L’Emouvantail, tome 4 (Dillies)

Une petite pépite est venue jusqu’à moi.

Une petite pépite m’a tendu les bras.

Une petite douceur, un moment de lecture où le temps n’existe plus. Une histoire qui nous emporte ailleurs, loin de la grisaille, de la tristesse et de la folie de ce monde.

32 pages de douceur dans un monde de brut.

tome 4 – Dillies © Editions de La Gouttière – 2021

L’Émouvantail est revenu pour déposer une nouvelle fois ses beaux yeux sur la vie, la faune, la flore… le monde. Son monde. Il s’émerveille de tout. Fait fi de la noirceur des choses. Donne de la couleur à tout et réchauffe ceux qu’il côtoie.

Il pose ses pieds brindilles sur les sentiers. Il ne casse rien, n’écorche rien. Il est solaire, il est poète, il est altruiste. Chaque album est une petite leçon de vie que l’on nous insuffle avec bienveillance. Il nous fait regarder les choses avec philosophie.

« Avez-vous déjà ressenti l’envie d’aller vous promener en dehors des sentiers battus, de fouler de vos propres pas l’herbe fraîche, de vous laisser surprendre sans bruit par un papillon, de remarquer cette fleur l’instant d’après, puis se distraire d’un arbre simplement parce qu’il est différent, de vous émerveiller parce que toutes ces choses, vous les voyez pour la première fois et d’avoir enfin, telle une graine de pissenlit doucement emportée par le vent, le cœur léger, libre comme l’air ? »

Avant même de lire l’album, je savais qu’il allait me régaler. Il est des certitudes que l’on aime avoir, elles rassurent. Eté, automne, hiver… nous l’avons suivi au fil des saisons… et voilà que le printemps s’est installé avec son cortège de couleurs délicates.

Au cours de l’une de ses balades rêveuses, l’Emouvantail tombe nez-à-nez sur une roulotte abandonnée. Curieux, il se risque à glisser un œil à l’intérieur, puis deux… puis il y rentre entièrement. Il y trouve un banjo oublié, abandonné par son ancien propriétaire, ainsi qu’un bel oiseau encagé.

« Comment peut-on trouver une chose jolie sans la voir avec le cœur ? »

On retrouve la musique, un thème si cher à Renaud Dillies (rappelez-vous Abélard, Betty blues ou bien encore Saveur coco !). L’auteur parvient à merveille à transmettre les vibrations et sonorités des mélodies, les émotions qu’elles procurent… Cela enrichit ses récits d’une musicalité folle ! On retrouve également d’autres thèmes récurrents dans l’univers de cet artiste : l’amitié, l’entraide et ce fort attrait pour une douce solitude.

Au fil des tomes, l’Emouvantail se construit, grandit, mûrit sans toutefois perdre sa candeur. Fragile adulte. D’album en album, il cherche à comprendre ce monde si étrange, si différent de lui. Il apprend à accepter les incohérences de celui-ci et crée du sublime là-même où tout en était dépourvu. Cet ouvrage est aussi l’occasion de réfléchir à la beauté intrinsèque des choses, à la notion d’enfermement qui bute contre cette belle liberté insouciante à laquelle aspire le personnage principal.

Pour petits et grands lecteurs, l’émerveillement est au rendez-vous. Une série qui a trouvé son « La » dès le début, sans aucune fausse note. A lire et à relire sans modération.

Si vous fouillez un peu, vous trouverez sans difficulté les tomes précédents de la série sur ce site.

L’Emouvantail / Tome 4 : L’oiseau bohème

Editeur : Editions de La Gouttière

Dessinateur & Scénariste : Renaud DILLIES

Dépôt légal : février 2021 / 32 pages / 10,70 euros

ISBN : 9782357960374

L’Age d’Or, volume 2 (Pedrosa & Moreil)

volume 2 – Pedrosa – Moreil © Dupuis – 2020

Tilda s’apprêtait à monter sur le trône lorsqu’un coup d’état – organisé par des puissants qui ne voyaient pas d’un bon œil le fait qu’une femme prenne les rênes du pouvoir – l’a contrainte à fuir. Cette action en force était destinée à installer Edwald, le frère cadet de Tilda, à la tête du royaume.

