Rocking Chair (Peyraud & Kokor)

Cher Alain, Mon Capitaine,

C’est avec gourmandise et curiosité que je me suis plongée dans ce nouvel album que ta patte a façonné. A la fois surprise que de tant de violences tu parviennes à t’accommoder et de la beauté de ton trait… cette beauté toujours et encore, pleine de douceur et de poésie. Je m’échappe.

Voilà donc qu’en cet An 2022 je reviens au clavier pour te dire ce que Rocking Chair a touché en moi. Que de cette collaboration artistique dans laquelle tu t’es plongé m’a plu. De ton acolyte j’avais lu deux superbes ouvrages (Le Désespoir du Singe et L’Inversion de la courbe des sentiments) que je garde en mémoire… certes de façon moins marquée que les voyages imaginaires que tu m’as déjà permis de faire (peut-on reparler une fois encore de ce grand régal que m’avais procurée la lecture de Balade Balade ??!).

Tu m’avais déjà étonnée quand, à l’occasion du numéro 2 de la Revue Dessinée, tu t’associais à David Servenay pour illustrer l’histoire de Jacques Monsieur, trafiquant d’armes hors pair. Tu es toujours à me surprendre par tes choix sans cesse renouvelés, sans jamais ne rien perdre de la douce musique qui accompagne chacune de tes illustrations.

La lecture de cet album fut un régal,

Merci à toi.

Rocking chair – Peyraud – Kokor © Futuropolis – 2022

Avant même de m’engouffrer dans la lecture, il y avait ce balancement rassurant dans le titre de l’album qui ne m’a jamais quitté. C’est avec l’image d’être confortablement assise dans un fauteuil à bascule à profiter d’un léger bercement que je suis partie à la conquête de l’Ouest. Le rocking chair est le personnage principal de cette épopée… l’objet central de l’intrigue autour duquel tout gravite.

Les périples et rebondissements tissés par Jean-Philippe Peyraud sont nombreux. Le scénariste construit un récit choral qui raconte l’histoire de tous ces immigrés européens partis à la conquête de l’Ouest américain pour fuir les horreurs d’une vie de misère. Mettant leur destin dans les mains d’inconnus aux mines patibulaires et souvent peu scrupuleux, des familles entières ont bravé les dangers de territoires sauvages pour atteindre un rêve, un Eldorado qu’ils ont totalement fantasmés. Jean-Philippe Peyraud rend hommage à cette multitude de courageux. Parmi eux, il y aura des chanceux… et ces innombrables qui n’arriveront jamais à destination.

Ce sont ces vies brisées que l’on rencontre tout au long de l’album. Ces vies parfois réparées quand la présence d’une bonne étoile a aidé un destin à se faufiler au travers des mailles de la déveine. On les découvre une à une, au fil du récit : orpailleur, garçon de ferme, orpheline, infirme… Des hommes et des femmes de tous horizons, venus des quatre coins de la vieille Europe.

Des solitudes déracinées en quête de liberté.

Des individus en quête d’un terreau où ils pourront enfin s’épanouir.

Le rocking chair nous accompagne de bout en bout, comme un objet transitionnel que l’on garde avec soi pour se rassurer. Cette chaise à bascule est le fil rouge de cette histoire.

Sans concessions mais avec beaucoup d’humanité, le scénario se pose d’un personnage à l’autre puis, comme happé par un souffle de vent capricieux, il reprend son envol jusqu’à un autre héros anonyme. De saut de puce en saut de puce, le scénariste nous fait traverser le continent américain puis revenir sur nos pas, comme pour boucler la boucle. Je n’ai rien su anticiper, rien deviné à l’avance… rien n’était cousu de fil blanc dans ce récit. Cette lecture m’a surprise et rien que ça, c’est très agréable.

