Dans la nuit noire (Small)

David Small revient avec un roman graphique tout aussi poignant, témoin d’une adolescence américaine malmenée et livrée à elle-même.

Small © Guy Delcourt Productions – 2021

Le décor de ce récit fictif est une petite ville américaine californienne. Des parents défaillants, totalement absents et absolument englués dans leurs propres problématiques, et c’est un jeune garçon – au seuil de l’adolescence – qui doit apprendre à grandir seul dans un monde où les dangers sont à chaque coin de rue.

Russell a treize ans lorsque sa mère décide de quitter le foyer, le laissant seul avec son père. Tous deux vont déménager en Californie. Ils louent une chambre chez la famille Mah, premier pied-à-terre de cette nouvelle vie. Quand le père de Russell trouve un travail, ils investissent leur nouvelle maison. Elle se trouve non loin de chez les Mah qui resteront un repère pour Russell ; leur maison restera un lieu ressource quand tout va au plus mal et qu’il a besoin de reprendre des forces.

Avec son père, Russell doit très vite apprendre à se débrouiller seul mais ce n’est pas tout. Il doit tout apprendre par lui-même : à se protéger, à créer des alliances (à défaut de se trouver des amis)… apprendre à grandir le moins bancal possible.

Onze ans après « Sutures » , le trait de David Small s’est affiné. Il est moins dépouillé et le propos est moins incisif.

Son premier roman graphique lui a certainement servi de catharsis mais le besoin de parler de l’adolescence reste visiblement présent. La solitude du personnage central est la même. Lui aussi pousse un cri silencieux qui lui permet de supporter son désespoir. On retrouve des thèmes similaires, comme si l’artiste faisait invariablement rimer « adolescence » avec solitude, souffrance, manque d’affection, humiliations et indifférence de l’entourage.

Russell a peu d’estime pour lui-même. Il se déteste et ne voit en lui que ses défauts : la lâcheté, l’absence de pugnacité… tout en lui semble l’exécrer. Il n’a aucune consistance, aucun charisme, aucune passion, aucune conviction. Rien. Tout est à construire. Il s’embourbe dans les mots, ne sait pas comment faire pour attirer l’attention de son père et chacune de ses tentatives est interprétée de manière brutale par un paternel qui semble incapable d’aimer son fils.

Le dessin de Small s’est habillé de discrets apparats… j’ai du moins l’impression qu’il est plus maîtrisé. Il y a de nombreux passages muets qui accentuent l’impression de solitude dont est entouré le héros. Ces silences mettent également en exergue le poids des non-dits et la culpabilité que le personnage principal ressent d’avoir laissé filé des occasions de dire ce qu’il avait sur le cœur. Sans personne à qui faire confiance, il tâtonne, il est effrayé.

Sans aucune figure parentale à laquelle s’amarrer et se rassurer, le personnage se vit en naufragé. S’il parvient à identifier les traits de caractères et les centres d’intérêt de ceux qui l’entoure, il échoue à y parvenir pour lui-même. On a l’impression qu’il est une coquille vide. On observe ainsi la difficile quête identitaire du personnage principal. Il cherche à lier des amitiés qui ne le nourrissent pas ; il imite en silence, il obtempère docilement pour se faire accepter mais ne trouve aucun plaisir, ni aucune gratification à se fourvoyer de la sorte. Il ne trouve tout simplement pas sa place auprès des autres. Ses doutes, son manque de confiance, sa solitude nous sont livrées sans filtre.

Le personnage est touchant mais je n’ai pas été réellement émue par cette lecture où il est question d’une adolescence difficile à vivre du fait d’un contexte familial délétère.

Dans la nuit noire (one shot)

Editeur : Delcourt / Collection : Outsider

Dessinateur & Scénariste : David SMALL

Traduction : Nicolas BERTRAND

Dépôt légal : mars 2021 / 408 pages / 24,95 euros

ISBN : 9782413024125

La Petite Mort, tome 1.5 (Mourier)

En 2013, sortait le premier tome de cette série devenue incontournable.

