La vie devant soi (Gary & Fior)

Gary – Fior © Futuropolis – 2017

Momo « n’a pas été daté » mais ce gamin sait qu’il a à vue de nez environ 10-11 ans.

Momo ne connaît pas ses parents. Il sait seulement que sa mère se « défend avec son cul » quelque part dans un quartier de Paris.

Momo a été confié à Madame Rosa, une vieille pute qui, quand elle n’a plus eu l’âge de faire le tapin, s’est reconvertie et a ouvert une pension de famille qui accueille des enfants de prostituées. Madame Rosa vit des mandats mensuels que les putes lui versent pour payer la garde des gamins. Quand un paiement cesse, Madame Rosa continue malgré tout à garder le mouflet, n’ayant pas le cœur de le confier à l’Assistance Publique.

L’univers de Momo, c’est Belleville : son quartier. L’école qu’il quittera tôt après avoir expérimenté le racisme de ses camarades. Le bar du coin où il retrouve le vieux Monsieur Hamil qui a arrêté de vendre ses tapis, le docteur Katz, Madame Lola le travesti sénégalais et les autres gosses de la pension de Madame Rosa.

Momo à la recherche de ses origines. De son identité. Qui est sa mère ? A-t-il un père ? Pourquoi ne viennent-ils jamais le voir le dimanche comme le font les mères des autres gamins ?

Momo c’est tout un univers qu’il habite. Les frontières de son quartier lui offrent toute la liberté possible mais à 10 ans, que peut bien comprendre Momo de ce monde-là ? Un monde dans lequel les adultes offrent des réponses qu’ils laissent en suspens et dont l’enfant comble les brèches comme il peut.

Momo se croit « proxynète » …

Puis elle a demandé sa robe de chambre rose mais on a pas pu la faire entrer dedans parce que c’était sa robe de chambre de pute et elle avait trop engraissé depuis quinze ans. Moi je pense qu’on respecte pas assez les vieilles putes, au lieu de les persécuter quand elles sont jeunes. Moi si j’étais en mesure, je m’occuperais uniquement des vieilles putes parce que les jeunes ont des proxynètes mais les vieilles n’ont personne. Je prendrais seulement celles qui sont vieilles, moches et qui ne servent plus à rien, je serais leur proxynète, je m’occuperais d’elles et je ferais régner la justice. Je serais le plus grand flic et proxynète du monde et avec moi personne ne verrait plus jamais une vieille pute abandonnée pleurer au sixième étage sans ascenseur.

… et Momo croit des tas de choses mais finalement, il a ses définitions bien à lui du racisme, de l’amour, de la contraception, de la maladie, de l’épilepsie, de la sénilité…

Alors Momo se trompe de mots mais il ne sait pas. Une crise d’amnésie est pour lui une « crise d’amnistie » , l’état d’hébétude est un « état d’habitude » et j’en passe.

Un roman troublant sur l’amitié d’un garçon et d’une vieille dame. Un roman d’apprentissage où le personnage principal tente d’acquérir les armes qui lui serviront dans sa vie d’adulte. Mais quelle idée a-t-il de cette société normée et conventionnelle ? Il a sa propre idée, ni très loin de la vérité ni très près de la réalité.

Un roman sauvage où l’enfant se bat avec l’idée qu’il se fait de la vie. Une vie dure, dans la misère mais la tendresse et la complicité de Madame Rosa la lui rend plus douce. A ses côtés, il s’apaise et se construit des réponses. Poète à sa façon, il est pragmatique et tire ce qu’il peut comme leçon de ses expériences.