Afin d’échapper au sinistre sort qui lui était réservé, Tilda a fuit le Château du Bois d’Armand. Aidée par ses amis Tankred et Bertil, la jeune reine a trouvé asile dans un couvent isolé caché au cœur de la forêt. Elle a employé sa retraite pour construire une stratégie lui permettant de reconquérir son trône.

Par ailleurs, la colère gronde dans les campagnes. Les paysans sont affamés et les petits seigneurs sont tout aussi mécontents. La rébellion s’organise. Nombreux sont ceux à vouloir renverser le pouvoir tel qu’il est établi. A la sortie de cet hiver rigoureux qui lui a permis d’organiser ses troupes, Tilda n’est plus la même. Le fait que son frère lui ai spolié le trône doublé du choix de Bertil de rejoindre la rébellion la rend amère. La reine est devenue une combattante avide de vengeance. Elle ne fait pas cas du nombre de ses soldats qui perdent la vie dans son combat… seule lui soucie la reconquête du pouvoir.

« Ils nous encerclent, et nous on est enfermés ici comme des couillons… Mais de toute façon, ils peuvent monter à l’assaut tant qu’ils veulent, et prendre la ville si ça leur chante… je m’en fiche. Pour nous, ça change rien. Quel que soit le maître, on sera toujours à son service. »

J’étais restée scotchée par la fin abrupte du premier tome qui nous tenait en haleine. Un premier consistant qui prenait le temps d’installer cet univers et de faire monter doucement, à feu doux, une ambiance qui porte cette épopée folle. Une quête illusoire, un rêve de société idéale, un élan positif collectif et puis… la césure… fin du premier album… il a fallu attendre deux ans pour en connaître le dénouement ! Et ça valait la chandelle que d’attendre vous savez !

Un souffle de vengeance draine le récit. Que s’est-il passé durant cette interminable attente ? Quel est ce diabolique sortilège qui a métamorphosé à ce point l’attachante héroïne en une combattante émérite ? D’où tire-t-elle cette hargne guerrière qui l’incite à repousser toujours plus loin les limites du raisonnable ? La voilà sourde aux conseils de ses amis, aveugle au point de ne pas remarquer le harassement de ses soldats. L’héroïne fonce la tête la première dans cette guerre fratricide. On ne peut que supposer les raisons muettes qui relient les deux albums, on ne peut que fantasmer les tours et les détours par lesquels les protagonistes ont dû passer. On ne peut que supputer les événements qui ont suivis la scène finale mémorable du premier tome. Ce changement radical de personnalité que les scénaristes – Cyril Pedrosa et Roxanne Moreil – imposent crée une tension qui nous rive rapidement à l’ouvrage. En quête de clés de compréhension, on avance avec une rage de savoir presque comparable à l’envie d’en découdre que dégage l’héroïne. Tout se tient, les alliances se font et les liens de longues dates se défont sous nos yeux un peu médusés. Avec une capacité d’entrapercevoir là où l’intrigue va nous mener proche de celle du bulot, on suit muettement et totalement le récit. Qu’il nous emporte où il le souhaite après tout, cette lecture est un régal.

L’Age d’Or, volume 2 – Pedrosa – Moreil © Dupuis – 2020

Le pouvoir est au cœur du récit, les jeux de regards en disent plus long sur l’état d’esprit des personnages que les propos qu’ils formulent. Les dessins de Cyril Pedrosa servent parfaitement cette atmosphère électrique à peine refroidie par quelques apartés narratifs (en apparence anodins mais qui auront leur utilité au moment du dénouement).