Huit ans après, le scénariste revient sur la genèse de cet univers et réécrit totalement son scénario.

tome 1.5 – Mourier © Guy Delcourt Productions – 2021

« Et si La Petite Mort n’avait pas fait les mêmes choix ? Et si ses parents, son grand-père et même son poisson avaient agi différemment ? Et si La Petite Mort ne fauchait pas Séphi (le chat) mais Ludo, que ce serait-il passé ? « La Petite Mort 1,5 » c’est la réécriture complète de l’univers de La Petite Mort où l’on retrouve des personnages forts de la série » (synopsis éditeur).

Un tome plein de supposés pour visiter « autrement » l’univers et le réinventer. Le changement commence dès le visuel de couverture qui prend totalement le contre-pied du premier tome de la série. Alors que ce dernier exposait La Petite Mort sur fond noir, ce nouveau tome opte pour un fond blanc… Pile ou face, les deux versants d’un monde qui aurait pu être tout autre si le scénariste avait fait faire d’autres choix à son personnage principal.

La Petite Mort succédera un jour à son père La Faucheuse. En attendant, il va à l’école et retrouve chaque jour son ami Ludo. Pendant les vacances d’été, il passe son examen de Fauche et le réussi haut la main. Sur la liste des prétendants à la mort qu’il doit faire passer de vie à trépas, il y a quelques célébrités comme Harry Potter, Spok et les tortues Ninja. La Petite Mort aime ça même si, au fond de lui, il rêve de devenir fleuriste. Mais il n’y a rien à faire, pas de négociations possibles : il doit reprendre l’entreprise familiale.

Un univers franchement décalé dans la même veine que « La Vie de Norman » ; on rit de la mort, on s’amuse avec elle… elle est dédiabolisée. Davy Mourier détricote et retricote son scénario pour en faire quelque chose d’à la fois nouveau et familier. Son scénario délirant saute du coq à l’âne et intègre – le temps de quelques cases – des personnages temporaires qu’il éradique aussitôt de l’histoire… ce qui renforce d’autant le côté farfelu du scénario. Des références à des univers imaginaires de tous poils : cinéma, littérature, dessin-animé… l’auteur pioche généreusement dans les références de la culture populaire.

Notre petit héros a le mal de vivre. Il déprime, a le spleen, aimerait être comme tous les enfants de son âge mais son statut lui interdit de mener une vie normale. La solitude est son fardeau quotidien. La mort est présente à chaque page et donne une ambiance atypique au récit. L’humour noir est le fil conducteur qui rythme la lecture, on se prend au jeu, on rit jaune… mais on rit. Davy Mourier décape au vitriol les travers de la société et réalise une critique sociale aussi juste décalée.

Le harcèlement scolaire, la maladie, le désespoir, le rejet, l’incompréhension… un flot généreux de thématiques face auxquelles la société ne trouve pas de réponse satisfaisante sont abordées de façon ironique. On referme cet album en étant amusé… et furieusement désireux de relire les premiers tomes de la série pour rafraichir un peu notre mémoire qui a remisé dans le tiroir de l’oubli de nombreux détails narratifs qui font le sel de cet univers loufoque et mordant.

La petite Mort / Tome 1.5 : Une Impression de déjà-vu

Editeur : Delcourt / Collection : Humour de rire

Dessinateur & Scénariste : Davy MOURIER

Dépôt légal : février 2021 / 96 pages / 15,50 euros

ISBN : 9782413039204

Trajectoire de femme (Williams)

Williams © Massot éditions – 2021

Metro, boulot, dodo.

Erin Williams vit dans la banlieue new-yorkaise. Chaque jour, elle prend le train pour aller travailler en ville. Pendant les trajets, elle laisse aller ses pensées. Elle voit le regard des hommes se poser sur elle, elle y lit leur désir pour son corps ou leur indifférence… elle y associe ses souvenirs, se rappelle de sa vie passée, des traumatismes qu’elle a vécus et de l’alcool qui était son unique allié.