L’écriture de Romain Gary (sous le pseudonyme d’Emile Ajar) m’a donnée du fil à retordre. Chaque pause dans la lecture impliquait que lorsque je reprenais l’ouvrage, je devais accepter ce laps de temps nécessaire pour s’habituer au rythme et à la construction si singulières des phrases. La pensée d’un presque adolescent dans tout ce qu’elle a d’hésitant, de rugueux, de râpeux et de naïf. Lire « La vie devant soi » c’est faire l’expérience d’une ponctuation capricieuse, c’est se heurter à une structuration parfois illogique de la pensée, c’est côtoyer des métaphores pleines de non-sens et d’absurde… des métaphores qui pourtant nous montrent parfaitement comment ce jeune individu-là se place dans le monde et pense son rapport au monde.

Et puis le pauvre, il doit porter un amour trop grand pour lui. Cet amour qu’il voue à Madame Rosa, SON repère, SON pilier, elle sans qui il n’aurait pas connu la chaleur d’un foyer. Elle qui parle de « son trou juif » , un espace vis-à-vis duquel Momo mettra du temps à comprendre l’utilité et qui n’est autre qu’un lieu rassurant pour Madame Rosa encore très affectée par les traumatismes de la guerre et son expérience des camps de concentration.

Une écriture indocile, intranquille, immature comme peut l’être cet enfant qui n’en est plus vraiment un. Un enfant qui a grandi tordu et qui met tout son cœur à se tenir droit… mais c’est contre sa nature. Un enfant qui construit une image de la société comme un château de cartes et avec beaucoup d’imaginaire. Les illustrations de Manuele Fior mettent délicatement en valeur ce fragile édifice.

Extraits :

Page 11 : « Au début je ne savais pas que je n’avais pas de mère et je ne savais même pas qu’il en fallait une. Madame Rosa évitait d’en parler pour ne pas me donner des idées. Je ne sais pas pourquoi je suis né et qu’est-ce qui s’est passé exactement. Mon copain le Mahoute qui a plusieurs années de plus que moi m’a dit que c’est les conditions d’hygiène qui font ça. Lui était né à la Casbah à Alger et il était venu en France seulement après. Il n’y avait pas encore d’hygiène à la Casbah et il était né parce qu’il n’y avait ni bidet ni eau potable ni rien. Le Mahoute a appris tout cela plus tard, quand son père a cherché à se justifier et lui a juré qu’il n’y avait aucune mauvaise volonté chez personne. Le Mahoute m’a dit que les femmes qui se défendent ont maintenant une pilule pour l’hygiène mais qu’il était né trop tôt. » (La Vie devant soi)

Page 53 : « Madame Rosa se tourmentait beaucoup pour ma santé, elle disait que j’étais atteint de troubles de précocité et j’avais déjà ce qu’elle appelait l’ennemi du genre humain qui se mettait à grandir plusieurs fois par jour. Son plus grand souci après la précocité, c’était les oncles ou les tantes, quand les vrais parents mouraient dans un accident d’automobile et les autres ne voulaient pas vraiment s’en occuper mais ne voulaient pas non plus les donner à l’Assistance, ça aurait fait croire qu’ils n’avaient pas de cœur dans le quartier. C’est alors qu’ils venaient chez nous, surtout si l’enfant était consterné. Madame Rosa appelait un enfant consterné quand il était frappé de consternation, comme ce mot l’indique. Ça veut dire qu’il ne voulait vraiment rien savoir pour vivre et devenait antique. C’est la pire chose qui peut arriver à un môme, en dehors du reste. »

Page 136 : « Je comprenais bien que c’était chez elle l’effet du choc récapitulatif qu’elle avait reçu en voyant les endroits où elle avait été heureuse, mais des fois ça n’arrange rien de comprendre, au contraire. Elle était tellement maquillée qu’elle paraissait encore plus nue ailleurs et faisait avec ses lèvres des petits mouvements en cul de poule absolument dégueulasses. Moïse était dans un coin en train de hurler, mais moi j’ai seulement dit « Madame Rosa, Madame Rosa » et je me suis précipité dehors, j’ai dégringolé l’escalier et je me suis mis à courir. Ce n’était pas pour me sauver, ça n’existe pas, c’était seulement pour ne plus être là. » (La Vie devant soi)

