Le vieil Homme et la Mer (Murat)

En 1952, Ernest Hemingway reçoit le Pulitzer pour « Le vieil Homme et la mer » , une œuvre que Thierry Murat revisite ici.

Murat © Futuropolis – 2014

On est à Cuba, non loin de la Havane, dans les années 1950. Ici, la journée, les rues sont désertes. Les habitants se protègent du soleil écrasant. Les tons vifs des façades des maisons bariolent le paysage. L’océan vient lécher les pieds des maisons qui sont en bordure de la plage. Le bleu majestueux de l’océan flirte avec le bleu éclatant du ciel.

« Ici, lorsque vous êtes fini, plus bon à rien, on dit que vous êtes salao. Ce qui est la pire des insultes pour dire que la chance vous a abandonné. Mais ici, on dit aussi que c’est au moment où la nuit est la plus noire que va se lever le jour… »

Lorsque le soleil commence sa phase descendante, les rues recommencent à s’animer peu à peu. Quelques badauds çà et là. Un enfant rejoint le port en courant. Comme chaque jour, le vieux rentre de sa journée de pêche. Dans le fond de sa barque, quelques filets sont déposés, quelques affaires… pas un seul poisson. Cela fait des mois qu’il n’attrape plus rien. La dernière chose qu’il est parvenue à attraper, c’est l’amitié de cet enfant qui l’attend tous les soir lorsqu’il rentre au port. Il sait qu’aujourd’hui encore, l’enfant sera triste de le voir rentrer bredouille mais qu’il n’en dira rien. Il sait qu’ils auront quelques heures à passer ensemble, qu’ils parleront de baseball, qu’ils se rappelleront le temps où ils pouvaient pêcher ensemble… que le vieux lui racontera ses vieilles histoires, celles qui appartiennent au temps où il n’était pas salao. Aujourd’hui, cette déveine l’accable, le tasse, le rend plus vieux encore. Jusqu’au jour où le vieux part plus loin que d’habitude, à la pêche aux gros. Il s’installe au large avec la ferme conviction de montrer que le vent a tourné. Il veut retrouver sa dignité. Le vieux sera le premier surpris de constater que la chance lui sourit à nouveau. Un énorme espadon s’est accroché à une de ses lignes. Entre l’homme et le poisson, un long combat s’engage. Il durera trois jours et trois nuits.

Face à Hemingway, l’enfant raconte son amitié avec ce vieil homme. Il lui raconte comment il a grandi à ses côtés. Il parle du vieil homme avec respect. Il l’admire. Il le connaît aussi mieux que personne. Quelques passages s’incrustent dans le scénario pour montrer ce tête-à-tête entre l’écrivain et l’enfant pêcheur. Le romancier ponctue le long récit de l’enfant, pose quelques questions, demande des précisions. Pour cette adaptation, Thierry Murat fait d’Hemingway un personnage à part entière, un passeur d’histoires qui récolte un témoignage qu’il couchera ensuite sur papier. Cela donne une jolie dimension à cette fiction et sème le trouble : réalité ou fiction ?

Le vieil Homme et la Mer – Murat © Futuropolis – 2014

Mais c’est l’enfant qui est notre guide principal dans ce voyage nostalgique. Hemingway s’efface toujours très vite même si l’on perçoit le regard bienveillant qu’il pose sur le jeune pêcheur. Ce dernier est un narrateur hors pair qui n’écarte aucun détail. Ni le son d’une voix, si l’odeur des embruns marins, ni l’amplitude d’un geste. Il n’omet rien. Il fait des pauses dans son récit pour que son interlocuteur prenne la mesure de ce qu’il vient de dire. Durant ces instants de silence, le temps est comme suspendu. Ce suspense nous ferre. A l’instar du poisson, notre curiosité nous a fait mordre à l’hameçon et plonger toujours plus loin dans la découverte de ce témoignage.

Santiago, grand-père, toi… Dans la bouche de l’enfant, le prénom du vieux est prononcé avec respect. Entre eux, il y a de l’estime et de l’amour, de la complicité aussi. L’enfant a une tendresse particulière pour ce vieux. C’est un amour semblable à celui qu’un enfant porte à son grand-père. Il scrute l’ancien, se nourrit de lui, le protège et apprend à son contact.

« Sa peau, ses cheveux, ses souvenirs, tout chez lui était vieux. Sauf son regard, qui brillait encore comme un soleil rasant sur la crête des vagues. »

Entre voix-off et échanges interactifs, le scénario trouve très vite sa mélodie, son rythme. Thierry Murat sublime le texte d’Ernest Hemingway. Il nous fait passer de l’ocre au bleu, du jour à la nuit, de la chaleur à la nostalgie, du récit au silence… puis vient le moment de ce combat fantastique entre le vieux pêcheur et un gigantesque espadon. Ils se sont défiés au bras de fer. L’homme et le poisson vont puiser dans leurs forces physiques et psychiques.

