessinateur / Scénariste : Mana NEYESTANI
Traduction : Massoumeh LAHIDJI
Dépôt légal : mai 2017
164 pages, 18 euros, ISBN : 978-2-36990-238-6

Bulles bulles bulles…

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L’Araignée de Mashhad – Neyestani © Ça et là – 2017

La « BD de la semaine » est aussi chez :

Sabine :                                      Enna :                                    Mylène :

Antigone :                                Saxaoul :                                   Karine :

Amandine :                                     Fanny :                                  Blandine :

Sophie :                                Gambadou :                                 Noukette :

Jérôme :                                   Jacques :                                    Bouma :

Soukee :

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Tungstène (Quintanilha)

Quintanilha © Çà et Là – 2015
Quintanilha © Çà et Là – 2015

« Salvador de Bahia, Brésil, de nos jours. Les chemins de quatre habitants de la ville vont se croiser au pied du Fort de Notre-Dame de Monte Serrat, à l’occasion d’un fait divers. Cajù, un dealer à la petite semaine en galère, Monsieur Ney, militaire à la retraite complètement névrosé et Richard, policier réputé mais mari exécrable en passe de se faire quitter par sa femme, Keira, se retrouvent tous impliqués dans un incident d’apparence anodine, mais qui va vite dégénérer en une situation dramatique » (extrait synopsis éditeur).

« Tungstène, nom masculin, métal lourd dont la couleur varie du gris acier au blanc étain. Le tungstène est le métal ayant le plus haut point de fusion (3422 °C) ». Cette définition du tungstène nous accueille dès le rabat de couverture et laisse à penser que la tension du scénario va lentement monter jusqu’à atteindre son point culminant… le moment où toutes les pièces du puzzle narratif vont s’imbriquer et aboutir au dénouement.

Car il est bien question de puzzle narratif. Marcello Quintanilha, auteur brésilien, propose un polar qui va mettre un certain temps avant de trouver son rythme. Pendant la majeure partie de l’album, le lecteur a l’occasion de suivre les bribes de vie de quatre personnages (trois hommes et une femme) et rien n’indique que leurs parcours respectifs sont amenés à se croiser, excepté en ce qui concerne un jeune rasta (Cajù) et un militaire retraité (Mr Ney). Quant aux deux autres personnages, les passages durant lesquels ils apparaissent ne nous apprennent rien de nouveau sur l’espèce humaine ; la femme marasme dans son envie de rompre son mariage, l’homme saute d’anecdotes en anecdotes pour faire rire la galerie. Pendant une bonne moitié de l’album, je me suis demandé quel était l’intérêt que tout cela soit porté à notre connaissance… si l’on pouvait espérer que ces éléments soient utiles pour l’histoire que l’on suit.

A défaut de trouver un sens à la présence de quatre personnages aussi différents qu’insignifiants, la lectrice que je suis a fait un réel effort pour ne pas abandonner sa lecture. Un choix qui a finalement été payant mais il a fallu attendre la moitié de l’album pour le constater. In fine, on est pris dans le rythme, on apprécie les sauts de puce que l’auteur nous force à faire ce quatuor d’individus. Pour autant, il faudra accepter les lourdeurs de certains passages. L’auteur a tendance à insister sur un désaccord, sur un quiproquo, un doute…

Les dessins de Marcello Quintanilha sont très lisibles. Ils permettent de se repérer facilement, situer chacun des personnages et les différents contextes dans lesquels ils évoluent. Pour autant, le trait n’est pas séduisant. L’utilisation du noir et blanc est classique, aucune illustration ne régale les pupilles. J’ai trouvé l’ambiance graphique d’une fadeur décevante alors que le rythme narratif finit par trouver son équilibre et tenir le lecteur en haleine.

pictobofUn polar que j’ai lu sans conviction. Il faut s’accrocher pour investir les personnages, accepter leurs travers et leurs faiblesses. On peine à entrer dans l’univers et même si l’on finit par investir les personnages, c’est en s’accrochant au livre que l’on y parvient. Au passage, il sera question de corruption, de drogue, de deal, de violences policières et de violences conjugales… trop de sujets effleurés qui éparpillent le lecteur. En France, cet album a été nominé à plusieurs reprises (Sélection Polar Festival d’Angoulême 2016, Sélection Prix de la BD FNAC 2016, Sélection Grand Prix de la critique ACBD 2016) et j’avoue ne pas comprendre l’engouement pour ce travail.