« Depuis l’aube du premier jour, nous semons les plaines d’un nouveau monde où, sous la courbe lente du soleil, l’ombre de fait que passer. »

Un récit méchant (car il n’épargne pas ses personnages), une vision cynique du pouvoir… Le côté sombre de ce monde a pris les commandes de l’épopée. Mais un récit optimiste pour qui saura en savourer le message. Un livre qui chuchote de belles choses et laisse entrapercevoir que le monde de demain est prometteur.

L’Âge d’Or – Volume 2/2

Edité chez Dupuis dans la Collection Aire Libre

Scénaristes : Cyril PEDROSA & Roxanne MOREIL

Dessinateur : Cyril PEDROSA

Dépôt légal : novembre 2020 / 192 pages / 32 euros

ISBN : 3701234108490

Carbone & Sicilium (Bablet)

« Manger, boire, dormir et copuler. Il y a entrave à l’individu quand ce dernier ne peut pas assouvir ces besoins fondamentaux. Pour être complet, il faudrait que l’humain soit à chaque instant libre d’écouter ses pulsions primaires, mais aussi de se conformer aux lois de la société qui le contraignent dans le but de préserver la paix sociale et de ne pas nuire à son prochain. C’est un paradoxe qu’il ne peut résoudre. »

Bablet © Ankama Editions – 2020

Au début, il n’y avait rien si ce n’est une intelligence artificielle balbutiante, un pâle ersatz des figures robotiques aperçues dans les meilleures œuvres de science-fiction. Les laboratoires de la Tomorrow Foundation ont travaillé d’arrache-pied sur le projet, ne comptant pas les heures, rêvant juste de voir leurs rêves devenir réalité. C’est ainsi que Carbone et Silicium ont pu voir le jour. Deux intelligences artificielles nouvelle génération et destinées à devenir des personnels hospitaliers au service d’hommes et de femmes âgés, malades et/ou isolés.

Pendant plus de dix ans, Carbone et Silicium ne verront rien d’autres que la géographie des quatre murs du laboratoire où ils ont été créés. Et malgré leurs nombreux voyages dans les dédales innombrables du réseau informatique, ils n’ont jamais vu de leurs yeux la vie à l’extérieur. Consciente de la frustration et de la souffrance causées par cette situation, l’équipe du laboratoire organise un voyage durant lequel Carbone et Silicium resteront sous leur surveillance. Malgré tout, les deux androïdes parviennent à leur faire faux bond. Tandis que Carbone est rapidement interceptée, Silicium leur échappe. « Ils mènent alors chacun leurs propres expériences et luttent, pendant plusieurs siècles, afin de trouver leur place sur une planète à bout de souffle où les catastrophes climatiques et les bouleversements politiques et humains se succèdent… » (extrait du synopsis éditeur).

Après son très remarqué « Shangri-La » en 2016, Mathieu Bablet revient avec un récit d’apprentissage et d’anticipation très consistant. Que ce soit la psychologie des personnages, les réflexions de fond sur l’humanité et son devenir, la cohérence de l’ensemble et surtout (surtout !) la créativité dont il fait preuve pour le traitement graphique du récit… tout tout tout mérite au moins un petit coup d’œil… au mieux une lecture attentive si les extraits que vous allez attraper en feuilletant vous donnent envie d’aller plus loin.

« – C’est bizarre : quand cette personne parle, elle fait appel à mon sentiment de repli identitaire et à ma peur de l’autre.

– Oui, c’est un politicien. 

– Incroyable… c’est au-delà de toute logique. Donc, c’est normal que lorsqu’il me parle, il exacerbe ma colère et ma peur ?

