Spirou et Fantasio par… – Tome 17 : Le Spirou de Christian Durieux – Pacific Palace (Durieux)

Durieux © Dupuis – 2021

C’est un rêve prémonitoire qui ouvre l’aventure. Fantasio s’y débat dans une pièce immergée, évitant le mobilier flottant et tentant vainement de rejoindre le bal des sirènes magnifiques qui nagent devant lui. Présage d’un naufrage ? Spirou ne doit pas être loin. Réveillé par le directeur du palace où il travaille en tant que groom depuis qu’il a été viré de son poste de journaliste au Moustique, Fantasio ne rate pas une occasion d’agacer son supérieur de façon épidermique.

Spirou quant à lui pensait avoir trouvé le lieu idéal pour se poser un temps. Le cadre idyllique de l’hôtel, entre lac et montagnes, est un endroit de quiétude. S’il regrette un peu d’avoir pris son ami dans ses bagages, car le travail de groom n’est pas fait pour ce dernier, il savoure le lieu, l’ambiance intemporelle qui semble installée là depuis toujours.

L’atmosphère change du tout au tout lorsqu’arrive un imposant voyageur. « Mais trop tard pour faire machine arrière : un véritable huis clos est décrété et l’hôtel se retrouve sans clientèle et avec un personnel réduit pour accueillir discrètement Iliex Korda, dictateur déchu du Karajan, petit pays des Balkans. Dans ses bagages, d’imposants gardes du corps mais aussi Elena, fille du « Grand Guide » au regard envoûtant, dont Spirou tombe instantanément amoureux. » (synopsis éditeur).

Christian Durieux. Je ne compte pas ses albums qui m’ont fait craquer, ses coups de crayons chaque fois si différents mais toujours délicieux. Si je ne devais en nommer qu’un ce serait sans hésitation « Les Gens honnêtes » où le personnage de Philippe et sa façon d’aborder la vie m’ont conquises. Le temps a passé depuis cette lecture mais je ne crois pas avoir égaré une miette des émotions que j’ai ressenties durant cette lecture.

Cette fois, c’est un peu différent. J’étais curieuse de voir l’auteur visiter l’univers de Spirou et Fantasio. Curieuse de découvrir sa patte sur ce classique du Neuvième Art alors que je ne mets plus le nez dans les classiques depuis belle lurette. Mais voilà, il y a peu de temps, Zidrou et Frank Pé m’ont fait revenir sur mes aprioris avec leur travail sur « La Bête » . Alors, l’idée de voir un « Spirou et Fantasio » dépoussiéré et rafraichi m’a séduite. D’autant qu’avec Christian Durieux comme guide, l’aventure vaut toujours le coup d’œil.

L’auteur nous installe au Pacific Palace, un hôtel luxueux situé dans un cadre non moins luxueux (paysages montagneux à perte de vue, hall d’entrée rutilant dans lequel on pourrait certainement installer un orchestre symphonique, longs dédales de couloirs ouatés et chambres immenses… on est dans le grand luxe !). Pour changer de notre contexte actuel de lecteurs… on se retrouve donc confinés avec une palette de personnages réduite au maximum. Christian Durieux nous plonge dans une aventure qui se cantonne à un espace géographique assez restreint mais jamais on ne se heurtera aux murs qui le contiennent. Cet enclos scénique vient titiller l’ambiance et la travailler au corps, jeter quelques gouttes d’huile sur le feu. La tension monte doucement, de façon imperceptible… le suspense est palpable. Jusqu’à la scène finale où tous les codes narratifs mis en place éclatent, volent, se bousculent et s’agitent. L’auteur propose un dénouement de haute voltige, ciselé, cohérent et assez grinçant ! Amateurs de happy-end radieux, passez votre chemin.

Romance secrète, intrigue politique, huis-clos et humour cohabitent à merveille et nous offrent une intrigue captivante. Le scénario repose sur les épaules de Spirou jeune homme beau, intègre et assez mature pour son âge ; il borde l’excentricité et la fougue d’un Fantasio téméraire à l’excès, écervelé et opportuniste. Le traitement graphique de ce thriller politique est superbe. La palette de pastels, l’utilisation de la couleur directe et la mise en image (qui n’est pas sans rappeler la ligne claire) créent une atmosphère intemporelle.

