Un léger Bruit dans le moteur (Gaët’s & Munoz)

Gaët’s – Munoz © Petit à Petit – 2021

Sorti en 2012, « Un léger bruit dans le moteur » n’intègre le catalogue Petit à Petit qu’en 2017… et c’est l’occasion d’une première réédition. Et voilà une nouvelle réédition comme une jolie petite mise en bouche pour nous préparer à la sortie du second tome – à paraître l’année prochaine – ! Cette seconde réédition est l’occasion d’intégrer un cahier graphique original qui nous permet de nous glisser dans les coulisses de l’album.

Le scénario de Gaët’s est une adaptation du roman éponyme de Jean-Luc Luciani. C’est un univers grinçant, un récit noir noir noir où il ne fait pas bon tomber en panne, de nuit et sous une pluie battante, dans cette bourgade isolée… Pas bon du tout ! On s’installe dans un petit hameau où vivent une poignée de familles. Dans l’une d’elle, un enfant teigneux et qui déteste sa vie va élaborer un projet machiavélique pour supprimer un à un les habitants de ce minuscule village.

« Parce qu’à force de tuer le temps, on finit par tuer vraiment. »

Il n’y a rien de beau dans le quotidien de cet enfant. Même pas le paysage où, malgré l’acharnement de quelques hommes à labourer leurs parcelles, la terre ne rejette rien d’autre que des patates rachitiques. Des colonies de lézards pullulent joyeusement et larvent sur les cailloux brulants de la route.

Ici, les adultes ont des ambitions limitées. Ils sont avares de bons mots, chiches d’affection à donner aux plus jeunes. Ils tournent en rond dans leur quotidien étriqué. Livrés à eux-mêmes, les enfants s’occupent comme ils peuvent. Ils ont le choix : jouer dans les flaques, courir dans les champs, se faire de vilaines farces. Ce milieu rural est des plus austères et on fantasme de voir ce qui vit au-delà. Gaët’s opte un mode de narration qui nous invite à nicher dans la tête du personnage principal ; la voix-off de l’enfant tueur est notre seul guide dans ce monde hostile… dans ce minuscule village en marge de toute vie sociale. Les intentions malsaines du « héros » nous grattent… pourtant, sa voix silencieuse nous attrape et il est difficile de s’extraire de cet univers. L’idée de faire une pause dans la lecture ne m’a pas titillée une seule seconde. On s’immisce dans son esprit malade, on comprend ses intentions, on anticipe avec lui le prochain assaut assassin qui décimera davantage encore la poignée d’hommes qui peuplent cette petite communauté rurale. Il déplie sa logique méthodiquement, se crée une forme de morale et une forme de priorité dans l’ordre des « exécutions » qu’il opère.

« Moi, je rêve souvent dans ma tête à moi que je tue mes parents avec une hache puis que je les regarde mourir. Bien sûr, ils sont toujours vivants. Mais c’est comme s’ils étaient déjà morts puisqu’ils ne font rien de la journée. »

Au crayon, Jonathan Munoz installe une ambiance macabre qui porte l’intrigue à merveille. L’enfant évolue comme un poisson dans l’eau dans son environnement… un quotidien où l’innocence et l’horreur se marient à merveille. Un frisson glaçant nous parcourt l’échine.

Cela faisait un bout que je voulais lire cet ouvrage et à moins que vous ne l’ayez déjà fait, je vous le conseille vivement !

Un léger bruit dans le moteur (récit complet)

Editeur : Petit à petit

Dessinateur : Jonathan MUNOZ / Scénariste : GAËT’S

Dépôt légal : janvier 2021 / 124 pages / 16,90 euros

ISBN : 9791095670230

Homicide, tome 5 (Squarzoni)

tome 5 – Squarzoni © Guy Delcourt Productions – 2020

Retour à la Brigade des Homicides de Baltimore. Pellegrini n’en finit plus de déplier les recoins de l’affaire Wallace. Le meurtre de Latonya Kim Wallace n’est toujours pas élucidé alors que l’inspecteur en charge de l’enquête travaille d’arrache-pied.

Waltemeyer se démène pour percer à jour un suspect (une vieille dame) soupçonné de trois meurtres avec préméditation et de trois tentatives de meurtres. Et visiblement, ces six affaires-là ne sont que la partie émergée de l’iceberg. Waltemeyer fouille les archives des meurtres non élucidés, fait des croisements entre les modus-operandi et l’existence d’assurances-vie dont son suspect aurait été bénéficiaire. Un travail d’investigation de grande ampleur… rares sont les inspecteurs qui ont eu l’occasion de se faire remarquer avec de tels dossiers. Il chiade le dossier en vue de son passage devant le juge.

