« En bas de ma vallée, on racontait aux enfants l’histoire étrange du village perdu des sommets. »
C’est ainsi que débute le récit. En son cœur, une légende murmure aux enfants qu’il y a un ailleurs qu’ils iront arpenter plus tard, quand ils seront grands, s’ils en ont l’envie et cette curiosité gourmande de rencontrer d’autres cultures, d’autres lois, d’autres traditions… d’Autres que soi, tout simplement. Cette adulte qu’est devenue l’héroïne se remémore encore la légende qu’on lui racontait lorsqu’elle était petite. Et lorsqu’elle se retrouve inconsciemment en bas du chemin qui mène au haut de la montagne, c’est de son plein gré qu’elle décide d’entamer l’ascension. Elle veut voir de ses propres yeux ce qu’elle espère de toutes ses forces.
« Je m’installais dans leur quotidien tout en gestes et en regards : pas de mots, pas de sons, bouches closes. »
Et elle observe, apprend et s’intègre progressivement et en douceur aux us et coutumes de ce peuple isolé.
Conte initiatique presque silencieux, la narration étale en voix-off les pensées du personnage principal. D’un trait simple et coloré, rappelant par certains aspects celui de Jérémie Moreau sur la « Saga de Grimr » , Violaine Leroy illustre avec douceur et pudeur ces grands espaces sauvages et montagneux et la vie simple des gens qui y ont trouvé leur asile. Un ouvrage qui raconte le respect et l’amour de l’autre, l’existence de croyances anciennes. L’empathie, l’observation et l’écoute sont les sens qui servent l’harmonie de cette communauté d’hommes… ainsi que l’ambiance graphique totalement lénifiante. Le scénario est peu bavard et il émane de lui comme une force tranquille. L’héroïne se métamorphose doucement. Silencieusement, elle acquiert une maturité nouvelle ainsi qu’une perception accrue des signes qui passent habituellement inaperçus : la profondeur d’un regard, la gravité d’un geste, la légèreté d’un sourire…
C’est par hasard que je croise le chemin de plusieurs récits qui relatent des quêtes initiatiques. Après « Le Serment des Lampions » voire « Incroyable ! » ou « Peau d’Homme » dans d’autres genres, j’aime !
« Joker » était épuisé depuis un moment jusqu’à ce que les éditions de La Pastèque le réimprime, profitant au passage pour apporter quelques modifications (format et finition). L’album fait partie de la sélection officielle du FIBD 2016 (cette année-là, c’est « Ici » de Richard McGuire qui a été récompensé du Fauve d’Or). Une bien bonne chose puisque cette fois, j’ai sauté sur l’occasion pour lire cet album.
Joker Battie est un enfant de 7 ans qui se retrouve bien malgré lui au centre de cette histoire pour diverses raisons. L’une d’elles est dévoilée dans le dénouement, raison pour laquelle il vous faudra à votre tour lire l’album si vous voulez savoir de quoi il en retourne. La seconde est qu’il a tenté de fuguer ; il a appris par hasard que sa mère, Darlène, avait tué son père, Jed. Il a appris en même temps qu’il apprenait que sa tante, Charlène, avait tué son oncle, Herb. Les deux sœurs, Charlène et Darlène, ont tué leurs maris parce ceux-ci avaient tués leur cousin, Hawk. Hawk n’était autre que l’unique héritier de l’immense empire financier de leur famille. Mais ce n’est pas parce que Hawk a hérité de la prospère entreprise familiale que ses cousins l’ont tué… ou du moins, pas consciemment… Et puis il y a Sally, la mère d’Hawk, qui est décédée mais bien avant que les trois cousins ne passent de vie à trépas.
Joker est issu d’une fratrie de sept enfants. Sa tante, Charlène, a eu huit enfants avec son oncle Herb. Son oncle Hawk quant à lui n’avait pas d’enfants… du moins, il n’a pas eu d’enfants légitimement déclarés…
Prenant peur, les deux sœurs s’élancent dans une cavale désorganisée avec toute leur marmaille.
