Sweet Tooth, volume 3 (Lemire)

Lemire © Urban Comics – 2016
Lemire © Urban Comics – 2016

Depuis 2009, l’humanité est rongée par un mystérieux mal. Des enfants hybrides naissent tantôt avec des bois, tantôt avec de la fourrure, une nouvelle espèce mi-homme mi-animale. En parallèle, les hommes sont décimés par une épidémie qui se répand à une vitesse vertigineuse. Attaque chimique ? Intervention divine ? Nul ne le sait, quoi qu’il en soit, sur Terre, c’est le chaos. Les morts jonchent les rues partout sur la planète et les survivants tentent de trouver des solutions alternatives pour enrayer le phénomène. Des milices armées barricadent les villes pour empêcher l’intrusion d’étrangers et éviter ainsi la contagion. Des bases de l’armée deviennent des tombeaux à ciel ouvert pour les enfants hybrides, laboratoires de l’horreur où les enfants sont disséqués, étudiés, catalogués afin de trouver les causes du virus et mettre au point un remède. Le monde est devenu hostile. Les hommes, effrayés par la perspective que leur race va disparaître, sont capables de toutes les abominations.

C’est dans ce contexte qu’est né Gus. Premier enfant hybride. Sa naissance coïncide avec l’apparition du virus. Il a vécu les premières années de sa vie dans un bois avec son père, méconnaissant tout de ce qui se passe partout sur Terre. Mais un jour, son père meurt, emporté par la maladie. Pour survivre, Gus doit donc sortir du bois. C’est là qu’il rencontre Jepperd, un homme désabusé, un prédateur solitaire qui ne pense qu’à combattre pour assurer sa propre survie. Jepperd va prendre Gus sous son aile. Pour Jepperd, Gus est « Gueule sucrée ». Ce dernier ayant entendu parler d’une réserve où les enfants hybrides seraient en sécurité, Jepperd décide d’y accompagner l’enfant. Mais nombre d’embûches jalonnent leur chemin et de leur long périple va naître une profonde amitié.

J’ai perdu l’habitude de chroniquer une série tome par tome. C’est que, au bout d’un moment, si je trouve intéressant d’ouvrir l’échange sur un one-shot, un tome de lancement de série complète, je ne vois plus l’intérêt – pour un lecteur – de partager son ressenti détaillé sur un tome d’une série déjà bien avancée. Alors certes, il y aura toujours des personnes qui verront un intérêt à savoir qu’une série se poursuit et que la qualité est toujours au rendez-vous. Certes. Mais une série, n’est-ce pas aussi un univers à prendre en compte dans son ensemble ? Et puis, oser écrire sur l’album central d’une série qui compte… je ne sais pas… trente tomes !… quel intérêt ? Bonjour la figure de style. Bonjour l’exercice d’équilibriste pour ne pas spoiler ! Bref, je n’aime pas « saucissonner » une série et je fais allègrement l’impasse sur les chroniques qui se l’autorisent. Mais comme il y a toujours des exceptions à la règle…

« Sweet tooth » est une série de Jeff Lemire initialement pré-publiée dans des revues comics. Les quarante épisodes ont ensuite fait l’objet de cinq intégrales parues entre 2009 et 2013 aux Etats-Unis. Pour la France… il a fallu attendre 2015 pour que la série soit traduite. Un projet éditorial suivi par Urban Comics. Décembre 2015 – décembre 2016. Un an pour proposer « Sweet tooth » au lectorat francophone. Une trilogie consistante qui nous téléporte dans un monde post-apocalyptique dans lequel on est en alerte. A l’affut du moindre rebondissement, on s’inquiète rapidement pour les personnages et cela ne va pas en s’améliorant à mesure qu’on s’approche du dénouement.

Au début pourtant, le périple semblait simple : un homme, un enfant, un environnement hostile. Déjà, la relation privilégiée qui s’instaure entre l’adulte et le gamin est un point d’ancrage auquel on s’accroche. Cette relation est la petite flamme d’humanité sur laquelle repose tout le récit. Au fil des pages, des personnages secondaires viendront épauler le duo Jepperd-Gus. Leur périple est fait de haltes, imposées ou choisies, temps de répits ou temps de tension, temps de repos ou de réflexion. Des horreurs, ils en croiseront ; sur ce point, on dépasse largement le cadre de la fiction pour s’ancrer dans quelque chose qui nous est bien trop familier : les camps où sont parqués les enfants hybrides n’ont rien à envier – dans l’horreur – aux camps de concentration des nazis. C’est un album photo de la bêtise humaine et de ce que l’homme peut créer de pire (fanatiques, despotes, fous, désespérés…) et une incroyable quête pour la survie. Jeff Lemire montre un monde dans un état déplorable, un monde qui court à sa perte, il imagine le devenir de l’humanité de façon pessimiste. Il intègre à son scénario des références religieuses et mythologiques qui donnent une toute autre dimension au récit, le rendant à la fois plus profond et plus mystérieux encore.

