Le Pré derrière l’Eglise (Crisse & Paty)

Crisse – Paty © Soleil Productions – 2021

Irlande, dans les années 1930.

Dans le petit village de Killenny, la vie s’organise autour de l’église. Ou plutôt aux abords car les bancs de messe ne sont plus très fréquentés.

Derrière l’église en revanche, les prêches du prêtre trouvent des fidèles. Car c’est chaque matin que le curé répète son sermon devant une assemblée attentive d’un genre singulier. En effet, le troupeau de moutons qui paît-là paisiblement aime s’abreuver chaque matin des paroles bénites… et se goinfrer des friandises qui sont distribuées consécutivement.

C’est un peu désabusé que le prêtre teste l’effet de ses propos sur un auditoire subjugué bien que doté d’un regard ovin… un regard bien plus brillant que celui de ses paroissiens. Ces derniers gravitent pourtant non loin, dans les parages immédiats de l’église…

Le « Pink Clover » se démarque des autres Pubs puisqu’il est collé au flanc du petit édifice religieux de campagne. Lieu de beuveries hors pair, il dépouille les rangs de messe de ses fidèles et les amènent à flotter dans des brumes éthyliques auxquelles ils cèdent comme au chant des sirènes. Une vieille polémique est entretenue par quelques grenouilles de bénitier qui regardent d’un mauvais œil cette mitoyenneté entre le vin de messe et cette bière qui coule à flots.

« Quel est le sombre crétin qui a eu cette idée idiote de construire un pub sur les flancs d’une église ?… »

Mais les jours sont paisibles à Kilenny… jusqu’à ce qu’un acte criminel commis sur la personne du prêtre ne vienne chambouler l’harmonie des deux communautés vivant dans le village. Ovins et humains sont en perte de repères.

Tout, dans le scénario de Crisse, nous invite à regarder les choses d’un œil neuf. Des animaux dotés du langage, un écureuil en guise de narrateur, un hibou en guise de sage et un prêtre qui, sans prétention, s’avère finalement être le pilier sur lequel s’appuient

Deux intrigues se déplient en parallèle car que ce soient les animaux où les hommes, chacune de ces communautés va chercher à percer le mystère de l’agression du curé. Car il y a forcément un coupable, il y a certainement un complice et sans nul doute quelques témoins. Reste à savoir quels sont les motivations des uns et les raisons qu’ont les autres à se taire. Sans surprise, cet événement exacerbe les haines et nourrit les peurs. Par petites touches, Crisse modifie l’ambiance champêtre en installant un climat tempétueux. L’atmosphère se charge de venin et les différences entre les individus (une divergence d’opinion, une apparence physique dissemblable de la majorité des individus du cru, une habitude de vie atypique…) deviennent des nids à problèmes. Petite satire sociale qui, contre toute attente, m’a piquée de curiosité et m’a mis le sourire aux lèvres. Le propos est aussi pertinent que ludique et l’ouvrage s’avère être une lecture bien agréable. Sans être l’album du siècle, j’ai ressenti un réel plaisir à voir Crisse s’échapper aussi loin des sentiers qu’il emprunte habituellement. On est effectivement bien loin de « Kookaboora » , de « L’Epée de Cristal » ou d’ « Atalante » … bien loin du registre de l’heroïc-fantasy qu’il nourrit depuis des années. Et cela lui réussit plutôt bien !

De son coté, Christian Paty quitte lui aussi ses habitudes de jouer avec les pouvoirs fantastiques, le merveilleux, la quête et l’action… Avec « Le Pré derrière l’Eglise » , il nous montre qu’il a bien plus qu’un coup de pinceau à son arc. Le dessin réaliste et franchouillard, ses couleurs sont pleines de fraicheur et de malice. C’est un régal car graphiquement, on profite aussi bien de trognes indécrottables que de l’humour ironique qui pétille dans chaque détail graphique.

Bref, les deux auteurs se réinventent et je ne regrette absolument pas d’avoir accepté de les lire sur cet album goguenard.

Le Pré derrière l’Eglise / Tome 1/2 : The Pink Clover

Editeur : Soleil

Dessinateur : Christian PATY / Scénariste : CRISSE

Dépôt légal : mars 2021 / 48 pages / 14,50 euros

ISBN : 9782302089402

Peer Gynt, Acte 1 (Carrion)

Acte 1 – Carrion © Soleil Productions – 2021

Peer Gynt est un jeune homme épris de liberté. Au printemps de sa vie, cet épicurien a soif de découvrir la vie et le monde. Il s’amourache aussi vite qu’il se lasse de ses compagnes éphémères. Solveig est la seule à entrer dans son cœur mais Peer est assailli de contradictions ; constatant qu’il ne trouve pas de compromis acceptable entre l’envie d’ici et l’envie d’ailleurs, Peer décide de partir.

Du noir et blanc… pour nous emmener dans ces contrées perdues de la Norvège. Antoine Carrion (dessinateur de « Nils » aux éditions Soleil) adapte ici la pièce de théâtre d’Henrik Ibsen.

Du noir et blanc… pour nous porter dans ce monde entre rêve et réalité… entre métaphores poétiques et matérialité crue de l’existence. Du noir et blanc enfin pour mettre en image cette quête identitaire d’une époque où les mythes et légendes populaires avaient encore la peau dure et faisaient partie intégrante d’un folklore local.

Le scénario est saturé d’éléments et de dialogues qui se croisent. La lecture est un peu saccadée du fait d’une multitudes de personnages secondaires, d’un Peer Gynt tiraillé par ses différents désirs et donc qui tâtonne quant à ses intentions. Les références au passé ainsi qu’à l’héritage familial du héros sont nombreuses et impactent réellement son quotidien… et donc le récit que nous lisons ; nous ne mesurons réellement les tenants et les aboutissants dans un deuxième temps. De fait, j’ai trouvé qu’il était ardu de faire la part des choses entre ce qui est vrai, ce qui est fantasmé et ce qui appartient au registre de la mythomanie. On ne mesure qu’après coup l’importance d’un événement (passé ou actuel) et cela saccade un peu la lecture… Cela m’a souvent rendue perplexe durant la lecture.

Le scénario qui gambade de ci de là, c’est le principal grief que j’aurais à formuler sur cet ouvrage : les intentions narratives sont souvent nébuleuses. Ce n’est pas chose aisée que d’aborder cette histoire qui fourmille d’éléments, de personnages secondaires, de références au passé du héros et à la culture populaire (légendes et mythes norvégiens). J’ai cafouillé pendant une partie de la lecture avant de trouver la bonne distance à avoir avec le récit et parvenir à comprendre ce qui était ironie, mélancolie ou bien encore passion amoureuse. Le personnage principal se cherche, se perd… et nous perd un peu en route.