J’ai été happée, fascinée et le travail d’Alain Kokor sur la mise en images. Loin des univers qu’il construit d’habitude, il parvient à insuffler au milieu de ce tumulte humain quelques touches de poésie, des émotions et des sentiments. On est dans une réalité crue mais ses dessins et ses couleurs parviennent merveilleusement bien à atténuer le côté trop incisif de certains passages. L’ambiance graphique nous enveloppe et nous aide à traverser des tourments sans qu’on ne perde rien de l’intensité et de l’ambiance de chaque instant. . Je ne m’attendais pas à rencontrer cette violence au bout du crayon d’Alain Kokor mais rien n’est surjoué ni surexploité. Les passages où la stupéfaction m’a saisie laissent une belle place à des instants plus tendres, plus intimistes… un apaisement après la tempête. Tout passe en finesse.

Très surprise par cet album dont certains passages m’ont un peu chamboulée. La finition est soignée « aux petits oignons » et la lecture d’une fluidité incroyable.

Rocking chair est un récit complet (one shot) de Jean-Philippe PEYRAUD et illustré par Alain KOKOR

Paru aux Editions Futuropolis en janvier 2022

ISBN : 9782754829793

152 pages au prix de 23 euros

Le Parfum de l’exil (Khayat)

Khayat © Charleston – 2021

A trente ans, Taline est terrassée par la mort de Nona, sa grand-mère maternelle qu’elle considérait comme sa mère. Nona lui a tout appris et lui a transmis son don. Car Taline est un nez talentueux et travaille en tant que tel dans l’entreprise de création de parfums créée par Nona.

A trente ans, Taline doit donc apprendre à vivre sans celle qui compte le plus à ses yeux d’autant que Nona lui a légué son entreprise et que Taline a peur de ne pas être à la hauteur des nouvelles responsabilités qui lui incombent. Elle se sent seule.

Dans la maison de Bandole dont elle hérite également, Taline découvre que Nona lui a légué un présent plus précieux encore : trois carnets manuscrits. En lisant ces mémoires, Taline comprend qu’elle tient en main un témoignage qui changera à jamais sa vie. Elle plonge dans le récit de vie de Louise, la mère de Nona. Les mots de sa bisaïeule la touchent profondément. Louise est née à Marach (Turquie) et s’est installée à Beyrouth après son mariage. Entre temps, elle a vécu l’horreur, le génocide de son peuple arménien. Les marches forcées, les morts par milliers, les exactions contre les siens, les deuils, l’exil… Louise a dû se reconstruire après tout cela.

Ondine Khayat livre un récit touchant qui rend hommage aux milliers de victimes du génocide arménien. La romancière aux origines arméniennes et libanaises propose un récit où l’on passe régulièrement du passé au présent, les témoignages des personnages féminins sont enchâssés. Trois générations s’expriment, trois voix de femmes témoignent de l’impact du génocide sur leurs parcours.

Il m’a fallu du temps et plus d’une centaine de pages pour apprécier cet ouvrage. J’ai eu à batailler pour accepter le côté un peu mielleux du récit et accepter que l’enfance de Louise soit aussi parfaite, aussi luxueuse, aussi mélodieuse. J’ai également eu du mal à accepter la précision des souvenirs de Louise ; en effet, en écrivant son récit plusieurs décennies après les faits, son récit est d’une précision incroyable. Echanges, détails vestimentaires, paysages, émotions… tout y est et je sas que j’ai toujours eu du mal à apprécier cet effet de style.

J’ai du mal avec l’emploi de la phrase parfaite posé au parfait moment et le parfait détail qui décore une scène. De fait, j’ai longtemps pensé que je ne verrais jamais la fin de ce livre… car j’étais intimement persuadée que je ne parviendrai pas à passer le cap du premier carnet [le roman s’organise en trois temps forts autour de ces carnets]. D’autant que dans le même temps, la voix de Taline s’exprime pour parler de son présent, de ses ressentis et de l’émotion produite par la lectures des carnets de Louise. C’est un contraste entre les évènements tourmentés vécus par Louise et les problèmes quotidiens de Taline qui sont, par moments, d’une banalité à faire pâlir. Taline s’abîme entre la nécessité de faire un deuil impossible (lié au départ de Nona) et le besoin de se protéger d’une mère et d’un compagnon toxiques. Enfin, il y a l’appréhension de ne pas savoir assumer les nombreuses responsabilités de son nouveau statut de cheffe d’entreprise.