Dix-septième tome de la sage « Spirou et Fantasio par… », cet album vient se ranger aux côtés d’autres participations telles celles d’Emile Bravo, de Lewis Trondheim ou encore de Fabien Vehlmann. Je ne m’étais pas ruée jusqu’à présent sur ces incursions dans la série de Franquin – je ne saurais expliquer ma douce aversion pour des « vieilles » séries qui m’ont pourtant fait voyager des heures durant pendant mon enfance – mais voilà un ouvrage qui a le mérite de me faire réviser mon jugement. Il y a quelques années, Jérôme m’avait offert « Le Journal d’un ingénu » que je n’ai toujours pas pris le temps de lire… Voilà ma curiosité piquée à vif et l’envie furieuse de le découvrir à son tour.

Spirou et Fantasio par…

Tome 17 : Le Spirou de Christian Durieux – Pacific Palace

Editeur : Dupuis / Collection : Dupuis « Grand public »

Dessinateur & Scénariste : Christian DURIEUX

Dépôt légal : janvier 2021 / 80 pages / 16,50 euros

ISBN : 9791034732692

Le Voyage d’Aliosha, tome 1 (Tenzin & Berry)

tome 1 – Tenzin – Berry © Nombre7 – 2021

1951.

En ces temps un peu troubles où la Russie est soumise au bon vouloir du Petit Père des Peuples. Le régime de la peur est en place et emprisonne les russes au cœur des frontières de leur pays.

En ces temps propices à la délation, à la censure… aux déportations dans les camps de travail du Régime…

Aliosha est un moscovite de 26 ans. Il vit dans un appartement communautaire avec sa mère et sa grand-mère. La vie est routine, la vie est précaire mais ils ont un toit et l’amour qui les lie fait leur grande force. Un jour pourtant, un membre du Parti vient chercher Aliosha et lui demande de lui donner des noms. Les noms des Juifs avec lesquels il travaille. Ne pouvant se résoudre à la délation, Aliosha décide de fuir.

C’est peut-être le déclic qu’il attendait. Car depuis longtemps, Aliosha étouffe dans sa Russie natale, celle de Staline. Il rêve d’ailleurs, de voyage. Il rêve du Tibet et de pouvoir se consacrer pleinement au bouddhisme, philosophie qu’il a découvert dans les livres qu’il consulte à la bibliothèque. Face aux pressions du Parti, Aliosha décide de hâter son départ. Il regarde alors droit devant lui, en direction de sa nouvelle vie. C’est le début d’un grand voyage.

Il est parfois des rencontres que l’on fait et dont on ne présage pas, sur le moment, les voyages qu’elles nous permettront de faire par la suite. Telle est la nature de ma rencontre avec Hari G. Berry il y a… longtemps. Et puis me voilà aujourd’hui, à lire ce premier opus de la saga d’Aliosha, transportée à travers l’ex-URSS, à dévorer les kilomètres qui séparent Moscou de la Sibérie orientale. A une encablure de la porte qui me permettra de fouler le sol tibétain.  

« Le Voyage d’Aliosha » est un roman d’apprentissage qui nous plonge dans les espaces démesurément grands de la plus grande nation du monde.

Les trois premiers tomes sont actuellement en prévente… deux autres tomes devraient encore voir le jour. Un audiolivre devrait également voir le jour dans quelques temps. Et un CD complète le tout pour permettre d’écouter l’ambiance musicale de l’univers de cette épopée. Il y a pléthore de formats pour nous régaler.

Sur le site consacré à la série, on peut lire sur la page d’accueil une courte présentation du projet : « Vivez une plongée spectaculaire dans l’URSS de Staline, la Chine de Mao et le Tibet du Dalaï Lama. Un roman illustré musical interactif où se mêle roman et Histoire, le Voyage d’Aliosha vous emporte par-delà les frontières, à la rencontre des peuples soviétiques et d’Asie des années 1950. Trois tomes et 80 pages de bonus interactifs accessibles par QRCodes, pour une nouvelle expérience de la lecture. »

Un voyage donc… la quête identitaire du personnage principal se déroule sur un fond historique riche. La lecture est l’occasion d’en apprendre beaucoup sur les us et coutumes soviétiques, de baigner dans la Russie des années 50. De menus détails donne de la consistance au propos, que ce soit un accessoire vestimentaire, décoratifs, la finition d’un motif, d’une sculpture, d’un élément architectural… Portrait d’une époque, d’un contexte socio-historique… Tsémé Tenzin fait revivre sous sa plume l’ambiance d’une époque d’austérité. La lumière vient du cœur même des personnages. L’optimisme du héros donne l’entrain nécessaire au récit et les personnages secondaires réchauffent les pages grâce à leurs personnalités généreuses, leur altruisme, leur bienveillance.