Sur le tard, elle a rencontré des personnes sur lesquelles elle s’est appuyée. Trouver de nouveaux repères et une autre dynamique de vie était la seule issue pour ne pas sombrer définitivement. Il lui a fallu apprendre à se protéger des hommes et surtout (surtout !) apprendre à s’aimer un peu.

Aujourd’hui, Erin semble vivre de façon mécanique. Elle se lève, déjeune, s’habille, se maquille et sort le chien avant de prendre le train pour aller au travail. Elle a désormais des rituels qui bordent son quotidien. Les frontières d’un espace sécure. Elle est loin, bien loin des prises de risques qu’elle prenait quand elle était plus jeune. Elle a reconstruit sa vie et la maternité lui apporte cette part d’inconnu qui lui permet, pas à pas, de s’apaiser. Dans cette incessante découverte de l’autre qui grandit et s’ouvre à la vie, Erin s’épanouit et mesure le chemin qu’elle a parcouru… elle mesure aussi le décalage avec sa vie d’avant. Plonger son regard dans celui de sa fille est la preuve de toutes les victoires qu’elle a gagné. Elle n’a plus besoin de s’oublier… elle n’a plus besoin d’oublier son corps, elle n’a plus besoin de l’alcool. Le soir, lorsqu’elle rentre chez elle, elle est sereine. Elle a aussi trouvé un emploi où elle s’épanouit… elle s’y investit avec sérieux. Mais durant ses trajets en train ou lorsqu’elle n’est pas occupée, elle est ailleurs… ses pensées cheminent, elle ressasse les souvenirs. Elle repense au passé, elle revoit ces hommes qui l’ont malmenée. Son rapport aux hommes l’a longtemps fait vaciller. Face à eux, elle a été brindille. Avec eux, elle a connu les tourments au point de se détruire et de s’oublier quotidiennement dans l’alcool.

« C’est bizarre qu’on vous rappelle sans cesse ce que vous êtes : « désirable + visible » ou « indésirable + invisible » . Dans le premier cas, vous ressentez une sensation permanente de danger. Dans le second cas, vous vous sentez seule au monde. C’est ça, être une femme dans un lieu public. »

Aujourd’hui encore, leurs regards créent chez elle une sorte de malaise. Erin Williams repense souvent aux expériences qui l’ont fragilisée. Viols, agressions sexuelles… lui ont laissé la sale impression d’être une proie et que les hommes sont des prédateurs.

« Mon esprit aimerait oublier ce que c’est d’être considérée comme un corps inerte, une série de trous. Mais le corps et ses colonies sont dévorés de besoins. Le nier, c’est nier sa propre humanité. »

Alors oui, le dessin est grossier et le parler est direct. Un quotidien en noir et blanc, un décor minimaliste. Il y a quelque chose d’assez factuel dans la façon de relater les fait et de les illustrer. Par moment, surgit une planche en couleurs où l’illustration est travaillée et la voix-off mue en un filet poétique. Sous la carapace, on ressent une grande sensibilité.

Dans ce récit autobiographique, Erin Williams montre toute la difficulté de se construire, en tant que femme, dans une société qui prône la culture du viol. Des policiers qui banalisent des agressions sexuelles, des hommes qui font culpabiliser quand on rejette leurs avances. La honte qui en découle, le réflexe de se replier sur soi. La solitude dans laquelle elle s’est réfugié pour se protéger.

« Les alcooliques, comme les drogués, veulent oublier. Ils recherchent la paix au moyen de l’anéantissement physique, émotionnel et mental. Le sexe permet d’atteindre cet état grâce à l’orgasme. Une perte de soi. »

Elle parle de désir. De son désir qu’elle a trop souvent ignoré pour satisfaire le désir d’un partenaire éphémère. Elle s’est blessée au contact d’autres corps. Elle a été une femme-objet, complice silencieuse de sa chosification.

Elle développe une réflexion de fond sur les rapports hommes-femmes, la perception que chacun peut avoir de son propre corps et sur l’instrumentalisation du corps de la femme par la société.