A force d’insister, j’ai atteint le second tiers du récit, celui principalement consacré au génocide arménien. L’univers de Louise s’écroule, la jetant dans l’horreur et la douleur. La plume de l’écrivain s’emporte, quitte le confort douillet pour explorer davantage les ressentis, les sentiments, les réflexions de fond. Alors je sais que nombreux me diront que ça ne les tente pas de devoir attendre autant – dans une lecture – pour pouvoir commencer à l’apprécier. Je sais… Mais je voulais absolument lire l’intégralité de ce texte, eu égard au sujet qu’il aborde. Et je ne le regrette pas. Il y a des passages savoureux, des moments de profond désespoir, de magnifiques métaphores… Finalement, ce moment tant attendu que celui de pouvoir se laisser porter par le récit arrive. La vie de Louise n’a longtemps tenu qu’à un fil mais la volonté qu’elle affiche de ne pas céder à la mort et de ne pas sombrer dans la folie est assez impressionnante. Son récit de vie est puissant, de toute beauté.

Le Parfum de l’exil (roman)

Editeur : Charleston

Auteur : Ondine KHAYAT

Dépôt légal : avril 2021 / 448 pages / 19 euros

ISBN : 9782368126172

Le Pré derrière l’Eglise (Crisse & Paty)

Crisse – Paty © Soleil Productions – 2021

Irlande, dans les années 1930.

Dans le petit village de Killenny, la vie s’organise autour de l’église. Ou plutôt aux abords car les bancs de messe ne sont plus très fréquentés.

Derrière l’église en revanche, les prêches du prêtre trouvent des fidèles. Car c’est chaque matin que le curé répète son sermon devant une assemblée attentive d’un genre singulier. En effet, le troupeau de moutons qui paît-là paisiblement aime s’abreuver chaque matin des paroles bénites… et se goinfrer des friandises qui sont distribuées consécutivement.

C’est un peu désabusé que le prêtre teste l’effet de ses propos sur un auditoire subjugué bien que doté d’un regard ovin… un regard bien plus brillant que celui de ses paroissiens. Ces derniers gravitent pourtant non loin, dans les parages immédiats de l’église…

Le « Pink Clover » se démarque des autres Pubs puisqu’il est collé au flanc du petit édifice religieux de campagne. Lieu de beuveries hors pair, il dépouille les rangs de messe de ses fidèles et les amènent à flotter dans des brumes éthyliques auxquelles ils cèdent comme au chant des sirènes. Une vieille polémique est entretenue par quelques grenouilles de bénitier qui regardent d’un mauvais œil cette mitoyenneté entre le vin de messe et cette bière qui coule à flots.

« Quel est le sombre crétin qui a eu cette idée idiote de construire un pub sur les flancs d’une église ?… »

Mais les jours sont paisibles à Kilenny… jusqu’à ce qu’un acte criminel commis sur la personne du prêtre ne vienne chambouler l’harmonie des deux communautés vivant dans le village. Ovins et humains sont en perte de repères.

Tout, dans le scénario de Crisse, nous invite à regarder les choses d’un œil neuf. Des animaux dotés du langage, un écureuil en guise de narrateur, un hibou en guise de sage et un prêtre qui, sans prétention, s’avère finalement être le pilier sur lequel s’appuient

