Rocking Chair (Peyraud & Kokor)

Cher Alain, Mon Capitaine,

C’est avec gourmandise et curiosité que je me suis plongée dans ce nouvel album que ta patte a façonné. A la fois surprise que de tant de violences tu parviennes à t’accommoder et de la beauté de ton trait… cette beauté toujours et encore, pleine de douceur et de poésie. Je m’échappe.

Voilà donc qu’en cet An 2022 je reviens au clavier pour te dire ce que Rocking Chair a touché en moi. Que de cette collaboration artistique dans laquelle tu t’es plongé m’a plu. De ton acolyte j’avais lu deux superbes ouvrages (Le Désespoir du Singe et L’Inversion de la courbe des sentiments) que je garde en mémoire… certes de façon moins marquée que les voyages imaginaires que tu m’as déjà permis de faire (peut-on reparler une fois encore de ce grand régal que m’avais procurée la lecture de Balade Balade ??!).

Tu m’avais déjà étonnée quand, à l’occasion du numéro 2 de la Revue Dessinée, tu t’associais à David Servenay pour illustrer l’histoire de Jacques Monsieur, trafiquant d’armes hors pair. Tu es toujours à me surprendre par tes choix sans cesse renouvelés, sans jamais ne rien perdre de la douce musique qui accompagne chacune de tes illustrations.

La lecture de cet album fut un régal,

Merci à toi.

Rocking chair – Peyraud – Kokor © Futuropolis – 2022

Avant même de m’engouffrer dans la lecture, il y avait ce balancement rassurant dans le titre de l’album qui ne m’a jamais quitté. C’est avec l’image d’être confortablement assise dans un fauteuil à bascule à profiter d’un léger bercement que je suis partie à la conquête de l’Ouest. Le rocking chair est le personnage principal de cette épopée… l’objet central de l’intrigue autour duquel tout gravite.

Les périples et rebondissements tissés par Jean-Philippe Peyraud sont nombreux. Le scénariste construit un récit choral qui raconte l’histoire de tous ces immigrés européens partis à la conquête de l’Ouest américain pour fuir les horreurs d’une vie de misère. Mettant leur destin dans les mains d’inconnus aux mines patibulaires et souvent peu scrupuleux, des familles entières ont bravé les dangers de territoires sauvages pour atteindre un rêve, un Eldorado qu’ils ont totalement fantasmés. Jean-Philippe Peyraud rend hommage à cette multitude de courageux. Parmi eux, il y aura des chanceux… et ces innombrables qui n’arriveront jamais à destination.

Ce sont ces vies brisées que l’on rencontre tout au long de l’album. Ces vies parfois réparées quand la présence d’une bonne étoile a aidé un destin à se faufiler au travers des mailles de la déveine. On les découvre une à une, au fil du récit : orpailleur, garçon de ferme, orpheline, infirme… Des hommes et des femmes de tous horizons, venus des quatre coins de la vieille Europe.

Des solitudes déracinées en quête de liberté.

Des individus en quête d’un terreau où ils pourront enfin s’épanouir.

Le rocking chair nous accompagne de bout en bout, comme un objet transitionnel que l’on garde avec soi pour se rassurer. Cette chaise à bascule est le fil rouge de cette histoire.

Sans concessions mais avec beaucoup d’humanité, le scénario se pose d’un personnage à l’autre puis, comme happé par un souffle de vent capricieux, il reprend son envol jusqu’à un autre héros anonyme. De saut de puce en saut de puce, le scénariste nous fait traverser le continent américain puis revenir sur nos pas, comme pour boucler la boucle. Je n’ai rien su anticiper, rien deviné à l’avance… rien n’était cousu de fil blanc dans ce récit. Cette lecture m’a surprise et rien que ça, c’est très agréable.