« On voit des femmes à moitié nues partout dans la rue. C’est comme ça qu’on vend des objets aujourd’hui. »

Ce récit est une catharsis. L’autrice livre un témoignage très personnel, dérangeant sur certains aspects. La réflexion de fond sur la place de la femme dans la société m’a beaucoup plu.

Trajectoire de femme – Journal illustré d’un combat (one shot)

Editeur : Massot éditions

Dessinateur & Scénariste : Erin WILLIAMS

Traduction : Carole DELPORTE

Dépôt légal : mars 2021 / 304 pages / 26 euros

ISBN : 9782380352276

La Bête, tome 1 (Zidrou & Frank Pé)

Zidrou – Frank Pé © Dupuis – 2020

Novembre 1955 à Anvers.

Un cargo est amarré au port sous une pluie battante. Il fait gris, froid… le genre de froid humide qui colle au corps. Dans ses soutes, Marsupilami ronge son frein, remonté à bloc par une traversée éprouvante qui a duré une éternité ; il, est profondément en colère de n’avoir été ni hydraté ni nourri. Il a le poil hirsute et le corps fortement amaigri. Mais il a encore assez de ressources pour mobiliser ses dernières forces et s’enfuir.

« Là ! Au milieu de la route ! Un enfant en imperméable jaune avec… un lasso ! »

Quelques jours plus tard, en banlieue bruxelloise, c’est le petit François qui découvrira le Marsu exténué. L’enfant décide de le ramener chez lui, ce qui ne manquera pas de provoquer une grande stupéfaction chez sa mère. Elle devrait pourtant être habituée de l’étrangeté des bestiaux que François prend sous son aile.

« Une taupe albinos ! Une hulotte idiote ! Une caille sans plumes ! Un vieux matou qui pète tout le temps ! Des salamandres ! Un chien à trois pattes ! (…) La seule chauve-souris diurne au monde ! Un aigle même pas fichu de voler !… (…) Il ne manque plus qu’une licorne et notre arche de Noé affichera complet !!! »

Avec son don inné d’entrer en relation avec les animaux, François réussi à apaiser Marsupilami. Se sentant chez lui, ce dernier se construit un nid dans la grange attenante à la maison.

Voilà un Marsupilami surprenant sous la plume de Zidrou et le sublime coup de crayon de Frank Pé. A l’instar du « Little Nemo » dont le dessinateur nous avait gratifié il y a quelques semaines à peine, le dessin est de toute beauté. C’est ainsi que visuellement, on découvre un Marsu plus sauvage, moins fluet, plus racé et féroce que celui de Franquin. Il en impose !! On sort totalement du registre humoristique familial dans lequel la série avait fait son nid pour entrer de plein pied dans un univers plus consistant qui réinvente totalement ce personnage imaginaire fabuleux. Un premier tome qui met en place ce petit monde tout nouveau… et nous présente un Marsu comme on ne l’avait jamais vu. Dès le premier regard, il n’y a aucun doute sur la puissance et la force de cet animal. Les dessins – en couleur directe – de Frank Pé sont de toute beauté… Chaque case est un tableau ! Bijou d’album ! Ce qui m’a davantage surprise, c’est le côté sombre de l’ambiance graphique. On sent la rage qui bouillonne dans les veines du marsupial, on sent le froid pinçant de ce fichu temps pluvieux qui rend son poil poisseux… puis on sent lorsqu’il baisse la garde en présence de l’enfant.

François… l’autre personnage fort de cet album. Un petit bonhomme d’une dizaine d’années qui vit avec sa mère. Un milieu modeste, un père absent… et pour cause… dix ans après la fin de la Seconde Guerre Mondiale, les soldats allemands sont rentrés chez eux, laissant des orphelins derrière eux. Les stigmates et la haine farouche des Boches est encore bien présente dans l’esprit des Belges. A l’école, le nom de famille de François est un fardeau. Un « Van den Bosche » qui ne laisse aucun doute sur la provenance de cette sonorité teutonne. Pour cela, il subit quotidiennement les violentes humiliations de ses « camarades » de classe. Il accepte, sans broncher mais sitôt arrivé à la maison, son sourire s’illumine de nouveau au contact de sa drôle de ménagerie.

