L’Ours Barnabé, tome 21 (Coudray)

En 2020, l’Ours Barnabé a soufflé ses quarante bougies et le voilà qui fête avec ce vingt-et-unième tome, son millième gag. Un tout petit album de seulement quarante-huit pages, bien moins consistant que les autres tant sur le fond que sur la forme… mais un tout petit album qui nous permet de découvrir des gags inédits en attendant – peut-être – un prochain tome qui continuera à enrichir cet univers si optimiste.

Comme à son habitude, Philippe Coudray nous fait profiter d’un dessin tout rond où la bonne humeur et la placidité nous enlacent dès le début de la lecture. Les colères et coups de gueule des personnages ne sont jamais très grosses et l’attention qu’ils se portent les uns les autres toujours pleine de spontanéité, de bienveillance.

L’humour pince-sans-rire contient une ironie qui n’est jamais blessante et l’apparent premier degré des phylactères contient, en réalité, une profondeur inattendue. Jolie critique de société où l’on s’amuse de nos travers ainsi que de ceux de la société capitaliste. « L’Ours Barnabé » est une critique fine et amusée du consumérisme et invite chacun à se questionner sur les attitudes individualistes que l’on adopte (presque malgré nous) quotidiennement.

Barnabé nous permet de voir le beau dans d’infimes gestes et le bon côté des choses. Le plantigrade est grand philosophe. Sa conception de la vie nous communique une joie de vivre vraiment appréciable. Il fait bon au contact de Barnabé. Son regard bienveillant sur ce qui l’entoure et ceux qui partagent son quotidien fait mouche.

L’Ours Barnabé – Tome 21 : Joyeux anniversaire !

Editeur : La Boîte à Bulles / Collection : La Malle aux Images

Dessinateur & Scénariste : Philippe COUDRAY

Dépôt légal : mars 2021 / 48 pages / 9,50 euros

ISBN : 9782849533840

Footballeur du dimanche (Tronchet)

« L’auteur tient à signaler qu’il ne joue pas très bien au football, au cas où des partenaires l’ayant connu sur un terrain tomberaient sur cet ouvrage. L’auteur en est bien conscient, ça va, merci. Mais aucun de ses coéquipiers ne pourra dire qu’il a vu l’auteur jouer autrement qu’avec tout son cœur et une grande exaltation. Qu’il neige ou qu’il vente, l’auteur est en short tous les dimanches, avec des étoiles dans les yeux à la simple vue d’un ballon. Il lui est arrivé, les dimanches pluvieux, d’aller chercher chez eux les joueurs défaillants, de les tirer du lit par les pieds pour les pousser sur le terrain. »

Tronchet © Guy Delcourt Productions – 2021

Voilà, le cadre est campé : on est face à un passionné de foot et tant pis si les résultats ne sont pas olympiques ! Seul le plaisir compte et, visiblement, il est au rendez-vous chaque fois que Tronchet a un ballon aux pieds… occasion qui se présente tous les dimanches.

« Au foot, on a le droit d’avoir 10 ans ! »

En reprenant le même concept que pour son « Petit traité de Vélosophie » sorti début 2020 (Delcourt), l’album se compose de scénettes thématiques d’une page qui brossent le portrait rapide des amateurs de foot. Hop ! Il n’en fallait pas plus pour baptiser une nouvelle « série » et ancrer le nom de ce nouvel univers créatif de l’auteur sous l’étiquette des « Petits traités dessinés » ! On y retrouve avec plaisir les gueules biscornues, les traits épatés et les corps un peu lourdauds qui font la patte graphique de Tronchet.