– Non, justement. Dans ce genre de cas, il faut éviter le piège et utiliser ta raison et ton intellect, pas tes émotions. »

En construisant plusieurs ambiances graphiques pour nous guider dans la lecture, Mathieu Bablet nous embarque dans le futur, toujours plus loin vers ce lointain demain. Il nous raconte un des scénarios possible de ce que pourrait devenir l’humanité. Et ce n’est pas forcément beau à voir… car comme souvent, l’Homme y est l’acteur de sa propre perte. Pessimiste ? Oui, mais sans lourdeurs inutiles ; le propos est intelligent et fort bien construit. Déjà-vu ? Oui dans d’autres œuvres de fiction si ce n’est que l’auteur parvient à inventer et nous offre un nouveau regard, à la fois très personnel mais surtout, très universel. Je crois que cet album a la trempe de ces ouvrages qui sont capables de passer les années sans revêtir un cachet vieillot qui les fige dans une époque, une pensée collective propre à une génération ou un courant littéraire. Le fond comme la forme de « Carbone & Silicium » en font une œuvre intemporelle.

On y voit le talent et l’énergie que l’humanité mobilisent pour courir à sa propre perte. Au cœur de cette fiction, une projection croyable. L’univers est cohérent, le rythme narratif entrainant. Les deux personnages principaux sont dotés de personnalités complexes, ils sont touchants, intègres. Deux robots bien plus humains que la plupart de nos congénères. Deux créatures qui nous interpellent, nous surprennent. Carbone et Silicium s’émotionnent, se bouleversifient, s’opposent, se déchirent… mais ils s’aiment, se questionnent, se détestent pour leurs si grandes différences eux qui sont pourtant nés dans le même sein scientifique. Ils s’amourachent pourtant à chacune de leurs rencontres. Cette romance offre la touche d’espoir nécessaire pour illuminer ce récit d’anticipation. L’amour est toujours possible, cela donne de l’élan alors que toutes les données devraient pourtant inciter ces deux androïdes – émotifs, empathiques et dotés d’une faculté d’analyse redoutable – à se débrancher.

L’humanité est capable du meilleur comme du pire. Et dans tout ce pire, cela vaut la peine de sauver le meilleur, le bon, le doux. Solidarité, entraide ne seront jamais des mots dépourvus de sens.

« On fait partie de l’humanité superflue. C’est comme ça. »

Critique de la société et du système capitaliste qui la gangrène, « Carbone & Silicium » nous invite à traverser les décennies, les siècles même. Un récit riche et complexe où il sera question de politique et d’Etat policier. D’enjeux commerciaux, du marché de la concurrence et de société de consommation. De privations de libertés, de domination d’une espèce sur une autres, d’une économie sur une autre, d’un peuple sur un autre. De sentiments et d’émotions. D’environnement et de réchauffement climatique. De voyages dans la matrice, de virtuel et de réel, de rêve et de réalité… du rapport que les individus ont à l’écran et de la place croissante qu’il prend dans nos interactions sociales. Du rapport à la société, à l’Autre et du rapport que l’on a avec soi-même (assumer son ego). De libre-arbitre, de désirs, de fusion, d’entraide.

On attrape le fil du récit sans jamais trop parvenir à le lâcher pourtant, j’ai eu besoin de faire plusieurs pauses durant ma lecture… avec parfois une difficulté à la reprendre. « Carbone & Silicium » est loin d’être une lecture légère. C’est un récit qui fascine d’autant plus qu’il soulève des questions essentielles sur l’Homme et sa nature intrinsèque… allant parfois jusqu’à imaginer des solutions extrêmes et radicales aux impasses dans lesquelles l’humanité s’est nichée. Pourtant, on ne sort pas abattus et démoralisés de cet album, on le referme avec la certitude d’avoir ouvert une fenêtre sur un monde en devenir. Un monde imparfait, bancal, tordu… mais un monde fictif qui peut se corriger. La lecture terminée, la réflexion se poursuit. Bablet fait bouger les lignes avec ses réflexions éthiques et métaphysiques. Il nous interroge, nous interpelle… l’ouvrage est finalement assez interactif… il met les neurones au boulot !