Les chroniques d’OliV, de Lo, d’Alfie’s mec et de Baptiste.

Tungstène

One shot

Editeur : Çà et Là

Dessinateur / Scénariste : Marcello QUINTANILHA

Traduction de Christine ZONZON et Marie ZENI

Dépôt légal : août 2015

ISBN : 978-2-36990-215-7

Bulles bulles bulles…

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Tungstène – Quintanilha © Çà et Là – 2015

Une case en moins (Forney)

Forney © Guy Delcourt Productions – 2013
Forney © Guy Delcourt Productions – 2013

En 1998, Ellen Forney engage une thérapie pour soigner sa bipolarité. Il faudra près de quatre ans, au rythme d’une consultation par semaine dans les premières années, un ajustement permanent de son traitement afin d’être enfin stabilisée.

Dans cet album, elle se livre et raconte le parcours du combattant par lequel elle a dû passer.

C’est vers l’âge de 30 ans qu’Ellen Forney se fait diagnostiquer bipolaire. Lorsqu’on ouvre l’album, la maladie ne fait pas encore partie de son quotidien… du moins, elle est dans le déni. On entre donc dans le récit alors qu’elle est en pleine phase maniaque. A ce moment précis du témoignage, le ton est enjoué, l’auteure est mue par un dynamisme qui semble inépuisable. Elle profite de cette « phase » pour poser quelques termes liés à la maladie et des références comme celle du DCIM IV apparaissent alors. Ellen Forney ne les aborde pas frontalement, se concentrant sur son quotidien et la lente acceptation des symptômes.

Puis, vient la dépression. Les traits de l’auteure sont plus tirés, le volume des mots contenus dans les phylactères diminue de manière significative, le débit narratif ralenti. De nouveau, Ellen Forney s’attarde sur les signes qui définissent le mieux son comportement lorsqu’elle est dans le creux de la vague. Elle est double et en prend pleinement conscience. Une pensée plus réflexive apparaît alors dans son témoignage, c’est l’occasion de revenir sur certains termes rapidement défini lors de sa phase hystérique à commencer par la dissociation des deux phases (la manie et la dépression). N’hésitant pas à se renseigner par le biais d’ouvrages cliniques, de témoignages de patients (souvent des artistes), des études scientifiques… l’auteure chemine doucement dans l’acceptation du symptôme. Pas à pas, elle intègre cette particularité de sa personnalité.

Une case en moins – Forney © Guy Delcourt Productions – 2013
Une case en moins – Forney © Guy Delcourt Productions – 2013

Le scénario retrace une chronologie qui couvre les dix dernières années de la vie de l’auteure. Le témoignage s’ouvre à l’année 1995 alors qu’elle s’apprête à fêter son trentième anniversaire. La période allant de 1998 à 2002 (et correspondant à la durée de la thérapie) est la partie la plus consistante de l’ouvrage. Enfin, les deux derniers chapitres referment progressivement la porte sur la vie de l’auteure, lui permettant de conclure avec recul ce qu’elle retient de cette expérience et ce que cette dernière lui a enseigné.

Côté graphique, c’est une surprise incessante. On passe en permanence de planches basiquement structurées (la découpe classique de la bande dessinée en bandes, ces bandes étant elles-mêmes composées de cases). Mais la plupart du temps, les dessins de Forney s’affranchissent complètement de ces délimitations. Le visuel flotte dans la page, libre… aussi libre que la pensée. Ces interprétations visuelles sont libres et n’hésitent pas à utiliser la métaphore graphique pour suggérer au lecteur l’ampleur d’un mal-être. Dans la partie centrale de l’album, qui correspond à la période la plus critique pour l’auteure, cette dernière reproduit même des croquis extraits de son carnet personnel. Réalisés à la volée ou de manière plus posée, le dessin a effectivement été un exutoire pour Ellen Forney, lui permettant de tenir ses « démons » à distance. Outre le travail psycho-thérapeutique entrepris avec son psychiatre, le fait de dessiner a eu une vertu thérapeutique pour cette artiste.

PictoOKUn témoignage vibrant, troublant et dans lequel l’auteure ne s’épargne pas. Un ouvrage qui me conforte dans le fait qu’il est impossible d’aborder la question de la bipolarité en bande dessinée en rejetant l’idée que le dessin ne peut pas fluctuer dans différents styles graphiques. Ici, Ellen Forney n’a pas hésité à le faire. Du crayonné fin de ses croquis au trait épais de certains passages, d’une planche minimaliste à une planche surchargée, du bien rangé au tout fouillis… voilà qui décrit et porte de façon pertinente les variations auxquels sont soumis les bipolaires. Cette absence de spontanéité graphique manquait cruellement dans Journal d’une bipolaire (et je ne regrette pas les propos que j’ai tenu à l’époque).