La Vie devant soi

Récit complet
Editeur : Futuropolis
Auteur : Romain GARY (Emile AJAR)
Illustrateur : Manuele FIOR
Dépôt légal : novembre 2017
232 pages, 26 euros, ISBN : 978-2-7548-2153-7

Bulles bulles bulles…

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La vie devant soi – Gary – Fior © Futuropolis – 2017

La dernière représentation de Mademoiselle Esther (Jaromir & Cichowska)

Jaromir – Cichowska © Des Ronds dans l’O – 2017

« GHETTO DE VARSOVIE. Près du mur sud où se trouve aujourd’hui le théâtre de marionnettes  » Lalka « , se dressait autrefois un bâtiment gris de quatre étages : le dernier siège de l’orphelinat juif  » Dom Sierot « , dirigé par le Docteur Korczak, et qui dans cette période sombre, fut un refuge pour deux cent enfants. Ce qui se passa alors dans les rues et à l’intérieur de la maison, ce que ces enfants y virent, entendirent et pensèrent vous est conté ici par deux de ses occupants : Genia, une petite fille de douze ans, et le Docteur lui-même » (présentation de l’éditeur en page de garde).

Je ne connaissais pas l’existence du docteur Janusz Korczak jusqu’à ce que je lise cet album. La démarche d’écrire ce qui se passe dans le ghetto de Varsovie, ce dont il est témoin, se rapproche de celle d’Emanuel Ringelblum qui avait invité les habitants du ghetto à témoigner par écrit de la vie dans le ghetto (un album récent lui est consacré : voir ma chronique sur « Varsovie Varsovie »). Dans le présent album, il n’est pas fait référence à l’initiative de Ringelblum.

C’est le 13 mai 1942 que s’ouvre son journal. Très vite, les pages du journal de la jeune fille viennent lui donner la réplique. Autre regard. Autre sensibilité. Autres inquiétudes. Le même quotidien vu d’un autre angle. J’ai de suite été frappée par les dessins de Gabriela Cichowska.

Parfois, les planches sont très dépouillées et proposent un dessin sobre réalisé. Crayon de papier, crayons de couleur. Instants suspendus où l’on observe un personnage (souvent un enfant) perdu dans ses pensées ou totalement absorbé par ce qu’il est en train de faire. On lit la tristesse dans ses yeux, on voit l’ennui dans sa posture corporelle. On voit que la guerre a eu tôt fait de lui voler son enfance, qu’elle a englouti son innocence. L’attente et la peur marquent les expressions des visages de cernes, elles gomment les sourires malgré les efforts répétés des adultes à formuler des phrases réconfortantes, des mots d’espoir. On les sent si fragiles !

– (..) Elles ont de la visite.
– Regarde, Tola, je n’en ai pas, moi, dis-je en les déposant – l’un après l’autre – dans la boîte : Maman, Papa, Aaron… Ma famille de papier.

A d’autres moments, les planches affichent timidement des couleurs. C’est le jour, la vie grouille dans les rues du ghetto et dans les couloirs de l’orphelinat mais l’illustratrice ne fait appel qu’à une palette réduite de couleurs. Marron, gris, noir, beige, quelques rares bleus métalliques délavés par-ci, un vert timide par-là. Gabriela Cichowska colle, coupe, brûle, froisse, déchire et assemble différentes formes de différentes textures dans les illustrations. Elle fait appel à des vieilles photos, des coupures de journaux, des cartes postales, des plans, des lettres manuscrites, des feuillets détachés de blocs d’éphéméride, des silhouettes découpées dans des revues d’époque, des tickets, des morceaux de cuir, de tissus, de papier gaufré, de carton… Objets, symboles, motifs… Les étoiles de David sur les vêtements, les miches de pain gigantesques et insolentes dans la vitrine d’une boulangerie, les carreaux d’une mosaïque, un livre, un pendentif…Les illustrations s’animent grâce à ce contenu éclectique. L’auteure joue avec différentes textures, avec différents papiers, avec différents outils de dessin. Cela crée une ambiance intemporelle dans laquelle la lumière est diffuse, comme tamisée. On attrape toutes les sensations au vol, qu’elles soient neutres, ternes ou vives : la curiosité, l’attente, la tension, l’inquiétude, la tristesse… la complicité, la tendresse, la fierté, l’envie, la jalousie… la colère… l’impuissance… L’impuissance que ressent le Docteur est grande. Il a du mal à se résoudre à ne pas pouvoir venir en aide aux enfants des rues, livrés à eux-mêmes. Mais l’orphelinat n’a plus de place.