Garvey quant à lui hérite d’une nouvelle scène de crime et sa chance légendaire continue à lui coller aux semelles. Il semblerait qu’une nouvelle fois, les témoins en présence lui apportent le suspect sur un plateau d’argent. Une période bénie pour lui mais… jusque quand durera-t-elle ?

Et les autres… Tous les inspecteurs sont affectés à plusieurs dossiers. Landsman, Edgerton, Worden, McLarney… Tous enquêtent majoritairement sur des affaires de règlements de compte entre dealers ou de malfrats divers qui ont décidé de se faire eux-mêmes justice.

Un scénario d’une froideur méthodique et chirurgicale pour cette adaptation (de l’enquête de David Simon : voir mes précédentes chroniques qui contextualisent cet ancrage). En parallèle, un séquençage dynamique des planches apporte au lecteur l’entrain dont il a besoin pour continuer à avancer dans sa lecture. Les teintes poussiéreuses, mi-grises mi-brunes campent la lourdeur et la dureté de ce quotidien policier… et renforce l’impression que l’action des inspecteurs pour lutter contre la criminalité est vaine. Qu’ils auront beau résoudre un crime, dix nouveaux se produiront… inévitablement.

Philippe Squarzoni consacre également un temps conséquent à dresser le portrait d’une société délétère. Baltimore ville prospère et dynamique n’est plus que l’ombre d’elle-même. Depuis la grande Dépression de 1930, l’activité portuaire qui portait la ville s’est effondrée, laissant derrière elle une ville à l’agonie. Le chômage, la délinquance, l’économie parallèle, le marché de la drogue… toutes les conditions sont désormais réunies pour offrir un terreau fertile aux activités illicites. Les tribunaux engorgés d’affaires de crimes (grippant le système judiciaire), les prisons sont surpeuplées… Surenchère de la violence.

« Mais c’est une présence tacite qui accompagne les jurés dans toutes leurs délibérations. (…) plus encore que la couleur de la peau, ce qui a faussé le système judiciaire à Baltimore dépasse toutes les barrières raciales. Baltimore est une ville ouvrière, frappée par le chômage, ayant le niveau d’éducation parmi les plus faibles des Etats-Unis. Par conséquent, la plupart des jurés entrent dans le tribunal avec une vision du système judiciaire… héritée du petit écran. Et c’est la télévision – pas le Procureur, pas les preuves – qui va influencer le plus leur état d’esprit. Or la télévision a empli les jurys criminels d’attentes ridicules. »

Cinquième et dernier tome de cette série uppercut. Mon intérêt n’a pas molli depuis le premier tome.

Homicide – Une année dans les rues de Baltimore

Tome 5/5 : 22 juillet – 31 décembre 1988

Editeur : Delcourt / Collection : Encrages

Dessinateur & Scénariste : Philippe SQUARZONI

Dépôt légal : octobre 2020 / 152 pages / 18,95 euros

ISBN : 9782413017530

Claudine à l’école (Durbiano)

Durbiano © Gallimard – 2018

C’est la rentrée des classes.
Claudine retrouve avec plaisir ses amies Marie et Anaïs. Avec les épreuves du Brevet en fin d’année, les professeurs attendent que leurs élèves soient studieux. Mais Claudine s’ennuie à l’école. Passées les quelques facéties qu’elle peut faire aux uns et aux autres (surtout aux enseignants), Claudine s’intéresse vite à Mademoiselle Lanthenay, une jeune institutrice dont elle s’entiche… mais Claudine n’est pas la seule à succomber au charme de la jeune femme. Sans compter que la beauté de Claudine commence à faire tourner la tête de certains hommes d’âge mûr.

… Retrouver la fraîcheur et l’espièglerie du personnage de Colette.