Tout cela, on le sait dès les premières pages de l’album…
Les détails de cet imbroglio, Benjamin Adam nous l’apprend au fil de son récit choral qui convoque une trentaine de personnages que l’on se surprend à identifier et reconnaître très vite. A tour de rôle, Joker, Charlène, Darlène, Jed, Herb, Hawk – ainsi que d’autres protagonistes importants – se relayent pour prendre la parole et nous donnent les pièces permettant de reconstruire le puzzle de l’intrigue. On saura tout des pourquoi et des comment, avec quelques redites puisque la majeure partie des personnages ne communiquent pas entre eux. Tous ont une vision parcellaire de la situation excepté… nous, lecteurs qui sommes aux premières loges pour les écouter. Arsène (l’oculiste) est le premier à nous inviter à recouper cela et c’est un peu grâce à son intervention que l’histoire prendre des allures d’enquête (quant aux flics, il en sera très peu question !!).
C’est par le prisme de ces drames funestes survenus dans une même famille que l’on découvre également le contexte dans lequel ils se sont produits. La famille Battie, du temps de l’arrière-grand-père de Joker, est passée en quelques années d’une petite entreprise d’artisanat local à une entreprise très prospère. Batimax a continué de s’étendre et de se diversifier avec les fils Battie (Walter, le grand-père de Joker, et son frère John) jusqu’à devenir l’empire industriel qu’elle est aujourd’hui. Non content d’être le principal employeur de toute une région, le groupe industriel injecte des fonds dans les petites entreprises locales pour leur éviter la faillite… et les tient ensuite sous sa botte.
Les principaux médias sont au service de l’empire Batimax (les autres ont fait faillite) ce qui permet à la société de contrôler l’information régionale ; les journalistes sont désormais des employés de l’empire Bati, ils alignent leur travail d’investigation sur les attentes de leur employeur et contribuent « de leur plein gré » à la diffusion de la culture Batimax ! Jusqu’à ce qu’Arsène (l’oculiste oui, encore lui) se questionne sur les enjeux de ces morts Battie successives et soit à l’initiative de la création du Diagno, un journal indépendant. Sur le fond, c’est l’occasion de parler du travail de la presse, de l’importance de préserver la liberté d’expression. Puis plus largement, avec un contexte socio-économique tel que celui que j’ai décrit supra… comment ne pas parler de corruption, de culture de masse…
… et j’en passe parce que c’est rudement succulent et qu’il m’est avis que vous devriez le lire, cet album ! Récit chorale et maxi bordel, assaisonné par un trait épais et noir qui donne l’impression qu’on est plongé dans ouvrage de la veine des comics underground. Succulent donc !
« Août 1948, New York suffoque sous la canicule. Alors que la nuit s’étend sur la ville, la voix d’Anne Scheffer, reine des ondes, transporte loin des cuisines et des rares clients une serveuse de cafétéria de la 33e rue et ajoute au drame banal d’un auteur sans succès de Brooklyn. Nocturne est la chronique d’une nuit qui peine à voir le jour… » (quatrième de couverture).
Le silence d’une nuit chaude nous accueille. Pascal Blanchet a installé ses protagonistes. Il nous les montre tour à tour. Ils sont prêts, immobiles. Ils sont en tension, pris dans leurs histoires respectives, souhaitant réaliser leurs rêves, blessés par leurs échecs. Ils ont l’air paisibles, profitant d’un instant de calme avant la tempête. Ils attendent et déjà, on sent l’électricité qui plane dans l’air. Les corps sont épuisés de s’être mus toute la journée dans la chaleur caniculaire. La journée est en train de tirer sa révérence. La nuit a déjà commencé à les accueillir.
Puis s’élève la voix de la chanteuse.
