L’Emouvantail, tome 4 (Dillies)

Une petite pépite est venue jusqu’à moi.

Une petite pépite m’a tendu les bras.

Une petite douceur, un moment de lecture où le temps n’existe plus. Une histoire qui nous emporte ailleurs, loin de la grisaille, de la tristesse et de la folie de ce monde.

32 pages de douceur dans un monde de brut.

tome 4 – Dillies © Editions de La Gouttière – 2021

L’Émouvantail est revenu pour déposer une nouvelle fois ses beaux yeux sur la vie, la faune, la flore… le monde. Son monde. Il s’émerveille de tout. Fait fi de la noirceur des choses. Donne de la couleur à tout et réchauffe ceux qu’il côtoie.

Il pose ses pieds brindilles sur les sentiers. Il ne casse rien, n’écorche rien. Il est solaire, il est poète, il est altruiste. Chaque album est une petite leçon de vie que l’on nous insuffle avec bienveillance. Il nous fait regarder les choses avec philosophie.

« Avez-vous déjà ressenti l’envie d’aller vous promener en dehors des sentiers battus, de fouler de vos propres pas l’herbe fraîche, de vous laisser surprendre sans bruit par un papillon, de remarquer cette fleur l’instant d’après, puis se distraire d’un arbre simplement parce qu’il est différent, de vous émerveiller parce que toutes ces choses, vous les voyez pour la première fois et d’avoir enfin, telle une graine de pissenlit doucement emportée par le vent, le cœur léger, libre comme l’air ? »

Avant même de lire l’album, je savais qu’il allait me régaler. Il est des certitudes que l’on aime avoir, elles rassurent. Eté, automne, hiver… nous l’avons suivi au fil des saisons… et voilà que le printemps s’est installé avec son cortège de couleurs délicates.

Au cours de l’une de ses balades rêveuses, l’Emouvantail tombe nez-à-nez sur une roulotte abandonnée. Curieux, il se risque à glisser un œil à l’intérieur, puis deux… puis il y rentre entièrement. Il y trouve un banjo oublié, abandonné par son ancien propriétaire, ainsi qu’un bel oiseau encagé.

« Comment peut-on trouver une chose jolie sans la voir avec le cœur ? »

On retrouve la musique, un thème si cher à Renaud Dillies (rappelez-vous Abélard, Betty blues ou bien encore Saveur coco !). L’auteur parvient à merveille à transmettre les vibrations et sonorités des mélodies, les émotions qu’elles procurent… Cela enrichit ses récits d’une musicalité folle ! On retrouve également d’autres thèmes récurrents dans l’univers de cet artiste : l’amitié, l’entraide et ce fort attrait pour une douce solitude.

Au fil des tomes, l’Emouvantail se construit, grandit, mûrit sans toutefois perdre sa candeur. Fragile adulte. D’album en album, il cherche à comprendre ce monde si étrange, si différent de lui. Il apprend à accepter les incohérences de celui-ci et crée du sublime là-même où tout en était dépourvu. Cet ouvrage est aussi l’occasion de réfléchir à la beauté intrinsèque des choses, à la notion d’enfermement qui bute contre cette belle liberté insouciante à laquelle aspire le personnage principal.

Pour petits et grands lecteurs, l’émerveillement est au rendez-vous. Une série qui a trouvé son « La » dès le début, sans aucune fausse note. A lire et à relire sans modération.

Si vous fouillez un peu, vous trouverez sans difficulté les tomes précédents de la série sur ce site.

L’Emouvantail / Tome 4 : L’oiseau bohème

Editeur : Editions de La Gouttière

Dessinateur & Scénariste : Renaud DILLIES

Dépôt légal : février 2021 / 32 pages / 10,70 euros

ISBN : 9782357960374

Les belles Personnes (Cruchaudet)

J’ai l’impression – peut-être à tort – que le trait de Chloé Cruchaudet se dépouille et va petit à petit à l’essentiel. Sans être décousu, sans être minimaliste, il gagne en finesse, en minutie… il parvient mieux à toucher nos émotions. De la dentelle s’installe dans son dessin. Au fil des années, l’évolution de son trait est remarquable. Je me rappelle des planches d’ « Ida » qui étaient pleines, parfois capiteuses au point de ne laisser presque aucun espace blanc si ce n’est les interstices entre chaque case. Puis il y eu « Mauvais genre » en 2013 qui fut une grosse claque pour moi et une petite révolution en soi dans son univers artistique. Pour illustrer cette romance passionnée entre un soldat et son amante, Chloé Cruchaudet avait fait voler les contours de cases… elle avait laissé respirer ses illustrations, trouvant par là-même de la légèreté, jouant sur les non-dits et sollicitant nos sens. En 2018, l’autrice nous embarquait dans sa « Croisade des Innocents », un récit d’aventure moyenâgeux où nous partagions l’épopée d’une floppée d’orphelins livrés à eux-mêmes. Un récit d’apprentissage où l’ambiance graphique se dépouillait encore, le trait se faisait plus fin, plus délicat, plus profond…