Peer Gynt est aussi spontané que complexe. Ses penchants pour l’alcool, les femmes, l’humour et le mensonge le malmènent. Il est aussi présomptueux qu’idéaliste, aussi mythomane que pragmatique, aussi exubérant que timide, aussi prévisible que surprenant. A la fois fourbe et courageux, Peer a toutes les qualités et tous les défauts. Qui est-il ? Un doux rêveur, un homme intègre d’une naïveté touchante et d’une lucidité incroyable face à des situations inextricables. Il m’a semblé que le lecteur n’avait d’autres choix que d’observer ce personnage en quête de réponses et d’accepter ses errances et cafouillements.  Après tout, n’est-on pas face à un jeune homme qui cherche des réponses, qui teste ses limites et souhaite tout simplement donner un sens à sa vie plutôt que de suivre une voie que d’autres ont tracée pour lui.

Graphiquement en revanche, je me suis régalée. La mise en images des paysages est sublime. Une excursion onirique au beau milieu de l’album – au pays des trolls et de la nuit – nous saisit et nous interloque, mais c’est finalement ce passage narratif qui nous permet de comprendre ce que le héros est en train d’agir à cette période-charnière de sa vie où il sort du giron familial pour entrer de plein pied dans la vie adulte.

Au final, et à l’instar de Peer Gynt, je me retrouve un peu ambivalente face à ce récit : je suis désireuse de connaître le dénouement de cette épopée identitaire mais incertaine quant au fait d’avoir saisit correctement le personnage ainsi que sa démarche. Mais le sentiment sur le reste après la lecture de ce premier opus est plutôt positif.

Peer Gynt, Acte 1

(Diptyque en cours)

Editeur : Soleil / Collection : Métamorphose

Dessinateur & Scénariste : Antoine CARRION

Adapté de l’œuvre (théâtre) d’Henrik Ibsen

Dépôt légal : février 2021 / 104 pages / 17,95 euros

ISBN : 9782302091368

L’Ours est un écrivain comme les autres (Kokor)

En 2016, les éditions Cambourakis font entrer dans leur catalogue la traduction de « L’Ours est un écrivain comme les autres » de l’auteur américain William Kotzwinkle. Me voilà plongée dans sa lecture. L’ouvrage m’interpelle même si quelques longueurs chatouillent régulièrement mes humeurs en raison de quelques longueurs… Mais le mouvement des personnages me séduit. Ce qui leur arrive m’amuse et la lecture ainsi faite de notre société et de ses dérives est à la fois drôle, cynique, cinglante et pertinente. Cerise sur le gâteau, l’écriture descriptive de Kotzwinkle nous demande peu d’efforts pour imaginer les scènes et les décors. De quoi est-il question ? Voilà, voilà, je vous explique :

Kokor © Futuropolis – 2019

Arthur Bramhall est un américain en quête de reconnaissance. Ce professeur déprime dans sa chaire universitaire. Il a pris un congé sabbatique pour se consacrer pleinement à l’écriture. Il rêve de notoriété et nourrit beaucoup d’espoirs dans un écrit mais ceux-ci partent en fumée lors d’un violent incendie qui détruit sa maison.

« Cette nuit-là un incendie faisait rage dans un vieux chalet. Les flammes indifférentes se nourrissaient maintenant des feuilles d’un manuscrit tout juste achevé. »

Depuis, Arthur a fait reconstruire son chalet avec l’argent qu’il a touché de l’assurance et réécrit son manuscrit. Parvenu à ses fins et satisfait du résultat, il ressent l’envie de fêter l’aboutissement de son travail.

Avant de partir, il place le manuscrit dans une mallette qu’il cache dans la cavité creuse d’un tronc d’arbre. Non loin de là, un ours assiste à la scène. Piqué par la curiosité, et pensant que la mallette contient des pots de miel, l’ours attend le départ de l’écrivain pour s’enquérir du contenu de ce précieux butin. Surpris de tomber nez-à-nez avec le manuscrit d’un roman, le plantigrade réfléchit à toute vitesse ; si les humains aiment lire, c’est que les livres valent de l’argent. Et avec de l’argent, on peut acheter quantité de pots de miel ! Voilà qui est alléchant !! Ni une ni deux, il décide de se rendre à New-York avec son joli magot. En chemin, l’ours ambitieux se crée une identité et c’est sous le nom de Dan Flakes qu’il emprunte malgré lui le chemin qui le mène droit à la célébrité.

« PittoResque ! »

C’est donc un ours gourmand qui prend les rênes du récit. Alléché par l’idée d’accéder à quantité de pots de miel, il entre sans se méfier dans la communauté des hommes. Incapable d’en comprendre les codes, il se laisse porter comme un pantin. Mais il reste naturel et son caractère imprévisible provoque des situations totalement loufoques. Le plantigrade est placide et se montre bien décidé à répondre lui-même à ses envies les plus folles. Tant qu’à la clé, il ait de quoi manger… il a tout pour être heureux.

« Sa voix, on dirait la corne du ferry de Staten Island ! »

L’Ours est un écrivain comme les autres – Kokor © Futuropolis – 2019

Surprenante idée que celle de William Kotzwinkle d’utiliser un ours à la truffe humide, qui roule les « R » comme personne et s’amourache des humains, de leurs maux, de leurs mots… pour singer nos propres défauts et la passivité que l’on a à regarder dériver nos sociétés sous l’influence du capitalisme. Sans aucun complexe pour sa grosse bedaine et son excessive pilosité, cet ours débonnaire va susciter chez nous (lecteurs) de belles émotions, beaucoup de sympathie et l’image d’un personnage réellement rassurant. C’est totalement fou de constater à quel point on est bien à son contact. Pour équilibrer cet excès d’aménité… il y a tout ce qui compose l’environnement du plantigrade.

En toile de fond, l’ambiance opère. Le poids des mots joue un jeu aussi subtil que sournois. Il y a d’abord le fait que chaque personnage secondaire ne voit la vie que par le biais des intérêts qu’il peut en tirer. Puis il y a le reste… Les coups de pub savamment étudié, le jeu des non-dits et celui des journalistes, les soirées de promotion, les stratèges éditoriaux, le placement de produits par la voie des services de presse, des interviews et des plateaux télé… On assiste à la construction insensée d’une idole, d’un mythe, d’une mode. Et tout cela nait de quoi ? De la naïveté désarmante d’un individu. Sa candeur est prise pour du génie… et ce génie emballe les esprits.

« Il faut capitaliser là-dessus »

L’air de rien, Alain Kokor nous embarque sur le fond autant que sur la forme. Dans des tons ocres-sépia, on découvre le parcours de cet ours comme dans un rêve. Le coup de crayon à la fois tendre et espiègle d’Alain Kokor ravit les pupilles et le propos ravit l’esprit. C’est doux et piquant à la fois, à la fois irréel et pourtant bien ancré dans notre société. Alain Kokor a extrait l’essentiel du roman de Kotzwinkle, ce qui fait sens, ce qui rend drôle, ce qui nous tient en haleine et en alerte. Je n’ai rien retrouvé des lourdeurs de ma lecture du roman, j’ai savouré et me suis laissée surprendre une seconde fois par le dénouement. Il n’y a qu’un seul passage [du texte de Kotzwinkle] que je n’ai pas retrouvé mais le cahier graphique inséré en fin d’album vient lever le voile sur cette absence et reprend en substance l’extrait mis au silence.