J’ai été happée, fascinée et le travail d’Alain Kokor sur la mise en images. Loin des univers qu’il construit d’habitude, il parvient à insuffler au milieu de ce tumulte humain quelques touches de poésie, des émotions et des sentiments. On est dans une réalité crue mais ses dessins et ses couleurs parviennent merveilleusement bien à atténuer le côté trop incisif de certains passages. L’ambiance graphique nous enveloppe et nous aide à traverser des tourments sans qu’on ne perde rien de l’intensité et de l’ambiance de chaque instant. . Je ne m’attendais pas à rencontrer cette violence au bout du crayon d’Alain Kokor mais rien n’est surjoué ni surexploité. Les passages où la stupéfaction m’a saisie laissent une belle place à des instants plus tendres, plus intimistes… un apaisement après la tempête. Tout passe en finesse.

Très surprise par cet album dont certains passages m’ont un peu chamboulée. La finition est soignée « aux petits oignons » et la lecture d’une fluidité incroyable.

Rocking chair est un récit complet (one shot) de Jean-Philippe PEYRAUD et illustré par Alain KOKOR

Paru aux Editions Futuropolis en janvier 2022

ISBN : 9782754829793

152 pages au prix de 23 euros

Even (Zidrou & Alexeï)

Zidrou – Alexeï © Guy Delcourt Productions – 2021

Le sexe et son cortège de florilèges : jouissance, désir, orgasme, bien-être… Dans une société future, le sexe est devenu la clef de voute de l’harmonie communautaire. Optimiser la vie sexuelle de chacun est devenu un leitmotiv, une science… un business de santé publique. L’épanouissement de l’intime est de mise, de gré ou de force.

L’Erospital de Montpellier est le lieu en vogue pour atteindre la plénitude sexuelle. Dans ce complexe médical, on se touche, on se doigte, on se lèche, on s’attache, on se pénètre, on s’excite… les tabous sont laissés à la porte pour que chacun puisse explorer ses fantasmes… tous ses fantasmes.

« L’Erospital de Montpellier est particulièrement fier de vous proposer le premier traitement émotivo-sexuel au monde par réplico-thérapie Even. Even est une entité virtuelle neutre, malléable et auto-ajustable selon vos désirs, capable de prendre le sexe et l’apparence – humaine uniquement – de votre choix. La vôtre, si vous la souhaitez, ou celle d’un défunt qui vous était cher, sur présentation de son CogigA.D.N. Le bonheur sexuel est un droit. Contribuer au vôtre, notre devoir ! »

Cette promesse de bonheur cache en vérité des pratiques thérapeutiques peu conventionnelles. A commencer par le fait que la quête de l’extase sexuel est réservée aux Swiits : de beaux citoyens, agréables à regarder. Leur conformité physique leur permet d’accéder à l’emploi de leur choix. Aux Ugly seront réservés les emplois dont personne ne veut : agent d’entretien, éboueur… De fait, les Ugly n’ont pas le droit à cette envolée sexuelle à laquelle tout le monde aspire pourtant.

Cette quête chimérique de bonheur prend, pour certains, la forme d’une thérapie individualisée obligatoire. C’est un non-sens pour beaucoup de patients du Docteur Sidibe. A la longue, nombreux sont ceux qui ne perçoivent plus l’intérêt de venir se palucher à heure fixe et à fréquence régulière entre les murs d’une pièce de l’Erospital. Fred fait partie de ces patients ; le Docteur Sidibe s’est mis en tête de stimuler la libido de ce jeune veuf très affecté par le décès de sa compagne. La journaliste Ann Seymour va chercher à entrer en contact avec Fred afin de mener à bien son investigation pour prouver que les pratiques de Sidibe sont abusives… et pour le moins douteuses.

« Nous sommes passés d’une dictature du péché à une dictature du plaisir. »

Ce n’est pas simple pour moi de faire le résumé de cet album mais j’ai voulu prendre le temps d’en parler parce que j’ai trouvé qu’il y avait quelque chose d’intéressant dans le postulat de départ de cette fiction dystopique. Cette vision cynique d’une société qui cafouille encore m’a intriguée. J’ai trouvé cela pertinent et ça m’a donné envie de faire cette lecture.

