Zidrou décline tous les temps de conjugaison du sentiment amoureux et offre à David Merveille un terrain de jeux fabuleux. Il n’y a pas besoin d’en faire des caisses pour parler de ce recueil de nouvelles qui se savoure comme on déguste une bonne glace au soleil de la Méditerranée. C’est beau et cruel, tendre et douloureux… d’un couple à l’autre, l’harmonie diffère et l’équilibre qui se crée entre deux êtres semble – comme toujours – ne tenir qu’à un fil. Les couleurs de David Merveille nous guident sans fausse note dans ces voyages amoureux. Son trait est sensuel, délicat et d’une expressivité folle.
Un retour aux racines, une plongée dans une histoire familiale via les carnets intimes et les lettres écrites par un homme. Chaque 3 avril pendant quarante-sept ans, il écrit à Anne-Lise Schmidt. Qui est-elle pour lui ? Un amour perdu ? Une correspondante de guerre ? Son enfant ?
Cet homme se nomme Moïse. Il est né en 1910. La Première Guerre Mondiale le prive très tôt de son père et lui laisse comme seul parent une mère distante et incapable de donner de l’affection. Il grandira avec cette douleur d’avoir perdu un être cher et la difficulté d’appartenir à un milieu très modeste.
Au décès de Moïse, Denis (son fils) découvre les écrits que Moïse a rédigé tout au long de sa vie. Trois carnets et des lettres. La première est datée du 3 avril 1960. La seconde du 3 avril 1961… Un rituel s’installe. Chaque 3 avril, Moïse prend sa plume et s’adresse à Anne-Lise. Il lui raconte chronologiquement les événements importants de sa vie. Jusqu’à sa mort, Moïse passe chaque année au peigne fin la suite de son parcours et révèle les secrets qu’il n’a confié à personne. « Anne-Lise » , « Lisette » , « ma petite souris » … toujours une grande bienveillance dans les mots de l’aïeul pour donner forme à ses mémoires. Et toujours ce sentiment que Moïse se justifiait d’une faute inavouée et d’une immense culpabilité qui le ronge. La teneur des propos bouleverse Denis qui découvre le vrai visage de son père. Son sang ne fait qu’un tour et provoque une crise cardiaque. Cloué au lit pour les besoins de sa convalescence, Denis décide de transmettre l’intégralité des documents à son fils Baptiste Beaulieu.
A la lecture des premières lettres, Baptiste propose à son père d’aller à la rencontre des lieux où a vécu Moïse. Il ambitionne également de retrouver certains protagonistes qui ont côtoyé son grand-père – à défaut leurs descendants. Baptiste souhaite recueillir leurs témoignages pour les partager avec son père. Face à l’ampleur de la tâche et face aux difficultés de la voir se réaliser, Baptiste décide finalement de maquiller la réalité. Il voit dans cette démarche l’opportunité de renouer le dialogue avec son propre père et la possibilité de lui faire passer quelques messages.
Les lettres de Moïse et les répercussions qu’elles ont eues dans la relation entre Baptiste et Denis seront le socle de « Toutes les histoires d’amour du monde » , un roman de Baptiste Beaulieu publié en 2018 aux éditions Mazarine.
Dominique Mermoux s’est saisi du texte du romancier… « Entre les lignes » est son adaptation en bande dessinée. Il crée deux ambiances graphiques propres à chaque facette du récit. Le présent et ses couleurs nous montrent comment le fils reconstruit la relation avec son père grâce aux recherches qu’il entreprend. Le passé et ses tons bleus-sépia très doux reprennent mot pour mot les lettres de Moïse.
Des passerelles se créent entre les deux périodes… autant de faits qui créent des occasions de dire, de se dire, au travers des personnes que Baptiste va rencontrer et interviewer. Il constate vite qu’il est impossible de retrouver les lieux et leur ambiance à l’identique, tout a tellement changé en cinquante ans ! Loin d’abandonner son idée, Baptiste décide de recueillir les témoignages de son entourage dont il est plus ou moins proche. Il y intègre notamment les récits de personnes qui lui sont proches comme celui de son compagnon.