Sous la plume de l’ami Kokor, je me suis surprise à aimer de nouveau cette Amérique-là, à la fois lobotomisée, formatée et pourtant si gourmande d’accueillir la nouveauté, l’originalité… si capable de nous faire croire qu’à l’impossible nul n’est tenu. Et tandis que le plantigrade flirte avec les étoiles, l’écrivain perdu [Arthur Bramhall] fait le mouvement inverse en revenant peu à peu à l’état de nature [cerise sur le gâteau, on reconnaît en lui les traits d’un personnage qui est familier des amateurs de l’auteur et que l’on côtoie dans « Kady » ou encore dans « Le commun des mortels » ]. La question est entière de savoir laquel de ces deux énergumènes est le plus clairvoyant ? De l’homme ou du plantigrade, qui se fourvoie et qui s’épanouit ?

« Rock and Roll boRdel !! »

 « L’Ours est un écrivain comme les autres » est une succulente fable urbaine et Alain Kokor l’illustre d’une douce folie qui nous enchante.

Le roman est chroniqué ici sur le blog.

Jolie lecture commune avec Sabine et Noukette

et puisque nous somme mercredi, je saute sur l’occasion pour rejoindre les « BD de la semaine » qui se rassemblent aujourd’hui chez Stephie.

L’Ours est un écrivain comme les autres (récit complet)

Editeur : Futuropolis

Dessinateur & Scénariste : Alain KOKOR

Dépôt légal : octobre 2019 / 128 pages / 21 euros

ISBN : 978-2-7548-2426-2

Chroniks Expresss #28

Des restes de novembre…

Bandes dessinées : Le Problèmes avec les Femmes (J. Fleming ; Ed. Dargaud, 2016), Aliénor Mandragore, tome 2 (S. Gauthier & T. Labourot ; Ed. Rue de Sèvres, 2016), Sweet Tooth, volume 2 (J. Lemire ; Urban Comics, 2016).

Romans : Le nouveau Nom (E. Ferrante ; Ed. Gallimard, 2016), Hors d’atteinte ? (E. Carrère ; Ed. Gallimard, 2012), Au sud de nulle part (C. Bukowski ; Ed. Le Livre de poche, 1982), Garden of love (M. Malte ; Ed. Gallimard, 2015), De nos frères blessés (J. Andras ; Ed. Actes Sud, 2016), Le vieux Saltimbanque (J. Harrison ; Ed. Flammarion, 2016).

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Bandes dessinées

 

Fleming © Dargaud – 2016
Fleming © Dargaud – 2016

Une lecture libre du sexisme et de la domination masculine. Le propos est un peu acide et à prendre au second degré. On revisite l’Histoire en se concentrant sur la place de la femme dans la société au travers des siècles. Puisqu’elle n’a pas eu son mot à dire pendant longtemps, nous voilà donc en mesure d’en tirer des conclusions… l’auteur pioche allègrement des morceaux choisis dans des citations d’hommes célèbres.

Comme disait Ruskin : L’intelligence de la femme n’est ni inventive ni créative… Sa grande fonction est la louange

A force d’obstination, on voit comment les femmes sont parvenues à changer les mentalités et à obtenir de (très) petits acquis, comme celui d’étudier.

De temps à autre, une femme apprenait une langue étrangère, partait étudier à l’étranger et revenait avec un diplôme de médecin, mais tout ça ne prouvait rien excepté que laisser les femmes sortir à leur guise, ça ne fait que des problèmes

Un humour « so british », pince-sans-rire, qui revisite l’histoire de la femme et l’évolution de sa place dans la société. Quelques figures célèbres sont mentionnées à titre d’exemples farfelus : ainsi, l’expérience d’Anne-Marie de Schurman vient corroborer le fait que les études accélèrent la chute des cheveux des femmes. Les références faites à d’illustres figures féminines sont souvent atypiques [tel est le cas d’Eliza Grier (première femme noire qui a obtenu du diplôme de médecin), de la mathématicienne Emmy Noether ou d’Annie Oakley célèbre pour sa précision au tir…] et renforce le ton burlesque du récit. L’auteur y associe un dessin un peu brut, austère et un univers visiblement ancré dans le XVIIIème siècle [vu le « look » des personnages], s’aidant ainsi du côté dépouillé des illustrations pour renforcer le comique de situation. C’est cinglant voire cynique.

En 1896, un homme nommé baron de Coubertin remit les Jeux Olympiques au goût du jour. Vous avez probablement entendu parler de lui à l’école. C’était un génie. Il disait que le spectacle de femmes essayant de jouer à la balle serait abject, mais qu’elles paraissaient plus naturelles si elles applaudissaient.

Jacky Fleming épluche au burin les clichés et se moque des différents arguments qui – pendant plusieurs siècles – ont relégué la femme à un rôle bassement domestique. Réalisé par une femme, cet album prête à sourire. Détente garantie.

La fiche de présentation de l’album sur le site de l’éditeur.

 

Gauthier – Labourot © Rue de Sèvre – 2016
Gauthier – Labourot © Rue de Sèvre – 2016

« Rien ne va plus à Brocéliande : les grenouilles s’agitent, annonciatrices d’une catastrophe, Merlin est toujours fantôme et ne veut pas revenir à la vie, tandis Aliénor, effrayée, ne cesse de voir l’Ankou… quand revient Viviane, la fée du Lac. Elle délivre à Lancelot et Aliénor une mystérieuse prophétie, qui va les guider sur les traces de l’Ankou, loin de la forêt. » (synopsis éditeur).

Après un petit rappel des faits du tome précédent, on repart de plus belle dans cette aventure loufoque. Séverine Gauthier explore la légende de Merlin l’Enchanteur en y apportant une touche de dingueries. Les personnages ne se prennent pas au sérieux et leurs répliques cinglantes sont pleines d’humour. Aliénor est entièrement consacrée à sa quête (re-redonner vie à Merlin) et embarque tout le monde dans son périple. Ce que Séverine Gauthier a fait de ces personnages mythiques vaut le détour. Lancelot est un enfant peureux, la fée Viviane est une godiche, la fée Morgane est détestablement autoritaire et refuse d’avouer qu’elle a un faible pour l’acariâtre et têtu Merlin.

Le travail de Thomas Labourot nous invite à nous installer dans cet univers ludique. Couleurs lumineuses, trognes expressives, gros plans pour ne pas perdre une miette de l’action.

PictoOKChouette adaptation de la légende du roi Arthur qui d’ailleurs, pour le moment, est le grand absent de cette série jeunesse. L’ouvrage se termine par un petit fascicule de six pages et nommé « L’Echo de Brocéliande » qui contient des billes supplémentaires pour mieux connaître le monde d’Aliénor.

La chronique de Jérôme.