Deux intrigues se déplient en parallèle car que ce soient les animaux où les hommes, chacune de ces communautés va chercher à percer le mystère de l’agression du curé. Car il y a forcément un coupable, il y a certainement un complice et sans nul doute quelques témoins. Reste à savoir quels sont les motivations des uns et les raisons qu’ont les autres à se taire. Sans surprise, cet événement exacerbe les haines et nourrit les peurs. Par petites touches, Crisse modifie l’ambiance champêtre en installant un climat tempétueux. L’atmosphère se charge de venin et les différences entre les individus (une divergence d’opinion, une apparence physique dissemblable de la majorité des individus du cru, une habitude de vie atypique…) deviennent des nids à problèmes. Petite satire sociale qui, contre toute attente, m’a piquée de curiosité et m’a mis le sourire aux lèvres. Le propos est aussi pertinent que ludique et l’ouvrage s’avère être une lecture bien agréable. Sans être l’album du siècle, j’ai ressenti un réel plaisir à voir Crisse s’échapper aussi loin des sentiers qu’il emprunte habituellement. On est effectivement bien loin de « Kookaboora » , de « L’Epée de Cristal » ou d’ « Atalante » … bien loin du registre de l’heroïc-fantasy qu’il nourrit depuis des années. Et cela lui réussit plutôt bien !

De son coté, Christian Paty quitte lui aussi ses habitudes de jouer avec les pouvoirs fantastiques, le merveilleux, la quête et l’action… Avec « Le Pré derrière l’Eglise » , il nous montre qu’il a bien plus qu’un coup de pinceau à son arc. Le dessin réaliste et franchouillard, ses couleurs sont pleines de fraicheur et de malice. C’est un régal car graphiquement, on profite aussi bien de trognes indécrottables que de l’humour ironique qui pétille dans chaque détail graphique.

Bref, les deux auteurs se réinventent et je ne regrette absolument pas d’avoir accepté de les lire sur cet album goguenard.

Le Pré derrière l’Eglise / Tome 1/2 : The Pink Clover

Editeur : Soleil

Dessinateur : Christian PATY / Scénariste : CRISSE

Dépôt légal : mars 2021 / 48 pages / 14,50 euros

ISBN : 9782302089402

Les Mystères de Hobtown, tome 2 (Bertin & Forbes)

« L’Affaire des Hommes disparus » est le premier tome de l’univers des « Mystères de Hobtown ». Dans le premier tome, l’intrigue portait sur une succession de disparitions dans la petite ville et l’ouverture d’une enquête. Dana Vance dirige une équipe de cinq enquêteurs dont fait notamment partie Sam Fich, le fils d’un des disparus. Un petit rappel des faits nous accueil dans ce second tome.

Bertin – Forbes © Pow Pow – 2020

Nous nous trouvons à Hobtown, une petite bourgade fictive de Nouvelle-Ecosse. Les fêtes de Noël approchent et le vieil ermite du village a été terrassé par une violente crise de panique. Dans la myriade de témoins présents lors du drame, un petit groupe de cinq amis. Ensemble, ils avaient enquêté sur une affaire de disparitions inquiétantes. L’attitude étrange de l’ermite leur met la puce à l’oreille… est-ce un avant-goût de nouveaux événements tragiques à Hobtown ? Ce n’est qu’une intuition et rien, pour le moment, ne leur permet de savoir par où orienter leurs recherches.

Pour l’heure, les vacances de Noël commencent. Dana, Sam, Pauline, Brennan et Dennis ont des projets. Tandis que Dana doit partir en vacances avec son père, Pauline et Brennan sont quant à eux attendus au camp d’hiver de Knotty Pines, une vieille école dont la renommée n’est plus à faire. Il n’en reste pas moins que Knotty Pines est un lieu sordide et mystérieux. Et si Brennan l’accueil qui leur est réservé conforte Brennan dans son exaltation, Pauline observe des choses pour le moins inquiétantes.

Dans l’univers d’Hobtown, une autre affaire s’ouvre avec ce second opus. Quelques références en littérature jeunesse servent à asseoir les bases de cet univers mais la manière dont l’intrigue se déplie est tout à fait originale… atypique… déroutante.