Zidrou montre qu’il est possible que nos sociétés s’enlaidissent plus encore. Avec la pandémie, on a vu depuis 2020 que nos gouvernants étaient capables d’intruser sans vergogne la manière dont on gère nos vies privées. « Even » pousse la chansonnette un peu plus loin en imaginant que cette intrusion peut aller jusqu’à notre intimité… et cela sans vergogne… et cela sans que le « peuple » ne bronche. Il suffit juste d’un discours marketing suffisamment racoleur pour faire croire que cela se fait dans l’intérêt de tous.

Il n’y a qu’une seule chose optimiste là-dedans : la couleur de la peau n’est plus un critère pour juger des individus. Pourtant, c’est une autre forme de ségrégation qui s’est mise en place : celle de la beauté. Le paraître. Les laids sont mis au ban de la société : ils ont des écoles pour eux, des quartiers pour eux, des activités pour eux et rien ne peut leur permettre de sortir du carcan de cette imparable ghettoïsation.

C’est la description d’une société hypocrite qui a une nouvelle fois rebattu les cartes pour que le jeu tourne éternellement en sa faveur. Le dessin d’Alexei est assez propre et ne fait pas trop de remous côté graphique. Il « fait son taf » et installe une ambiance qui colle bien avec l’intrigue. Je n’ai pas grand-chose à dire à ce niveau-là car les illustrations n’ont provoqué aucun émoi en moi.

C’est donc le propos qui m’a tenu en haleine durant un bon moment. Dommage que le dénouement de cette histoire nous propose une fin si prévisible et si abrupte ! Tout se referme d’un coup sans prendre le temps de réellement donner les réponses à des questions qui nous ont traversé l’esprit. L’ensemble est finalement assez convenu. Je dis souvent que pour moi, lire un Zidrou : c’est quitte ou double. Cette fois, ça ne passe pas. C’est une lecture que j’oublierai vite. Mais toi, si tu as lu cet ouvrage, qu’as-tu à en dire ?

Even

Editeur : Delcourt

Dessinateur : ALEXEÏ / Scénariste : ZIDROU

Dépôt légal : juin 2021 / 88 pages / 18,95 euros

ISBN : 9782413013266

Yellow Cab (Chabouté)

Chabouté © Vents d’Ouest – 2021

Le mois de juin débute à peine et cette journée radieuse leur permet de faire une petite balade à deux. C’est l’occasion qu’Eléonore attendait pour pouvoir enfin parler avec Benoît. Elle le sent taciturne, soucieux. Il saisit la perche qu’elle lui tend et confie sa lassitude. Il est à bout de souffle. La routine s’est installée dans le rythme fou de sa vie.

Benoît Cohen enchaîne les projets, les films et les séries qu’il réalise… Il y a un an, il s’est installé à New-York avec sa compagne. Il a tout pour être heureux et il vit de son Art… mais il est à bout d’idées pour écrire de nouveaux scénarios. Il est au bout de ses envies, en quête de sens. Il n’a plus la hargne. Sa plume est sèche. Il veut changer de cap, changer de métier… et décide de devenir chauffeur de taxi.

« Sur l’écran, ça avait l’air simple. Je dois m’inscrire dans une école spécialisée, valider un minimum de 24 heures de cours, passer un examen écrit et faire un test qui prouve que je ne consomme pas de drogue… Coût moyen 500 dollars… »

Christophe Chabouté nous emmène en balade dans les rues de New-York, à la rencontre des quartiers et des habitants de la mégalopole. On sent les battement de la ville qui ne dort jamais. Le personnage se retrouve au contact de la multiculturalité. Dans les rangs des taxi drivers, des hommes venus d’Asie, d’Amérique latine, d’Afrique mais surtout, des hommes habitants dans les quartiers pauvres de la ville. Et à l’arrière des taxis, un éclectisme fou d’individus de tous âges et issus de toutes les ethnies, de toutes les religions, de toutes les classes sociales