Enfants des rues. Jour après jour, mois après mois, la guerre les crache par milliers. Telle une mer en furie larguant sans relâche de tout petits coquillages sur ses rives. Les orphelinats – il y en a trois douzaines ici, dans le ghetto – craquent de partout.

Alors c’est un vrai cadeau du ciel de voir un visage s’illuminer à l’écoute d’une histoire ou à la vue de la photo d’un proche, c’est un instant précieux lorsqu’une mélodie parvient à émouvoir. Alors oui, faire découvrir à ces enfants le conte écrit par un poète indien, leur proposer d’en faire une pièce de théâtre et de donner une représentation publique, oui… voilà un projet capable de les emmener à mille lieues de leur quotidien, loin des affres de la guerre, loin de la famille, de la peur des déportations, de la peur du soldat qui monte la garde dans la rue de l’orphelinat. Alors les planches se parent d’ocres orangés chaleureux pendant que les enfants imaginent des paysages inconnus. La vie a de nouveau un but jusqu’à la représentation finale ; cela rompt la monotonie de l’orphelinat, il y a des rôles à apprendre et des costumes à faire.

Adam Jaromir. Le propos percute. Triste et désespéré. Pourtant personne n’est prêt à capituler. Sa manière d’imbriquer le journal du docteur et celui de l’enfant donne une profondeur incroyable au scénario. On entend le timbre de chaque voix-off. La narration suit son fil, brute, sincère, elle nous touche. La voix de cette enfant qui décrit le quotidien morose de l’institution, les rituels. On entend les inquiétudes de Janusz Korczak, son envie d’accueillir de nouveaux enfants, de les soigner, de les aimer, de les aider à supporter cette cruauté… jusqu’à ce qu’un jour meilleur arrive… qui sait.

Un garçon m’a dit en adieu : « Sans ce foyer, je ne saurais pas qu’il y a des gens honnêtes dans le monde et que l’on peut dire la vérité. Je ne saurais pas qu’il y a des lois justes dans le mondes ». Combien d’épaules courbées cette maison aurait pu redresser s’il n’était pas arrivé. Ce mois de septembre 1939. Et avec lui… barbelés, tessons de verre, menaces et fusils.

Consigner les souvenirs. Aider la mémoire à se rappeler. Ne pas oublier. Ne rien oublier. Un album qui remue. Une précieuse pépite.

La dernière représentation de mademoiselle Esther

– Une histoire du ghetto de Varsovie –
One shot
Editeur : Des Ronds dans l’O
Dessinateur : Gabriela CICHOWSKA
Scénariste : Adam JAROMIR
Dépôt légal : avril 2017
140 pages, 24 euros, ISBN : 978-2-917237-98-4

Bulles bulles bulles…

La vidéo présentant l’album.

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La dernière représentation de Mademoiselle Esther – Jaromir – Cichowska © Des Ronds dans l’O – 2017

De longues nuits d’été (Appelfeld)

Appelfeld © L’Ecole des loisirs – 2017

La Seconde Guerre Mondiale a éclaté. Elle ravive les haines.