« In the still of the night
As I gaze from my window
At the Moon in its flight
My thoughts all stray to you »
Les mots résonnent, se diffusent, se propagent… La mélodie de Cole Porter enlace, berce, rafraichit. L’instant est suspendu. Le timbre de sa voix porte ses spectateurs et ses auditeurs. Puis, la dernière note retentit, la chanson est finie, la parenthèse se referme… la vie reprend et la chaleur assommante met les nerfs en boule.
J’ai peu de choses à dire sur cet album si ce n’est que c’est pour moi l’occasion de m’arrêter une nouvelle fois sur un ouvrage de Pascal Blanchet. J’aime réellement son travail. C’est un illustrateur émérite et il n’a pas son pareil pour conter des histoires mélancoliques, tragiques. L’auteur n’a pas son pareil pour nous faire ressentir la mélancolie provoquée par leur quotidien ; leurs vies se sont brisées sur un deuil, une séparation ou un échec. Ses albums ont en commun de s’intéresser à des personnage remplis d’une profonde tristesse et vivant dans une grande solitude. La musique leur vient souvent en aide.
Pascal Blanchet illustre avec brio l’ambiance des années cinquante. Il semble nourrir une sorte de fascination pour cette époque qu’il matérialise à merveille. La veine graphique crée un univers cohérent. Un design, des couleurs, des formes et des courbes, des teintes… L’auteur trouve toujours la ligne de fuite adéquate que notre œil va suivre. Une géométrie harmonieuse et chaleureuse, les jeux d’ombre et la lumière… la façon dont il utilise les trames matérialiser la matière, son brillant, son mat, sa texture, sa souplesse… Pas de phylactères mais une voix-off qui dépose son histoire au fil des pages.
Je ne peux que vous conseiller de découvrir cet auteur.
Il en va des jours où la tête nous tourne. Où l’on voit la routine de la vie et que cela donne le vertige. Où l’on tombe sur un, deux, trois objets que l’on a achetés… qu’on a utilisé une, deux, trois fois puis remisés dans un placard, un carton, un garage. On entasse. Et on affiche ses signes extérieurs de richesses sans trop de raison. On a réussi mais réussi quoi ? La jolie maison pavillonnaire est à nous. La belle voiture aussi. On est juste heureux de ça. Et comme tout le monde, on a les ampoules qui grillent et qu’il faudra bien finir par remplacer.
Métro, boulot, dodo. On fonde une famille. On a des gosses. On sort de-ci de-là, on côtoie des amis. Puis finalement quoi ? C’est ça la vie !? C’était ça ce que l’on rêvait de devenir ? C’était ça ce que l’on voulait pour nous… rentrer dans le moule ? Reproduire ce qu’on a vécut et devenir la copie conforme de nos parents ??!
C’est en partie les constats que fait André, le narrateur. Enfin, il se demande surtout par quel tour de magie sa vie est devenue si calme. Si prévisible. Comment sa vie s’est retrouvée constituée de riens… Une mer d’huile. Le train-train qui ne le fait plus vibrer, la routine rassurante à laquelle il se raccroche comme une moule à son rocher… Et puis il y a l’ado. L’ado qui le fait s’interroger. L’ado avec qui il cohabite en se demandant comment ils ont fait pour devenir de parfaits étrangers l’un pour l’autre.
« Ma femme s’appelle Danielle. Elle vit « au cas où » , ce qui fait que j’ai parfois l’impression qu’elle ne vit pas vraiment. C’est une des choses qui nous restent en commun après dix-sept ans de mariage. (…) Dire que Danielle et moi, on s’est rencontrés au concert de The Cure, au Forum, il y a une vie ou deux. Qu’est-ce qui nous est arrivé ? »
Et cet ado de 16 ans justement, qui prend la parole. Qui pique par moment la vedette à son père, qui enfile le costume de narrateur. L’ado qui traîne ses revendications molles dans la maison. Puis comme tous les ados, l’ado qui pense que l’herbe est toujours plus verte ailleurs… Alors il se traîne davantage, porter sa propre flemme est épuisant. Il se cherche, s’accroche à des illusions et comme son père, il brasse de l’air et se pose un milliard de questions existentielles.