Cruchaudet © Guy Delcourt Productions – 2020

Et voilà 2020 qui voit débarquer ces « Belles personnes » ! « Faire des portraits d’anonymes » est une idée qui avait été impulsée par le Festival Lyon BD … Chloé Cruchaudet l’a remaniée pour la rendre interactive. Un appel à contributions lui permet de recueillir des témoignages… l’autrice en retient treize pour composer cet album.

Le principe est donc simple. Des inconnus rendent hommage à d’autres inconnus. Un frère, une voisine, une infirmière qui travaille dans un service de néonat, une prof de philo, une amante, leur enfant… Des textes mis en forme et illustrés par l’autrice. Un recueil de treize témoignages auxquels Chloé Cruchaudet a ajouté sa propre contribution, « parce qu’au final, c’est pour cette raison que j’ai accepté de faire ce livre » explique-t-elle avant de se plier elle aussi à l’exercice. Quatorze personnes qui rendent hommage à quatorze inconnus.

« Petite et trapue, quelques quatre-vingt kilos et plus, la peau ridée, tannée au maximum par le soleil, Denise est ma voisine. Tout est sourire dans son visage de soixante-douze ans. Ses petits yeux se perdent dans ses rides lorsqu’elle sourit, et ses belles dents blanches bien plantées prennent toute la place qui reste. »

Des témoignages spontanés, posés sur papier et qui s’arrêtent le temps de quelques lignes – une page tout au plus – sur des individus [un proche ou une simple connaissance] qui ont ce don pour nous faire voir les choses autrement, pour nous aider à relativiser, décaler contrariétés et tristesse, rendre le beau pétillant, énergisant… Cette capacité à changer la vie de leur entourage, la rendre plus légère et à diffuser des ondes positives qui rendent le quotidien moins pataud.

« Si un jour elle venait à disparaître, elle laisserait mille orphelins, mais aussi mille souvenirs. »

Des mots frais, souvent émus. Des mots bruts, souvent nostalgiques. Des mots vibrants remplis de métaphores ingénieuses. Des mots beaux pour ces lettres écrites avec le cœur. Des mots pour former ces parenthèses dans la vie de ces individus qui témoignent. Et c’est bon de se frotter à ces vibration. Un album patchwork constitué d’initiatives spontanées, de gestes d’amour gratuits qui n’attendent rien en retour. Mises à nu d’hommes et de femmes qui ont su profiter pleinement d’un instant éphémère ou de la présence plus durable d’un être dans leur vie. Qu’il soit fortuit ou permanent, Chloé Cruchaudet attrape le fil qui relie une personne à une autre.

« Qu’est-ce qu’on garde des belles personnes qu’on a connues ? Des impressions, des fragments, des souvenirs des autres qui deviennent les nôtres. Un petit bagage précieux qu’on transporte. »

Un album en trois temps.

Au premier temps de l’album, l’autrice nous parle de sa démarche.

Au second temps de l’album, les lettres prennent vie sous ses crayons. Le coup de crayon et/ou de pinceau change au besoin des personnalités racontées. Les coloris s’adaptent aux traits de caractères. Tout ici veille à attraper l’empathie et les émotions qui étaient contenus dans les témoignages reçus pour les retranscrire le plus justement possible.

Un troisième temps enfin. Une partie qui contient les textes originaux des contributeurs. Chaque récit est posé. Une page suffit. La page en regard contient quant à elle le portrait de la « belle personne » décrite.

Beau. Simple. Une lecture qui suspend un peu le temps.

Les belles personnes (récit complet)

Editeur : Soleil / Collection : Noctambule

Dessinateur & Scénariste : Chloé CRUCHAUDET

Dépôt légal : octobre 2020 / 144 pages / 17,95 euros

ISBN : 9782302081765

La Bête, tome 1 (Zidrou & Frank Pé)

Zidrou – Frank Pé © Dupuis – 2020

Novembre 1955 à Anvers.

Un cargo est amarré au port sous une pluie battante. Il fait gris, froid… le genre de froid humide qui colle au corps. Dans ses soutes, Marsupilami ronge son frein, remonté à bloc par une traversée éprouvante qui a duré une éternité ; il, est profondément en colère de n’avoir été ni hydraté ni nourri. Il a le poil hirsute et le corps fortement amaigri. Mais il a encore assez de ressources pour mobiliser ses dernières forces et s’enfuir.