« Parce qu’il a compris que sans règles, le jeu n’est pas possible. Le football, c’est l’école primaire de la démocratie… »

On est là dans le partage d’une passion, loin des canons médiatiques. Le fil rouge qui relie chaque historiette est le plaisir de jouer. Plaisir qui se déplie en tout un tas de déclinaisons : plaisir de retrouver les potes, plaisir de l’esthète à savourer les effets de styles, plaisir de gagner, de participer, de se donner à fond… Ici, pas de sponsors, pas de pelouses tirées au cordeau, pas de tenues pour afficher l’appartenance à un club… [L’alter égo de] Tronchet vient avec ce qu’il est, sans apparats, sans prétention autre que celle de passer un bon moment. On est loin des représentations médiatiques liées à ce sport ! On profite ici de l’idée première de la pratique du foot : son côté populaire et le fait qu’elle soit accessible à tous. Sans oublier un des éléments qui la caractérise : la mauvaise foi de chaque protagoniste… ce dont l’auteur sait parfaitement se moquer.

Footballeur du dimanche – Tronchet © Guy Delcourt Productions – 2021

L’idée maîtresse ici est donc de parler de foot sans prétention. Ce sport met tout le monde d’accord sur le terrain. Petit ou gros, noir ou capitaliste… chaque homme est un joueur avant tout. Chacun a sa propre manière d’aborder le jeu et finalement, ce qui ressort durant une partie, ce sera en premier lieu le caractère individualiste ou collaboratif de chacun et, dans le feu de l’action, sa réactivité (sa capacité à anticiper ou à feinter). Le foot est un révélateur de personnalités et semble obliger inconsciemment ceux qui le pratique à regarder l’Autre au-delà des apparences. Tronchet nous montre avec humour l’Homme dans toutes ses contradictions… Sur un terrain, le plus raciste d’entre eux deviendra sans moufter le plus respectueux du jeu de son adversaire qui pourtant, en apparence, affichait des critères (apparence physique, appartenance ethnique et/ou religieuse voire d’une catégorie sociale) de son rejet viscéral. Redire des choses aussi simples est pour moi le principal intérêt de cet album. Permettre en un clin d’œil à des individus de fraterniser et de faire totale abstraction de tout ce qui est extérieur au terrain. En tout cas, voilà un message foncièrement optimiste qui fait un bien fou !

« Mais très vite, on oubliait où étaient les buts. On était comme des fous après le ballon. La seule limite, c’était la nuit… »

Cinquante-six pages à côtoyer un sympathique personnage qui vit foot, qui respire foot, pense et mange foot… foot foot foot !! Une passion dévorante. Malgré le caractère très convivial de l’album, je n’ai pas pris plus de plaisir que ça à le lire. Je suis totalement étanche à tout ce qui a trait au foot et cet album n’a pas suffisamment de panache pour me permettre d’embarquer dans le plaisir bon enfant qui est ici partagé.

Footballeur du dimanche (récit complet)

Editeur : Delcourt / Collection : Humour de rire

Dessinateur & Scénariste : Didier TRONCHET

Dépôt légal : janvier 2021 / 56 pages / 12,50 euros

ISBN : 9782413029847

L’Enfant, la Taupe, le Renard et le Cheval (Mackesy)

« C’est étrange. On voit seulement l’extérieur des gens, mais presque tout se passe à l’intérieur. »

Mackesy © Les Arènes – 2020

Quatre amis.

Un enfant innocent et curieux, une taupe gourmande, un renard méfiant et un cheval bienveillant.

Ensembles, ils vont partir explorer le monde par un beau jour de printemps.

« Je m’étonne moi-même d’avoir écrit un livre, je ne suis pas un grand lecteur. J’ai surtout besoin des images, elles sont comme des îles, des refuges dans une mer de mots. Ce livre (…) j’aimerais que vous puissiez l’ouvrir à n’importe quelle page, n’importe quand. » (Charlie Mackesy)

Alors Charlie Mackesy a fait un livre que l’on pouvait ouvrir à n’importe quelle page. Plume, pinceau, encre de Chine, aquarelles et l’espace fou des pages blanches prêtes à accueillir ce que l’auteur leur livre. Charlie Mackesy a fait de ce livre un petit bijou. Un instant suspendu. Un message d’optimisme et d’amour. Un espoir d’humanité.