J’ai tout compris, je n’ai rien maîtrisé. Partagée entre la curiosité de savoir ce que nous réserve la page suivante et un désintérêt manifeste pour l’intrigue… et l’envie de refermer l’album régulièrement. On est tenu par des éléments qui nous échappent, une histoire qui échappe à notre compréhension. Le lecteur est balloté pendant la quasi-totalité de l’histoire par les événements et les multiples rebondissements qui ont lieu. Evidemment, le dénouement nous apporte les réponses que nous attendions. Evidemment, sur la fin, les zones obscures sortent de l’ombre et on peut enfin constater la cohérence de cet immense puzzle angoissant. Je reconnais que le scénario de Kris Bertin nous tient en haleine. Le scénariste ménage le suspense avec brio, mêle aux éléments d’une enquête un peu naïve des éléments surnaturels qui épicent le récit. Le dessin d’Alexander Forbes en revanche me plait moins car je l’ai souvent trouvé grossier. L’ensemble quant à lui se tient ; pour une raison que je n’explique pas (ou peut-être est-ce parce que l’histoire pique notre curiosité), je suis parvenue à lire ce récit de la première lettre à son point final. Pourtant, l’envie d’abandonner la lecture a été omniprésente. Etrange contradiction, étrange ambiance de lecture.

Si j’ai pris un petit moment pour écrire ces propos, ma démarche était avant tout une vaine tentative pour border mes impressions de lecture et tenter de comprendre ce qui m’a gênée dans ce titre, au point de n’avoir eu aucun plaisir à sa lecture. L’envie tenace d’avoir des retours d’autres lecteurs qui auraient lus cet ouvrage est également une des raisons qui m’a conduite à publier cette chronique.

Les Mystères de Hobtown / Tome 2 : L’Ermite maudit

Editeur : Pow Pow

Dessinateur : Alexander FORBES / Scénariste : Kris BERTIN

Traduction : Alexandre FONTAINE ROUSSEAU

Dépôt légal : décembre 2020 / 192 pages / 19 euros

ISBN : 9782924049815

Pendant ce temps (Forshed)

Forshed © L’Agrume – 2020

La vie coule doucement dans ce quartier pavillonnaire de la banlieue stockholmoise. Petite enclave urbaine à l’ambiance familiale, tout le monde a plus ou moins connaissance de la vie des autres habitants du quartier. Aussi, lorsque Odd disparaît du jour au lendemain, cela agite ce petit microcosme. L’événement est commenté avant d’être relayé – quelques temps après – sur les réseaux sociaux. Comment un père de famille peut-il s’évaporer sans laisser aucun mot, aucune trace, alors même qu’il venait d’emménager dans une petite maison ?

Pendant que les recherches pour retrouver Odd vont bon train… les suppositions des uns et des autres galopent. Et la situation n’est pas sans effets sur leurs comportements. L’étrange disparition va les mettre face à leurs inquiétudes, leurs angoisses, leurs regrets… leurs remords.

« Je l’ai pourtant vu suer sang et eau sur les travaux. Il a trimé comme un animal ! Putain, il était là tous les soirs et même parfois la nuit, je crois, à rénover, toujours rénover. Parfois, il me donnait mauvaise conscience de ne pas m’occuper de tout ce qu’il faudrait faire dans notre maison. Quelque part, il était tellement… comme il faut. Les rares fois où j’ai discuté avec lui, il a été aimable et tout, mais il y avait quelque chose dans ce mec qui m’énervait. Même si je trouve qu’il faisait les choses exactement comme on doit : bosser dur sans se plaindre. »

Le dessin naïf de Pelle Forshed m’a d’abord fait prendre ce récit à la légère… du moins dans les premières pages du récit. J’ai pris l’histoire de haut oui… quelques dizaines de pages durant… jusqu’à ce qu’elle m’attrape, me pose… et m’interpelle. Réflexion sur les désirs et les attentes de chacun. Sur les doutes et la perception que chacun peut avoir de l’autre, d’un acte, d’un propos, d’une attitude… Comment chaque individu se situe-t-il par rapport à son semblable, à un proche, un ami, un collègue ? Quels sont les codes sociaux qui édictent ce qui est bien ou ce qui est mal, ce qu’il faut faire ou ce qu’il est préférable de ne pas faire ? Dans quelle mesure agit-on pour faire taire le qu’en-dira-t-on ?