« Là ! Au milieu de la route ! Un enfant en imperméable jaune avec… un lasso ! »

Quelques jours plus tard, en banlieue bruxelloise, c’est le petit François qui découvrira le Marsu exténué. L’enfant décide de le ramener chez lui, ce qui ne manquera pas de provoquer une grande stupéfaction chez sa mère. Elle devrait pourtant être habituée de l’étrangeté des bestiaux que François prend sous son aile.

« Une taupe albinos ! Une hulotte idiote ! Une caille sans plumes ! Un vieux matou qui pète tout le temps ! Des salamandres ! Un chien à trois pattes ! (…) La seule chauve-souris diurne au monde ! Un aigle même pas fichu de voler !… (…) Il ne manque plus qu’une licorne et notre arche de Noé affichera complet !!! »

Avec son don inné d’entrer en relation avec les animaux, François réussi à apaiser Marsupilami. Se sentant chez lui, ce dernier se construit un nid dans la grange attenante à la maison.

Voilà un Marsupilami surprenant sous la plume de Zidrou et le sublime coup de crayon de Frank Pé. A l’instar du « Little Nemo » dont le dessinateur nous avait gratifié il y a quelques semaines à peine, le dessin est de toute beauté. C’est ainsi que visuellement, on découvre un Marsu plus sauvage, moins fluet, plus racé et féroce que celui de Franquin. Il en impose !! On sort totalement du registre humoristique familial dans lequel la série avait fait son nid pour entrer de plein pied dans un univers plus consistant qui réinvente totalement ce personnage imaginaire fabuleux. Un premier tome qui met en place ce petit monde tout nouveau… et nous présente un Marsu comme on ne l’avait jamais vu. Dès le premier regard, il n’y a aucun doute sur la puissance et la force de cet animal. Les dessins – en couleur directe – de Frank Pé sont de toute beauté… Chaque case est un tableau ! Bijou d’album ! Ce qui m’a davantage surprise, c’est le côté sombre de l’ambiance graphique. On sent la rage qui bouillonne dans les veines du marsupial, on sent le froid pinçant de ce fichu temps pluvieux qui rend son poil poisseux… puis on sent lorsqu’il baisse la garde en présence de l’enfant.

François… l’autre personnage fort de cet album. Un petit bonhomme d’une dizaine d’années qui vit avec sa mère. Un milieu modeste, un père absent… et pour cause… dix ans après la fin de la Seconde Guerre Mondiale, les soldats allemands sont rentrés chez eux, laissant des orphelins derrière eux. Les stigmates et la haine farouche des Boches est encore bien présente dans l’esprit des Belges. A l’école, le nom de famille de François est un fardeau. Un « Van den Bosche » qui ne laisse aucun doute sur la provenance de cette sonorité teutonne. Pour cela, il subit quotidiennement les violentes humiliations de ses « camarades » de classe. Il accepte, sans broncher mais sitôt arrivé à la maison, son sourire s’illumine de nouveau au contact de sa drôle de ménagerie.

« Glouglouricoooooo ! »

Zidrou quant à lui garde ses habitudes qui lui vont si bien. Le propos peut être incisif et devenir soudain moqueur, nous faire passer en un clin d’œil d’une scène cruelle à un débordement de bonne humeur où les rires fusent et la joie est palpable. Le scénario peut virevolter dans un délire farfelu et rebondir sur un sujet d’actualité de façon crue. Une lecture entrainante qui nous emporte entre action et petites scènes du quotidien. L’humour est très présent et une place généreuse est laissée aux rapports humains… On bondit d’émotion en émotion sans perdre le fil du récit. Du bon Zidrou qui a généreusement plongé son scénario dans un bouillon de culture belge ! Expressions en tout genre, plats, traditions… tout y passe et le rendu est réellement intéressant et très ludique.

« Les Chokotoff, c’est comme la vie : il faut laisser fondre doucement dans la bouche, pas mordre dedans ! »

Une claque ! Et j’ai bien hâte de tenir en mains le second tome qui devrait clore cette série. Hâte. Vraiment hâte !! Et je crois que vous feriez bien de vous procurer ce tome parce que ça m’étonnerait bien qu’il déplaise à quelqu’un !

Et je sais bien que je ne trouve pas toujours les mots pour vous convaincre alors… alors je vous envoie vers cette très complète et sympathique interview de Frank Pé (©Metro) qui devrait finir de vous convaincre que cet album-là est à lire.