« Une succession de rencontres, de portraits de new-yorkais, de lieux, pour dire cette ville… »

Un scénario très accrocheur. La voix-off du personnage principal est un fil que l’on suit avec grand intérêt. On observe cet homme se remettre en question et se lancer dans son projet, se cramponner à lui comme à une bouée. Il s’obstine dans son intention de devenir taxi driver. Il ne se décourage pas malgré les difficultés, les impondérables et les délais fous des procédures. Il ne baisse pas les bras face à ce parcours du combattant jalonné de démarches administratives, de visites médicales, de tests d’évaluation de tout acabit, d’attente avant l’obtention de telle ou telle licence. Benoît Cohen n’oublie pas que lui à ce luxe de pouvoir revenir en arrière, de reprendre ses activités de scénariste alors que les autres chauffeurs n’ont pas ce privilège. Les autres n’ont pas ce choix ; parce qu’ils ont besoin de nourrir leur famille et de payer leur loyer, ils ne peuvent pas faire autrement que d’essuyer les plâtres, de serrer les dents parce que chauffeur de taxi est l’un des rares métiers qui leur soit accessible. Ces autres-là qui viennent d’immigrer et qui n’ont pas de diplôme pour pouvoir espérer faire un autre métier.

« La chauffeuse de taxi, personnage principal de mon film, deviendra comme moi : une fonction sociale, rien de plus, un moyen pour les autres de se déplacer dans la ville. »

Mais le « héros » de cette histoire vraie – Benoît Cohen a réellement vécu cette expérience – s’agrippe à son dessein. Ce projet le chamboule, l’oblige à remettre les pieds sur terre. A force de vivre au milieu de ces hommes, il reprend le sens de la réalité, il ressent l’inquiétude et le plaisir des petites victoires. Il se remet en question. Peu à peu, cette expérience lui redonne envie d’écrire et de fil en aiguille, l’ébauche d’un scénario se profile et prend forme sous nos yeux.

« Mon héroïne aussi cherchera à se construire une autre identité, jouer un personnage, ne pas être en première ligne l’aidera à supporter la dureté de son nouveau quotidien. Elle aura un peu l’impression d’être dans un film à chaque fois qu’elle prendra le volant. »

Je n’ai pas lu le roman de Benoît Cohen qui a inspiré Christophe Chabouté au point de vouloir l’adapter. Quoi qu’il en soit, cet album propose une réflexion sur des thèmes très variés : la société, les migrants, le sexisme…

Yellow Cab (one shot)

Adapté du roman de Benoît COHEN

Editeur : Vents d’Ouest

Dessinateur & Scénariste : Christophe CHABOUTE

Dépôt légal : janvier 2021 / 162 pages / 22 euros

ISBN : 9782749309002

Chroniques de Jeunesse (Delisle)

Delisle © Guy Delcourt Productions – 2021

Son premier petit boulot d’été, il le décroche à l’âge de 16 ans dans l’usine de pâte et papier où son père travaille en tant que dessinateur industriel. Guy Delisle découvre le monde du travail, il est papetier et apprend à fabriquer du papier journal.

Il est en poste de nuit pour l’essentiel. Guy mettra du temps avant de se faire à ce rythme de travail abrutissant. Mais les perspectives pécuniaires que lui offrent ce job valent tout l’or du monde. A la rentrée, il reprendra ses études en Arts Plastiques.