« Tu sais, quand je suis parti là-bas, à sa demande, dans l’espoir de lui ramener ce qui a survécu de cette époque, je pensais vraiment trouver quelque chose. Mais il ne me reste rien. Juste du neuf ou des ruines. Le neuf n’a rien à raconter et les ruines sont muettes. Vouloir fourrer une âme dans les lieux et croire qu’on peut la capter est une maladie de la pensée. Ce qui survit, ce sont les gens et les histoires qu’ils transmettent. »
Grâce à cette démarche, la parole se remet à circuler entre Baptiste et son père. Les non-dits et les tabous se lèvent, les doutes s’énoncent… les abcès se crèvent. Une catharsis.
Le grand-père de Baptiste aura connu les deux guerres mondiales. Trop jeune pour être appelé sous les drapeaux durant la Der des Der, il en gardera néanmoins une profonde blessure ; son père ne rentrera pas des champs de bataille. La Seconde Guerre Mondiale le changera profondément. D’abord en première ligne, il sera appréhendé par les Allemands et fait prisonnier. Les événements qui se produisent durant sa captivité le marqueront à vie. Ses lettres en témoignent et montrent à quel point la grande Histoire a influencé la petite histoire de sa vie d’homme.
« Parfois, je pense à ce qui est arrivé, puis à ce qui aurait pu arriver et n’a jamais été, et je mords l’intérieur de mes joues, j’ai honte de cette immense douleur, et je pleure encore comme celui qui sait bien que, finalement, le bonheur est un projet surhumain, sur cette terre. »
Le propos est parfois assez convenu et si l’on hésite un court temps quant à l’identité réelle d’Anne-Lise et les liens qui la relie à Moïse, on comprend très vite de quoi il en retourne. Ce récit explore les tenants et les aboutissants qui ont conduit Moïse à faire un choix qu’il regrettera tout le reste de sa vie. Avec les moyens dont il dispose, Baptiste Beaulieu réalise le désir de son grand-père. L’idée d’en faire un livre est spontanée, sincère… une bouteille à la mer. En partageant les lettres de Moïse et en retraçant les démarches qu’il a réalisées pour mettre ses pas dans ceux de son aïeul, Baptiste confie un message à ses lecteurs et rêve qu’un jour, ce message atterrisse entre les mains de la personne à qui il est destiné : Anne-Lise.
J’ai eu l’occasion de lire, à droite et à gauche, de nombreuses critiques qui n’incitent pas le lecteur à se tourner vers l’ouvrage. Pourtant, même s’il m’a fallu un temps pour trouver ma place dans cette lecture, je l’ai trouvé touchant. Emouvant à certains moments.
Les deux facettes du récit sont intimement liées et se nourrissent réciproquement mais j’ai de loin préféré la partie consacrée aux correspondances épistolaires à celle qui s’attarde sur la démarche actuelle de Baptiste Beaulieu. Je crois que cela tient à la veine graphique qui est associée ; le contenu des lettres et la voix-off de Moïse associés à cette ambiance graphique si particulière créent une atmosphère où le temps est comme suspendu… comme si ces souvenirs laissaient le temps flotter. Les mots, les maux, les bonheurs et les doutes de cet homme sont si universels ! C’est une belle histoire de vie et une très belle occasion que Baptiste Beaulieu a su saisir pour renouer le dialogue avec son père.
En revanche, je n’adhère pas à l’objectif final de la démarche. Je doute qu’il soit bon que cette bouteille à la mer arrive à son destinataire car le temps a passé. Anne-Lise n’est plus l’enfant à qui Moïse adressait ses lettres. C’est une femme d’âge mûr désormais… qui vacillera certainement en découvrant le contenu des lettres de Moïse. Je ne sais pas si d’autres lecteurs partagent mon avis sur ce point.
Depuis sa naissance, Samuel n’a émis aucun son. Il n’a prononcé aucun mot. Au début, ses parents se sont inquiétés. Ils ont consulté de nombreux spécialistes ; leur diagnostic est unanime : Samuel va bien, il leur faut juste accepter d’attendre qu’il soit prêt à parler.
Les années ont passé et la promiscuité avec ses camarades d’école n’a pas changé le comportement de Samuel. Il fut même scolarisé un temps dans une classe adaptée, s’y est vite ennuyé car ses capacités cognitives sont réelles, efficientes. Il a seulement une sensibilité différente, une manière d’être au monde qui lui est propre.
Adulte, il devient artiste et c’est dans ses toiles qu’il dépose toute sa sensibilité.