« Glouglouricoooooo ! »

Zidrou quant à lui garde ses habitudes qui lui vont si bien. Le propos peut être incisif et devenir soudain moqueur, nous faire passer en un clin d’œil d’une scène cruelle à un débordement de bonne humeur où les rires fusent et la joie est palpable. Le scénario peut virevolter dans un délire farfelu et rebondir sur un sujet d’actualité de façon crue. Une lecture entrainante qui nous emporte entre action et petites scènes du quotidien. L’humour est très présent et une place généreuse est laissée aux rapports humains… On bondit d’émotion en émotion sans perdre le fil du récit. Du bon Zidrou qui a généreusement plongé son scénario dans un bouillon de culture belge ! Expressions en tout genre, plats, traditions… tout y passe et le rendu est réellement intéressant et très ludique.

« Les Chokotoff, c’est comme la vie : il faut laisser fondre doucement dans la bouche, pas mordre dedans ! »

Une claque ! Et j’ai bien hâte de tenir en mains le second tome qui devrait clore cette série. Hâte. Vraiment hâte !! Et je crois que vous feriez bien de vous procurer ce tome parce que ça m’étonnerait bien qu’il déplaise à quelqu’un !

Et je sais bien que je ne trouve pas toujours les mots pour vous convaincre alors… alors je vous envoie vers cette très complète et sympathique interview de Frank Pé (©Metro) qui devrait finir de vous convaincre que cet album-là est à lire.

La Bête / Tome 1 (Série en cours)

Editeur : Dupuis

Dessinateur : FRANK PE / Scénariste : ZIDROU

Dépôt légal : octobre 2020 / 150 pages / 24.95 euros

ISBN : 979-10-34738-21-2

L’Enfant ébranlé (Xiao)

Xiao © Kana – 2020

« L’Enfant ébranlé » est le premier ouvrage de Tang Xiao traduit et publié en France. Il a la même sensibilité que « Undercurrent » , « Le Pays des cerisiers », « Les Pieds bandés » ou encore « Solanin » que l’on retrouve dans la Collection Made In (édition Kana).

Yang Hao est cet enfant qui traverse à pas de loups son existence. Il a une dizaine d’années. Hypersensible, introverti, élève studieux qui en dehors de l’école aime retrouver ses copains pour jouer aux jeux vidéo ou lire des mangas. Son quotidien, il le partage entre l’école et la vie de famille. Une famille où le père est sans cesse retenu ailleurs par son travail. Une absence qui pèse à Yang Hao. Cette année-là pourtant, son père est de retour. Son secteur professionnel est en crise et il n’a d’autre choix que d’attendre qu’on le positionne sur une nouvelle mission. En attendant, il sera à la maison. Passée l’euphorie des retrouvailles, Yang Hao déchante vite en découvrant un père qui passe la majeure partie de ses journées à jouer au mah-jong avec ses amis, butinant la vie de famille, laissant à sa femme la gérance du foyer et s’étonnant que cette dernière tienne si peu compte des projets d’avenir qu’il a pour leur famille. Yang Hao devient amer et regrette le temps où il avait une image idéalisée de son père. En quête de nouveaux repères, Yang Hao fait la connaissance de Feng Zhun, un garçon qui a la réputation d’être une graine de délinquant.

Yang Hao est à un carrefour de son enfance. Alors qu’il s’apprête à rentrer dans l’adolescence, il se retrouve face à des perspectives nouvelles et une forte envie de contester l’autorité d’un père si distant et si peu affectueux.