Les chroniques de Cathia, David Fournol, Yaki, Jean-Marc Lernould.

Une lecture que je partage avec Mango :

Logo BD Mango Noir

Une case en moins

– La dépression, Michel-Ange et moi –

One shot

Editeur : Delcourt

Collection : Outsider

Dessinateur / Scénariste : Ellen FORNEY

Dépôt légal : octobre 2013

ISBN : 978-2-7560-4334-0

Bulles bulles bulles…

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Une case en moins – Forney © Guy Delcourt Productions – 2013

Chroniks Expresss #14

Dans cet article, des lectures d’octobre :

Des BD :

Moderne Olympia (C.Meurisse ; Ed. Futuropolis, 2014), La Mondaine #1 (Zidrou & J.Lafebre ; Ed. Dargaud, 2014), Amitié étroite (B.Vivès ; Ed. Casterman, 2009), Silver Spoon – tomes 2 à 4 (H.Arakawa ; Ed. Kurokawa, 2013), Arrête d’oublier de te souvenir (P.Kuper ; Ed. Çà et Là, 2009)

Des romans :

La Liste de mes envies (G.Delacourt ; Livre de Poche, 2013), Un passé inavoué (J.Esnault ; Ed. Velours, 2009), Lettres du Père Noël (J.R.R.Tolkien ; Pocket, 2013).

Bandes dessinées

Moderne Olympia

Meurisse © Futuropolis et Musée d’Orsay – 2014
Meurisse © Futuropolis et Musée d’Orsay – 2014

Après leurs collaborations avec le Louvre Paris et le Louvre Lens, Futuropolis inaugure un nouveau partenariat avec le Musée d’Orsay. Cette publication s’inscrit donc dans la continuité de la ligne éditoriale existante puisqu’on sait que le Musée d’Orsay, ouvert depuis 1986, regroupe des œuvres provenant des collections de trois musées dont Le Louvre. Ce musée a la particularité de présenter « l’art des quelques décennies qui s’écoulent entre 1848 et 1914 ».

Une cinquantaine d’œuvres du Musée d’Orsay font ainsi leur apparition dans le récit de Catherine Meurisse. Afin de ne pas s’y perdre et de permettre au lecteur de les identifier et/ou de les nommer, un récapitulatif des œuvres présentes est proposé en fin d’album. Malheureusement, nombreuses sont celles que je n’ai identifiées que sur le tard.

Catherine Meurisse (Elza) ne tergiverse pas et nous jette dans l’intrigue dès le début. Sous prétexte de la énième projection d’une énième adaptation de la tragédie de Shakespeare : Roméo et Juliette. Un film que notre héroïne, Olympia, ne manque bien sûr pas de visionner en boucle. Petite particularité qui n’a pas manqué de me poser question : Olympia apparaît généralement dans le plus simple appareil et cela ne semble pas lui poser le moindre problème. Cette jeune femme, en quête de célébrité, écume les castings afin de décrocher LE contrat qui lui permettra enfin d’accéder à la notoriété tant attendue. En attendant, les seconds rôles peu reluisants font l’affaire. Pour se consoler, ses copines du cabaret tente de lui faire admettre que la réalité ne tient pas tant au talent mais…

N’importe quelle actrice te le dira, pour faire la couv de Télérama, son grand secret c’est qu’elle forniqua… le tapis rouge parce qu’elle forniqua ! Casting facile parce qu’elle forniqua. Fleurs dans sa loge parce qu’elle forniqua. Fans à ses pieds parce qu’elle forniqua. Elue chaque année Miss Forniqua ! » etc (à lire sur la mélodie de « America » dans West Side story). Olympia ne manque donc pas de se remettre en question et de glisser lors des castings qu’elle a servis de modèle à des artistes peintres dont Gustave Courbet qui l’immortalisa dans « L’origine du monde…

PictoOKManet, Degas et tant d’autres peintres circulent ici, par clins d’œil et avec courtoisie et humour. Catherine Meurisse s’amuse et entraine son héroïne au-delà de ses limites. Le ton est cru, libertin et frais. Un bon moment de lecture.