« – Qu’est-ce que tu veux être, toi, quand tu seras grand ?

– Gentil, dit l’enfant. »

En toute simplicité, l’auteur a posé des petites pensées, réflexions philosophiques et questions existentielles mais tout cela est amené simplement, spontanément, avec des mots simples et bienveillants. Le tout est accompagné de magnifiques illustrations où un jeu tendre se met en place entre le noir et blanc et la couleur. On a parfois l’impression de parcourir un carnet de croquis exploratoires, parfois l’impression d’être dans un livre d’Art. Chaque mot, chaque phrase, chaque intonation est mise à notre portée, parfois de façon poétique, parfois de façon naïve. On s’en saisit. On s’accroche à ces bribes, ces confidences, ces échanges qui parlent tour à tour de peurs, de désirs, d’amitié ou encore de confiance. Chaque page nous réchauffe. Chaque mot nous enchante.

L’aventure nous charme tant elle est spontanée et dépourvue d’animosité. Ici et là, en prêtant l’oreille, en respectant les silences, on verra les personnages souffler timidement la raisons de leurs peurs, de leur repli et de leurs rêves. On les entendra aussi parler de leurs espoirs, de leurs idéaux tandis qu’ils énonceront haut et fort l’importance des uns pour les autres, leur amour réciproque. Ces quatre personnages-là, en se rencontrant, ont rencontré leur famille. Le renard a des blessures au cœur, la taupe vit l’instant présent, le cheval est un grand rêveur et l’enfant cherche un endroit où vivre. Aussi différents soient-ils, ils se respectent, s’aiment et se font confiance.

Force est de constater que l’on se sent très bien aux côtés de ce quatuor atypique. On se colle à leur rythme. On écoute, on observe, on contemple. On prend le temps. On rit… Quelques passages se teintent de nostalgie, d’autres nous réchauffent et nous font nous questionner sur la manière dont on perçoit notre environnement, notre quotidien, nos ambitions. Cet album donne des couleurs à des choses que l’on trouvait parfois ternes ou obsolètes.

Un livre à savourer lentement. A lire d’une traite ou par petites bribes. Un livre à écouter et à contempler. Un livre que l’on pose jamais très loin de soi, pour mieux pouvoir y revenir. Une douceur, un délice de voir ces quatre amis questionner le sens de la vie, la chance d’avoir des amis, les bénéfices de l’amour, le sentiment de bonheur et surtout (surtout !)… un ouvrage qui nous rappelle qu’ « on ne voit bien qu’avec le cœur, l’essentiel est invisible pour les yeux ».

« La haine fait beaucoup de bruit, mais il y a dans ce monde plus d’amour qu’on imagine. »

La très belle chronique d’Alice.

L’Enfant, la Taupe, le Renard et Le Cheval (récit complet)

Editeur : Les Arènes

Dessinateur & Scénariste : Charlie MACKESY

Traduction : Laurent BECARIA

Dépôt légal : septembre 2020 / 128 pages / 18 euros

ISBN : 979-10-375-0127-1

Aduna (ByMöko)

ByMöko © Soleil Productions – 2020

Il y a ce qu’on voit, qui est là, face à nous. Puis il y a ce qui est, immatériel, presque irréel… mais qui existe… intuition indicible. Une dichotomie entre le concret et l’abstrait. Entre le réel et l’irréel qui se répondent en écho… s’équilibrent et forment un tout.

Visible et invisible, à l’instar du titre de cet ouvrage.

Aduna – monde visible est un monde diurne. L’agir, le vivre, les faits, l’ordre établi. Des masques que l’on fabrique pour les cérémonies rituelles au respect des anciens, chacun est à sa place et contribue à l’harmonie de la communauté.