Superbe ! Les mots d’autres lecteurs :

Noukette : « Si le texte est une merveille, le dessin élégant de Murat le magnifie. L’alliance des deux est un petit miracle sans aucune fausse note. Intense et unique. »

Jérôme : « Le texte d’Hemingway, au symbolisme un peu simpliste et trop évident, tenait surtout par la beauté de son écriture. Cette adaptation très fidèle m’a embarqué par son esthétisme. »

Yvan : « Les grandes cases et l’absence de bulles permet de restituer l’immensité de l’océan et la solitude du vieil homme, tout en permettant de se concentrer sur des textes qui se retrouvent magnifiés par les superbes planches de l’artiste. »

Moka : « La palette de Murat est d’une richesse sans nom et rythme à merveille ce ballet maritime,  permettant au temps qui passe d’enrober de ses ambiances et de ses nuances, une histoire qui n’est pas qu’une simple partie de pêche. »

Noctenbule : « Si vous aimez les voyages tout en délicatesse, en lenteur et en sensibilité, montez dans ce bateau pour aller vers Cuba à la rencontre du vieil homme qui aime la mer. »

Sabine : « Thierry Murat s’est emparé du roman d’Hemingway, de la pensée et sagesse, d’en retranscrire sa poésie, la lutte, la conversation entre un homme et un poisson, entre la vie et la mort. »

Le vieil Homme et la Mer (récit complet)

Editeur : Futuropolis

Dessinateur & Scénariste : Thierry MURAT

Adapté du roman d’Ernest HEMINGWAY

Dépôt légal : octobre 2014 / 128 pages / 20 euros

ISBN : 978-2-7548-0948-1

Senso (Alfred)

Alfred © Guy Delcourt Productions – 2019

Une panne. Un contre-temps. Qui arrive là, au beau milieu de la chaleur estivale étouffante. Figeant les trains. Retardant les voyageurs. Les obligeant à s’organiser autrement, à la hâte.

Bloqués. Pour quelques heures. Que faire d’autre qu’attendre et prendre son mal en patience ? Et tout croiser pour parvenir à bon port sans trop de complications.

Germano est l’un de ces passagers restés en transit sur le quai. Il est finalement arrivé à destination avec six heures de retard. Plus personne ne l’attend. Il ne lui reste qu’à rejoindre son hôtel à pieds sous un soleil écrasant. Il ne s’étonne même pas quand il comprend que ce retard n’est que la mise en bouche d’une interminable journée où les complications s’accumulent. Il a l’habitude. Sa vie est ainsi faite. Il se contient et trouve en lui la patience et le degré d’autodérision nécessaires pour affronter cette folle journée. Heureusement, elle sera aussi l’occasion de faire la rencontre d’Elena. Une belle et étonnante rencontre… le genre de rencontre qui vous met du baume au cœur.

Alfred. J’ai accroché dès la première lecture. C’était en 2010. J’étais tombée sur « Pourquoi j’ai tué Pierre » et je l’avais emporté avec moi. Ce fut un coup de cœur. Les autres albums qu’il a composés ont suivi le même chemin. Chacun dans leur style, chacun dans leur époque, chacun dans leur ton… ils m’ont plu. Depuis, j’ai cette gourmandise qui me dévore lorsque je m’apprête à ouvrir un nouvel album de cet artiste.

Comme avec « Come Prima » , « Senso » se déroule en Italie. Une nouvelle fois, l’essentiel de l’histoire se passe en extérieur, l’occasion pour nous – lecteurs – de respirer à l’air libre et de profiter de magnifiques paysages. Graphiquement, le décor est absolument sublime. L’occasion aussi de découvrir le quotidien d’un homme solitaire et touchant. Comme Pierre Richard lorsqu’il incarne François Perrin, la malchance cueille notre personnage à la moindre occasion. Il pourrait se laisser abattre mais cela n’est pas dans son tempérament. Il se bat, il lâche prise. Il prend la situation avec humour et écarte la contrariété avec taux de réussite variable.

On rit en voyant ce à quoi il est confronté. On rit tout simplement parce que des situations aussi aberrantes et cocasses, bien évidemment qu’on y a déjà été confronté…. mais pas avec une telle concentration de tuiles dans un laps de temps aussi condensé. On rit de ses réactions spontanées et de son attitude désinvolte. On s’attendrait à ce qu’il ait le réflexe de se pincer pour savoir s’il ne rêve pas. Mais non. Il encaisse… et on rit tant il est blasé des farces mesquines que la vie lui réserve. Sans moquerie, on rit de ce qui lui arrive. Il faut dire que c’est cocasse.

Le scénario est sans à-coups. Tout s’enchaîne naturellement même si c’est si improbable ! Poussés par la surprise et l’amusement, nous tournons les pages, aussi curieux de connaitre la nature du prochain événement qui cueillera le personnage, que plein d’espoir que la vie devienne enfin plus douce pour lui.

Le groupe des personnages secondaires est tout aussi haut en couleurs. Il se compose d’une palette de personnalités originales qui permettent au scénario de jouer de tout et avec tous les registres (amitié, moquerie, racisme, nostalgie, ivresse…) et d’épicer l’intrigue comme il se doit. Un récit bourré de fraîcheur de de drôleries. Un personnage qu’on affectionne très vite. Un rêveur solitaire et altruiste.

Senso – Alfred © Guy Delcourt Productions – 2019

 

Une pépite à lire.

Senso (One shot)
Editeur : Delcourt / Collection : Mirages
Dessinateur & Scénariste : ALFRED
Dépôt légal : octobre 2019 / 158 pages / 19,99 euros
ISBN : 978-2-7560-8284-4
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