Du côté des challenges :

Petit Bac 2014 / Bâtiment : Olympia

Challenge Petit Bac 2014
Challenge Petit Bac 2014

 

La Mondaine #1

Zidrou – Lafebre © Dargaud – 2014
Zidrou – Lafebre © Dargaud – 2014

Premier tome d’un diptyque qui commence en avril 1944. On découvre le personnage principal – Aimé Louzeau, inspecteur à la Brigade des mœurs – dans un abri parisien, attendant que les sirènes signalent la fin des bombardements. Aimé tue le temps en remontant ses souvenirs. Direction 1937, année de son arrivée à « La [brigade] Mondaine ».

Comme la dernière fois avec La Peau de l’Ours : j’en attendais beaucoup… j’en sors perplexe et je reste sur ma faim.

Zidrou et Jordy Lafebre : un duo qui s’était formé à une unique occasion, celle du travail de collaboration sur Lydie. Le résultat était pour moi un album fort, abouti, touchant… Comment pouvait-il en être autrement pour un autre album réalisé par ces deux auteurs ? Je ne l’envisageais pas !

Pourtant, je n’ai eu aucun plaisir à lire cet album sans surprise.

Je regrette la découpe proprette et basique des planches, le côté un peu convenu du scénario, l’utilisation très « cliché » de la prostitution, les confidences qui sonnent faux… Il n’y a rien d’original ici, rien que du déjà-vu et du déjà-lu.

PictomouiJ’ai vu le tome 2 en librairie… c’est bien, mais je ne suis pas intéressée par ce qui peut bien s’y passer. Si un lecteur compréhensif pouvait m’aiguiller sur un autre album de Zidrou…

 Amitié étroite

Vivès © Casterman – 2009
Vivès © Casterman – 2009

Francesca et Bruno se connaissent depuis le Lycée. Bruno a toujours été studieux et inhibé quant à la belle et insouciante Francesca, elle a toujours préféré privilégié les sorties avec ses copines et le shopping aux études. Comment ces deux-là en sont arrivés à sympathiser reste une énigme. Toujours est-il qu’ils se sont liés d’amitié en partie grâce à l’aide que le jeune homme apportait durant la scolarité (aide aux révisions, aux devoirs)… Ils ont flirté et se sont aimés.

Aujourd’hui, ils ont vingt ans et sont à l’Université.

« Comme presque tous les jeunes gens de leur génération, ils ont une vie sentimentale et sexuelle très libre, passant sans entraves et sans états d’âme d’un(e) partenaire à un(e) autre – et sans pour autant cesser de fréquenter leurs «ex». Mais le cas de ces deux-là est un petit peu plus particulier. Anciens amants, ils ont préservé entre eux l’une de ces «amitiés étroites» qui donne son titre à l’ouvrage : toujours sur le fil du rasoir entre la connivence sensuelle et l’amitié amoureuse, toujours en situation de dépendance affective mutuelle. Une relation très spéciale, et d’où les autres, tous les autres, sont exclus sans appel » (extrait du synopsis éditeur).

Bastien Vivès est un auteur en vogue. Né en 1984, il compte déjà à son actif une bonne quinzaine d’albums. C’est en publiant ses strips sur le net qu’il s’est fait repérer par Casterman ; l’éditeur lui a offert la possibilité de publier son premier titre. Elle(s) verra ainsi le jour en 2007 suivi de peu par Le goût du chlore, Hollywood Jan (Casterman sous le label KSTR) et La boucherie (publié chez Vraoum) en 2008. Amis lecteurs qui souhaiteriez accéder à une bio plus complète de Vivès, je vous invite à prendre connaissance de celle de Phylacterium (en cliquant sur ce lien).

Quant à moi, je balbutie encore dans ma connaissance de son univers. Début 2010, je découvrais son travail par l’intermédiaire du Goût du chlore, un ouvrage qui divise la critique ; je pourrais résumer en un « ça passe ou ça casse ». Amitié étroite et beaucoup moins contemplatif. Il décrit une relation amoureuse inaboutie entre deux jeunes gens. L’absence de communication entre eux étouffe complètement leurs sentiments qu’ils n’osent assumer. On est là face à un étrange jeu de séduction, très ambigu. Le dessin de Bastien Vivès est basique, les couleurs sont plates… trop lisses. Cependant, quelques variations sur certains passages nous font passer à une ambiance graphique qui vient suggérer l’émoi dans lequel les deux protagonistes se retrouvent lorsqu’ils sont ensemble.