« J’imagine que le bénéfice de travailler à l’usine quand on a moins de 20 ans, c’est qu’on voit de façon concrète à quoi serviront nos études. »

Sur le même principe que ses autres « chroniques » (Chroniques de Jérusalem, Chroniques birmanes, mais aussi Pyongyang et Shenzhen), Guy Delisle relate son quotidien. Ici, il s’agit des souvenirs de son adolescence, lorsqu’il travaillait pour financer ses études. On reste sur un récit en grande partie factuel que l’auteur ponctue de quelques passages destinés à partager la lecture qu’il a de ce qu’il observe et découvre. Guy Delisle mesure notamment le décalage entre les ouvriers qui sont quotidiennement au « charbon » et les cols blancs de l’usine (ingénieurs et autres salariés des bureaux) qui travaillent loin de la réalité de terrain.

Cet album est également l’occasion pour l’auteur de parler de la relation qu’il a avec son père. Son père qu’il perçoit presque comme un inconnu. La manière d’aborder son quotidien et les éléments plus personnels de sa vie m’ont parfois fait penser à la série « Paul » de Michel Rabagliati ; en cela, je trouve que le style de Rabagliati est beaucoup juste, touchant et prenant. Guy Delisle nous laisse davantage sur le bas-côté : j’observe de façon extérieure, je ne m’émeus pas.

Avec cet album, j’ai retrouvé de façon timide les sensations que j’avais eues à la lecture de « Shenzhen » et de « Pyongyang » … Le fil narratif et l’ambiance de « Chroniques de Jeunesse » ont une consistance et une dynamique qui m’ont donné envie de tourner la page, encore et encore. Je suis loin de l’agacement qu’a provoqué « Chroniques de Jérusalem » , loin de l’ennui ressenti au contact des « Chroniques birmanes » .

Un ouvrage que j’ai eu plaisir à lire et cela faisait bien longtemps que Guy Delisle ne m’avait pas surprise.

La chronique de Jérôme.

Chroniques de Jeunesse (one shot)

Editeur : Delcourt / Collection : Shampooing

Dessinateur & Scénariste : Guy DELISLE

Dépôt légal : janvier 2021 / 136 pages / 15,50 euros

ISBN : 9782413039310

Peer Gynt, Acte 1 (Carrion)

Acte 1 – Carrion © Soleil Productions – 2021

Peer Gynt est un jeune homme épris de liberté. Au printemps de sa vie, cet épicurien a soif de découvrir la vie et le monde. Il s’amourache aussi vite qu’il se lasse de ses compagnes éphémères. Solveig est la seule à entrer dans son cœur mais Peer est assailli de contradictions ; constatant qu’il ne trouve pas de compromis acceptable entre l’envie d’ici et l’envie d’ailleurs, Peer décide de partir.

Du noir et blanc… pour nous emmener dans ces contrées perdues de la Norvège. Antoine Carrion (dessinateur de « Nils » aux éditions Soleil) adapte ici la pièce de théâtre d’Henrik Ibsen.

Du noir et blanc… pour nous porter dans ce monde entre rêve et réalité… entre métaphores poétiques et matérialité crue de l’existence. Du noir et blanc enfin pour mettre en image cette quête identitaire d’une époque où les mythes et légendes populaires avaient encore la peau dure et faisaient partie intégrante d’un folklore local.

Le scénario est saturé d’éléments et de dialogues qui se croisent. La lecture est un peu saccadée du fait d’une multitudes de personnages secondaires, d’un Peer Gynt tiraillé par ses différents désirs et donc qui tâtonne quant à ses intentions. Les références au passé ainsi qu’à l’héritage familial du héros sont nombreuses et impactent réellement son quotidien… et donc le récit que nous lisons ; nous ne mesurons réellement les tenants et les aboutissants dans un deuxième temps. De fait, j’ai trouvé qu’il était ardu de faire la part des choses entre ce qui est vrai, ce qui est fantasmé et ce qui appartient au registre de la mythomanie. On ne mesure qu’après coup l’importance d’un événement (passé ou actuel) et cela saccade un peu la lecture… Cela m’a souvent rendue perplexe durant la lecture.