C’est un personnage aussi déroutant que touchant auquel Théo Grosjean a donné vie. On s’accroche un bon moment à l’envie qu’il parle. Mais être silencieux fait partie de sa personnalité. Il est ainsi et cela rend le personnage fascinant. Sa manière d’être pique la curiosité, nous invite à tourner la page pour continuer à le voir évoluer. Quel avenir a-t-il en se comportant ainsi ? Quelles portes se ferme-t-il en sortant de la norme ? Quelle autonomie lui laissera-t-on une fois qu’il sera majeur ? Tout un tas de question auxquelles le scénario répond avec autant d’humour que de cynisme. Le personnage assume son mutisme comme si c’était une part de liberté qu’il s’autorisait. C’est sa façon à lui d’affronter la réalité crue de la vie.
L’intrigue se tient et, comme par mimétisme, on adhère à cette manière de se comporter. On ne voit que très rarement le héros… de fait, toute la part interprétative entre en jeu : à quel point l’expressivité de son visage compense son mutisme ?
C’est en silence que Samuel traverse sa vie. Il s’est fait des amis. Samuel est plutôt observateur que leader… il préfère le rôle de spectateur à celui d’acteur. La bichromie des planches crée une ambiance atypique. Cela m’a longtemps donné l’impression que l’histoire nous faisait évoluer dans un rêve éveillé. Cela a aussi eu l’effet d’étouffer les sons extérieurs au personnage, comme si la cacophonie de la vie était recouverte de ouate. Les tons vert d’eau ont tendance à venir exacerber l’empathie que l’on ressent à l’égard du personnage d’autant que l’on « voit » toute l’histoire par les yeux du personnage… c’est comme si le lecteur était dans un scaphandre… ou plutôt comme si nous étions dans un autre (j’ai beaucoup pensé au film « Dans la peau de John Malkovich » !). On le sent rempli de tristesse, c’est du moins l’impression qui domine.
Etonnant ce roman graphique ! Un ouvrage déroutant, dépaysant… tout ce qu’on veut mais c’est aussi un livre prenant qui a su piquer ma curiosité.
A trente ans, Taline est terrassée par la mort de Nona, sa grand-mère maternelle qu’elle considérait comme sa mère. Nona lui a tout appris et lui a transmis son don. Car Taline est un nez talentueux et travaille en tant que tel dans l’entreprise de création de parfums créée par Nona.
A trente ans, Taline doit donc apprendre à vivre sans celle qui compte le plus à ses yeux d’autant que Nona lui a légué son entreprise et que Taline a peur de ne pas être à la hauteur des nouvelles responsabilités qui lui incombent. Elle se sent seule.
Dans la maison de Bandole dont elle hérite également, Taline découvre que Nona lui a légué un présent plus précieux encore : trois carnets manuscrits. En lisant ces mémoires, Taline comprend qu’elle tient en main un témoignage qui changera à jamais sa vie. Elle plonge dans le récit de vie de Louise, la mère de Nona. Les mots de sa bisaïeule la touchent profondément. Louise est née à Marach (Turquie) et s’est installée à Beyrouth après son mariage. Entre temps, elle a vécu l’horreur, le génocide de son peuple arménien. Les marches forcées, les morts par milliers, les exactions contre les siens, les deuils, l’exil… Louise a dû se reconstruire après tout cela.
Ondine Khayat livre un récit touchant qui rend hommage aux milliers de victimes du génocide arménien. La romancière aux origines arméniennes et libanaises propose un récit où l’on passe régulièrement du passé au présent, les témoignages des personnages féminins sont enchâssés. Trois générations s’expriment, trois voix de femmes témoignent de l’impact du génocide sur leurs parcours.
Il m’a fallu du temps et plus d’une centaine de pages pour apprécier cet ouvrage. J’ai eu à batailler pour accepter le côté un peu mielleux du récit et accepter que l’enfance de Louise soit aussi parfaite, aussi luxueuse, aussi mélodieuse. J’ai également eu du mal à accepter la précision des souvenirs de Louise ; en effet, en écrivant son récit plusieurs décennies après les faits, son récit est d’une précision incroyable. Echanges, détails vestimentaires, paysages, émotions… tout y est et je sas que j’ai toujours eu du mal à apprécier cet effet de style.