Puis il y a une réflexion profonde sur le couple, son devenir, sa vocation. Qu’est-ce qui fait « couple » ? Qu’est-ce qui fait qu’on peut aimer éperdument une personne puis, quelques années plus tard, buter sur le constat glaçant que le couple dans lequel on est engagé est devenu une coquille vide ? Les centres d’intérêt de chacun ont changé au point que les sentiments se sont étiolés.

« Les sentiments, ça dérègle complètement les êtres humains. »

Questions existentielles et philosophiques plaquées sur le quotidien routinier. Cela fait contraste entre le bouillonnement intellectuel dans lequel les personnages de « Pendant ce temps » sont pris et la fadeur de leurs réalités familiales. C’est étrange de caler sur un décor assez terre-à-terre des questions aussi immatérielles… dans la bouche de ces personnages, elles semblent aussi infécondes que nécessaires. Elles s’apparentes à une lutte de chaque instant, comme une pulsion vitale pour trouver des raisons rationnelles à soi, à ses choix passés/actuels/à venir tout en se demandant si on n’est pas en train… de devenir fou ! Qui d’entre nous n’a pas été confronté à ces périodes de totale remise en question ? Sous ses airs de ne-pas-y-toucher, le récit fait mouche.

« – Alors, de quoi vous avez parlé avec maman ?

– De la beauté de l’insignifiance. »

Etrange atmosphère que Pelle Forshed crée dans cet album. Il y dépose et développe des questions fines et pertinentes et pertinentes sur le couple, l’importante du paraître… sur les répercussions de l’aliénation sociale.

L’album figure dans la Sélection officielle du FIBD 2021.

Pendant ce temps (one shot)

Editeur : L’Agrume

Dessinateur & Scénariste : Pelle FORSHED

Traduction : Aude PASQUIER

Dépôt légal : septembre 2020 / 192 pages / 20 euros

ISBN : 978-2-490975-17-4

Le Voyage d’Aliosha, tome 1 (Tenzin & Berry)

tome 1 – Tenzin – Berry © Nombre7 – 2021

1951.

En ces temps un peu troubles où la Russie est soumise au bon vouloir du Petit Père des Peuples. Le régime de la peur est en place et emprisonne les russes au cœur des frontières de leur pays.

En ces temps propices à la délation, à la censure… aux déportations dans les camps de travail du Régime…

Aliosha est un moscovite de 26 ans. Il vit dans un appartement communautaire avec sa mère et sa grand-mère. La vie est routine, la vie est précaire mais ils ont un toit et l’amour qui les lie fait leur grande force. Un jour pourtant, un membre du Parti vient chercher Aliosha et lui demande de lui donner des noms. Les noms des Juifs avec lesquels il travaille. Ne pouvant se résoudre à la délation, Aliosha décide de fuir.

C’est peut-être le déclic qu’il attendait. Car depuis longtemps, Aliosha étouffe dans sa Russie natale, celle de Staline. Il rêve d’ailleurs, de voyage. Il rêve du Tibet et de pouvoir se consacrer pleinement au bouddhisme, philosophie qu’il a découvert dans les livres qu’il consulte à la bibliothèque. Face aux pressions du Parti, Aliosha décide de hâter son départ. Il regarde alors droit devant lui, en direction de sa nouvelle vie. C’est le début d’un grand voyage.

Il est parfois des rencontres que l’on fait et dont on ne présage pas, sur le moment, les voyages qu’elles nous permettront de faire par la suite. Telle est la nature de ma rencontre avec Hari G. Berry il y a… longtemps. Et puis me voilà aujourd’hui, à lire ce premier opus de la saga d’Aliosha, transportée à travers l’ex-URSS, à dévorer les kilomètres qui séparent Moscou de la Sibérie orientale. A une encablure de la porte qui me permettra de fouler le sol tibétain.  

« Le Voyage d’Aliosha » est un roman d’apprentissage qui nous plonge dans les espaces démesurément grands de la plus grande nation du monde.