On note tout de même le côté didactique qui surgit régulièrement à l’aide d’apartés dans le récit principal ou, plus généralement, à l’aide de nombreuses notes de bas de pages. Ces « parenthèses » explicatives saccadent le rythme de lecture ; cela m’a mis en difficulté sur le début puis cette tension a disparu. Les QRCodes insérés tout au long du récit nous conduisent à prendre connaissance de l’ampleur du travail de documentation qui a été réalisé pour enrichir le propos. Ils nous font bondir vers un morceau de musique, un article, une recette, une photo… présents sur le site du roman. Cet aspect didactique a certes tendance à diluer le récit et à casser l’action narrative… mais chaque lecteur saura les utiliser en fonction de ses propres envies : à lire sur le moment ou à découvrir une fois le roman terminé (en complément) … toutes les solutions sont possibles.

Les vignettes graphiques d’Hari G. Berry viennent enrichir le texte. Ces belles illustrations en noir et blanc apportent une description visuelle à supplémentaire aux décors, aux contours d’un visage et/ou d’une silhouette, aux ornements d’une isba, aux motifs d’un châle, à l’intérieur d’un magasin… La trame narrative trouve un écho dans son pendant dans ces vignettes aux lignes rondes, joviales et apaisantes. On pourra également les retrouver sur le site (en suivant les QRCodes) où elles apparaissent toutes en couleurs vives, gaies, chaleureuses.

Un roman qui m’emporte loin loin loin des ouvrages vers lesquels je me tourne habituellement. Un ouvrage qui surprend par la richesse de son univers. Une réflexion sur le bonheur, l’épanouissement de soi, les intimes convictions, les voyances… Un voyage au grand air.

Ce projet éditorial a trouvé un éditeur depuis peu. Mais il ne pourra être finalisé qu’à une seule condition : que les autrices rassemblent une cagnotte pour couvrir les premiers frais d’impression des trois premiers tomes. Pour leur donner ce petit coup de pouce, c’est ici !

Le site dédié à l’univers d’Aliosha.

Le Voyage d’Aliosha – De l’URSS au Tibet

Tome 1 : La Révélation (série en cours)

Roman illustré musical

Editeur : Nombre7

Auteur : Tsémé TENZIN

Illustrateur : Hari G. BERRY

Composition musicale : Jean-Marie de SAINTE-MARIE

Dépôt légal : à définir / 230 pages

Celestia (Fior)

« La grande invasion est arrivée par la mer. Elle s’est dirigée vers le nord, le long du continent. Beaucoup se sont enfuis, certains ont trouvé refuge sur une petite île dans la lagune. Une île de pierre, construite sur l’eau il y a plus de mille ans. Son nom est Celestia. »

Fior © Atrabile – 2020

Ville-refuge, ville mouvante, ville double, ville trouble. Ville espoir. Ville chimère. Celestia contient en son sein toute une part de mystères. Dans les ruelles de ses entrailles, une société s’agite. Codée. Son histoire devient une énigme car peu nombreux sont ceux qui, aujourd’hui, se rappellent encore ce qui a motivé l’exode vers Celestia et la manière dont la vie s’est posée là.

« Je vois briller dans tes yeux cette détermination qui était la nôtre à l’époque. Cette illusion que tout pourrait recommencer ici… sur cette île de pierre… Apparue là où il n’y avait tien, telle une vision destinée à dominer la mer et la terre… C’était il y a si longtemps, mais aujourd’hui… aujourd’hui, les visionnaires, c’est vous, dans un monde sans limite. Celui de la pensée. »

Pierrot appartient à cette communauté qui grouille dans les venelles de cette ville nénuphar qui flotte sur l’eau. Il y a ceux qui œuvrent pour le bien de tous, il y a les bandes organisées. Puis il y a la foule des anonymes, affranchis de toute appartenance clanique et qui se fondent dans la masse. Pierrot fait partie de ceux-là. Suspicieux, solitaire, autonome… il s’est construit son petit réseau personnel qu’il contacte au gré de ses besoins ; le troc est encore la meilleure monnaie pour s’en tirer.