PictomouiPas de coup de cœur, pas de déception, je suis assez neutre sur cette lecture qui, à n’en pas douter, va s’oublier très vite.

Les chroniques de Zazimuth, Mango et Lorraine.

Silver Spoon, tomes 2 à 4

Arakawa © Kurokawa – 2013
Arakawa © Kurokawa – 2013

Arakawa © Kurokawa – 2013
Arakawa © Kurokawa – 2013

Suite de ma découverte de la série après le tome 1 qui décrit l’arrivée de Yugo, jeune citadin, dans un Lycée agricole. Le personnage se cherche un avenir via un projet professionnel. Faute de mieux, il jette son dévolu sur la filière agricole sans trop savoir ce qu’il va y trouver. Contre toutes attentes, il se révèle à lui-même.

Arakawa © Kurokawa – 2013
Arakawa © Kurokawa – 2013

Le premier tome se refermait juste après que Yûgo ait découvert un four à pain sur la propriété du Lycée agricole d’Ohezo. Il décide de remettre le four en service. Quand il explique aux autres élèves ce qu’il est possible de faire cuire dans ce type de four, tous ne retiennent qu’une chose : le fait de pouvoir manger des pizzas. Après plusieurs heures passées à lire pour comprendre comment on utilise un tel four, se pose ensuite la question des ingrédients nécessaires à la fabrication des pizzas. Chaque secteur du lycée agricole est mis à contribution et différents élèves se mobilisent pour permettre à Yugo d’avoir tous les ingrédients dont il a besoin…

Une série très agréable à lire. L’année dernière, j’avais gagné un concours chez Choco et j’avais ainsi pu découvrir le tome 1. Vous connaissez mon scepticisme en matière de manga. Doublé de ma réticence à me lancer dans des séries interminables… Le fait de trouver mon compte dans Silver Spoon n’était donc pas une évidence… quant à ces trois « nouveaux » tomes, c’est Marie qui – cette fois – m’a permis d’asseoir mon avis quant à cette série.

La fraicheur de cette série a balayé mes doutes. On dévore les pages en compagnie d’un personnage très altruiste capable de mobiliser un lycée entier pour n’importe quel motif. Sans compter le fait qu’on apprend beaucoup de choses sur le secteur agricole. L’auteur confronte différents regards sur cette économie, il utilise les personnages secondaires qui apporteront des regards divergents sur ce secteur et la manière de l’aborder, confrontant ainsi en permanence deux points de vue : privilégie-t-on la qualité ou la rentabilité ?

PictoOKJe suis réellement intéressée par le devenir du personnage principal et du microcosme dans lequel il évolue. Il est sûr que je chercherais à lire les autres tomes (la sortie du tome 8 est annoncée en France pour le mois de novembre). Un univers accessible à partir de 10-12 ans.

 Arrête d’oublier de te souvenir

Kuper © Çà et là – 2009
Kuper © Çà et là – 2009

« Arrête d’oublier de te souvenir est l’auto parodie de la vie d’un auteur de bande dessinée, un parfait exemple d’auto fiction. Kuper se représente sous les traits d’un illustrateur embourgeoisé, pour une discussion avec le lecteur sur sa découverte du sexe, de la drogue, des dysfonctionnements de l’administration Bush et un vaste exposé sur les problèmes existentiels de l’Auteur, confronté à son quotidien de mari et de père… Au cours du livre, Kuper juxtapose le quotidien de sa vie, et notamment la grossesse de sa femme et ses conséquences, avec la présentation de séquences de flashback sur sa jeunesse, séquences dont il est à la fois le présentateur et un spectateur critique. Couvrant une longue période, de 1972 à 2005, les séquences autobiographiques sont l’occasion de citer de nombreuses références culturelles, de la découverte des Pink Floyd aux classiques de la bande dessinée, de Popeye à Crazy Kat en passant par Mad Magazine auquel Kuper collabore. L’actualité politique est également très présente, à travers un regard extrêmement critique sur les mandats des Bush (père et fils), ce qui ne surprend pas de la part de cet auteur qui compte parmi les dessinateurs américains les plus engagés. Un grand roman autobiographique » (synopsis éditeur).

Le dessin de Peter Kuper est assez lisse lorsqu’il se décrit au quotidien. Sans aspérités, les personnages sont comme plaqués sur des fonds de cases qui ressemblent aux décors d’un catalogue Ikea®. Quant aux passages où l’auteur se remémore son passé, on est là dans une veine graphique bien différente, plus agressive au regard, surchargée de détails et de hachures.