Auduna – monde invisible laisse la place à la nuit. L’onirique, le fantastique. Le ressentir. Aux fantômes, aux mythes et aux légendes. L’invisible respecte l’harmonie entre les hommes et la nature. Le respect de l’âme des défunts, des esprits, des trowos et du divin.

L’Afrique. Continents de cultures et de traditions orales.

ByMöko nous livre ici un prolongement de l’univers qu’il avait retranscrit dans son premier album : « Au pied de la falaise » publié en 2017 [et dont vous trouverez ici le site consacré à l’univers ici]. Avec « Aduna » , l’auteur interprète et nous décode quelques coutumes africaines, des thèmes présents dans le premier récit.

« Mawu Lisa est le dieu créateur, il est le tout. On ne peut le représenter, à la fois féminin et masculin, immensément grand et minusculement petit, ici et là. Il n’interfère plus avec ce monde depuis qu’il l’a créé. Mais pour celui qui sait ouvrir l’œil, il reste quelques vestiges de sa présence : la beauté et la poésie en seraient une trace… »

Petit recueil de thématiques (masques, case, baobab, les personnalités qui font office de pilier dans les villages, les fétiches…) qui nous explique simplement la teneur de quelques codes sociaux africains. Des illustrations muettes et des doubles pages qui se répondent en écho ; à gauche, des vignettes illustrent le quotidien et sont complétées d’un texte explicatif tandis qu’à droite, une illustration en pleine page.

Un album broché au format à l’italienne et relié à la suisse. Dans ses couleurs douces et terreuses, ByMöko nous entraîne dans une plongée délicieuse… l’occasion de se sensibiliser à l’âme africaine. A l’instar de son premier album, on invente les couleurs nous-même, doucement guidé par la présence de l’auteur. On retrouve des figures que l’on avait croisé dans « Au pied de la falaise » et on revoit le chemin qu’Akou [personnage principal du premier album] nous avait invité à emprunter. Une bonne chaleur inonde ces planches. On avance doucement, précautionneusement. On découvre, on apprend, on baigne dans quelque chose qui est à la fois bienveillant et qui nous sensibilise à une culture qui est très différente de la nôtre.

Très belle initiation à la culture traditionnelle africaine. Un petit bijou d’album.

Aduna – Monde visible / Monde invisible

Editeur : Soleil / Collection : Noctambule

Dessinateur & Scénariste : ByMöko

Dépôt légal : novembre 2020 / 40 pages / 18,95 euros

ISBN : 9782302081772

Toajêne (Bozzetto & Panaccione)

Besoin de rire un bon coup ? Alors met le nez dans « Toajêne » … ça va te dérider ! 😉

Bozzetto – Panaccione © Guy Delcourt Productions – 2020

Tu vas faire la connaissance de Moatarzan, un microbe qui vivait jusque-là au milieu de microbes et de bactéries en tout genre. Le souci existentiel de Moatarzan, c’est qu’il vit au milieu de décérébrés, de sans cervelles bref… de purs idiots. Et ça l’épuise Moatarzan d’être entourés d’abrutis. Du coup, il s’ennuie, il déprime. Personne à qui parler, quel vide existentiel ! Jusqu’au jour où, par un des grands hasards de l’existence, voilà notre microbe qui se retrouve en pleine projection d’un film. Paf ! Notre Moatarzan en prend plein les mirettes et se fait foudroyer sur place par un coup de foudre. Electrisé ! Stupéfié par la beauté de Toajêne… enfin de Jane (vous savez, celle qui fait fondre le cœur de Tarzan !). Et là forcément, ça change tout parce que subitement, Moatarzan peut donner un sens à son existence. Il vit. Il ressent. Enfin !