Lorsqu’on ouvre l’album, on ressent immédiatement la bonne humeur et l’espièglerie de Claudine. Derrière son air insouciant et sa bouille d’ange, le personnage est délicieusement malicieux et déluré ; Lucie Durbiano ne cherche pas à dissimuler le plaisir qu’elle a eu à visiter cet univers et nous fait profiter du ton moqueur du récit. A lire cette adaptation, on a du mal à imaginer que le texte originel a plus d’un siècle. La franchise de Claudine fait mouche et j’aime cette façon de ne pas aller par quatre chemins pour rentrer dans le vif du sujet. Il est question d’adolescence bien sûr mais aussi de la découverte du sentiment amoureux que Claudine va expérimenter. Il est aussi question d’homosexualité, de jalousie, de séduction, de puberté, de désir, de pédophilie… et ça, à l’époque de Colette, on imagine à quel point cela a dû en décoiffer certain au moment de la publication du roman. Lorsque le roman de Colette est sorti en 1900, il venait tellement chambouler les idées préconçues, montrer au grand jour ce qu’on préférait taire qu’il a fait un véritable scandale. La plume libertine de Colette venait rudoyer les idées préconçues et la société puritaine du début du XXème siècle ; tout cela a fait jaser.

Tout en laissant Claudine sur le devant de la scène, Lucie Durbiano prend soin de laisser suffisamment de place aux personnages secondaires. Les personnalités (hautes en couleurs) de chacun s’expriment librement et on se régale des propos de ces adolescentes aux caractères bien trempés. Les adultes semblent savoir moins se maîtriser que les collégiennes ; ces dernières font de l’esprit et de bons jeux de mots… ce qui a tendance à émoustiller la libido de certains adultes, à commencer par le médecin du village qui lorgne d’un peu trop près ses jeunes patientes.

Le personnage principal est délicieusement déluré et c’est avec un réel plaisir que l’on enfreint les règles avec elle. Lucie Durbiano s’est parfaitement approprié l’univers. Son trait léger, parfois coquin, nous permet de ressentir toute la malice du personnage principal. Lucie Durbiano va-t-elle poursuivre les adaptations de Claudine ? Prochain rendez-vous sur « Claudine à Paris » ?

Claudine à l’école

– d’après l’œuvre de Colette –
One shot
Editeur : Gallimard
Collection : Fétiche
Dessinateur / Scénariste : Lucie DURBIANO
Dépôt légal : mars 2018
116 pages, 20 euros, ISBN : 978-2-07-059976-9
L’album sur Bookwitty.

Bulles bulles bulles…

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Claudine à l’école – Durbiano © Gallimard – 2018

Pendant que le loup n’y est pas (Gallardo & Van Gheluwe)

Gallardo & Van Gheluwe © Atrabile – 2016
Gallardo & Van Gheluwe © Atrabile – 2016

« Pendant que le loup n’y est pas » est l’histoire qui précède une rencontre. Celle de Mathilde et de Valentine. A cette époque, elles ont une dizaine d’années.

Début des années 1990. Les parents de Valentine décident de déménager à Bruxelles suite à un concours obtenu par la mère de la fillette.

Mathilde habite également à Bruxelles et même si les deux enfants ne se connaissent pas, elles vont vivre sensiblement la même chose. En effet, à cette période-là, des fillettes sont enlevées dans les rues de la ville. L’inquiétude monte chez les parents. Peu à peu, les fillettes perçoivent un changement dans leurs habitudes quotidiennes. Les jardins des maisons sont sécurisés, les parents se relayent pour encadrer le pedibus. L’incompréhension et la peur s’installent dans les conversations quotidiennes. Puis, les petits corps sont retrouvés, la colère gronde dans la bouche des parents. L’hystérie gagne toute la communauté bruxelloise, les adultes sensibilisent les enfants, leur interdisent de parler à des inconnus et de les suivre.

Mais lorsqu’on a 10 ans, qu’on est encore très pris par l’imaginaire propre à l’enfance, que réaliser un dessin est synonyme de voyage, que jouer à la poupée n’est qu’une prolongation de soi et que la sexualité est quelque chose qui nous est totalement inconnu, les propos des adultes ont de quoi terroriser. « Viol », « pédophilie », « mort » sont dans toutes les petites bouches. La question est traitée en cour de récréation. Chacune cherche à comprendre, à se représenter de quoi il en retourne. Progressivement, cette peur viscérale de l’enlèvement gangrène les jeux les plus anodins. Et chacune, à sa manière, observe son corps qui se transforme peu à peu et revêt les premiers atours qui la change doucement en femme. Des seins, de nouvelles rondeurs qui sont autant de tentations alléchantes pour le prédateur qui rôde dehors.