La Bête / Tome 1 (Série en cours)

Editeur : Dupuis

Dessinateur : FRANK PE / Scénariste : ZIDROU

Dépôt légal : octobre 2020 / 150 pages / 24.95 euros

ISBN : 979-10-34738-21-2

Le Vagabond des Etoiles, seconde partie (Riff Reb’s)

Riff Reb’s © Soleil Productions – 2020

Accusé d’avoir assassiné un de ses collègues de l’université, Darrell Standing est jugé et incarcéré. Victime d’actes de torture perpétrés par ses geôliers, Darrell fait l’expérience des voyages astraux. Dès lors, il quitte régulièrement son corps et visite des vies passées.

[je vous invite à prendre connaissance de ma chronique sur le premier tome en suivant ce lien]

Le dessin de Riff Reb’s est une seconde peau pour ce roman éponyme de Jack London. Que ce soit « Le Loup des Mers » [je n’ai pas pris le temps de le chroniquer] ou cet univers fantastique du « Vagabond des étoiles » , l’auteur se glisse avec une facilité déconcertante dans l’univers du romancier américain. Riff Reb’s visite, adapte et s’approprie chaque mot, chaque souffle, chaque peur, chaque secousse. Le personnage principal, en huis clos carcéral, accède à des respirations inespérées en se jetant à corps perdu dans des voyages astraux de toute beauté. Il entre ainsi en totale osmose avec des individus dont les vies se sont arrêtées suite à une mort violente ou tout simplement de vieillesse. Ces « évasions extracorporelles » – comme il se plait à les nommer – le parachutent dans différentes époques de l’Histoire de la Terre. Là aussi, le dessin de Riff Reb’s habille à la perfection chaque ère, chaque siècle. Rome Antique, Préhistoire, conquête de l’Ouest américain, Moyen-Age… pas une époque qu’il n’a pas eu l’occasion de visiter, pas une fausse note graphique.

« J’ai souvent réfléchi aux liens entre ces vies et la mienne. Et j’ai dû admettre que l’un des points communs était la colère rouge que j’ai ressentie presque à chaque fois. Cette colère qui a ruiné ma vie et m’a jeté en cellule. (…) Elle était, j’en suis sûr, déjà ancrée en moi, comme chez mes parents, comme chez nous tous et même chez tous les mammifères, et ce, depuis le fond des âges. Elle est, au départ, une peur instinctive à laquelle nous devons tous à un moment donné notre survie. Et elle est transmise dans le temps à travers toutes les générations. »

Cette adaptation est pour nous l’occasion de plonger dans des parcours variés d’hommes et de femmes, toutes couleurs de peau confondues, quelle que soit leur appartenance religieuse ou leur orientation sexuelle. Seul le personnage principal relie ces vies passées et chacun de ces voyages le transforme profondément. On suit son cheminement, d’abord dubitatif sur la nature de ces expériences, il finit par exulter. Le temps du doute est loin, il s’est refermé avec le premier tome. C’est désormais un homme absolument grisé et addict à ces escapades extracorporelles qui est face à nous. Il en tire une force vitale considérable et nous aspire dans sa folie. Est-ce folie ?

Le fait de s’incarner dans de nouvelles vies le conduit à poser un autre regard sur sa vie et sur l’Humanité. De nouvelles réflexions métaphysiques s’ouvrent à lui. Ce mouvement que nous observons durant la lecture est fascinant. Tout aussi fascinant que le contraste créé par sa situation : c’est à partir d’un espace carcéral restreint qu’il parvient à explorer d’autres espaces – temps.

« De toutes mes incarnations passées, je ne vous en aurai fait goûter que quelques extraits car j’ai cueilli des baies sur l’épine dorsale éventée du monde. J’ai arraché pour les mander, des racines aux sols gras des marécages et j’ai partagé la table des rois. J’ai fêté la chasse, j’ai fêté les moissons, j’ai gravé l’image du mammouth sur ses propres défenses, j’ai sculpté des éphèbes et peint toutes les femmes. Et toujours, je suis mort, de froid, de chaud, de faim, de tout, laissant les os de mes carcasses éphémères dans le fond des mers, dans les moraines des glaciers et dans les cimetières de tous les cultes. Mais mes vies sont les vôtres aussi. Chaque être humain évoluant actuellement sur la planète porte en lui l’incorruptible histoire de la vie depuis son origine. »

Traits tirés, visage émacié, le héros a perdu toute la superbe qu’il affichait dans la première partie du récit. Mais si le physique se montre fragile face à la fatigue et aux mauvais traitements, le mental lui nous embarque dans un voyage improbable ! Au-delà du propos, c’est la fierté farouche du personnage à ne pas plier face à ses geôliers qui porte toute la tension et l’exaltation contenue dans le récit. Ce second opus vient clore le diptyque de Riff Reb’s de façon magistrale… nous rappelant avec humilité que l’homme ne saurait progresser isolément des membres de son espèce.