« Pour être complet, il faut être seul. Pas de société, pas d’entraves. »

Voyage aux côtés de créatures directement sorties de la Matrice. Certes, c’est une vision cafardeuse de ce que pourrait être demain. Visions cafardeuses qui disposent pourtant de belles respirations : graphiques (bien évidemment avec des illustrations superbes que l’on a tout loisir de contempler durant de nombreux passages muets), puis cette romance improbable des deux androïdes qui est très bien pensée. L’optimisme est ténu mais suffisant pour nous tenir accroché à l’album. Dernier point : le récit propose une réflexion constructive sur les points de butée et les maux de nos sociétés actuelles. Bref, il y a largement de quoi se mettre sous la dent. Cerise sur le gâteau : l’ouvrage se referme sur une superbe postface d’Alain Damasio… Fichtre ! Du premier mot au dernier point… « Carbone & Silicium » vaut le détour !

Carbone & Silicium (récit complet)

Editeur : Ankama / Collection : Label 619

Dessinateur & Scénariste : Mathieu BABLET

Dépôt légal : août 2020 / 250 pages / 22,90 euros

ISBN : 979-10-335-1196-0

Ma Vie en Prison (Kim)

Kim © Kana – 2020

Matricule 3876. Prisonnier politique. Yongmin Kim est âgé de 26 ans. Huit mois de détention préventive pour avoir manifesté pour dénoncer le système, ses failles, ses mensonges. On est en 1997, à Séoul. Profondément révolté, il l’est… plus encore depuis qu’il a appris les circonstances du massacre de Gwangju en mai 1980… Yongmin rejoint alors les mouvements de protestation. Son avis de recherche est diffusé par les forces de l’ordre jusqu’à ce qu’il soit arrêté et transféré en Maison d’Arrêt en attendant son jugement. Il passera huit mois dans la même cellule que huit détenus, des gangsters récidivistes. Yongmin parvient à relativiser le fait de devoir côtoyer des criminels et finit par trouver sa place dans le groupe de ses codétenus.

En 2009, Hong-mo Kim (manhwaga) décide de raconter la période qu’il a passée en prison. Il était alors étudiant à la Fac des Beaux-Arts et très investi dans les mouvements étudiants coréens de la fin des années 1990. Revenir sur les événements de 1997 a été l’occasion pour l’auteur de faire le point sur son parcours. Sorte de « bilan intermédiaire » à l’approche de la cinquantaine, il en tire des constats parfois sans appel et déplore d’avoir laissé le confort de sa vie actuelle prendre le pas sur son militantisme. Ce n’est qu’en 2015 qu’il trouve un magazine prêt à le publier. C’est donc sous forme d’épisodes que ce témoignage rencontre ses premiers lecteurs avant d’être édité sous forme d’album en 2018. Du fait de la prépublication du récit dans une revue, on est face à des redites légères au début de chaque chapitre. Cela n’affecte pas la lecture mais nous rappelle régulièrement les étapes franchies par le scénario pour parvenir jusqu’à nous sous la forme d’un récit complet.

Dans ce récit autobiographique, Kim Hong-mo se glisse dans la peau de Kim Yongmin. Son alter ego de papier lui permet de modeler les événements… Il a ainsi fait le tri dans ses souvenirs pour n’en garder que le meilleur et pour pouvoir s’appuyer sur une atmosphère carcérale plutôt joviale qui fait abstraction des moments de tensions, des coups de Trafalgar et des périodes de longue déprime (et elles furent nombreuses à en croire la postface rédigée par Hong-mo Kim en 2018). L’ambiance est bon enfant. Le quotidien est routine et quiétude mais c’est aussi l’occasion de faire état des conditions de détention des prévenus en attendant leur passage au tribunal.