Peu après, la vie de Moatarzan bascule. Pour une raison qu’il n’explique pas, Moatarzan constate qu’il a été arraché à l’environnement dans lequel il vivait. Paf ! Le voilà apatride… sans organisme dans lequel résider. Moatarzan fait alors connaissance de l’humain qui lui servait jusque-là de terreau naturel et comprend que cet homme peut l’aider à (re)trouver Toajêne ! Bien sûr, la réalité est plus complexe. Moatarzan est en fait un microbe appartenant à un virus qui inquiète l’humanité entière. Un vrai fléau ! Et l’humain dans lequel Moatarzan demeurait est un scientifique en quête de l’antidote qui permettra d’éradiquer ce virus destructeur. Aveuglé par sa quête de l’âme sœur, Moatarzan ne comprend pas immédiatement ce qu’implique sa découverte pour la race humaine.

Complètement loufoque, le fil narratif coud solidement d’absurde les éléments qu’il contient. En effet, le récit parvient à nous parler à la fois d’humanité, de conflits d’intérêt, de découverte scientifique et de sentiments amoureux… Parvenir à aborder tout cela à la fois dans des proportions à peu près équivalentes revient à réussir un tour d’équilibriste de haute voltige. Cerise sur le gâteau : les auteurs le font avec beaucoup humour. Au final, cela donne lieu à un album foufou, drôle, triste, improbable et assez entraînant. On emboîte le pas sans sourciller pour suivre l’épopée… d’un microbe !

Bruno Bozzetto laisse son scénario aller en roue libre. Il n’y a plus qu’à donner carte blanche au trait fou de Grégory Panaccione et au talent de ce dernier pour caser l’expression parfaite au parfait moment. C’est totalement insensé, burlesque. La fraicheur de l’intrigue contraste avec le sérieux des sujets de fond placés dans le récit. Cette manière d’aborder des questions philosophiques (sur le sens de la vie notamment, mais aussi sur les sentiments et l’ambition) avec un humour décalé donne une impression d’incongruité. Pourtant, cette façon d’écrire permet de pointer avec finesse et ironie les maux et travers de notre société. Savoir et pouvoir rire du pire fait un bien fou.

Je n’avais aucune attente à l’égard de cet ouvrage si ce n’est profiter une fois de plus du trait malicieux et inventif de Gregory Panaccione. Au final, c’est une très bonne surprise et un moment de lecture tout à fait ludique !

Toajêne (one shot)

Editeur : Delcourt

Dessinateur : Grégory PANACCIONE / Scénariste : Bruno BOZZETTO

Dépôt légal : juin 2020 / 104 pages / 19,99 euros

ISBN : 978-2-4130-2751-5

Journaux troublés (Perez & Mazzoni)

Mise en bouche de l’éditeur : « Bipolarité, dysmorphophobie, paranoïa… tout le monde connaît ces termes. Mais que dissimulent-ils réellement ? Cet ouvrage aborde treize maladies psychiatriques à travers des extraits de journaux intimes de patients d’un asile imaginaire : l’Arion Asylum. L’un après l’autre, ces troubles mentaux se racontent, accompagnés d’une illustration, parabole animalière ; puis s’ensuit une transcription émotionnelle sous forme de bande dessinée, avant de terminer par une description succincte de la maladie. Un livre qui traite magnifiquement d’un sujet ancré dans la société depuis toujours et qui n’a jamais cessé de fasciner. »

Perez – Mazzoni © Soleil Productions – 2020

On est plongé dans un monde silencieux, un environnement familier que l’on observe avec un miroir déformant. On est plongé dans nos pensées et ce que les illustrations provoquent en nous d’émotions, de ressentis et de réflexion. On observe des bribes d’une normalité qui déraisonne. Une folie douce qui a depuis longtemps perdu les pédales. Décalée. Aux dysharmonies psychiques palpables… dérangeantes. Pourtant l’harmonie graphique est là. Elle est bel et bien là. Ses tons pourpres, turquoises et vert acier relient au monde réel ce qui dissone dans la tête d’individus qui ont perdu le sens du bon sens. De l’autre côté du miroir, des dessins sur ton de sépia froid témoignent une solitude abyssale, d’un long monologue intérieur qui rétropédale, tourne en boucle. Une impression d’être si unique au point d’être hors-norme, hors format, hors contrôle.