Magnifique diptyque, sublime travail de création graphique. A lire !

Le Vagabond des étoiles / Seconde Partie (diptyque terminé)

Adapté de Jack London

Editeur : Soleil / Collection : Noctambule

Dessinateur & Scénariste : RIFF REB’S

Dépôt légal : octobre 2020 / 104 pages / 17,95 euros

ISBN : 978-2-302-09024-8

Dryades (Vande Ghinste)

Le ciel est chargé, une chape de nuages s’est installée là-haut, de gros nuages gris gorgés d’eau s’apprêtent à percer. Sitôt que les premières gouttes tombent, les rues de Bruxelles se désertent peu à peu.

Vande Ghinste © La Boîte à bulles – 2018

Yacha rentre chez elle. Elle est seule ce soir. Un livre repose sur la table de la cuisine. Pour tromper l’ennui, elle s’en saisit… et plonge dans la lecture. Elle s’y échappe. Oublie la nuit qui tombe, la pluie qui bat, la solitude. Ygor vient de lui annoncer qu’il sera de nouveau absent pour un mois. Yacha n’aime pas vivre seule. Alors elle décide de sous-louer la chambre vacante jusqu’au retour de son colocataire.

Rudica vient d’arriver à Bruxelles. Elle revient à la vie après avoir vécu en captivité. Elle était la prisonnière d’un ogre « très très loin du monde réel » … elle est parvenue à s’échapper en lui faisant boire une tisane qui l’a endormi. Et enfin, Rudica a pu s’échapper. En voyant l’annonce pour la location de la chambre, Rudica saute sur l’occasion. De cette rencontre nait une amitié entre les deux jeunes femmes. Ensemble, elles vont décider de décorer la ville en recouvrant les murs de dessins à la craie.

Cela m’a beaucoup fait penser au dessin un peu cagneux que Joanna Hellgren avait réalisé sur « Frances » . Un dessin enfantin que je trouve inesthétique mais le fait qu’il soit enrichit d’un scénario mature donne une profondeur inattendue à l’histoire. On flotte entre rêve et réalité et les deux dimensions se chevauchent en permanence. C’est troublant cette magie… cette alchimie qui se crée entre les deux femmes. Troublant également de voir à quel point elles se complètent et se nourrissent de l’une de l’autre, de leur amitié quasi fusionnelle.

Dryades – Vande Ghinste © La Boîte à bulles – 2018

Le quotidien de ces dryades des temps modernes est pourtant banal. D’ailleurs, les crayonnés renforcent ce constat. Crayon de papier, feutre noir et peut-être même quelques gris posés à l’aquarelle par-ci, quelques noirs bien accentués à l’encre de Chine par-là, il n’en faut pas plus pour donner corps à la ville, au petit appartement de ces filles et aux décors urbains peuplés de badauds. C’est pourquoi, quand la couleur surgit d’un livre, d’un dessin à la craie, ou que le vert d’une plante apporte sa note de fraicheur, on s’émerveille comme un gosse excité quand il sait que quelque chose de fantastique va arriver…

La couleur et l’ogre sont utilisés ici comme des métaphores pour parler du couple quand il toxique, des rêves que l’on étouffe au bénéfice de choix plus conventionnels… plus en adéquation avec une vie finalement très matérielle. Les deux personnages de l’histoire ont des personnalités assez stéréotypées : l’une est belle, complètement insouciante et mythomane ; la seconde est terne, banale et incapable de vivre seule. Leur rencontre sonne comme une évidence. Lorsqu’elles sont ensemble, elles s’équilibrent, elles s’épanouissent. Elles sont solaires, affrontent leurs démons et repoussent leurs peurs.

C’est un peu fou, absurde mais tellement poétique ! Ces femmes sont belles mais elles ont poussé de guingois. Et cette belle rencontre leur permet finalement de prendre en confiance en elles et d’accepter totalement leur originalité, leurs convictions. Deux sorcières des temps modernes qui naviguent dans un quotidien fantastico-réaliste.

La chronique de Bidib.

Dryades (one shot)

Editeur : La Boîte à bulles / Collection : La Clef des champs

Dessinateur & Scénariste : Tiffanie VANDE GHINSTE

Dépôt légal : mars 2018 / 88 pages / 16 euros

ISBN : 978-2-84953-307-9

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