Cet univers d’huis-clos carcéral, nous nous en échappons régulièrement. De nombreux passages, narrés en voix-off, permettent au personnage de se remémorer des faits passés : son militantisme dans le mouvement étudiant mais également des faits antérieurs. Il contextualise ainsi les événements qui ont eu lieu en mai 1980 à Gwangju et brosse de façon plus général le portrait d’une société qui a lutté pour installer un pouvoir démocratique. Le noir et blanc apparent des illustrations impose une forme de sobriété et de dépouillement dans ce quotidien pour autant, le sérieux de l’album n’abruti pas durant la lecture. Les sujets traités sont graves, certes… mais la lecture est facile et prenante.  

Ça faisait longtemps que j’avais délaissé les mangas/manhwas/manhuas au bénéfice d’albums généralement issus des productions européennes. Voilà tout à fait le genre de témoignage qui me plait tant dans le rythme, le traitement graphique que la manière de traiter un sujet. Un album qui mérite qu’on en parle, qu’on le lise et qu’on le fasse découvrir me semble-t-il.

Ma vie en prison – Le récit d’un cri pour la démocratie !

Récit complet

Editeur : Kana / Collection : Made In

Dessinateur & Scénariste : Hong-mo KIM

Traduction : Yeong-hee LIM

Dépôt légal : mars 2020 / 224 pages / 18 euros

ISBN : 978-2-5050-7627-8

Malgré tout (Lafebre)

Lafebre © Dargaud – 2020

De la première à la dernière lettre de l’alphabet…

Un coup de foudre.

Ana & Zeno

Par au-delà des mers, malgré les distances… ils s’aiment.

Dès le premier regard qu’ils ont échangés sur un quai d’embarquement… ils se sont aimés.

« Un cœur qui n’aime pas est une lumière qui ne voyage pas. »

Elle est solaire, énergique, ambitieuse. Ana est tombée sous le charme de Zeno. Elle a plongé dans ses yeux bleus et s’est réchauffée au contact de cet homme si mystérieux.

Lui est un loup de mer. Si gourmand de découvrir d’autres horizons, d’autres ciels, d’autres espaces. Zeno n’a jamais largué les amarres mais il a ancré son cœur à celui d’Ana. Il a succombé aux courbes sensuelles, au sourire ravageur, à l’esprit affuté, au rire espiègle… Ana lui plait éperdument.  

« Je crois que mes pieds ont besoin de voler sur la terre ferme. »

Mais elle aspirait à une vie ordonnée, stable ; elle ambitionnait de faire carrière dans la politique. Lui rêvait de voyages, de liberté, une vie sans attaches au gré des flots. Leurs routes n’ont eu que peu d’occasion de se croiser. A chaque rencontre pourtant, la même flamme. Le même désir ardent. Un appel téléphonique, une lettre… année après année… décennie après décennie, leurs sentiments n’ont fait que croitre. Et maintenant que l’heure de la retraite a sonnée, l’un redescend à quai tandis que l’autre lâche prise. Lui s’amarre et elle laisse la place à l’imprévu. Il y a tant de possibles dans cette nouvelle vie qui s’offre à eux ! Ils la tiennent aux creux de leurs mains.

« Rien ne prend plus de temps que de rentrer chez soi. »

Il y a six ans, je voulais découvrir Zidrou. A force d’en entendre parler, à force de lire des chroniques dithyrambiques sur ses albums, la curiosité m’a piquée. Je voulais lire Zidrou… et j’ai rencontré Jordi Lafebre. C’est par « Lydie » que tout a commencé. L’album m’a fait monter les larmes aux yeux. Emotions ! Puis j’ai continué à lire des albums de Zidrou jusqu’à ce leurs « Beaux étés » commencent leurs périples estivaux. Et j’ai retrouvé ce dessin si chaleureux, un dessin à même de véhiculer toutes les émois possibles. Et j’ai aimé… j’ai ri aussi, beaucoup !  

Et voilà que Jordi Lafebre porte seul ce nouvel album. Comment résister à l’envie de venir se réchauffer au contact de ses dessins ?