J’ai du mal avec l’emploi de la phrase parfaite posé au parfait moment et le parfait détail qui décore une scène. De fait, j’ai longtemps pensé que je ne verrais jamais la fin de ce livre… car j’étais intimement persuadée que je ne parviendrai pas à passer le cap du premier carnet [le roman s’organise en trois temps forts autour de ces carnets]. D’autant que dans le même temps, la voix de Taline s’exprime pour parler de son présent, de ses ressentis et de l’émotion produite par la lectures des carnets de Louise. C’est un contraste entre les évènements tourmentés vécus par Louise et les problèmes quotidiens de Taline qui sont, par moments, d’une banalité à faire pâlir. Taline s’abîme entre la nécessité de faire un deuil impossible (lié au départ de Nona) et le besoin de se protéger d’une mère et d’un compagnon toxiques. Enfin, il y a l’appréhension de ne pas savoir assumer les nombreuses responsabilités de son nouveau statut de cheffe d’entreprise.
A force d’insister, j’ai atteint le second tiers du récit, celui principalement consacré au génocide arménien. L’univers de Louise s’écroule, la jetant dans l’horreur et la douleur. La plume de l’écrivain s’emporte, quitte le confort douillet pour explorer davantage les ressentis, les sentiments, les réflexions de fond. Alors je sais que nombreux me diront que ça ne les tente pas de devoir attendre autant – dans une lecture – pour pouvoir commencer à l’apprécier. Je sais… Mais je voulais absolument lire l’intégralité de ce texte, eu égard au sujet qu’il aborde. Et je ne le regrette pas. Il y a des passages savoureux, des moments de profond désespoir, de magnifiques métaphores… Finalement, ce moment tant attendu que celui de pouvoir se laisser porter par le récit arrive. La vie de Louise n’a longtemps tenu qu’à un fil mais la volonté qu’elle affiche de ne pas céder à la mort et de ne pas sombrer dans la folie est assez impressionnante. Son récit de vie est puissant, de toute beauté.
La jeune postière vient de s’installer dans une petite bourgade et faisant quelques travaux suite à son emménagement, elle se rend à la droguerie dont Marcelin est le gérant. Désireux de satisfaire sa nouvelle cliente, Marcelin s’empresse pour la guider dans ses achats.
« – Attention, c’est un produit extrêmement corrosif. Avez-vous des gants caoutchouc pour protéger vos mains ? »
Il faut dire que les gants, c’est le fond de commerce de Marcelin !
« Six mètres linéaires ! Des gants de toutes les tailles, de toutes les teintes, rien que de la qualité, en provenance d’Allemagne, d’Italie et d’Angleterre. (…) Marcelin savait parler aux femmes. De leurs mains, surtout. C’est qu’il les aimait, leurs mains. Il en était amoureux. Il les regardait, il les caressait, il les admirait. Et les femmes étaient ravies. Elles repartaient avec un produit parfaitement adapté à la nature de leur peau et à la morphologie de leurs doigts. »
Lorsque Marcelin vit les mains de Ginette pour la première fois, ce fut le coup de foudre. Depuis ce premier jour où ses yeux se sont posés sur ces mains-là, Marcelin est tombé en amour pour Ginette. Et la jeune postière, émerveillée, était sous le charme de Marcelin. Leur mariage fut une fête. Le beau Marcelin, éperdument amoureux, flottait dans le bonheur. Puis Ginette se mit doucement à changer. Marcelin ne fit pas cas de la première crise de colère qu’elle fit. Ni de la seconde… mais le mal était entré dans leur couple et rien ne semblait être en mesure d’apaiser l’insatisfaction permanente de Ginette.
Aujourd’hui, dans la petite bourgade, peu nombreux sont ceux qui se rappellent encore du prénom de Ginette. Pour tous, elle est devenue cette vieille femme célibataire et aigrie que jeunes et moins jeunes appellent « La Crabe » sans rien connaître de l’histoire qui est à l’origine de cet hideux surnom.
La petite chronique sociale chantante d’Olivier Ka qui décrit un couple heureux partageant un amour généreusement réciproque ne dure pas longtemps. Sous le trait rondement coloré de Marion Duclos, la chansonnette printanière des deux tourtereaux tourne doucement au vinaigre. Le scénariste place ses pions de façon insidieuse. On guette sans percevoir par quel côté l’ombre assombrira le tableau mais il ne fait aucune doute que la jalousie s’immisce silencieusement dans chaque recoin. Lorsqu’on constate que Marcelin est pris au piège, nous ne pouvons que regarder tristement ce rêve qui a viré au cauchemar.