« Comme là, je vais le passer à envoyer des textos à ma blonde, pis c’est mon ex qui va répondre. C’est la même personne, alors c’est fourrant. On dirait que ça déplace tous mes organes internes comme un cube Rubik. Sans anesthésie. »
C’est sur cette histoire de quotidien sans surprise que Julie Rocheleau pose ses crayons. Elle croque avec générosité la vie morne de cet homme et de son fils, l’habille de couleurs, de rondeurs, de charme. Elle inclut les maladresses de ses personnages. Elle fait revivre les plus beaux souvenirs de l’un, fait vivre les plus beaux fantasmes de l’autre. Puis elle les met sous le feu des projecteurs et les enrobe de toute la magie propre aux souvenirs et aux fantasmes qu’on invoque pour se réchauffer. Forcément, face au beau que l’esprit sait toujours exprimer, le quotidien fait pâle figure. Forcément, quand on sort de ses rêveries, ce qu’on a face à soi est moins coloré, moins rythmé, moins stimulant. On ne va pas se mentir, la vie de ce duo de narrateurs est terne et les couleurs qui l’accompagnent en vont de même. Julie Rocheleau nous le fait bien sentir. Quelques hachures, quelques fonds de case pour faire tapisserie… et puis c’est tout. Les personnages sont d’une blancheur réelle, ils s’effaceraient presque pour se rendre invisibles à la vie qui les attend pourtant. Il y a là, dans ce trait, quelque chose de rassurant et de chaleureux. Pas de strass, exit les paillettes, la vie comme elle vient est un trésor précieux que l’on ne voit plus comme tel tant on y est habitué. D’ailleurs, c’est un peu comme ça qu’André aime sa femme… par habitude.
« Depuis ce soir-là, il n’y a pas eu une journée, presque, où je n’ai pas eu envie de la serrer dans mes bras. Presque. Enfin disons plutôt que je l’aime depuis ce soir-là. La plupart du temps. »
Pour sa première bande-dessinée, la romancière Sophie Bienvenu offre un texte qui parle du couple. De la vie. De l’âge adulte et des responsabilités inhérentes. De la vie de tous les jours et son flot d’impondérables, d’insupportable, d’automatismes. Elle pose un regard amusé sur les moments forts, les étapes qui marquent une vie. Une rencontre. L’arrivée d’un enfant. Et l’adolescence qui accule les parents, les force à réinventer un lien avec ce petit être devenu si grand…
Vision piquante mais amusée. Difficile de ne pas se voir là-dedans, dans cette expérience-là. Difficile de ne pas se rappeler quand on ces constats-là ont présenté la note. L’autrice vient piquer avec espièglerie en livrant des morceaux choisis de ces questions qui nous assaillent quand on est jeunes parents. Et du bilan qu’on dresse quand on est plus aguerri… et qu’on se dit qu’il est probable qu’on ait raté deux ou trois trucs… Une tempête qui nécessite d’avoir le cœur, les entrailles et surtout les nerfs bien accrochés.
Chère adolescence que Sophie Bienvenu livre comme une période où il est nécessaire de remettre les compteurs à zéro. D’un côté (parent) comme de l’autre (enfant). Elle s’amuse à montrer qu’André (le père) et son fils évoluent dans un même espace-temps mais qu’ils s’ancrent pourtant dans des dimensions parallèles. Il n’y a plus de fil entre eux, ils n’ont plus de ponts pour communiquer. Disparus les sujets de conversations. Dissous les centres d’intérêts à partager. Envolée, la complicité. Rien. Le néant entre deux individus du même sang. C’est très bien vu de leur donner la parole à tour de rôle et puis ça donne un côté comique à l’ensemble très plaisant !
Pour autant, est-ce une fatalité ? Est-ce que les choses sont inscrites dans le marbre ? Qu’est ce qui empêche de faire un pas de côté, de se soustraire aux rouages de la routine… de faire finalement ce pas de côté qui serait pourtant salvateur ? Un album qui pique et qui panse, qui plombe et fait rire. Un bel album donc.