Dès le début de l’album, Kuper se permet une certaine familiarité avec son lecteur qu’il interpelle ouvertement. Ce « tu » m’a donné l’impression que j’étais prise à parti dans le monologue de l’auteur. Alors que ce dernier explique rapidement qu’il souhaite raconter ce qu’est le quotidien d’un auteur de BD américain, le lecteur se retrouve en fait pris dans une confidence nombriliste où on n’a d’autres choix que celui de voir un auteur tergiverser sur ses problèmes existentiels passés, présents et à venir. Vu le ton amusé du récit, j’ai pensé que la lecture serait agréable. Mais face aux extravagantes mises en scène présentes dans cet ouvrage et constatant que l’auteur s’écoute plus qu’il ne parle, ce témoignage autobiographique m’a rapidement ennuyée.

pictobofpictobofL’ouvrage m’est tombé des mains.

Romans

La Liste de mes envies

Delacourt © Livre de Poche – 2013
Delacourt © Livre de Poche – 2013

« Jocelyne est une modeste mercière habitant à Arras. Elle est mariée à Jocelyn, son premier amour, ouvrier dans l’usine de glaces Häagen-Dazs de la ville et ils sont parents de deux grands enfants, partis faire leur vie. Jocelyne tient, en plus de sa boutique, un blog, « dixdoigtsdor », qui rencontre un certain succès. Elle se souvient souvent de la vie qu’elle aurait souhaitée mais réussit néanmoins à être heureuse dans l’existence qu’elle mène. Poussée par des amies, elle joue pour la première fois à l’Euro Millions et gagne « 18 547 301 euros et 28 centimes ». S’étant rendue compte à quel point son existence en sera bouleversée, elle décide de n’en parler à personne, cache le chèque de son gain. Elle rédige alors la liste de ses envies, et décide de ne rien changer à sa vie, pour ne rien changer à son bonheur jusqu’à ce que Jocelyne s’aperçoive que le chèque a disparu (…) » (extrait synopsis Wikipedia).

Lu en deux ou trois heures, j’ai pris énormément de plaisir à découvrir et partager le quotidien de Jocelyne. Une femme modeste, fragile et intègre qui vit une expérience pour le moins déroutante. Le postulat de départ est risqué : comment imaginer qu’une personne censée ne fasse pas la démarche d’encaisser ce chèque ? Pourtant, avec elle, cela semble si évident.

PictoOKSans trop en faire, Grégoire Delacourt livre le portrait d’un petit bout de femme engoncée dans une vie banale. Très modeste, elle préfère regarder la vie au travers de sa vitrine que d’aller ébranler la sienne à coup de millions. Il y a quelques couleuvres dans ce roman que j’ai eu du mal à digérer mais ça se lit bien, très bien même.

 Un passé inavoué

Esnault © Editions Velours – 2009
Esnault © Editions Velours – 2009

Angie, 16 ans, vient passer quelques jours de vacances chez sa grand-mère paternelle ; « La sorcière » comme elle l’appelle. Elle bougonne à cette idée, sait qu’elle va s’ennuyer pendant plusieurs jours avant que son père ne vienne la rechercher. Et puis elle connait si peu cette grand-mère. Les jours s’étirent sans que rien ne se passe alors elle les tue à lire. Jusqu’au jour où elle découvre une vieille valise au grenier. En fouillant, elle tombe sur le journal intime de Suzanne. Intriguée, Angie en commence la lecture. Elle revit un épisode de la Seconde Guerre Mondiale. Le témoignage se passe en 1942.

Je ne suis pas entrée tout de suite dans ce roman, sa mise en route est un peu longue, je ne parvenais pas à trouver le rythme du récit. Par contre, dès lors que la jeune narratrice débute la lecture du journal intime de sa grand-mère, l’atmosphère change et on se laisse porter par un « je » de narration qui est très bien utilisé par Julie Esnault. Ce petit roman de 184 pages m’a surprise par bien des aspects.

PictoOKAu final, je ne m’attendais pas à y découvrir autant d’émotions. Très belle fiction sur le thème de la Shoah malgré quelques fautes repérées çà et là dans le texte.

Lettres du Père Noël

Tolkien © Pocket – 2013
Tolkien © Pocket – 2013

Les « Lettres du Père Noël » ont d’abord été destinées aux enfants de Tolkien. Chaque année, de 1920 à 1943, les enfants correspondaient avec le Père Noël.