Le scénario qui gambade de ci de là, c’est le principal grief que j’aurais à formuler sur cet ouvrage : les intentions narratives sont souvent nébuleuses. Ce n’est pas chose aisée que d’aborder cette histoire qui fourmille d’éléments, de personnages secondaires, de références au passé du héros et à la culture populaire (légendes et mythes norvégiens). J’ai cafouillé pendant une partie de la lecture avant de trouver la bonne distance à avoir avec le récit et parvenir à comprendre ce qui était ironie, mélancolie ou bien encore passion amoureuse. Le personnage principal se cherche, se perd… et nous perd un peu en route.

Peer Gynt est aussi spontané que complexe. Ses penchants pour l’alcool, les femmes, l’humour et le mensonge le malmènent. Il est aussi présomptueux qu’idéaliste, aussi mythomane que pragmatique, aussi exubérant que timide, aussi prévisible que surprenant. A la fois fourbe et courageux, Peer a toutes les qualités et tous les défauts. Qui est-il ? Un doux rêveur, un homme intègre d’une naïveté touchante et d’une lucidité incroyable face à des situations inextricables. Il m’a semblé que le lecteur n’avait d’autres choix que d’observer ce personnage en quête de réponses et d’accepter ses errances et cafouillements.  Après tout, n’est-on pas face à un jeune homme qui cherche des réponses, qui teste ses limites et souhaite tout simplement donner un sens à sa vie plutôt que de suivre une voie que d’autres ont tracée pour lui.

Graphiquement en revanche, je me suis régalée. La mise en images des paysages est sublime. Une excursion onirique au beau milieu de l’album – au pays des trolls et de la nuit – nous saisit et nous interloque, mais c’est finalement ce passage narratif qui nous permet de comprendre ce que le héros est en train d’agir à cette période-charnière de sa vie où il sort du giron familial pour entrer de plein pied dans la vie adulte.

Au final, et à l’instar de Peer Gynt, je me retrouve un peu ambivalente face à ce récit : je suis désireuse de connaître le dénouement de cette épopée identitaire mais incertaine quant au fait d’avoir saisit correctement le personnage ainsi que sa démarche. Mais le sentiment sur le reste après la lecture de ce premier opus est plutôt positif.

Peer Gynt, Acte 1

(Diptyque en cours)

Editeur : Soleil / Collection : Métamorphose

Dessinateur & Scénariste : Antoine CARRION

Adapté de l’œuvre (théâtre) d’Henrik Ibsen

Dépôt légal : février 2021 / 104 pages / 17,95 euros

ISBN : 9782302091368

La Cage aux cons (Angotti & Recht)

Angotti – Recht © Guy Delcourt Productions – 2020

Karine, c’est l’amour de sa vie.

Et Karine aime l’argent. Elle veut beaucoup d’argent.

« En vrai, il y a que la poésie pour changer la misère du monde. Du moins, quand on n’a pas le pognon. D’ailleurs, Karine dit qu’on peut pas être à la fois pauvre et heureux. Mais elle aime quand même la poésie. »

Aussi, lorsqu’elle le fout à la porte et lui intime de revenir avec les poches pleines de pognon s’il veut de nouveau envisager de pouvoir la sauter, il ne réfléchit pas trop longtemps. C’est au bar qu’il trouve la solution : celle de suivre un client qui se vante à qui veut l’entendre qu’il est plein aux as et qu’il possède un joli petit magot chez lui.

Alors ni une ni deux, il décide de suivre ce bourgeois et de le cambrioler. Profitant de la nuit, il pénètre dans la riche demeure et trouve la planque aux biftons. Plein de biftons ! Jusqu’à ce que la lumière s’allume et que le bourgeois se mette à mener la danse avec élégance… une arme à la main.

« On a beau dire, un pétard, ça augmente considérablement le potentiel d’autorité d’un homme. »

Rapidement, le rentier fait faire un tour du propriétaire à notre gaillard. Un mort par ci, un mort par là… il ne met pas longtemps à comprendre que le riche poulet qu’il voulait plumer est un vrai psychopathe. Notre bonhomme est tombé dans un vrai guêpier. Le voilà désormais prisonnier et soumis au bon vouloir de celui qui le retient en otage.