Le docteur Vivaldi aimerait pourtant que Pierrot rejoigne son équipe de télépathes. Les compétences de Pierrot lui seraient une aide précieuse pour mener à bien son projet… et pour ramener Dora dans le groupe. Faire alliance avec Pierrot l’aiderait également à atténuer la culpabilité qu’il a vis-à-vis du jeune homme. Mais Pierrot est bien trop rancunier pour accepter l’offre du Docteur. L’affabilité de ce dernier le convainc même d’aider Dora à fuir Célestia. Ensemble, ils vont tenter de trouver un asile dans la lagune. Cette cavale est l’occasion pour eux de découvrir le continent et ceux qui le peuplent.

« Les choses les plus belles ne durent qu’un instant. »

Dans « L’Entrevue », Manuele Fior avait déjà cherché à imaginer ce que pourrait être l’humanité de demain. Tenter d’entrapercevoir les possibles et la manière dont l’espèce humaine pourrait évoluer. Il avait également placé au cœur de son récit le personnage énigmatique et fragile de Dora. Cette dernière relie ainsi ces deux récits intemporels de façon troublante.

Dans ce monde post-apocalyptique, le ton narratif est relativement doux. Et face à cette société qui renait lentement de ses cendres, on ne peut éviter d’attendre des réponses qui resteront en suspens. Quelle est la nature de cette catastrophe qui a balayé la civilisation ? Quelle est donc la teneur de cette « grande invasion » à laquelle il est fait référence ? Catastrophe nucléaire ? écologique ? Folie des hommes ? Nul doute que ce chamboulement était de taille pour ainsi forcer le cours des choses. On fantasme sur les causes réelles sans toutefois peiner à trouver nos repères dans ce monde. Celestia est une copie conforme de Venise et Manuele Fior et organise son échiquier narratif autour de ce lieu mythique. Il matérialise le fait que l’espoir d’une vie meilleure a été placé dans chaque pierre de Celestia… Une enclave de pierre entourée d’eau comme une promesse féconde que les erreurs du passé sont loin derrière… Fadaises ! La mémoire de l’Homme est fugace…

Le monde d’après aurait pu être pacifique mais ce scénario ne l’entend pas de cette oreille. Il vient titiller les penchants de l’homme à s’immiscer dans les failles et glisser sur la mauvaise pente. On retrouve les déviances de nos sociétés actuelles : mensonges, harcèlement, manipulation, domination par la peur… Maquillage, costume ou port du masque vénitien, il est rare de voir des badauds se promener à visage découvert. Dans cette ville d’apparat, les malfrats en tout genre peuvent manœuvrer en toute impunité. Le porte du masque vénitien sert à afficher son identité… ou à se protéger.

Le côté lumineux du récit vient de ce que l’auteur imagine des conséquences du besoin de survie. Ainsi, nombre d’individus ont développé des capacités de télépathe. L’humanité du futur verrait ainsi ses individus reliés les uns aux autres. Ce qui est intéressant et ouvre la question d’agir pour le bien commun de tous… exit l’individualisme. Manuele Fior dose enfin parfaitement différents registres narratifs et parvient à semer le trouble entre illusion et réalité et entre passé, présent et futur. On est de nouveau dans un récit intemporel dont on a du mal à décrocher une fois que la lecture est commencée.  

C’est un album abouti que Manuele Fior nous livre. Superbe découverte.

Celestia (one shot)

Editeur : Atrabile

Dessinateur & Scénariste : Manuele FIOR

Traduction : Christophe GOUVEIA ROBERTO

Dépôt légal : août 2020 / 272 pages / 30 euros

ISBN : 978-2-88923-091-4

Mes premiers 68 – Deux romans à découvrir !

Aujourd’hui, avec mon lardon de 16 ans, on vous propose en partage deux romans découverts grâce aux 68 premières fois et qui nous ont bien plu. On espère qu’il en sera de même pour vous !