Et le fait est… que cet album est un vrai délice !

On découvre l’intrigue qui se déplie de façon déchronologique. Sa construction narrative atypique est une vraie surprise qui tombe comme une cerise sur un gâteau. En moins d’un chapitre, on est ferré par deux personnages très attachants. Ils sont aussi différents que complémentaires, ils sont Yin et Yang… deux oiseaux épris de liberté mais inséparables. Ils ont de l’humour et font preuve d’autodérision. Mais surtout, ils ont cette légèreté qui permet de ne rien dramatiser et de savoir faire ce pas de côté qui évite de s’enliser dans la contrariété ou dans la frustration.

L’accroche avec cet univers est quasi immédiate. Le fait que Jordi Lafebre bouscule nos repères de lecture [comme l’avaient fait avant lui les jumeaux brésiliens avec leur « Daytripper » ] accélère l’effet attractif de l’album sur le lecteur. Sans compter toute l’inventivité dont fait preuve le scénario !!

Malgré tout – Lafebre © Dargaud – 2020

La lecture de « Malgré tout » est d’une fluidité incroyable. L’ambiance est chaleureuse et sereine. Les personnages s’aiment comme des adolescents. On les sent gourmands de ces instants qu’ils passent ensemble et l’auteur nous installe afin que nous puissions en profiter pleinement. Pas de fausse note, pas de reproches. Des non-dits qui se lèvent à mesure que l’on avance dans l’album. Des dessins bourrés de bonnes ondes, de bonne humeur, de simplicité ; ils portent à merveille cette histoire d’amour sans arrière-pensées. Jordi Lafebre manie parfaitement les différents registres émotionnels. L’atmosphère est saine, nous invite au lâcher prise… et nous conduit à tourner les pages goulûment. Le respect que ces amants ont l’un pour l’autre, la tendresse qui déborde de chacun de leurs mots, leur complicité… diable !! que tout cela est vivifiant !! C’est beau, tout simplement. Ça nous transporte.

Malgré tout – Lafebre © Dargaud – 2020

Voilà une lecture qui pose un magnifique regard sur le couple et sur l’attachement que deux personnes peuvent ressentir l’une pour l’autre. D’un optimisme fou, la teneur propos montre que le fait d’accepter l’autre tel qu’il est – et non tel qu’on aimerait qu’il soit – est une force dont malheureusement peu de couples disposent. Et pourtant ! Etre capable de laisser l’être aimé suivre ses rêves en toute liberté n’est-elle pas la seule garantie pour s’épanouir ensemble ? Pouvoir ressentir de la joie à se retrouver, pouvoir savourer le moindre instant passé avec l’autre, savoir partir pour mieux revenir et surtout refuser d’enfermer l’autre dans un carcan qui l’aliènera. J’adhère réellement à ce discours.

« Malgré tout » est un album émouvant. Le propos fait mouche. Tout est à sa place. Il y a ici une harmonie que l’on ne trouve que très rarement. Sublime album. Merveilleuse pépite. Un gros gros coup de cœur de lecture !

Les chroniques de Paka, Sabine et Noukette.

Malgré tout (One shot)

Editeur : Dargaud

Dessinateur & Scénariste : Jordi LAFEBRE

Dépôt légal : septembre 2020 / 152 pages / 22,50 euros

ISBN : 9782505081500

Billy Symphony (Périmony)

Son baluchon sur l’épaule, Billy est prêt à affronter sa journée. Comme chaque jour, il transporte avec lui les maigres richesses qu’il possède. Il n’a pas le sou mais le sourire aux lèvres. Sa joie de vivre est palpable. D’un coup de crayon charbonneux, David Périmony donne vie à Billy. Son trait est rond et habillé de tons pastels très doux qui mélangent bruns, beiges, verts et bleus. Très vite, on sait que l’on va croquer cette lecture à pleines dents !