Une capsule a été enlevée, laissant leur esprit s’emballer, s’étouffer… s’atrophier sur de fausses perceptions.

« Le vide est un luxe que je ne m’autorise pas… »

« Mon cœur se fissure par tant de froideur. »

« Le dégoût a une saveur. Celle de l’illusion. »

« Je dois briller de mille feux pour ne pas disparaitre. »

Ces troubles psychiques ont des noms. Anorexie, anxiété, bipolarité, boulimie, dépression, dysmorphophobie, hypocondrie, hystérie, masochisme social, narcissisme, obsession compulsive, paranoïa, la personnalité multiple. Treize psychoses ici mises en mots de façon poétique et habillées d’illustrations sublimes. Le dessin est majestueux. Une sérénité étrange le porte. Un peu de nostalgie et un peu de quelque chose d’angoissant, un effet hypnotique fascinant et troublant. Epoustouflant travail graphique réalisé par Marco Mazzoni, un artiste-auteur italien que je découvre à l’occasion de la parution de « Journaux troublés » … ses compositions sont à couper le souffle. J’ai marqué un temps d’arrêt et souvent pensé à l’univers graphique de Benjamin Lacombe. Des dessins aux métaphores multiples, belles, inconscientes… il faut un peu de lâcher-prise pour accepter de ne pas toutes les percevoir. Se laisser porter ici a été très facile.

Journaux troublés – Perez – Mazzoni © Soleil Productions – 2020

Les auteurs nous tendent la main et nous accompagnent de façon bienveillante et nous invitent à faire ce pas de côté, laisser la raison légèrement ensommeillée et accepter que de poser un autre regard sur le monde… entendre ce que le regard du « fou » a à nous dire. Ne pas tressaillir à l’écoute des fausses notes qu’il fait tinter au contact de notre réalité de névrosé. On s’adapte volontiers.  

« Journaux troublés représente une approche poétique et artistique du ressenti supposé des personnes atteintes de ces troubles divers. Le parti pris littéraire de Sébastien Perez, usant du journal intime, favorise à la fois une mise en abyme et une capacité d’identification très forte au trouble de l’individu. Le parti pris graphique de Marco Mazzoni, usant de l’allégorie et de la métaphore visuelle avec subtilité, permet, là encore, une grande variété d’interprétation et d’identification » (extrait de la préface de Lydia Lacombe-Csango, psychologue clinicienne).

Sous la plume de Sébastien Pérez, les mots s’assemblent. Des lettres, des confidences chuchotées, des bribes de journaux intimes, des pensées jetées sur papier comme on jette une bouée à la mer. Ces textes énoncent des certitudes qui nous semblent bancales mais à n’en pas douter, ils sont le témoignage d’une grande souffrance. D’une immense solitude. Il y a là, au creux de ces mots, comme un appel à l’aide. La recherche d’une voix qui leur dit qu’ils ne sont pas fous pourtant… pourtant c’est bien ce que leur inconscient semble leur marteler. Des mots comme une énième tentative de contenir au cœur des mots un mal-être dévorant. Il y a là une réelle invitation, e la part du scénariste, à laisser se développer une empathie pour les individus qui souffrent de ces troubles du comportement.

A savourer. A méditer. A réfléchir. A lire aussi si on se sent d’attaque écouter et contempler en apnée. Beau.

Journaux troublés (recueil)

Editeur : Soleil / Collection : Métamorphose

Dessinateur : Marco MAZZONI / Scénariste : Sébastien PEREZ

Dépôt légal : août 2020 / 104 pages / 22,95 euros

ISBN : 9782302083288

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