La dernière fois que j’avais lu un récit de Matthieu Angotti, c’était à l’occasion de la sortie de son premier album, « Désintégration – Journal d’un conseiller à Matignon ». Et je ne pensais pas relire le scénariste de sitôt car son récit ministériel m’avait agacée. Le revoilà pourtant avec un huis-clos d’un autre genre. Cette fois, on quitte le registre de l’expérience personnelle (et professionnelle) pour rentrer dans un thriller où un voyou minable – porté sur la bouteille, le sexe et la poésie – se retrouve pris dans la toile d’un étrange psychopathe. Ce dernier prend l’apparence d’un rentier solitaire, un homme aigri et calculateur. Rapidement, notre « héros » décide de faire contre mauvaise fortune bon cœur. Bien que la situation ne soit pas à son avantage, il choisit de profiter des bons côtés de la situation. Il observe son étrange preneur d’otage et se convainc qu’il parviendra à trouver le moment opportun pour prendre la fuite. Le scénariste travaille son ambiance de façon singulière et les rebondissements ne manquent pas de nous surprendre. Le résultat est réellement ludique. Matthieu Angotti se sert de l’humour dont son personnage principal fait preuve pour relativiser la situation et désamorcer la tension avant qu’elle ne devienne trop oppressante pour nous [lecteurs].

Le rythme narratif trouve son équilibre entre deux tons. D’un côté, on a la voix-off du pauvre bougre qui endosse le costume de personnage principal. Il choisit de rester positif face à sa situation de captif. Il constate vite que malgré les apparences, il vit aux frais de la princesse dans d’assez bonnes conditions. L’état d’esprit dans lequel il vit sa privation de liberté nous le rend, au demeurant, fort sympathique ! L’autre ton de la narration se trouve dans les échanges interactifs entre le « con » bourgeois et notre pauvre hère. Beaucoup d’autodérision, un poil de cynisme et une bonne rasade de perversité sont les éléments sur lesquels se construit l’intrigue. Sans compter que les deux hommes se trouvent un centre d’intérêt commun : la poésie ! Les voilà qui déclament avec parcimonie quelques alexandrins, ce qui est assez inattendu et renforce le comique de situation. Quelques explosions de violence par-ci par-là nous rappellent à l’ordre régulièrement et nous intiment de ne pas oublier que le con est imprévisible voire irascible… il faut se méfier de l’eau qui dort. Je n’ai pu m’empêcher de comparer cette atmosphère – fruit d’un judicieux dosage d’humour et de sérieux – à certains albums d’Aurélien Ducoudray.

Au dessin, on retrouve Robin Recht qui avait déjà collaboré sur le précédent album de Matthieu Angotti. Il construit un univers en noir et blanc qui se marie très bien au propos.  La lecture est fluide, on avance dans l’album un peu comme si on regardait un bon vieux policier. D’ailleurs, la trogne du commissaire en charge de l’enquête n’a pas été sans me rappeler Lino Ventura… je n’ai donc pu m’empêcher de donner la voix de l’acteur et sa gestuelle à ce personnage secondaire.

L’album m’attendait depuis un moment et j’en différais la lecture, accaparée par la conclusion trop rapide que j’avais tirée de ma lecture de « Désintégration » ; il me semblait que j’étais totalement étanche au travail d’écriture de Matthieu Angotti… voilà qui n’en est rien ! C’est donc une très belle surprise de lecture !

La chronique de Branchés culture.

La Cage aux Cons (récit complet)

Editeur : Delcourt / Collection : Machination

Dessinateur : Robin RECHT / Scénariste : Matthieu ANGOTTI

Dépôt légal : octobre 2020 / 152 pages / 18,95 euros

ISBN : 9782413018575

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