Mes 68 premières (jeunesse)

Le blog des 68 (avec toute la sélection des premiers romans à destination de la jeunesse comme des adultes d’ailleurs) est à retrouver ici : https://68premieresfois.wordpress.com/

Martins © Gallimard – 2019

Ceux qui ne peuvent pas mourir [1. La bête de Porte-vent] de Karine MARTINS (Billet de Pierre)

La bête de Porte-vent est le premier volet de la série Ceux qui ne peuvent pas mourir. Dans ce premier tome, on retrouve Gabriel, un immortel lié à une organisation qui a pour but de traquer les Egarés qui sont des « monstres » comme des vampires ou bien des loups-garous. Cette organisation se nomme la Sainte-Vehme. Dans ce tome, il est avec Rose, une fille qu’il a récupéré au cours d’une mission et qu’il ne veut plus laisser. Ils vont devoir élucider une série de meurtres étranges dans un petit village du Finistère et on peut dire que cette aventure sera autant surprenante que prenante !

J’ai bien aimé le roman. L’univers est nouveau et très bien imaginé, ce qui rend la lecture intéressante et pas répétitive contrairement à certains romans. Il n’est pas très long et se lit plutôt facilement. Une fois qu’on commence, on ne peut plus s’arrêter car on ne veut surtout pas perdre le fil de l’histoire. Et j’avais envie de savoir ce qui allait arriver à Gabriel et Rose !

Extraits

« Depuis qu’elle était au service de Gabriel Voltz, Rose avait appris une leçon essentielle : sortir seule la nuit dans Paris était la plus mauvaise idée qui soit. »

« Gabriel eut peur. Il avait beau être un vétéran de la chasse aux Egarés, c’était différent cette fois. Lors de ses précédentes chasses, il était mieux armé et avait toujours une faille à exploiter chez son ennemi. Mais là, rien. Il ne savait pas comment vaincre la bête. Et il n’était pas complètement présent : son esprit était obnubilé par la jeune femme retranchée dans le caveau, par la gamine qui resterait seule s’il venait à disparaître, par Grégoire à qui il laisserait un fardeau peut-être trop lourd à porter. »

Ceux qui ne peuvent pas mourir [1. La bête de Porte-vent] de Karine MARTINS, Gallimard Jeunesse, 2019

Bulle © L’Ecole des Loisirs – 2020

Les Fantômes d’Issa d’Estelle-Sarah Bulle (billet de la vieille mère)

« Les cauchemars sont encore revenus. Ça fait quatre ans maintenant que j’en ai presque toutes les nuits. Peut-être que ce journal va me soulager. Peut-être qu’écrire la grosse bêtise que j’ai faite la fera diminuer un peu dans ma tête. Maintenant que j’ai douze ans, je pense que je peux revenir en arrière, et tout écrire, je suis assez bonne en français. Mais c’est difficile de commencer. Par où débuter : au moment où j’ai commis cette erreur fatale, quand j’avais à peine huit ans ? Avant ? Avant, c’est mieux. Comme ça, ce sera clair. En écrivant, ce qui est arrivé deviendra juste une histoire, avec un sens et, je l’espère, une fin. »

Je ne sais pas bien pourquoi mais j’ai lu cette histoire le cœur un peu serré. J’ai eu peur, peur oui, du secret d’Issa, de ses fantômes, de son « erreur fatale ». J’ai été émue par Issa et sa lutte silencieuse.

Ce premier roman raconte donc l’histoire d’une jeune fille prénommée Issa. Elle est alors âgée de douze ans quand elle prend en charge le récit et qu’elle décide de revenir sur les évènements qui la hantent. Il faut vivre et pour cela il est temps pour elle de se libérer de ses secrets.

Ce roman dit la nécessité de la parole en partage pour grandir, pour dépasser sa culpabilité et affronter ses peurs. Il dit aussi la puissance de l’amitié comme de la lecture (ici des mangas) qui peut permettre des grandes choses ! C’est un beau roman, lumineux malgré mon cœur serré, à l’écriture légère et simple, alerte et très agréable. Un roman dévoré !

Merci aux 68 premières fois pour cette lecture bien émouvante…

Les Fantômes d’Issa d’Estelle-Sarah Bulle, L’école des loisirs, 2020

Joker (Adam)

« Joker » était épuisé depuis un moment jusqu’à ce que les éditions de La Pastèque le réimprime, profitant au passage pour apporter quelques modifications (format et finition). L’album fait partie de la sélection officielle du FIBD 2016 (cette année-là, c’est « Ici » de Richard McGuire qui a été récompensé du Fauve d’Or). Une bien bonne chose puisque cette fois, j’ai sauté sur l’occasion pour lire cet album.