Difficile pour moi de faire l’impasse sur « Paul à la maison » , neuvième tome de l’univers « Paul » créé par Michel Rabagliati en 1999. Aucune fréquence définie pour la publication d’un nouvel opus de Paul. La surprise toujours. L’impatience dès que l’on sait qu’un autre tome arrive. Puis la lecture dont on se régale souvent… ou, ponctuellement, que l’on range avec une légère pointe de déception en bouche.
La vie de Paul est calme désormais. Son divorce est consommé, Rose (sa fille) vit à temps plein chez sa mère. Il n’y a plus que des bricoles qui rythment le quotidien, souvent des impondérables d’ailleurs. Les semaines se suivent et se ressemblent souvent : faire les courses pour sa mère et les lui apporter, acheter des petits riens à sa fille, se rendre dans une lointaine école pour y faire une intervention… Le temps est venu de se consacrer à soi, de s’accorder du temps pour les loisirs mais Paul a de goût à bien peu de choses. La cinquantaine est là… à croire que c’est la décennie de la râlerie !
En rendant visite à sa mère, Paul se visionne le film de ces dernières années. De son enfance, des événements marquants qui ont fait date dans la vie de ses parents, leur divorce, le remariage de sa mère puis sa solitude depuis ces dernières années. Il se remémore aussi ce qu’il sait d’elle, la sixième enfant d’une fratrie de treize, son entrée précoce sur le marché du travail, sa rencontre avec celui qui deviendra le père de ses enfants… Ces visites sont aussi l’occasion de mesurer à quel point les choses changent avec l’arrivée des technologies. La cinquantaine est là et le comme « c’était mieux avant » vient ponctuer chaque observation !
Fichtre. Voilà un album bien nostalgique et bien lent. On y retrouve cette tristesse qui avait teinté « Paul à Québec » (le personnage principal y avait enterré son beau-père, mort des suites d’un cancer). Ce neuvième tome est proche d’un arrêt sur image et l’occasion, pour Paul, de faire une grosse introspection. A force de cohabiter avec sa solitude, Paul est devenu morose. A 51 ans, il vit seul et cette situation lui pèse. Paul se replie, ne supporte pas le changement, rumine, devient hypocondriaque, est touché de sinistrose, bref… Paul broie du noir.
Au travers de cette parenthèse moins entraînante que la plupart des albums de la série, Michel Rabagliati montre une nouvelle facette de son personnage… celle des mauvais jours. Bien sûr, on avait déjà perçu que par périodes, Paul pouvait manquer d’entrain. Mais là, le malaise est profond. Pris d’une sévère crise de la cinquantaine, Paul fait du « sur place » . Son entourage semble s’être réduit comme peau de chagrin alors qu’atour de lui, il y a une myriade de choses à attraper. Au-delà de ça, Paul s’englue dans son quotidien, donne des croquettes à son chien chaque matin, va de spécialiste en spécialiste pour qu’ils mettent des mots sur ses maux, esquive son voisin, déserte son jardin, mange en tête-à-tête avec son téléviseur… Si sa vie semble vide, les cases quant à elles regorgent de petits détails : d’une étiquette de boite de conserve, d’une enseigne, d’une forme architecturale. Un monde où finalement, pour ce personnage, la seule source de plaisir semble être visuelle. Alors il dessine…
J’ai finalement peu de choses à dire sur ce tome qui propose un récit assez linéaire. La lecture n’est pas désagréable pour autant. Un tome que j’ai trouvé plus personnel que les précédents ; par l’intermédiaire de son alter-ego de papier, Michel Rabagliati s’y livre de façon plus explicite et couche sur papier quelques confidences :
« Ce soir, on lance Paul au Parc, mon septième. J’espère que les lecteurs l’aimeront. En tout cas, je ne le saurai pas ce soir, puisqu’ils ne l’ont pas encore lu ! on a eu quelques bonnes critiques dans les journaux, ça devrait aller. Pourquoi est-ce si stressant de laisser partir un livre à la rencontre du public ? on se sent si inquiet et vulnérable. Comme dans le cabinet d’un médecin. »
C’est un bout de vie québécoise que Michel Rabagliati raconte au travers de Paul, complété de quelques bouts de sa propre vie et peut-être quelques anecdotes glanées dans son entourage. Car la petite histoire de Paul nous permet de fouler le sol québécois. A travers son héros fictif, « Paul » est une chronique sociale qui ouvre à la culture québécoise (références musicales, télévisées, cinématographiques, littéraires…). On y renifle des odeurs de pâtisseries qu’on ne mangera que là-bas, nos oreilles frétillent au contact de cet accent si chaleureux, on effleure entre-aperçois de nouveaux spots publicitaires… sans être trop dépaysés puisque la course à la consommation est la même, le mantra métro-boulot-dodo est identique et dans les transports en commun, on observe un paysage similaire d’usagers qui ont le nez collé sur leur écran de téléphone.