Le personnage est sur le fil. Il flirte avec l’interdit sans jamais toutefois se rapprocher trop près de la fine frontière qui ferait tout basculer. Il canalise ses envies et apprivoise ses peurs. Il cherche sans cesse à faire la part des choses et se raccroche à sa mère qui est son seul repère. Il s’ancre à elle, aux valeurs qu’elle lui a transmises et cherche à apprendre doucement à exprimer ses émotions, ses inquiétudes. Le support rêvé se présente à lui ; c’est ainsi qu’il va utiliser l’écriture comme une catharsis. Ainsi, il s’engouffre dans ses devoirs de rédaction pour se dire, reconstruire les liens tels qu’il aurait aimé qu’ils soient, panser les souffrances, soulager sa culpabilité, avouer une fragilité ou un acte qu’il ne parvient pas à assumer. A bas bruit, il grandit. Il mûrit mais s’émanciper fait si peur ! Dans cet apprentissage de soi, il bute car la figure paternelle qu’il avait jusque-là idéalisée est friable, imparfaite, égoïste. Les certitudes enfantines de ce garçon sont tout à coup ébréchées, ébranlées, cahotantes.

En s’ouvrant au monde, il s’ouvre également à lui et identifie peu à peu les facettes de sa personnalité. Il parvient à repérer ce qu’il veut et ce qu’il ne veut pas. Ce qu’il aime, ce qui lui fait peur. Ce qui le dérange. Son regard perd sa naïveté enfantine et ce changement est douloureux. Les belles découvertes laissent plus facilement la place à des constats qui bousculent et embarrassent.

Les dessins réalistes de Tang Xiao contiennent beaucoup de sensibilité. Rien n’est en contraste, comme si l’enfant empilait renoncements et compromis pour trouver la frontière de ses possibles et parvenir – dans les minces interstices qui lui restent – à s’épanouir sans heurter quiconque autour de lui. Le noir et blanc des planches est travaillé au lavis et à l’encre ; il nous offre une myriade de dégradés de gris. L’ambiance graphique de cet ouvrage est généreuse en détails, d’une richesse réelle. Les visages sont dessinés avec autant de précision que de douceur. Les détails (architecture, flore, objets du quotidien) sont quasiment omniprésents, ce qui donne aux décors une vraie consistance et contribue à nous ancrer dans la lecture. Graphisme et scénario forment un tout cohérent. En toile de fond, Tang Xiao montre une société chinoise encore très soucieuse des traditions (fêtes nationales, cérémonies religieuses) mais qui voit l’organisation familiale changer du fait de la réalité économique ; le système patriarcal continue à se déliter.  

Le dessin fait ressortir toute la fragilité du personnage. J’ai eu l’impression qu’il était en alerte, apeuré à l’idée de mal faire et surtout, inquiet à l’idée que ses repères volent en éclat. Et le retour de son père dans le quotidien vient justement chahuter une routine rassurante. Un père tant attendu dont la présente malmène finalement la moindre habitude, le moindre repère.

Il y a de la poésie dans la manière de raconter et de dessiner cette tranche de vie. Un peu de légèreté par-ci par-là que l’on attrape à pleine mains. Et une forme de tristesse chez cet enfant tiraillé par les désirs que les autres ont pour lui, ses propres désirs et une situation familiale dont il peine à comprendre les tenants et les aboutissants. A un âge où les jeux imaginaires occupent encore une belle part du quotidien, le personnage fait preuve d’une maturité surprenante. Cela donne une vraie consistance à l’intrigue et capte notre attention. Un album intéressant et émouvant.

L’Enfant ébranlé (récit complet)

Editeur : Kana / Collection : Made In

Dessinateur & Scénariste : Tang XIAO

Traduction : An NING

Dépôt légal : septembre 2020 / 394 pages / 19,95 euros

ISBN : 978-2-5050-8432-7

Mes premiers 68 – Deux romans à découvrir !

Aujourd’hui, avec mon lardon de 16 ans, on vous propose en partage deux romans découverts grâce aux 68 premières fois et qui nous ont bien plu. On espère qu’il en sera de même pour vous !