Adam © Editions de La Pastèque – 2020

Joker Battie est un enfant de 7 ans qui se retrouve bien malgré lui au centre de cette histoire pour diverses raisons. L’une d’elles est dévoilée dans le dénouement, raison pour laquelle il vous faudra à votre tour lire l’album si vous voulez savoir de quoi il en retourne. La seconde est qu’il a tenté de fuguer ; il a appris par hasard que sa mère, Darlène, avait tué son père, Jed. Il a appris en même temps qu’il apprenait que sa tante, Charlène, avait tué son oncle, Herb. Les deux sœurs, Charlène et Darlène, ont tué leurs maris parce ceux-ci avaient tués leur cousin, Hawk. Hawk n’était autre que l’unique héritier de l’immense empire financier de leur famille. Mais ce n’est pas parce que Hawk a hérité de la prospère entreprise familiale que ses cousins l’ont tué… ou du moins, pas consciemment… Et puis il y a Sally, la mère d’Hawk, qui est décédée mais bien avant que les trois cousins ne passent de vie à trépas.

Joker est issu d’une fratrie de sept enfants. Sa tante, Charlène, a eu huit enfants avec son oncle Herb. Son oncle Hawk quant à lui n’avait pas d’enfants… du moins, il n’a pas eu d’enfants légitimement déclarés…

Prenant peur, les deux sœurs s’élancent dans une cavale désorganisée avec toute leur marmaille.

Tout cela, on le sait dès les premières pages de l’album…

Les détails de cet imbroglio, Benjamin Adam nous l’apprend au fil de son récit choral qui convoque une trentaine de personnages que l’on se surprend à identifier et reconnaître très vite. A tour de rôle, Joker, Charlène, Darlène, Jed, Herb, Hawk – ainsi que d’autres protagonistes importants – se relayent pour prendre la parole et nous donnent les pièces permettant de reconstruire le puzzle de l’intrigue. On saura tout des pourquoi et des comment, avec quelques redites puisque la majeure partie des personnages ne communiquent pas entre eux. Tous ont une vision parcellaire de la situation excepté… nous, lecteurs qui sommes aux premières loges pour les écouter. Arsène (l’oculiste) est le premier à nous inviter à recouper cela et c’est un peu grâce à son intervention que l’histoire prendre des allures d’enquête (quant aux flics, il en sera très peu question !!).

C’est par le prisme de ces drames funestes survenus dans une même famille que l’on découvre également le contexte dans lequel ils se sont produits. La famille Battie, du temps de l’arrière-grand-père de Joker, est passée en quelques années d’une petite entreprise d’artisanat local à une entreprise très prospère. Batimax a continué de s’étendre et de se diversifier avec les fils Battie (Walter, le grand-père de Joker, et son frère John) jusqu’à devenir l’empire industriel qu’elle est aujourd’hui. Non content d’être le principal employeur de toute une région, le groupe industriel injecte des fonds dans les petites entreprises locales pour leur éviter la faillite… et les tient ensuite sous sa botte.

Les principaux médias sont au service de l’empire Batimax (les autres ont fait faillite) ce qui permet à la société de contrôler l’information régionale ; les journalistes sont désormais des employés de l’empire Bati, ils alignent leur travail d’investigation sur les attentes de leur employeur et contribuent « de leur plein gré » à la diffusion de la culture Batimax ! Jusqu’à ce qu’Arsène (l’oculiste oui, encore lui) se questionne sur les enjeux de ces morts Battie successives et soit à l’initiative de la création du Diagno, un journal indépendant. Sur le fond, c’est l’occasion de parler du travail de la presse, de l’importance de préserver la liberté d’expression. Puis plus largement, avec un contexte socio-économique tel que celui que j’ai décrit supra… comment ne pas parler de corruption, de culture de masse…

… et j’en passe parce que c’est rudement succulent et qu’il m’est avis que vous devriez le lire, cet album ! Récit chorale et maxi bordel, assaisonné par un trait épais et noir qui donne l’impression qu’on est plongé dans ouvrage de la veine des comics underground. Succulent donc !