Plaisir de retrouver Paul. Parenthèse enchaînée pour une petite heure de lecture. Les amoureux de la série devraient se régaler ; pour les profanes, ce n’est pas la meilleure facette que Paul ait à montrer de lui mais c’est une belle occasion de faire sa connaissance [chaque tome est une porte d’entrée dans l’univers de Paul et chaque tome contient un récit complet que l’on peut lire indépendamment des autres, sans avoir la fâcheuse impression d’avoir raté un wagon].
« Dans un parc du Mile End, un jeune garçon juif et une petite fille musulmane font connaissance. Ils réalisent bientôt qu’ils partagent une passion profonde pour les étoiles et les constellations, rêvant de devenir un jour scientifiques ou astronautes et d’explorer l’infini du ciel. Leur histoire consistera à rêver, à partager et à explorer ce qui est plus grand que nous, au-delà des questions religieuses. » (synopsis éditeur)
Dans ce quotidien routinier, un enfant grandi au sein d’une famille aimante et traditionnelle. Il a des rêves plein la tête mais son avenir est tout tracé par son père. Ainé d’une fratrie de quatre enfants et seul garçon, c’est à lui qu’il revient de reprendre le commerce familial. L’enfant aspire à autre chose, il veut devenir astronaute. Il passe son temps dans des livres d’astronomie ou à construire des vaisseaux spatiaux. Sans personne avec qui partager sa passion. Il lui en faut peu pour être heureux, jusqu’au jour où il découvre l’amitié et se rend compte à quel point cela donne du sens à sa vie. Dès lors, le récit redouble d’entrain. Une chaleur nouvelle s’en dégage, revigorante. Exit la solitude, désormais ils seront deux à avoir la tête dans les étoiles, à rêver d’explorations spatiales et de voyages interplanétaires.
« Rapidement, nous sommes devenus inséparables, comme des étoiles jumelles. J’ai l’impression d’être en orbite autour d’elle. »
Ce qui enrichit d’autant ce récit, c’est l’acceptation de l’autre tel qu’il est. De culture et de religion différentes, les deux enfants vont nouer une amitié forte. Sans arrière-pensées, loin des préjugés, ils profitent de chaque instant qu’ils passent ensemble.
Les dessins épurés à l’aquarelle mettent en images ce quotidien avec beaucoup de tendresse et de délicatesse. Les couleurs douces de Jacques Goldstyn créent une ambiance apaisante dans laquelle les rêves de ces deux enfants pétillent. Il y a toute une palette de couleurs qui s’entendent à merveille et créent une ambiance graphique harmonieuse.
Très bel album destiné à un jeune lectorat (8-10 ans). Bonne humeur et optimisme viennent donner le « la » à l’ensemble.
Les Etoiles (one shot) Editeur : La Pastèque Scénariste & Illustrateur : Jacques GOLDSTYN Dépôt légal : novembre 2019 / 64 pages / 15 euros ISBN : 978-2-89777-065-5