Nocturne (Blanchet)

Blanchet © La Pastèque – 2011

« Août 1948, New York suffoque sous la canicule. Alors que la nuit s’étend sur la ville, la voix d’Anne Scheffer, reine des ondes, transporte loin des cuisines et des rares clients une serveuse de cafétéria de la 33e rue et ajoute au drame banal d’un auteur sans succès de Brooklyn. Nocturne est la chronique d’une nuit qui peine à voir le jour… » (quatrième de couverture).

Le silence d’une nuit chaude nous accueille. Pascal Blanchet a installé ses protagonistes. Il nous les montre tour à tour. Ils sont prêts, immobiles. Ils sont en tension, pris dans leurs histoires respectives, souhaitant réaliser leurs rêves, blessés par leurs échecs. Ils ont l’air paisibles, profitant d’un instant de calme avant la tempête. Ils attendent et déjà, on sent l’électricité qui plane dans l’air. Les corps sont épuisés de s’être mus toute la journée dans la chaleur caniculaire. La journée est en train de tirer sa révérence. La nuit a déjà commencé à les accueillir.

Puis s’élève la voix de la chanteuse.

« In the still of the night
As I gaze from my window
At the Moon in its flight
My thoughts all stray to you » 

Les mots résonnent, se diffusent, se propagent… La mélodie de Cole Porter enlace, berce, rafraichit. L’instant est suspendu. Le timbre de sa voix porte ses spectateurs et ses auditeurs. Puis, la dernière note retentit, la chanson est finie, la parenthèse se referme… la vie reprend et la chaleur assommante met les nerfs en boule.

J’ai peu de choses à dire sur cet album si ce n’est que c’est pour moi l’occasion de m’arrêter une nouvelle fois sur un ouvrage de Pascal Blanchet. J’aime réellement son travail. C’est un illustrateur émérite et il n’a pas son pareil pour conter des histoires mélancoliques, tragiques. L’auteur n’a pas son pareil pour nous faire ressentir la mélancolie provoquée par leur quotidien ; leurs vies se sont brisées sur un deuil, une séparation ou un échec. Ses albums ont en commun de s’intéresser à des personnage remplis d’une profonde tristesse et vivant dans une grande solitude. La musique leur vient souvent en aide.

Nocturne – Blanchet © La Pastèque – 2011

Pascal Blanchet illustre avec brio l’ambiance des années cinquante. Il semble nourrir une sorte de fascination pour cette époque qu’il matérialise à merveille. La veine graphique crée un univers cohérent. Un design, des couleurs, des formes et des courbes, des teintes… L’auteur trouve toujours la ligne de fuite adéquate que notre œil va suivre. Une géométrie harmonieuse et chaleureuse, les jeux d’ombre et la lumière… la façon dont il utilise les trames matérialiser la matière, son brillant, son mat, sa texture, sa souplesse… Pas de phylactères mais une voix-off qui dépose son histoire au fil des pages.

Je ne peux que vous conseiller de découvrir cet auteur.

D’autres albums de Pascal Blanchet : Le Noël de Marguerite, Rapide-Blanc et La Fugue.

Nocturne

Editeur : Editions de La Pastèque

Dessinateur & Scénariste : Pascal BLANCHET

Dépôt légal : novembre 2011 / 208 pages / 17,70 euros

ISBN : 978-2-922585-69-8

Holy Wood (Redolfi)

Redolfi © La Boîte à bulles – 2016
Redolfi © La Boîte à bulles – 2016

« Holy wood, le « Bois Sacré », est une sombre forêt de conifères, peuplée de monstres de foire et de vieilles caravanes ; c’est là-bas que naissent les stars de cinéma qui font tant rêver les spectateurs.
Dans l’espoir d’en devenir une à son tour, la fragile Norma vient s’installer dans cette étrange ville-fantôme qui lui permet, malgré l’obscurité ambiante, de se retrouver sous le feu des projecteurs.
Passé les premiers échecs, la frêle jeune femme se retrouve au cœur de l’attention du couple Wilcox, énigmatique fondateur de « Holy wood ».
Grâce à eux, Norma Jeane Baker devient Marilyn. LA Marilyn. Une femme très différente de la véritable Norma. Trop, peut-être ?
Le portrait revisité de Marilyn Monroe dans un Hollywood fantasmagorique, fascinant et inquiétant. » (synopsis éditeur).

Nous avons tous plus ou moins besoin de reconnaissance. Le regard d’un père et d’une mère suffisent à beaucoup. Mais lorsque ceux-ci n’ont jamais été présents, auprès de qui briller ? Combien de regards faut-il pour combler l’absence d’un seul ? Cent ? Deux cents ? Mille ? Jamais suffisamment en tout cas.