Périmony © Editions de la Gouttière – 2020

Au premier coin de rue, Billy suspend son pas assuré et s’arrête devant la vitrine du magasin d’instruments de musique. Ce saxo-là lui fait de l’œil, Billy voudrait le tenir. L’instrument est superbe mais bien trop cher pour son porte-monnaie qui crie famine. Billy doit se résoudre à l’évidence, il n’a pas les moyens de cette passion-là pourtant l’idée le taraude.

Billy cogite, tort la situation dans tous les sens jusqu’à ce qu’une idée lumineuse le frappe. Ni une ni deux, il en parle au gérant et le marché est conclu. Billy sera l’homme à tout faire du magasin de musique. Ce travail lui permet de réaliser son rêve. Le jour où Billy peut enfin s’acheter le saxophone, il est le plus heureux des hommes. Billy reprend alors la route mais c’est une autre vie qui s’offre à lui : celle de musicien !

Je n’arrive pas à l’écrire… cette chronique de « Billy Symphony » et pourtant, j’ai adoré cet album. Il y flotte une atmosphère agréable, douce et poétique. On se laisse réellement porter par le héros qui mène la danse de bout en bout, qui est tour à tour joyeux, euphorique, ému, triste… Il est traversé d’une multitude d’émotions que l’on ressent en écho grâce aux dessins très expressifs de David Périmony. L’auteur fait également preuve d’inventivité dans la manière dont il construit et rythme ses planches.

Avec Billy au cœur de cette histoire, on sait de suite que l’on va se laisser porter. Déjà parce que le héros n’a aucune contrainte et on comprend très vite qu’il n’a rien à perdre. Alors il tente, il ose car après tout, que risque-t-il de trouver au bout de son chemin à part une belle surprise ? L’album repose donc sur les épaules d’un doux-dingue, un rêveur, un passionné au grand cœur. Forcément, avec une bouille comme la sienne, la présence de son balluchon qui ne semble pas peser bien lourd et les airs jazzy qui volent de-ci de-là, je n’ai pu m’empêcher de penser à Abélard.

Cet album muet pétille malgré le sérieux du message de fond qu’il délivre. La malice, la poésie, les rires fusent de toutes parts alors qu’on parle de façon critique des travers de l’industrie du spectacle. Le propos est intéressant d’autant que l’album est aussi un bon support intermédiaire (entre adulte et enfant) pour parler d’Amitié. Ça me plait bien le fait de redire aux plus jeunes que la confiance que quelqu’un nous accorde n’est jamais définitive, que l’amitié se gagne… qu’elle est un bien aussi fragile que précieux.

De jolies trilles, des gazouillis d’oiseaux qui donnent la réplique aux rires de Billy, de sacrées bouilles et de belles trognes qui apparaissent durant le récit… L’auteur a construit une réelle alchimie pour parler d’une passion (celle que Billy voue à la musique) et de cupidité (celle du directeur du club qui emploie le jeune musicien). Les gestes fluides – presque aériens – des personnages nous embarquent dans la danse et on tourne les pages avec beaucoup curiosité. C’est avec autant de surprise que de plaisir qu’on découvre à plusieurs endroits du récit, quelques références à des univers cartoonesques et cinématographiques de la culture pop.

David Périmony offre une réflexion pertinente accessible à un lectorat de 5 à 99 ans. Beaucoup de douceur dans son trait, il nous montre qu’il est capable de créer un univers aussi poétique que musical. A lire ! 😉

Une lecture commune magique partagée avec Sabine et Noukette !!

La chronique de Moka qui m’avait mis l’eau à la bouche et qui accueille aujourd’hui la « BD de la semaine » .

Billy Symphony (récit complet)

Editeur : Editions de La Gouttière

Dessinateur & Scénariste : David PERIMONY

Dépôt légal : janvier 2020 / 104 pages / 16 euros

ISBN : 978-2-35796-001-5

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