 

Lemire © Urban comics – 2016
Lemire © Urban comics – 2016

« La fin du monde n’était que le début d’un long voyage pour le jeune Gus, désormais conscient que le sang qui coule dans ses veines pourrait bien être la clé d’un futur possible pour l’Humanité. Maintenu en détention par une milice armée et sans pitié, le jeune garçon devra compter sur l’aide d’un Jepperd avide de vengeance. Ce dernier saura-t-il s’associer aux bonnes personnes ? Car une fois libérées, certaines forces peuvent rapidement devenir incontrôlables » (synopsis éditeur).

Alors que le premier volume de la série prenait le temps d’installer intrigue et personnages de cet univers post-apocalyptique et nous laissait incertains quant aux chances de survie des différents protagonistes, ce second volume ose un rebondissement inespéré et relance ainsi l’épopée. Pour rappel : il y a 8 ans, un nouveau virus se propage. Rapidement, aux quatre coins du globe, les gens meurent dans d’atroces souffrances. Consécutivement à cela, les femmes enceintes mettent au monde des enfants mutants, mi-hommes mi-animaux, qui – pour une raison inexpliquée – semblent immunisés contre la maladie. Un homme décide alors de mettre en place un camp qu’il présente comme un lieu où les survivants peuvent vivre en toute sécurité ; sa milice veille à leur sécurité. La réalité est toute autre puisqu’une fois arrivés sur place, les malheureux sont violentés, parqués dans des cages et utilisés comme cobaye pour les recherches du Docteur Singh qui espère ainsi trouver un vaccin contre le fléau qui décime l’humanité. C’est dans ce camp de l’horreur que la femme de Jepperd meurt en même temps que l’enfant qu’elle portait et c’est dans ce même camp que Jepperd livre Gus – l’enfant-cerf – monnaie d’échange qui lui permet de récupérer le corps de sa compagne. Mais pris de remords, Jepperd mettra tous les moyens en œuvre pour sortir Gus de ce tombeau à ciel ouvert.

Jeff Lemire imagine un scénario catastrophe. Ce récit d’anticipation, post-apocalyptique, nous permet de côtoyer des personnages troublants. Leur fragilité est réelle face à un quotidien qui les dépasse. Ils luttent à chaque instant pour leur survie. Ils hésitent, se méfient, doutent puis finalement acceptent de faire confiance à l’inconnu qui leur tend la main, espérant ainsi profiter d’une aubaine, espérant que la chance tourne… enfin.

Le scénariste crée un monde sans pitié, cruel, où toutes les déviances humaines sont à l’œuvre. Des communautés sauvages se constituent et créent leurs propres lois. La terre est devenue une jungle où le danger est partout. L’homme solitaire est une proie, une cible sur laquelle on peut se défouler. Les fanatiques, les hommes peu scrupuleux et avides de pouvoir ont là un terrain de jeu inespéré. Il n’y a plus de limite qui vient contenir leur folie ; ils prennent ainsi le dessus sur les plus faibles, les manipulent, deviennent les rois de micro-territoires sordides.

Dans ce contexte, un groupe hétérogène se forme. En son sein, quatre adultes, une adolescente et trois enfants mutants. Ensemble, ils vont tenter de rejoindre l’Alaska ; le virus aurait été créé là-bas, dans un laboratoire. Sur place, le groupe devrait trouver la solution pour l’éradiquer ainsi que les réponses quant aux origines de Gus. Une promesse à laquelle ils se raccrochent. Ils s’engagent à corps perdue dans cette quête insensée.

PictoOKUn moyen de revisiter l’Histoire de l’Humanité grâce à la métaphore, une manière d’imaginer un scénario catastrophe, une opportunité de réfléchir aux fondements de différentes croyances. La présence de visions et de prémonitions qui viennent saupoudrer le tout d’un soupçon de paranormal. Tout est inventé mais Jeff Lemire exploite si bien les émotions et les peurs de ses personnages que l’on fait cette lecture la peur au ventre, pris dans les mailles du récit. Je vous invite vraiment à découvrir cette série si ce n’est pas déjà fait.

La chronique de José Maniette.

 

Romans

 

Ferrante © Gallimard – 2016
Ferrante © Gallimard – 2016

« Naples, années soixante. Le soir de son mariage, Lila comprend que son mari Stefano l’a trahie en s’associant aux frères Solara, les camorristes qui règnent sur le quartier et qu’elle déteste depuis son plus jeune âge. Pour Lila Cerullo, née pauvre et devenue riche en épousant l’épicier, c’est le début d’une période trouble : elle méprise son époux, refuse qu’il la touche, mais est obligée de céder. Elle travaille désormais dans la nouvelle boutique de sa belle-famille, tandis que Stefano inaugure un magasin de chaussures de la marque Cerullo en partenariat avec les Solara. De son côté, son amie Elena Greco, la narratrice, poursuit ses études au lycée et est éperdument amoureuse de Nino Sarratore, qu’elle connaît depuis l’enfance et qui fréquente à présent l’université. Quand l’été arrive, les deux amies partent pour Ischia avec la mère et la belle-sœur de Lila, car l’air de la mer doit l’aider à prendre des forces afin de donner un fils à Stefano. La famille Sarratore est également en vacances à Ischia et bientôt Lila et Elena revoient Nino. » (synopsis éditeur)

Suite de « L’Amie prodigieuse » (vous trouverez également la chronique de Framboise ici), ce nouveau roman d’Elena Ferrante continue le récit de vie d’Elena Greco. Si le premier opus s’attardait sur l’enfance du personnage et sur son amitié si particulière et si précieuse avec Lila Cerullo, nous nous arrêtons cette fois sur la période qui couvre la fin de l’adolescence et l’entrée dans l’âge adulte. L’auteur raconte, sur le ton de la confidence et du journal intime, le parcours de vie des deux protagonistes. Depuis le début de la saga, la romancière montre à quel point ces deux destinées sont intimement liées, comme si l’une ne pouvait vivre sans l’autre et réciproquement. Passée la polémique qui, pendant le mois de septembre 2016, a révélé le vrai nom de l’écrivain – puisque « Elena Ferrante » est un nom de plume – je ne peux m’empêcher de penser que cette saga est signée du nom du personnage principal et que va surgir, tôt ou tard, un certain Monsieur Ferrante qui demandera Elena Greco en mariage. J’avais déjà cette idée lorsque j’ai découvert « L’Amie prodigieuse » et l’idée a pris racine.

PictoOKReste que, face à ce récit, on est fasciné, comme aspiré par le tourbillon des événements qui viennent perturber la tranquillité à laquelle les deux femmes aspirent pourtant. Au-delà de ces portraits féminins, c’est aussi un superbe tableau de la société italienne des années 1960. Mafia, corruption, pauvreté, cercles estudiantins, classes sociales… « Celle qui fuit et celle qui reste », le troisième roman de cette saga, devrait paraître chez Gallimard en janvier 2017. J’ai hâte !