Tolkien a écrit une lettre (parfois deux) prétendument envoyée du pôle Nord par le Père Noël ou l’Ours Polaire. Trente lettres – accompagnées de dessins – forment un récit des aventures du Père Noël et de son ours.

Entre la course annuelle pour que tout soit prêt pour le soir de Noël, aux attaques intempestives des gobelins, en passant par l’arrivée des neveux de l’Ours Polaire… le gros barbu n’a pas le temps de s’ennuyer !

On suit ainsi quelques temps forts de la vie de famille de Tolkien : l’arrivée de son deuxième enfant puis de sa fille, leur déménagement, la Seconde Guerre Mondiale. Beaucoup d’humour et une intarissable imagination qui permet à l’auteur de faire exister un personnage légendaire. Il le rend drôle, pointilleux, désorganisé, un peu rancunier…

PictoOKLoin, très loin de l’univers de Tolkien ! De quoi se laisser surprendre.

Le silence (Mutard)

Mutard © Çà et Là – 2013
Mutard © Çà et Là – 2013

« Choosy McBride travaille pour une galerie d’art contemporain de Sydney. Ancienne juriste, elle voit le monde de l’art comme un marché lié au jeu de l’offre et la demande. Son compagnon, Dmitri, peintre en pleine crise artistique, est lui désabusé par l’emprise de l’argent sur la création. Au détour d’une visite chez un riche collectionneur, Choosy tombe en arrêt devant une toile qui l’impressionne, mais la peinture n’est pas signée, et personne ne connaît son auteur.

Bien décidée à trouver cette perle rare et à en tirer le plus grand profit possible, elle décide de partir à sa recherche, entraînant Dmitri avec elle au fin fond du Northern Queensland, une région peu peuplée du nord-est de l’Australie. De fil en aiguille, ils trouvent une ancienne église où sont exposées des toiles du mystérieux artiste, laissées à la disposition de ceux qui souhaitent se les approprier. La volonté du peintre de rester inconnu enrage Choosy et trouble profondément Dmitri. Leurs différences de points de vues vont s’accentuer au fur et à mesure que la quête avance » (synopsis éditeur).

Bruce Mutard est un auteur australien qui compte à son actif une demi-douzaine d’albums sortis en Australie entre 2003 et 2012. Le Silence est le premier d’entre eux qui soit traduit en français, offrant ainsi l’occasion de découvrir un nouvel univers d’auteur… et nous laissant espérer d’autres opportunités de lire cet artiste (à moins que vous ne lisiez en VO).

Le postulat de départ de cet album est – me semble-t-il – assez ambitieux. Le fait de proposer un thriller qui développe à la fois une réflexion sur l’Art, la société de consommation et les relations de couple ressemble plus à un pari risqué qu’à un simple exercice d’échauffement. Cela peut facilement laisser un lecteur dubitatif pourtant Le silence est loin d’être une lecture pesante. Son histoire pique la curiosité et s’intéresse finalement à un sujet rarement abordé en bande dessinée du moins, pas de manière aussi directe.

Le lecteur fait rapidement connaissance avec le couple de personnages principaux et accède ainsi à leurs visions de la scène artistique. Leurs points de vue divergent en tous points mais leur ouverture d’esprit permet au débat de ne pas s’envenimer et au récit de trouver son rythme de manière naturelle. C’est d’ailleurs là que l’ouvrage trouve sa force, dans la tolérance dont les différents personnages témoignent à l’égard de l’avis contraire, un atout qui viendra enrichir l’intrigue d’un bout à l’autre de l’album. Les personnages secondaires font également preuve de cette largeur d’esprit, ce qui permet à l’auteur de développer les différentes facettes de sa réflexion. Celle-ci est dépourvue de toute animosité et de toutes considérations futiles, celle-ci s’exprime parfois de façon cynique ou désabusée, mais elle est constructive et l’on s’en saisit sans difficulté. En ayant des raisons tout à fait fondées de justifier leur point de vue, les individus de cette intrigue posent un regard très engagé sur l’Art. Qu’ils soient artistes, marchands d’art ou plus simplement conjoint de l’un d’entre eux, ils côtoient au quotidien des questions aussi diverses que l’inspiration, le sens que l’on donne à la création artistique, la valeur d’une production…

De fait, Bruce Moutard est très loin de la caricature, il offre à ses lecteurs un point de vue très complet sur la question artistique. La réflexion sur la place de l’Art dans nos sociétés pourra faire écho à d’autres albums qui se sont déjà saisi de ce sujet : Rupestre, La traversée du Louvre et autres titres s’inscrivant dans la Collection Louvre – Futuropolis.