Graphiquement, Jeff Lemire me fait décoller. Ses personnages ont une expressivité incroyable malgré l’imprécision apparente qui tape l’œil quand on feuillète « Sweet Tooth ». Par contre, je trouve important de préciser que certains passages peuvent heurter la sensibilité de certains lecteurs ; c’est violent, il y a du sang et des cervelles qui explosent, une série à mettre dans les mains de lecteurs avertis. Le travail de José Villarrubia me fait même apprécier la couleur sur les dessins de Jeff Lemire que pourtant je préfère en noir et blanc.

PictoOKPictoOKUne trilogie magnifique qui, je l’espère, deviendra un classique dans les années à venir.

Chroniques sur le blog : tome 1 et tome 2.

… Et mon petit doigt me dit que vous n’avez pas fini d’entendre parler de cette série puisque Jérôme présente le premier volume aujourd’hui. Sa chronique en cliquant sur ce lien.

la-bd-de-la-semaine-150x150Pour ce mercredi, les pépites des lecteurs de la « BD de la semaine » sont chez Noukette !

Sweet Tooth

Volume 3
Trilogie terminée
Editeur : Urban Comics
Collection : Vertigo Essentiels
Dessinateur / Scénariste : Jeff LEMIRE
Dépôt légal : décembre 2016
384 pages, 28 euros, ISBN : 978-2-3657-7941-8

Bulles bulles bulles…

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Sweet Tooth, volume 3 – Lemire © Urban Comics – 2016

Sweet tooth, volume 1 (Lemire)

Lemire © Urban Comics – 2015
Lemire © Urban Comics – 2015

« Dix années se sont écoulées depuis la mystérieuse pandémie qui frappa la Terre et décima la quasi-totalité de la population. De celle-ci, naquit une nouvelle espèce : mi-homme mi-animale. Gus fait partie de ces enfants hybrides dont on ignore tout, livré à lui-même depuis la mort de son père. Au cours de son voyage à travers une Amérique dévastée, Gus croisera la route de Jepperd, homme massif et taciturne avec qui il se met en quête d’un refuge spécialisé. Mais sur leur route, les chasseurs sont nombreux. » (synopsis éditeur).

Je mourrais d’envie de lire ce récit publié pour la première fois outre-Atlantique en 2009. Il a fallu attendre six bonnes années pour qu’il traverse l’océan et soit réticents à lire dans la langue de Shakespeare. Jeff Lemire a écrit cette série en quatre ans, elle comporte une quarantaine d’épisode… cette première intégrale en regroupe une douzaine.

Jeff Lemire est un nom qui ne vous est pas étranger si vous passez de temps en temps par ce blog. Il faut dire que j’accroche furieusement bien avec les univers qu’il crée : « Essex County », « Trillium », « Jack Joseph »… autant d’immersions complètent dans des univers fictifs très maîtrisés. Science-fiction, monde réaliste, fantastique… Jeff Lemire est un touche-à-tout qui réussit chaque essai. Je n’ai pas les mots pour dire à quel point j’espérais que « Sweet tooth » soit un jour traduit en français… la traduction providentielle qui me permettrait d’entrer dans cette histoire est enfin arrivée ! Benjamin Rivière – traducteur – l’a fait… et la collection « Vertigo Essentiels » d’Urban Comics accueille diablement bien cette série.

On rentre à pas de loup dans l’univers de cet enfant doté de bois de cervidés. A pas feutrés, le lecteur s’approche pour ne pas l’effrayer. Car sous le crayon de Jeff Lemire, on le sent fragile et peureux. Pourtant, très tôt, on a envie de côtoyer cet enfant qui vit en huis-clos avec son père. Leur cabane isolée est retranchée dans la foret, loin des regards, loin de la route. A l’abri du monde extérieur. Sous le regard bienveillant de son père, l’enfant Gus a grandi pendant neuf années… jusqu’à ce que le protecteur paternel expire, laissant l’enfant livré à lui-même. Très tôt après ce deuil, le danger se présente à proximité de la maison natale, exacerbant le fait que l’enfant pacifique est sans défense. Mais, comme une apparition providentielle, le personnage de Jepperd fait son entrée, prenant l’enfant sous son aile et assurant sa protection. En quelques pages à peine, nous voilà lancés dans la lecture, touchés par la naïveté et la pureté de cet enfant, rassurés par la présence imposante de cet homme dont on ne sait absolument rien. Et puis, il y a cette complicité entre eux, cette tendresse ambiguë aussi. « Sweet tooth ». Gueule sucrée. C’est ainsi que le gros costaud de Jepperd surnomme Gus, l’enfant aux bois de cerfs. Les éléments narratifs se placent tour à tour et notamment les rêves prémonitoires de Gus qui alertent le lecteur, le mettent sur le qui-vive et le mettent en tension. Jeff Lemire prend la main de son lecteur, le berce, le prévient, le surprend… l’émeut.