 

Hors d’atteinte ? –

Carrère © Gallimard – 2012
Carrère © Gallimard – 2012

L’ouvrage commence par une soirée qui s’annonce d’avance catastrophique. Frédérique, une enseignante, et Jean-Pierre, le père de son fils dont elle est séparée, ont prévu d’aller voir un film. La baby-sitter arrivant en avance, la réservation d’un taxi s’annonçant plus ardue que prévu, la file d’attente interminable devant le cinéma… Frédérique constate avec amertume qu’elle préférerait être n’importe où… mais ailleurs… et pas avec son ex.

Pas moins de cinq chapitres seront nécessaires pour décrire cette looongue soirée entre deux anciens conjoints. J’avoue, j’ai sauté des paragraphes mais je n’ai pas raté l’information nous précisant qu’ils passeront les prochaines vacances de la Toussaint chez la sœur de madame. Quoi qu’il en soit, on repère les éléments à avoir à l’esprit : elle n’a plus de sentiment pour lui voire il l’agace quant à lui, il est chiant mais bienveillant à l’égard de son ex-compagne. Et pour des parents séparés, ils passent tout de même pas mal de temps ensemble.

« Ne vivant plus ensemble, ils n’avaient pas pour autant renoncé à ce qu’ils estimaient être devenu, l’orage de la rupture passé, une satisfaisante et durable amitié amoureuse »… vous m’en direz tant !

Sautons encore quelques insipides chapitres (consacré à la description du quotidien morose et routinier de madame) pour en arriver à ces fameuses vacances d’automne, chez la riche sœur de madame. Cette dernière étant enceinte, Emmanuel Carrère ne nous épargnera ni la sempiternelle discussion sur le choix du prénom de l’enfant à venir ni les clichés sur tel ou tel prénom. Au chapitre 8, on arrive enfin au cœur du sujet : les protagonistes (Frédérique et son ex, la sœur de Frédérique et son mari) se rendent au casino durant une balade. Et là, le démon du jeu attrape cette femme, la réchauffe, l’anime bref… ramène à la vie cette femme sans saveur. Passés ces préliminaires (une soixantaine de pages), le récit commence effectivement. On sent que les présentations sont terminées et l’on se concentre davantage sur cette femme plutôt que sur ce qui l’entoure. Observer, écouter, ressentir, sentir l’adrénaline monter… voilà que la plume du romancier vibre enfin. On sent les émotions, les hésitations, la griserie, la liberté…

Une sorte d’anonymat lui semblait protéger les hôtes du casino, brouiller les procédures familières d’identification et de classement. On n’était plus personne devant le tapis vert, plus qu’un joueur en possession d’un certain nombre de jetons.

On sent l’exaltation et le pouvoir d’attraction de la table de jeu. La roulette et la course fascinante de la boule sur le cylindre. On sent l’obstination à ne pas regarder la réalité en face.

Le brouhaha (…) de la salle de jeu, manquait soudain à Frédérique. Elle se sentait grise, la tête chaude, dans un de ces états d’excitation et de lassitude mêlées dont on serait en peine de décider s’ils sont agréables ou pénibles.

Le jeu et son univers particulier, ses codes, ses manies, son jargon. Le jeu qui envahit progressivement tous les champs de la vie de Frédérique, comme une pensée qui l’obnubile.

La buée de leurs paroles formait devant eux comme des bulles de bande dessinée où se seraient inscrits des souvenirs de parolis retentissants

PictomouiReste la présence de quelques paragraphes intermédiaires nous ramenant brutalement au quotidien, dont on peut déplorer la (relative) longueur et le contenu parfois assez fade. Mais Emmanuel Carrère resserre de plus en plus sur son sujet à mesure que l’on s’approche du dénouement. L’héroïne s’en remet totalement à la chance, se laisse porter. La tête lui tourne. Martingale, Manque, rouge, noir, impaire, Passe… tout ce charivari de stimuli provoqués par le jeu convergent vers un unique fantasme : l’appât du gain. L’observation de l’addiction au jeu est intéressante à observer. La fin en revanche est trop convenue comparée aux frasques et aux déboires décris par l’intrigue.

 

Bukowski © Le Livre de poche – 1982
Bukowski © Le Livre de poche – 1982

Recueil de nouvelles, où l’on découvre notamment un jeune étudiant américain qui défend les idées nazies sans juger bon de s’intéresser un tant soit peu aux idées qu’elle véhicule, une femme qui répond à une annonce matrimoniale placardée sur la porte d’une voiture, des lilliputiens lubriques, une cette idylle entre une occidentale et un cannibale… et ce fil rouge incarné par Henry Chinaski, double & alter-égo voire incarnation même de Charles Bukowski. Chinaski, personnage récurrent des oeuvres de l’auteur, Chinaski qui incarne ses fantasmes, ses doutes, ses faiblesses, sa part d’ombre…

Un roman dans lequel j’ai butiné, au début, parvenant difficilement à me poser dans un récit, le ton adéquat de chaque nouvelle toujours trop bon mais toujours trop court… désagréable sensation que l’on me retire le pain de la bouche. Je sais pourtant parfaitement bien que ce format ne me convient absolument pas, mais s’agissant d’une œuvre de Charles Bukowski, je me refusais d’abandonner. Puis, le déclic, à force d’insister.

On est en tête-à-tête avec Charles Bukowski ou plutôt, avec son double de papier, son jumeau : Henry Chinaski.  Projection de lui-même, alter égo…  La plume incisive et directe de l’auteur, les ambiances qu’il parvient à installer en quelques mots, les maux qu’il instille au cœur des mots, son regard à la fois courroucé et attentif le conduit à construire des personnages désabusés, à vif… des hommes et des femmes désabusés qui tentent de donner un sens à leur vie.

PictoOKOn y retrouve les sujets de prédilections et des affinités que l’auteur utilise pour donner vie à ses personnages. L’alcool, le jeu, la précarité, le sexe, la haine, le nazisme. Le style de Bukowski est direct, son écriture vient des tripes, elle peut être vulgaire. On sent le stupre, les vapeurs d’alcool et les relents de tabac froid mais aussi la peur, la rage, l’abandon. Fort.

Extrait :

« (…) fallait être un gagnant en Amérique, y’avait pas d’autre moyen de s’en sortir, fallait apprendre à se battre pour rien, sans poser de question » (Charles Bukowski dans « Confessions d’un homme assez fou pour vivre avec les bêtes »)

 

Malte © Gallimard – 2015
Malte © Gallimard – 2015

« Il est des jardins vers lesquels, inexorablement, nos pas nous ramènent et dont les allées s’entrecroisent comme autant de possibles destins. À chaque carrefour se dressent des ombres terrifiantes : est-ce l’amour de ce côté ? Est-ce la folie qui nous guette ? Alexandre Astrid, flic sombre terré dans ses souvenirs, voit sa vie basculer lorsqu’il reçoit un manuscrit anonyme dévoilant des secrets qu’il croyait être le seul à connaître. Qui le force à décrocher les ombres pendues aux branches de son passé ? Qui s’est permis de lui tendre ce piège ? Autant de questions qui le poussent en de terrifiants jardins où les roses et les ronces, inextricablement, s’entremêlent et dont le gardien a la beauté du diable… » (synopsis éditeur).