Le scénario décrit les rouages de la jalousie et sa manière sournoise de se répandre. Comme un cancer, elle gangrène le couple et ravage tout sur son passage. Ce versant destructeur du sentiment amoureux témoigne de cette incapacité à aimer l’autre sans l’étouffer. On ne voit souvent que les effets toxiques que cette émotion dévastatrice a sur celui qui subit. Olivier Ka ouvre une petite fenêtre et nous invite à entendre que celui qui est devenu malveillant a souvent, dans son passé, des cicatrices difficiles (voire impossibles) à soigner… Prendre l’ascendant sur l’autre est parfois une réaction inconsciente à l’envahissante peur de perdre l’être aimé. Sans excuser ces actes venimeux, le scénariste nous demande délicatement de prendre en compte chaque élément, chaque pièce de ce tout qui finalement laisse des individus exsangues.
C’est avec beaucoup de justesse et sans lourdeurs que Marion Duclos illustre le récit d’Olivier Ka. Un ouvrage sensible sur le sentiment amoureux et les différentes manières qu’il a de s’exprimer. Bienveillance et jalousie sont ici les deux facettes d’un même miroir.
Le décor de ce récit fictif est une petite ville américaine californienne. Des parents défaillants, totalement absents et absolument englués dans leurs propres problématiques, et c’est un jeune garçon – au seuil de l’adolescence – qui doit apprendre à grandir seul dans un monde où les dangers sont à chaque coin de rue.
Russell a treize ans lorsque sa mère décide de quitter le foyer, le laissant seul avec son père. Tous deux vont déménager en Californie. Ils louent une chambre chez la famille Mah, premier pied-à-terre de cette nouvelle vie. Quand le père de Russell trouve un travail, ils investissent leur nouvelle maison. Elle se trouve non loin de chez les Mah qui resteront un repère pour Russell ; leur maison restera un lieu ressource quand tout va au plus mal et qu’il a besoin de reprendre des forces.
Avec son père, Russell doit très vite apprendre à se débrouiller seul mais ce n’est pas tout. Il doit tout apprendre par lui-même : à se protéger, à créer des alliances (à défaut de se trouver des amis)… apprendre à grandir le moins bancal possible.
Onze ans après « Sutures » , le trait de David Small s’est affiné. Il est moins dépouillé et le propos est moins incisif.
Son premier roman graphique lui a certainement servi de catharsis mais le besoin de parler de l’adolescence reste visiblement présent. La solitude du personnage central est la même. Lui aussi pousse un cri silencieux qui lui permet de supporter son désespoir. On retrouve des thèmes similaires, comme si l’artiste faisait invariablement rimer « adolescence » avec solitude, souffrance, manque d’affection, humiliations et indifférence de l’entourage.
Russell a peu d’estime pour lui-même. Il se déteste et ne voit en lui que ses défauts : la lâcheté, l’absence de pugnacité… tout en lui semble l’exécrer. Il n’a aucune consistance, aucun charisme, aucune passion, aucune conviction. Rien. Tout est à construire. Il s’embourbe dans les mots, ne sait pas comment faire pour attirer l’attention de son père et chacune de ses tentatives est interprétée de manière brutale par un paternel qui semble incapable d’aimer son fils.
Le dessin de Small s’est habillé de discrets apparats… j’ai du moins l’impression qu’il est plus maîtrisé. Il y a de nombreux passages muets qui accentuent l’impression de solitude dont est entouré le héros. Ces silences mettent également en exergue le poids des non-dits et la culpabilité que le personnage principal ressent d’avoir laissé filé des occasions de dire ce qu’il avait sur le cœur. Sans personne à qui faire confiance, il tâtonne, il est effrayé.
Sans aucune figure parentale à laquelle s’amarrer et se rassurer, le personnage se vit en naufragé. S’il parvient à identifier les traits de caractères et les centres d’intérêt de ceux qui l’entoure, il échoue à y parvenir pour lui-même. On a l’impression qu’il est une coquille vide. On observe ainsi la difficile quête identitaire du personnage principal. Il cherche à lier des amitiés qui ne le nourrissent pas ; il imite en silence, il obtempère docilement pour se faire accepter mais ne trouve aucun plaisir, ni aucune gratification à se fourvoyer de la sorte. Il ne trouve tout simplement pas sa place auprès des autres. Ses doutes, son manque de confiance, sa solitude nous sont livrées sans filtre.
Le personnage est touchant mais je n’ai pas été réellement émue par cette lecture où il est question d’une adolescence difficile à vivre du fait d’un contexte familial délétère.