Ces premiers temps sur la route… ça a duré des mois… des années ? Tout est flou. Je ne me souviens que de la faim, de la fatigue et de nous deux serrés l’un contre l’autre au milieu du chaos. En attendant de tomber malade… En attendant notre tour. Tout s’est passé si vite. Le gouvernement, l’armée, ils avaient disparu. Ils s’étaient effondrés. La radio, la télé et tout le reste étaient tombés encore plus vite. On a fait la route avec d’autres gens, au début, partageant ce que nous avions, cherchant tous un endroit sûr où se réfugier… quelqu’un qui nous dirait que tout allait s’arranger. Mais c’était peine perdue. Les camps de survivants se transformaient en charniers de malades en une nuit, et tout esprit de communauté se dissipait au fur et à mesure que la nourriture se raréfiait. Il valait mieux ne pas se faire d’amis, ne se lier à personne d’autre. On a fini par se retrouver que tous les deux. Je n’arrivais pas à décider de ce que je désirais le plus. Mourir avant elle pour ne pas la voir tomber malade ? Ou qu’elle parte avant pour ne pas la laisser seule ?

Le scénario fait régulièrement surgir des références à la Bible puisque ce texte est une importante référence dans l’éducation qu’il a reçue de son père. L’occasion, pour le lecteur, de voir – une nouvelle fois – que l’on peut faire moult lectures de ces textes « sacrés » et ainsi, de leurrer les plus fragiles d’entre nous… de les maintenir dans le mensonge et l’ignorance afin de les « contrôler » (au prétexte de les protéger). Pour autant, l’interprétation des faits reste à la charge du lecteur, Jeff Lemire ne s’autorise aucun jugement de valeurs.

Au dessin, c’est une nouvelle fois une tuerie. Jeff Lemire excelle et livre ici un récit de toute beauté. Michael Sheen (grand fanboy de Lemire) décrit cette impression dans son préambule : « Si on parle de langage cinématographique, le sens du cadrage de Jeff est impeccable. Sans même y penser, on voit toujours les choses d’exactement là où on le veut. Split screen, changements de cadrage, ellipse, travelling… Il joue avec la forme, s’en sert et prend des risques. Il brise les règles et manipule la structure de manière si créative. Chaque case, chaque page, chaque séquence est explorée de fond en comble de façon novatrice. Mais elles ne détournent jamais l’attention vers leur créateur et ne servent que l’histoire. La forme et le fond, dans une harmonie parfaite. Des réalités multiples se croisent et se superposent, obscurcissant puis éclairant. L’intrigue se déplace dans le temps avec facilité et assurance (…). Lemire invente ici de nouveaux rythmes surprenants, une véritable poésie de la chronologie ». Des propos qui retranscrivent exactement mon ressenti… un régal.

Un carnet de croquis préparatoires et de couvertures à la fin de ce volume (vous pouvez voir certains croquis sur le site de l’éditeur).

PictoOKPictoOKC’est assez rare que je me lance dans une série alors que seul le tome 1 est disponible en librairie. J’avais beaucoup d’attentes à l’égard de cet ouvrage en raison de l’accroche que j’ai déjà eues avec les autres œuvres de Lemire. Aucune déception, bien au contraire ! Une lecture addictive que je vous recommande chaudement et le premier coup de cœur de l’année.

La chronique d’Yvan et celle de Mickaël Géreaume (Planète BD).

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Une lecture que je partage avec Stephie à l’occasion de ce mercredi BD.

Sweet Tooth

Volume 1

Série en cours de traduction française

Editeur : Urban Comics

Collection : Vertigo Essentiels

Dessinateur / Scénariste : Jeff LEMIRE

Traduit de l’anglais par Benjamin RIVIERE

Dépôt légal : décembre 2015

ISBN : 978-2-3657-7714-8

Bulles bulles bulles…

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Sweet tooth, volume 1 – Lemire © Urban Comics – 2015

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