C’est avec ces mots que s’ouvre le récit de Tommy Redolfi. Et c’est sur ces mots que l’on fait la connaissance du personnage principal alors même qu’il pose pour la première fois les pieds à Holy Wood, « l’unique endroit qui fait briller un seul visage pour que des millions l’admirent sur écrans géants ». Un personnage effacé, timide, fascinée par le lieux, éblouie par les promesses de carrière qu’il murmure. Jeune femme timide qui peine à parler, butant sur chaque mot, tant elle est impressionnée par tout ce que cela représente et ses ambitions de gloire qu’elle espère atteindre. Le scénariste lui permet de s’appuyer sur la présence rassurante de son propriétaire, un vieil homme reconvertit par la force des choses dans l’industrie cinématographique, mémoire vivante de l’essor de ce lieu et de l’histoire du cinéma.

En s’appuyant sur la lente ascension médiatique de son héroïne, nous passons de la petite prétendante qui va de casting en casting à la charismatique Marilyn Monroe. Le lecteur est aux premières loges pour mesurer les étapes de la métamorphose d’une femme. Tommy Redolfi propose une réflexion sur le monde du cinéma, la manière dont les producteurs façonnent des carrières, modèlent des personnalités pour les rendre conformes aux attentes du public, pour donner du rêve aux spectateurs… Mensonge, profit, vanité, le combat entre ceux qui imposent les règles et les anonymes en quête de gloire est déloyal. Paraître, faux-semblant, séduction sont les rares armes que les prétendants au succès peuvent employer.

– Rien n’est pire que le lieu d’où vous sortez, croyez-moi. De nous, ils ont exploité la laideur… Et ils vont bientôt s’occuper de la vôtre aussi.
– Vous vous trompez. Sauf votre respect, je ne suis pas comme vous.
– Oh, que si ! On a tous un monstre qui sommeille en nous. Et ils ne vont pas tarder à trouver le vôtre

Cet ouvrage aborde aussi les thèmes de la dépression et de la solitude. En effet, la chaleur des projecteurs et la peau dans laquelle se glisse l’acteur ne suffisent pas à panser les maux de l’enfance. Pire encore, elle les exacerbe. Le scénario n’hésite pas à faire appel aux placebos auxquels les uns et les autres ont recourt pour prolonger le vernis dont ils se protègent : médicaments, alcool et autres drogues sont de parfaites prothèses pour écarter les doutes et autres vieux démons trop envahissants. De parfaites béquilles… dont on ne voit les inconvénients que trop tard. L’emploi de métaphore est récurrent, tant dans le récit que dans le dessin. Graphiquement, le trait délicat de Tommy Redolfi caresse les personnages et montre la fragilité de l’héroïne. Son regard, la moue de sa bouche, le léger voutement de ses épaules sont autant d’indications qui accentuent le poids des humiliations dont elle fait l’objet. Les ocres, marrons, jaunes sont les couleurs dominantes, donnant à l’ambiance graphique une chaleur bénéfique tout en faisant ressentir le caractère agressif de ce monde.

PictoOKUn bel album qui, outre le fait de rentre hommage à Marilyn Monroe, ose un clin d’œil à l’album éponyme de Marilyn Manson sorti en 2000 dont l’un des thèmes majeurs était la culture de la célébrité en Amérique. Un voyage surprenant dans un monde impitoyable.

Extrait :

« Je vais te dire où il est, le mal. Le mal, il est dans tout ce fric qu’on perd à cause de tes conneries intellectuelles. Voilà où il est, le mal ! Les gens n’en ont rien à foutre de réfléchir. Ils veulent du cul et de quoi s’marrer ! Il se trouve que t’es bonne là-d’dans, alors contente-toi de faire ce que tu sais faire et laisse les belles phrases aux acteurs ! Et entre nous, je préfère clairement faire rire trois millions de personnes plutôt que d’en faire « réfléchir » quinze ! Et je SAIS qu’t’en penses pas moins ! » (Holy Wood).

Holy Wood

– Portrait fantasmé de Marilyn Monroe –

Editeur : La Boîte à bulles

Collection : Clef des Champs

Dessinateur / Scénariste : Tommy REDOLFI

Dépôt légal : juin 2016

256 pages, 32 euros, ISBN : 978-2-84953-249-2

Bulles bulles bulles…

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Holy Wood – Redolfi © La Boîte à bulles – 2016

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