Un roman qui demande un peu de concentration puisque différents récits se chevauchent, tantôt ancrés dans le présent, tantôt ancrés dans le passé. Charge au lecteur de remettre les éléments à la bonne place.

Un roman prenant, où l’on s’engouffre dans l’intrigue et on se laisse prendre à la gorge par le suspense. On suppose, on croit deviner le dénouement… du moins c’est ce que Marcus Malte nous laisse miroiter.

PictoOKMeurtres, fantasmes, amitié, manipulation, folie et deuil… Tout s’imbrique tellement bien, tout se tient, toute est certitude fragile, tout est mis en balance. L’extrait d’un poème de William Blake revient régulièrement dans cette intrigue, laissant planer l’image d’un cimetière, de la mort qui rôde, de l’assassin qui veille sur sa victime et s’assure qu’il la tient entre ses serres de prédateurs.

Je n’en dirai pas plus. Rien de sert de dévoiler l’intrigue si vous n’avez pas lu ce roman.

 

De nos frères blessés –

Andras © Actes Sud – 2016
Andras © Actes Sud – 2016

« Alger, 1956. Fernand Iveton a trente ans quand il pose une bombe dans son usine. Ouvrier indépendantiste, il a choisi un local à l’écart des ateliers pour cet acte symbolique : il s’agit de marquer les esprits, pas les corps. Il est arrêté avant que l’engin n’explose, n’a tué ni blessé personne, n’est coupable que d’une intention de sabotage, le voilà pourtant condamné à la peine capitale. » (extrait synopsis éditeur).

Un roman très prenant qui revient sur les dernières semaines de vie de Fernand Iveton. Joseph Andras a choisi de donner la parole à Fernand. Deux temps de narration pour ce récit, deux périodes. Au cœur du témoignage, Fernand : le narrateur.

Le personnage parle du présent, de ce qu’il vit depuis l’arrestation : sa garde à vue et les sévices qu’il a subit, la torture pour lui faire avouer son acte, lui extirper les noms de ses collaborateurs, le chantage puis l’incarcération. Une procédure judiciaire qui piétine, qui hésite, qui divise l’opinion publique comme les magistrats. Mais les ordres viennent de très haut. Ils viennent de France. Le verdict tombe le 21 novembre 1956. La peine de mort est demandée. Fernand espère être gracié. René Coty suit le dossier de près.

Le personnage parle du passé. Une vie qui semble commencer avec la rencontre avec Hélène. Coup de foudre. Elle deviendra sa femme.

Deux vies pour un homme : celle de détenu. Certains le traiteront de terroriste. D’autres acclameront le camarade idéal, dévoué à la cause du Parti, intègre, fiable.  L’autre vie, c’est sa vie d’homme, d’ami et de mari.

Joseph Andras alterne ces deux temps, ces deux chronologies. L’une grave l’autre pleine de vie. L’une porteuse d’espoir l’autre limitée à l’espace d’une cellule. Il montre comment Iveton a été utilisé par le pouvoir en place. Son arrestation est tombée en pleine période de troubles (règlements de compte, assassinats, guerre en Algérie, action du FLN…). La tension. Iveton sert d’exemple. Le gouvernement français veut rétablir l’ordre.

Un chapitre dans le présent, la prison et les compagnons de cellule. Un chapitre dans le passé et la relation avec Hélène qui s’installe. Passé, présent. Une alternance. Prison, sentiments. La régularité.

PictoOKOn rage. On rit. On est sidéré. On est emporté. Une alternance. Prison, sentiments. On s’attendrit, on baisse la garde malgré la fin inévitable. Malgré l’inévitable fin. Celle que l’on connait. Il faut forcer un peu pour trouver le bon rythme de lecture, trouver la bonne intonation à mettre sur la voix du narrateur. Une fois qu’on est réglé sur la bonne fréquence, il est difficile de lâcher l’ouvrage.

La chronique de Framboise.

 

Harrison © Flammarion – 2016
Harrison © Flammarion – 2016

« Dans l’avant-propos de ce dernier livre publié début mars 2016 aux états-Unis, moins d’un mois avant sa mort, Jim Harrison explique qu’il a décidé de poursuivre l’écriture de ses mémoires sous la forme d’une fiction à la troisième personne afin d’échapper à l’illusion de réalité propre à l’autobiographie.
Souvenirs d’enfance, mariage, amours et amitiés, pulsions sexuelles et pulsions de vie passées au crible du grand âge, célébration des plaisirs de la table, alcools et paradis artificiels, Jim Harrison, par la voix d’un écrivain en mal d’inspiration, revient sur les épisodes les plus saillants de sa vie. » (synopsis éditeur).

Appâtée par la chronique de Jérôme, il me tardait de lire ce roman-témoignage. Jim Harrison regarde dans le rétroviseur et fait le bilan de sa vie… en quelque sorte. L’écriture à la troisième personne passe à la première sans qu’on s’en aperçoive. Récit d’un grand auteur qui n’a jamais réellement compris son talent, encore moins ce que les gens pouvaient trouver à ses livres. Son lectorat, il l’a trouvé en France, à son grand étonnement.

Il parle de sa vie de tous les jours, de sa femme, de la relation qu’il a avec sa femme, de ses travers, de l’alcool, de son enfance, de ses cochons (il parle plus de ses cochons qu’il ne parle de ses filles). Il parle de son œil aveugle, des vaines tentatives pour le réparer. Il parle de son rapport à l’écriture, à la nature, aux femmes. De son penchant pour l’alcool, la bonne bouffe, le luxe, les excès. Il a écrit ce livre puis pfuuuutttt, il est décédé. Point final. Un mois, tout au plus, sépare ces deux moments. Un témoignage où il se livre sans fard et sans apparats. Un ton direct, un regard lucide, une autocritique cinglante ; il ne rate aucun de ses défauts… lucide… cynique… drôle.

Un livre assez court vu son parcours. Des mémoires. Un livre dévoré… la première moitié du moins. Puis la lassitude. L’intérêt s’est évaporé doucement. J’ai commencé à m’ennuyer un peu… puis plus fermement sur les deux derniers chapitres.

Zaï Zaï Zaï Zaï (Fabcaro)

Fabcaro © 6 Pieds sous terre – 2015
Fabcaro © 6 Pieds sous terre – 2015

Dans un supermarché, de nos jours.

Un homme a commis l’irréparable : un oubli de carte de fidélité dans un autre pantalon !! Ni une ni deux, le vigile est sur place pour interpeler le malfrat…

Ce dernier, auteur de bande dessinée et prénommé Fabrice de surcroît, se sent acculé. Perdant la raison, il saisit un poireau pour se défendre. Jamais il n’avait commis un tel méfait. Puis, cédant à la panique, il fuit le lieu de son délit.