Les trois premiers tomes sont actuellement en prévente… deux autres tomes devraient encore voir le jour. Un audiolivre devrait également voir le jour dans quelques temps. Et un CD complète le tout pour permettre d’écouter l’ambiance musicale de l’univers de cette épopée. Il y a pléthore de formats pour nous régaler.

Sur le site consacré à la série, on peut lire sur la page d’accueil une courte présentation du projet : « Vivez une plongée spectaculaire dans l’URSS de Staline, la Chine de Mao et le Tibet du Dalaï Lama. Un roman illustré musical interactif où se mêle roman et Histoire, le Voyage d’Aliosha vous emporte par-delà les frontières, à la rencontre des peuples soviétiques et d’Asie des années 1950. Trois tomes et 80 pages de bonus interactifs accessibles par QRCodes, pour une nouvelle expérience de la lecture. »

Un voyage donc… la quête identitaire du personnage principal se déroule sur un fond historique riche. La lecture est l’occasion d’en apprendre beaucoup sur les us et coutumes soviétiques, de baigner dans la Russie des années 50. De menus détails donne de la consistance au propos, que ce soit un accessoire vestimentaire, décoratifs, la finition d’un motif, d’une sculpture, d’un élément architectural… Portrait d’une époque, d’un contexte socio-historique… Tsémé Tenzin fait revivre sous sa plume l’ambiance d’une époque d’austérité. La lumière vient du cœur même des personnages. L’optimisme du héros donne l’entrain nécessaire au récit et les personnages secondaires réchauffent les pages grâce à leurs personnalités généreuses, leur altruisme, leur bienveillance.

On note tout de même le côté didactique qui surgit régulièrement à l’aide d’apartés dans le récit principal ou, plus généralement, à l’aide de nombreuses notes de bas de pages. Ces « parenthèses » explicatives saccadent le rythme de lecture ; cela m’a mis en difficulté sur le début puis cette tension a disparu. Les QRCodes insérés tout au long du récit nous conduisent à prendre connaissance de l’ampleur du travail de documentation qui a été réalisé pour enrichir le propos. Ils nous font bondir vers un morceau de musique, un article, une recette, une photo… présents sur le site du roman. Cet aspect didactique a certes tendance à diluer le récit et à casser l’action narrative… mais chaque lecteur saura les utiliser en fonction de ses propres envies : à lire sur le moment ou à découvrir une fois le roman terminé (en complément) … toutes les solutions sont possibles.

Les vignettes graphiques d’Hari G. Berry viennent enrichir le texte. Ces belles illustrations en noir et blanc apportent une description visuelle à supplémentaire aux décors, aux contours d’un visage et/ou d’une silhouette, aux ornements d’une isba, aux motifs d’un châle, à l’intérieur d’un magasin… La trame narrative trouve un écho dans son pendant dans ces vignettes aux lignes rondes, joviales et apaisantes. On pourra également les retrouver sur le site (en suivant les QRCodes) où elles apparaissent toutes en couleurs vives, gaies, chaleureuses.

Un roman qui m’emporte loin loin loin des ouvrages vers lesquels je me tourne habituellement. Un ouvrage qui surprend par la richesse de son univers. Une réflexion sur le bonheur, l’épanouissement de soi, les intimes convictions, les voyances… Un voyage au grand air.

Ce projet éditorial a trouvé un éditeur depuis peu. Mais il ne pourra être finalisé qu’à une seule condition : que les autrices rassemblent une cagnotte pour couvrir les premiers frais d’impression des trois premiers tomes. Pour leur donner ce petit coup de pouce, c’est ici !

Le site dédié à l’univers d’Aliosha.

Le Voyage d’Aliosha – De l’URSS au Tibet

Tome 1 : La Révélation (série en cours)

Roman illustré musical

Editeur : Nombre7

Auteur : Tsémé TENZIN

Illustrateur : Hari G. BERRY

Composition musicale : Jean-Marie de SAINTE-MARIE

Dépôt légal : à définir / 230 pages

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