Pour plusieurs raisons, Le Silence de Mutard m’a également fait penser à Logicomix. Cet album grec mettait en scène des mathématiciens et proposait une intrigue exclusivement axée sur leur domaine de prédilection, un sujet hermétique de prime abord mais que les auteurs avaient su rendre intéressant et captivant. Mutard parvient à ce même tour de force en s’intéressant à l’univers créatif et son microcosme, il contourne la difficulté avec autant d’aisance que l’équipe grecque.

Il remporte son pari haut la main et s’est appuyé pour cela sur une héroïne obstinée qui va embarquer sans grand ménagement le lecteur dans une enquête atypique ; sans aucune méthodologie, elle tente de remonter tant bien que mal la piste d’un artiste inconnu et se heurte à de nombreux obstacles qu’elle n’avait pas anticipé. Elle avance au petit-bonheur-la-chance d’ailleurs. Sa quête est le fruit du hasard, il en découle des rencontres et des échanges très spontanés ce qui donne beaucoup de fluidité à la lecture.

Bruce Mutard décortique le Troisième Art de façon minutieuse et contrairement à son personnage principal, il le fait de façon assez méthodique. Il pose des questions simples mais pourtant essentielles (pourquoi peindre ? quel sens l’artiste donne-t-il à ses productions ? quel est le message qu’il souhaite délivrer) que sur la portée d’une œuvre ou sa valeur marchande. Quoi qu’il en soit, sans avoir eu – par le passé – la démarche de me pencher sérieusement sur ces débats, je suis tout à fait parvenue à me saisir des propos contenus dans cet album et j’ai amorcé la construction d’un timide positionnement sur la question.

Mais vous, connaisseurs avertis ou amateurs, quelles seront les conclusions auxquelles vous parviendrez après lecture de cet album ?

Le dessin de Bruce Mutard est quant à lui moins convivial que les propos qu’il illustre. Le trait est réaliste et précis, les décors foisonnent de détails cependant j’ai trouvé que l’ensemble manquait de fluidité. Les visuels sont figés et m’ont donné l’impression que les attitudes des personnages étaient statiques, comme s’ils posaient pendant qu’un artiste réalisait leur portrait. Le coup de crayon crée des visages assez lisses sur lesquels il est difficile de repérer l’état d’esprit du personnage.

PictoOKUne lecture intéressante qui nous propose de reconsidérer la manière dont on perçoit les réalisations artistiques. L’auteur pose un regard très complet sur son sujet en abordant différents points de vue : philosophique, créatif, sens de la démarche de l’auteur, aspect mercantile des produits artistiques… Un débat parfois polémique qui ne manquera pas de nous interpeller. Le dénouement propose une fin ouverte ; elle nous invite à faire le tri dans ce que nous venons de lire et tenter l’ébauche d’un positionnement plus personnel.

« Mais je ne suis pas un artiste, n’est-ce pas ? Juste un décorateur d’intérieur qui produit des décorations murales colorées. (…) Je préfère ajouter que je ne suis pas contre l’idée que les artistes utilisent tout ce qu’ils jugent nécessaire pour exprimer leur message. Ce qui m’inquiète davantage, c’est le manque général de respect pour l’Art. Quand une lumière qui s’allume et s’éteint remporte le prix Turner ou qu’une nana dupe toute une galerie en exposant les abstractions de son gamins de deux ans, corroborant ainsi les doutes du public… Les gens rient, ils prennent ça avec mépris. Et par conséquent, l’Art, le véritable, perd sa fonction première, qui est de transmettre une vérité universelle » (Le silence).

Un ouvrage lu dans le cadre de La Voie des Indépendants, un événement organisé par Liblfy et Mediapart, en collaboration avec l’éditeur.

La voie des Indépendants 2013
La voie des Indépendants 2013

Une lecture que je partage avec Mango à l’occasion de ce mercredi BD

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Les chroniques de Pierre Darracq et de A chacun sa lettre. D’autres chroniques en consultant l’article dédié à l’album sur le site de La voie des Indépendants.

Le Silence

One Shot

Editeur : Çà et Là

Dessinateur / Scénariste : Bruce MUTARD

Dépôt légal : août 2013

ISBN : 978-2-916207-87-2

Bulles bulles bulles…

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Le silence – Mutard © Çà et Là – 2013

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