C’est le début d’une longue cavale.

Zaï zaï zaï zaï – Fabcaro © 6 Pieds sous terre – 2015
Zaï zaï zaï zaï – Fabcaro © 6 Pieds sous terre – 2015

« Zaï Zaï Zaï Zaï – Un road movie de Fabcaro« … le titre est prometteur ! D’autant plus quand on connait un peu le terrain de jeu de l’auteur. J’ai encore en tête le plaisir que j’avais eu à lire « Carnet du Pérou« … le plaisir que j’avais eu à me faire berner en tout cas.

Dans ce nouvel album, Fabcaro se met de nouveau en scène et se lance dans une folle cavale. Critique acerbe (mais amusée) du système capitaliste, Fabcaro illustre les travers de nos sociétés. En tournant à la dérision des habitudes [de consommations] anodines, il invente une chasse à l’homme d’un nouveau genre. Il n’hésite pas à sortir l’artillerie lourde pour un délit absurde (un oubli de carte de fidélité). Immédiatement, journalistes et forces de l’ordre sont sur ses talons.

L’humour potache ne quitte pas l’album d’une semelle bien que le regard que porte l’auteur sur les travers de la société de consommation fait mouche. Fabcaro construit une histoire extravagante qui accumule des petits riens quotidiens, des phrases & réflexions jetées en l’air comme celles entendues à la terrasse d’un café ou dans les transports en commun. Il n’hésite pas à prendre le contre-pied de tout ce qui est du bon sens et surprend le lecteur à chaque page.

Zaï zaï zaï zaï – Fabcaro © 6 Pieds sous terre – 2015
Zaï zaï zaï zaï – Fabcaro © 6 Pieds sous terre – 2015

Son scénario se construit grâce à une myriade de personnages. Pour la plupart, ils ne feront qu’une brève apparition. D’autres, plus chanceux (quoi que) auront l’opportunité d’intervenir plusieurs fois dans ce tohu-bohu de personnages secondaires. L’ambiance graphique est en apparence sobre et « sage » ; en effet, la majeure partie des planches se structure autour d’une grille découpée en trois bandes (de deux cases chacune). On pourrait penser que l’ensemble manque de rythme pourtant, chaque planche se consacre à un point de vue / un personnage. Ainsi, à chaque page, nous découvrons un nouveau protagoniste qui est ou non en lien direct avec l’intrigue principale. De fait, nous disposons d’un large panel d’opinion sur le fait divers qui nous intéresse, de la ménagère de moins de cinquante ans au voisin direct du délinquant, de l’homme politique qui fait ses choux gras de l’affaire au flic qui saisit la première occasion pour refiler la patate chaude à un collègue d’un autre département…

PictoOKJe ne vous en dis pas plus sur cet album déjanté mais ô combien engagé. Dans ce récit choral, l’auteur réalise une énorme partie de paintball où il tire à boulets rouges sur tout ce qui bouge (système judiciaire, système politique, médiatique, capitaliste, consumériste…). On rit, on s’ébahit de voir que la boutade ou le pied-de-nez (au choix) est bien trouvée, à la fois fine et brute de décoffrage… et tout ça sur environ 70 pages de bonheur.

A lire de toute urgence.

La chronique de PaKa, Bedepolar et Pierre Darracq.

La BD de la semaine, c’est chez Stephie !

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Zaï Zaï Zaï Zaï

One shot

Editeur : 6 Pieds sous terre

Collection : Monotrème

Dessinateur / Scénariste : FABCARO

Dépôt légal : avril 2015

ISBN : 978-2-35212-116-9

Bulles bulles bulles…

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Zaï zaï zaï zaï – Fabcaro © 6 Pieds sous terre – 2015

Bumf, volume 1 (Sacco)

Sacco © Futuropolis - 2015
Sacco © Futuropolis – 2015

Grosso modo, à l’origine, il n’y avait rien que de la matière volatile et Dieu est arrivé ; il créa la Terre et ses différentes formes de vie. La suite de l’histoire, on la connaît, le jardin d’Eden, l’harmonie et puis… le début d’un laisser-aller – aux prétextes d’une plus grande liberté et de l’acquisition d’un certain confort de vie – où l’humanité a fait siennes des notions telles que la dépravation, l’hypocrisie, la cupidité… A bien y regarder – et en observant nos conditions de vie actuelle – on se demande à partir de quand ce fichu grain de sable s’est glissé dans le mécanisme bien huilé de la création (et tout ne peut pas s’expliquer par le fait qu’on ait croqué dans une pomme), pourquoi les voix qui s’élèvent contre ces dérives n’ont pas permis que l’on réagisse… et de quelles autres dérives peut-on bien être encore capable avant que la machine ne s’enraye définitivement ? Le problème avec cet album, c’est que Joe Sacco en imagine quelques-unes et malgré leur absurdité, elles ne semblent pas impossibles…

Quand allons-nous réagir ?

« Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre. Or, la terre était informe, et vide ; les ténèbres couvraient l’abîme. Et l’Esprit de Dieu planait au-dessus des eaux. Et Dieu dit alors : que la lumière soit … Des millénaires plus tard, nous devons constater que cela a sacrément dérapé : pollution, violence, pauvreté, corruption… C’est dans ce contexte particulier que le capitaine d’aviation Joe Sacco, de l’escadron 6147, est amené à bombarder Téhéran. Heureusement, son identité d’auteur de roman graphique est révélée et il redevient simple soldat, assistant d’un colonel moustachu et bedonnant qui, pour en découdre avec l’ennemi teuton, a décidé de « baiser le kaiser » et ses hommes ; Par conséquent, il vit nu, prêt à donner de sa personne ! Bumf nous ramène donc au début de la carrière de Sacco, à l’époque où il était dessinateur humoristique d’avant-garde » (extrait du synopsis de l’éditeur).

Le lecteur va être amené à plonger dans un univers déjanté où les périodes de l’Histoire se mélangent. Ainsi, on voit évoluer des personnages directement sorti de l’époque de la Seconde Guerre Mondiale (fringues, avions, décors…) alors même que Nixon et les technologies existantes durant son mandat présidentiel… ainsi que les gadgets fonctionnels de notre temps (un caissier scanne les codes-barres d’articles, les ordinateurs portables pullulent sur les tables de réunions…). Dans ce fatras temporel, la mise en abyme de l’auteur [dans cet album] nous invite à le cueillir au moment-même où il reçoit les directives pour une nouvelle mission dont la cible est Téhéran. Affublé du grade de Colonel de l’armée de l’air U.S., il a tôt fait de corriger cette bévue en rappelant qu’il est auteur de bande dessinée. Cela dit, le quiproquo lui a tout de même permis de côtoyer un haut gradé qui ressemble étrangement à Clémenceau (le monocle en plus).