Joker (one shot)

Editeur : La Pastèque

Dessinateur & Scénariste : Benjamin ADAM

Dépôt légal : mai 2020 (réédition) / 128 pages / 18 euros

ISBN : 978-2-89777-081-5

Peau d'Homme (Hubert & Zanzim)

Hubert – Zanzim © Glénat – 2020

A 18 ans, Bianca est encore pucelle et ne sait absolument rien des garçons. Elle n’a jamais eu l’occasion de s’y intéresser ni pris le temps de le faire… Cela dit, au Moyen-Age, il est aussi des coutumes et des traditions à respecter si l’on veut avoir la réputation d’une jeune fille bien comme il faut ; de cela, Bianca en est très consciente.

Fort heureusement, les confidences avec ses amies lui permettent de s’exprimer un peu sur ses appréhensions avant sa nuit de noce qui a lieu dans quinze jours. Bianca aurait tant aimé avoir l’occasion de faire la connaissance de son futur mari avant de se retrouver dans le même lit que lui ! La voyant si morose, sa tante l’invite à passer quelques jours chez elle. A cette occasion, elle met Bianca dans la confidence…

… dans la famille, les femmes ont un secret. Précieusement rangée dans une vieille malle, une peau d’homme se transmet de mère en fille. Ainsi, chacune a l’occasion de se glisser dans la peau de Lorenzo pour une nuit ou plusieurs jours. La décision de Bianca est déjà prise. Enfiler cette peau est pour elle l’occasion d’aller à la rencontre de son futur mari.

Parfait, ce discours féministe au cœur d’un contexte moyenâgeux ! Franchement, je trouve cela fort bien pensé. Le décalage est bien pensé et il fait mouche. Voilà qui donne une profondeur tout à fait succulente au scénario d’Hubert, sans compter que les dessins de Zanzim illustrent parfaitement le propos et appuient là où ça fait mal.

Un coup de gueule. Un coup de poing pacifique et féministe… mais pas que.

Sans fausse note aucune, Hubert a dompté de main de maître ce scénario retord. Il a évité tous les pièges, toutes les idées convenues, tous les raccourcis qui auraient pu lui faciliter la tâche. Non content de parvenir à aborder de front les questions de sexualité, d’homosexualité, de religion, de fanatisme et d’émancipation, le scénariste est parvenu à y glisser un humour plein de fraicheur et quelques passages déraisonnables sur lesquels soufflent un vent de folie. Après l’excellent « La Nuit mange le Jour » , Hubert a montré une fois encore qu’il n’est pas impossible de parler crûment de la question du désir sans effaroucher son lecteur… voire le perdre en cours de route. Hétérosexuel ou LGBT, cet ouvrage dit la nécessité de rappeler encore et encore que la question des choix sexuels opérés par un individu n’appartient qu’à lui seul. Le récit explore aussi la question du désir : s’exprime-il de la même manière chez un homme que chez une femme ?

Le scénario ne nous ménage pas. Pire, il nous douche rapidement. Et là, c’est aux lectrices que je m’adresse puisque sitôt la lecture engagée, nous sommes invitées à prendre la mesure du chemin sinueux et boueux que la condition féminine a parcouru durant les siècles passés. Le ton monte, la colère gronde… avec le personnage principal, on a envie de crier, de prendre les soi-disant « bien pensant » à bras le corps et de les secouer bien fort.

« Et alors ? J’ai un corps et je n’en ai pas honte. En soi, il n’est ni bon ni mauvais. Ce n’est pas lui le problème : c’est ton regard qui est sale ! »

De marchandises que l’on négociait pour obtenir moult bénéfices de nos épousailles, nous avons maintenant voix au chapitre. Nous ne faisons plus l’objet de stratégiques pourparlers mais avons la possibilité de décider par nous-mêmes qui fera ou non partie de notre vie affective. Quoi que… nous ne sommes malheureusement pas encore toutes logées à la même enseigne aux différents endroits du globe…

« Les hommes sont de pauvres petites choses à la merci de nos appétits pervers, qu’il faudrait protéger en nous voilant de la tête aux pieds. »

Coup de cœur ! Le ton humoristique donne une pointe de fraicheur aux propos acidulés des personnages. On ne lit pas, on dévore l’ouvrage.

Je suis triste à l’idée de savoir que nous ne pourrons plus nous régaler de ses albums… restent ceux qu’il avait réalisés avant son décès.

Peau d’Homme (récit complet)

Editeur : Glénat / Collection : 1000Feuilles

Dessinateur : ZANZIM / Scénariste : HUBERT

Dépôt légal : juin 2020 / 160 pages / 27 euros

ISBN : 978-2-344-01064-8

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