Pour le lecteur, tout commence dès le visuel de couverture. Que fait-elle cette petite fille en salopette rouge qui est accoudée au rebord de fenêtre. Attend-elle des amies qui sont en retard à la fête d’anniversaire ? Compte-t-elle à voix haute jusqu’au moment d’arriver à ce nombre exact qui lui octroi le droit d’aller débusquer les autres dans leurs cachettes ? Est-elle triste ? Regarde-t-elle un parent en train de partir pour le travail ? Pourquoi est-elle si songeuse, seule dans ce grand salon bleu ? On suppose, on est déjà dans la lecture en quelque sorte.

Puis on tourne cette couverture souple afin d’entrer dans l’album. On atterrit derechef dans le jardin d’une petite maison bruxelloise. Aux côtés d’une fillette, on observe la faune et la flore. Avec elle, on est fasciné par une colonne de fourmi qui avance de façon disciplinée. La vue d’une plume puis d’une toile d’araignée tendue entre les brins d’herbe nous fait rebondir d’idée en idée, d’action en action. Ailleurs, une autre fillette se rend à la hâte à la kermesse de fin d’année de son école. Elle et ses parents sont pressés, ils sont en retard et les festivités ont déjà commencées.

Les chapitres de l’album sont courts. A tour de rôle, ils alternent entre le récit de Mathilde et celui de Valentine. Chaque auteure illustre au crayon de papier leur histoire respective. Mathilde Van Gheluwe et Valentine Gallardo s’attardent dans un premier temps à décrire ce monde merveilleux et si précieux qu’est celui de l’enfance. L’importance de l’imaginaire, le naïf émerveillement à l’égard de ce qui les entoure. Un univers de tous les possibles qui se superpose en permanence à la réalité… deux mondes dont les contours sont perméables, la frontière entre l’un et l’autre se franchi sans aucune difficulté et de façon permanente.

Si les dessins de Mathilde Van Gheluwe et Valentine Gallardo se distinguent facilement, il est troublant de voir comment – à mesure que l’on s’enfonce dans le récit – ils parviennent à se confondre au point de n’en faire plus qu’un. Ainsi, les vies de Mathilde et Valentine se mélangent, renforçant d’autant les similitudes dans le fait de vivre cette période de la vie où l’enfant se détache doucement du monde imaginaire pour s’ancrer davantage dans la réalité. Et plus douloureux dans tout cela, c’est de voir à quel point la part d’onirisme est encore importante et que toutes deux avaient besoin d’encore un peu de temps pour opérer cette métamorphose. Les fantasmes du monde adulte apparaissent dans les jeux, l’histoire du soir est encore un instant privilégié dans la journée et ces loups – prédateurs chimériques de bien des contes – permettent encore de faire ce parallèle magique entre l’onirisme et la réalité… permettent encore d’atténuer tout ce qui est tangible derrière un voile de chimères, un soupçon d’abstrait… une métaphore.

Cependant, dehors, rôle un vrai prédateur de petites filles. Il existe, il est là en chair et en os et son ombre menaçante plane sur leur vie. Et ces fillettes qui hier encore faisaient de leurs poupées des reines de Saba en font peu à peu des femmes exposées à l’esclavagisme sexuel, à la séquestration. Leur corps sont désormais exposés à la souffrance, « prisonnières de ce monstre ! De ce fou dangereux !! ». L’inquiétude est là, le monstre a quitté les pages de leurs livres et s’est matérialisé réellement. Il rôde et connaît certainement leurs habitudes, c’est du moins les conclusions auxquelles elles arrivent, c’est comme cela que leurs peurs se matérialisent…

Peut-être même qu’il est déjà là, à observer ? A se demander laquelle de nous est la prochaine sur sa liste…

PictoOKUn ouvrage dans lequel la colère gronde et la peur bruisse en sourdine. Un ouvrage pour parler de la pédophilie. Atypique et prenant.

La chronique de Cathia.

Pendant que le loup n’y est pas

One shot

Editeur : Atrabile

Collection : Bile blanche

Dessinateurs : Valentine GALLARDO (et Tumblr) & Mathilde VAN GHELUWE

Scénaristes : Valentine GALLARDO (et Tumblr) & Mathilde VAN GHELUWE

Dépôt légal : janvier 2016

ISBN : 978-2-88923-039-6

Bulles bulles bulles…

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Pendant que le loup n’y est pas – Gallardo & Van Gheluwe © Atrabile – 2016

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