Mes 68 premières (jeunesse)

Le blog des 68 (avec toute la sélection des premiers romans à destination de la jeunesse comme des adultes d’ailleurs) est à retrouver ici : https://68premieresfois.wordpress.com/

Martins © Gallimard – 2019

Ceux qui ne peuvent pas mourir [1. La bête de Porte-vent] de Karine MARTINS (Billet de Pierre)

La bête de Porte-vent est le premier volet de la série Ceux qui ne peuvent pas mourir. Dans ce premier tome, on retrouve Gabriel, un immortel lié à une organisation qui a pour but de traquer les Egarés qui sont des « monstres » comme des vampires ou bien des loups-garous. Cette organisation se nomme la Sainte-Vehme. Dans ce tome, il est avec Rose, une fille qu’il a récupéré au cours d’une mission et qu’il ne veut plus laisser. Ils vont devoir élucider une série de meurtres étranges dans un petit village du Finistère et on peut dire que cette aventure sera autant surprenante que prenante !

J’ai bien aimé le roman. L’univers est nouveau et très bien imaginé, ce qui rend la lecture intéressante et pas répétitive contrairement à certains romans. Il n’est pas très long et se lit plutôt facilement. Une fois qu’on commence, on ne peut plus s’arrêter car on ne veut surtout pas perdre le fil de l’histoire. Et j’avais envie de savoir ce qui allait arriver à Gabriel et Rose !

Extraits

« Depuis qu’elle était au service de Gabriel Voltz, Rose avait appris une leçon essentielle : sortir seule la nuit dans Paris était la plus mauvaise idée qui soit. »

« Gabriel eut peur. Il avait beau être un vétéran de la chasse aux Egarés, c’était différent cette fois. Lors de ses précédentes chasses, il était mieux armé et avait toujours une faille à exploiter chez son ennemi. Mais là, rien. Il ne savait pas comment vaincre la bête. Et il n’était pas complètement présent : son esprit était obnubilé par la jeune femme retranchée dans le caveau, par la gamine qui resterait seule s’il venait à disparaître, par Grégoire à qui il laisserait un fardeau peut-être trop lourd à porter. »

Ceux qui ne peuvent pas mourir [1. La bête de Porte-vent] de Karine MARTINS, Gallimard Jeunesse, 2019

Bulle © L’Ecole des Loisirs – 2020

Les Fantômes d’Issa d’Estelle-Sarah Bulle (billet de la vieille mère)

« Les cauchemars sont encore revenus. Ça fait quatre ans maintenant que j’en ai presque toutes les nuits. Peut-être que ce journal va me soulager. Peut-être qu’écrire la grosse bêtise que j’ai faite la fera diminuer un peu dans ma tête. Maintenant que j’ai douze ans, je pense que je peux revenir en arrière, et tout écrire, je suis assez bonne en français. Mais c’est difficile de commencer. Par où débuter : au moment où j’ai commis cette erreur fatale, quand j’avais à peine huit ans ? Avant ? Avant, c’est mieux. Comme ça, ce sera clair. En écrivant, ce qui est arrivé deviendra juste une histoire, avec un sens et, je l’espère, une fin. »

Je ne sais pas bien pourquoi mais j’ai lu cette histoire le cœur un peu serré. J’ai eu peur, peur oui, du secret d’Issa, de ses fantômes, de son « erreur fatale ». J’ai été émue par Issa et sa lutte silencieuse.

Ce premier roman raconte donc l’histoire d’une jeune fille prénommée Issa. Elle est alors âgée de douze ans quand elle prend en charge le récit et qu’elle décide de revenir sur les évènements qui la hantent. Il faut vivre et pour cela il est temps pour elle de se libérer de ses secrets.

Ce roman dit la nécessité de la parole en partage pour grandir, pour dépasser sa culpabilité et affronter ses peurs. Il dit aussi la puissance de l’amitié comme de la lecture (ici des mangas) qui peut permettre des grandes choses ! C’est un beau roman, lumineux malgré mon cœur serré, à l’écriture légère et simple, alerte et très agréable. Un roman dévoré !

Merci aux 68 premières fois pour cette lecture bien émouvante…

Les Fantômes d’Issa d’Estelle-Sarah Bulle, L’école des loisirs, 2020

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