Un homme a peur. Il est juif. Il s’attend à chaque instant à voir les soldats franchir le seuil de sa maison. Il a peur pour sa famille. Cela fait des semaines qu’ils dorment dans leur cave, qu’ils se terrent à l’abri des regards, pensant trouver-là un refuge salvateur.
Mais la menace est de plus en plus concrète c’est pourquoi, il demande à son fils de le suivre. Ils vont trouver le vieux Sergueï, un vagabond aveugle, un ancien soldat. L’homme lui confie son fils. Ce dernier a 11 ans. Il ne sait rien de la vie et comprend mal pourquoi son père lui demande de rester avec inconnu. Les premiers temps, cette vie à vagabonder de village en village le terrorise. Il était habitué à la chaleur d’un foyer, il était heureux d’aller à l’école et de voir la fierté de ses parents face à ses résultats scolaires. Désormais, un pantalon et une chemise de lin remplacent ses vêtements de citadins, une petite croix en bois pend à son cou.

Tu dois changer de nom. A partir d’aujourd’hui, on ne t’appellera plus Michaël, mais Janek. Tu es intelligent, tu comprendras pourquoi, n’est-ce pas ? A la fin de la guerre, tu retrouveras ton nom.

L’enfant et le vieil aveugle vont apprendre à se connaître. Peu à peu, une complicité naît entre eux. Au fil des mois, Janek va suivre les apprentissages de Sergueï. Chaque matin, l’enfant s’entraîne à la course. Il devient endurant, agile. Il s’adapte à sa nouvelle vie, apprend à négocier le prix des provisions qu’il achète, veille au respect des rituels du vieil homme. L’enfant devient ses yeux lorsqu’il décrit les couleurs du ciel, ses mains lorsqu’il lui prépare le thé ou allume sa pipe. Le vieil homme, quant à lui, lui transmet la sagesse dont l’enfant est dépourvu, il partage sa conception de la vie, le respect pour les autres, la tolérance, la foi en soi.

Nous n’avons pas de maison, le ciel est notre toit.

Un roman d’apprentissage dans lequel on suit l’évolution d’un enfant auprès d’un vieux sage qui devient son mentor. Au contact du vieillard aguerri, l’enfant apprend tout d’abord à écouter les conseils de l’adulte puis à les mettre en pratique. Les deux « hommes » se font confiance et une profonde affection les unit. Il s’adapte à son nouvel environnement, apprend à vivre modestement et à se contenter de peu. Un sourire, une main tendue, un rayon de soleil, un fruit sauvage. L’enfant puise sa force et son assurance dans la présence bienveillante de l’adulte. Il s’émancipe, apprend à connaître son corps, à prendre des responsabilités. Il s’en remet au vieillard pour comprendre ce qui lui était jusque-là totalement inconnu : la haine, la guerre, la foi, le respect de l’autre, le respect de soi. Ensemble, ils réapprennent à dépasser leurs fragilités respectives. Leur union fait leur force. Ils s’entraident.

En toile de fond, Aharon Appelfeld décrit la guerre, l’intolérance, l’antisémitisme, l’histoire qui se répète et l’homme qui n’en tire aucune leçon. La présence du vieil homme influence ce texte, son rythme. A l’aide de phrases parfois laconiques, l’auteur décrit un monde sans concessions dans lequel se manifestent des croyances infondées, où il est impossible de rationaliser et d’expliquer certains faits comme la Shoah. Grâce à la présence du vieil homme, Aharon Appelfeld réalise un tour de force en parvenant à installer une ambiance rassurante. Les deux personnages sont totalement démunis, dépossédés de tout bien matériels pourtant, leur foyer à ciel ouvert est un havre de quiétude. Les rituels quotidiens comme celui du thé, de la préparation du feu ou celle du repas sont autant de repères sur lesquels nous nous appuyons peut-être pour nous rassurer.