On est ainsi poussé dans un ailleurs, à la fois passé où l’on se fait assaillir par une succession étourdissante de propos qui montrent la guerre et ses absurdités et où le scandale du Watergate transpire à chaque page sans jamais être explicitement nommé. Durant la lecture, on ne manquera pas de repenser à la situation explosive du Moyen-Orient et aux enquêtes sur les écoutes téléphoniques (franco-françaises, révélations de Snowden). On est aussi dans un futur proche puisque cette configuration politico-économique est à la fois inconnue et surannée, du fait du caractère absurde des forces en présence et de l’attitude des protagonistes. Et puis il y a là quelque chose de très archaïque dans le rapport au corps et le recourt à une sexualité bestiale réduisant l’homme à tout ce qu’il a de plus primaire. On ressent une accentuation des tensions, un rapprochement douteux entre les médias et les politiques, la validation de textes de lois incohérents… L’auteur s’amuse, cinglant et cynique. Le ton est à l’humour mais les vérités qui sont tapies dans ses propos ne leurrent pas sur sa motivation à dénoncer les dysfonctionnements d’un système planétaire où les enjeux semblent parfois ne tenir qu’à une habile prouesse d’équilibriste.

Joe Sacco (Gaza 1956, Palestine, Gorazde…) nous offre donc un récit intemporel, qui raconte à la fois les déboires de l’histoire et anticipe sur d’hypothétiques dérives. Le ton sarcastique et satirique du récit tord à l’extrême les vices et actes malveillants des hommes politiques, des sociétés secrètes et autres entités obscures. Il s’amuse avec les concepts de dépravation, de perversité et de fantasmes qui conduisent à des pratiques parfois obscènes, parfois dégradantes… et auxquelles certains individus peuvent avoir recours à contrecœur mais non sans ressentir (peut-être) une certaine jouissance dans la réalisation de certains gestes. Une jouissance écœurante à laquelle on peut (parfois aussi) devenir dépendant.

Bumf. Un titre obscur qui pourrait compléter le registre des onomatopées. Un titre qui trouve peut-être son socle dans le mot anglais « bum » (et que l’on pourrait traduire par clochard). L’image du clochard à laquelle on associe trop souvent un manque d’hygiène flagrant, une tendance à la dépravation et au laisser-aller. Une image qui colle parfaitement à la manière dont Sacco représente ce monde décadent : une décharge à ciel ouvert où tout est sale et vicié. Des hommes semblables à des automates, dépourvus de libre-arbitre. Outre ce regard accusateur sur le monde politique, Joe Sacco dénonce également la docilité des « petits peuples » à se plier aux exigences de leurs élus. Les prises de conscience sont si ténues et si fragile qu’elles risquent à chaque moment d’être dispersées à tout vent. Il est ici question d’une humanité qui se meure, d’intérêts individuels qui étouffent toute notion de solidarité, de citoyens qui perdent tout sens des valeurs face à un système politico-économico-juridique qui les écrase comme des fourmis. L’appât du gain a cette vertu de pouvoir inciter l’individu à renoncer à des principes forts : intégrité, franchise… Le plaisir de faire a laissé place à la cupidité. L’aspect vénal des choses est ici poussé à son paroxysme. Joe Sacco n’hésite d’ailleurs pas à se remettre lui-même en question et à montrer les effets pervers de ce qu’il avance. Une invitation officielle du Président, quelque courbettes destinées à le brosser dans le sens du poil et voilà notre auteur-narrateur qui perd son âme – et sa raison – en se mettant au service de la propagande et en devenant ainsi un outil du système gouvernemental, répandant des rumeurs infondées et élaborant des ouvrages qui vantent les éloges de cette hypocrisie à l’échelle planétaire.

Dans Bumf, le personnage de Nixon nous marque de par la manière qu’il a d’œuvrer dans les couloirs de la Maison blanche. Il est décrit comme un grand marionnettiste aux allures d’adolescent attardé (mais qui détient dans ses mains des responsabilités gigantesques, détenant ainsi droit de vie et de mort sur ses opposants, qu’ils soient chef d’Etat ou simple petite merde citoyenne). Gourou à ses heures – ce qui lui pose un léger problème de conscience – mais face aux bénéfices ainsi obtenus, il a tôt fait de recourir abondement à des jeux puérils.

PictoOKLa métaphore est grande. Sacco l’utilise à chaque page et l’injecte aussi bien dans son propos que dans ses dessins. La majeure partie de ses personnages sont masqués et dénudés. L’enculement devient central dans les rapports relationnels de la société qu’il dépeint. L’enculement comme arme de guerre, comme méthode d’endoctrinement… et comme mode de jouissance du bourreau mais aussi de sa victime. L’enculement comme une pilule que l’on avalerait pour palier à une simple céphalée.

L’absence de garde-fous, la frénésie induite par la direction que prend le collectif et qui ne permet pas à l’individu isolé de lutter longtemps, la théorie du complot… Une lecture jouissive, une lecture impulsive mais une lecture censée et réflexive. L’humour est noir et grinçant. L’argumentation est fluide et malgré l’emploi de métaphores illogiques, le lecteur voit tout à fait ce que l’auteur pointe du doigt. Un doigt accusateur certes, mais cela est fait avec finesse et esprit.

Un propos largement exagéré mais curieusement… pas tant de mauvaise fois que cela ^_^

L’ouvrage est dédié à Kim Thompson et Spain Rodriguez, acteurs de la scène comics underground et tous deux morts d’un cancer en 2013 et 2012.

Extraits :

« Revoyons les opérations de demain. L’heure H est fixée à 5h30. C’est l’assaut final. Vous avez tous reçu vos ordres, mais laissez-moi résumer. Au premier coup de sifflet, les soldats retireront leurs bottes, leurs uniformes et tous leurs vêtements. Au deuxième coup de sifflet, ils auront d’énormes érections. Au troisième coup de sifflet, ils avanceront dans les tranchées des Fritz. Ils tueront l’ennemi où qu’il se trouve. Et ce n’est pas tout… Ils devront aussi l’enculer » (Bumf, volume 1).

« Eh bien, Monsieur, on allait justement s’occuper du citoyen suspect que vous voyez-là.
– Qu’est-ce qu’elle a fait ?
– Rien à strictement parler, Monsieur le Président.
– Rien vous dites ?
– Exactement, Monsieur. Selon le rapport, elle était plantée là, sans motif apparent, occupée à une non-action dont on n’a pu tirer aucune conclusion.
– Elle avait donc un comportement suspect ?
– Moins suspect qu’incompréhensible, Monsieur.
(…)
– Mais cette personne a-t-elle fait quelque chose de mal ?
– Le mal, le bien… qui sommes-nous pour en juger, Monsieur le Président ? » (Bumf, volume 1).

Du côté des challenges :

Tour du monde en 8 ans : Malte

Bumf

Volume 1

Série en cours

Editeur : Futuropolis

Dessinateur / Scénariste : Joe SACCO

Dépôt légal : mars 2015

ISBN : 978-2-7548-1204-7

Bulles bulles bulles…

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Bumf, volume 1 – Sacco © Futuropolis – 2015

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