Une maison à ciel ouvert, le vagabondage comme unique repaire, comme unique rempart à la méchanceté des hommes, à leur haine des sans domicile qui leur rappelle qu’eux aussi ne sont pas à l’abri de la misère. Dans ce récit, une place importante est accordée à la religion et plus encore, à la foi. La foi en soi et quand cette foi est prête à vaciller, elle peut être secondée par d’autres, comme la foi en Dieu. Un bon support pour parler de guerre, de tolérance et de religion avec les jeunes lecteurs qui découvriront cette œuvre.

Extraits :

« – Comment fait-on pour rester digne ? demanda Janek.
– Ne pas se plaindre, ne pas être amer, se taire lorsque l’on a rien à dire, et si l’on a quelque chose à dire, être concis. Ne pas se fâcher, garder à l’esprit que les hommes sont des visiteurs en ce monde, ne pas être prétentieux » (De longues nuits d’été).

De longues nuits d’été

Roman jeunesse
Editeur : L’Ecole des loisirs
Collection : Médium
Auteur : Aharon APPELFELD
Traduction (hébreu) : Valérie Zenatti
Dépôt légal : avril 2017
288 pages, 15 euros, ISBN : 978-2-211-23047-6

Varsovie Varsovie (Zuili)

Zuili © Marabout – 2017

« A l’automne 1939, les armées allemandes envahissent la Pologne. Emanuel Ringelblum a alors 39 ans. Historien, militant social et politique, il comprend tout de suite le sort que les nazis réservent aux juifs d’Europe.
Dès octobre 1939, il débute l’écriture d’un journal, pour rendre compte le plus largement possible de la catastrophe qui s’abat sur la population juive. En mai 1942, conscient qu’il ne pourra suffire seul à la tâche, afin d’agrandir « dans tous les registres » des témoignages sur la réalité de la vie des juifs dans le ghetto de Varsovie, Emanuel Ringelblum crée le collectif d’écriture Oyneg Shabbes.
Traqués sans relâche par les nazis qui ont appris l’existence du collectif, Emanuel Ringelblum et ses amis auront réussi leur combat. Enfouies en 1943 dans des boîtes de métal et des bidons de lait en fer, 27 000 pages de documents et d’archives seront parvenues jusqu’à nous. Une première partie sera retrouvée en 1946, une seconde en 1950. Les Archives Ringelblum font aujourd’hui partie du Patrimoine Mondial de l’Unesco. » (présentation de l’éditeur).

Yentl Perlmann revient pour la première fois en Pologne depuis qu’elle a fui le pays. Née en 1935 à Varsovie… elle y revient à l’occasion de l’anniversaire des 74 ans du soulèvement du ghetto de Varsovie.

Pour moi, c’est inimaginable de revenir ici, à Varsovie, vivante.

A la sortie de l’aéroport, elle demande à revenir sur certains lieux avant de rejoindre son hôtel en plein cœur de la ville. Un moment chargé d’émotion. Le lendemain, elle intervient dans une classe pour témoigner des conditions de vie dans le ghetto de Varsovie pendant la Seconde guerre mondiale.


Mélangeant passé et présent, faits historiques et éléments fictifs, le scénario fait mouche très rapidement. Si le personnage principal (Yentl Perlmann) nous invite à nous immiscer dans l’Histoire, elle s’efface très vite une fois qu’on est entré dans le ghetto. Elle laisse la place à Emanuel Ringelblum (qui fera quelques apparitions), à sa femme, au jeune Jonasz… à ces juifs polonais qui ont eu le courage d’œuvrer dans l’ombre, pour libérer la parole, pour faire en sorte que les choses changent, que le carcan dans lequel ils sont enfermés vole en éclats. A tour de rôle, les personnages vont prendre la parole, donnant sa richesse à ce scénario patchwork. Entre peur et espoir, des années à vivre la boule au ventre dans le ghetto. Une action clandestine pour réunir les écrits de juifs polonais, dire l’insupportable. Didier Zuili leur rend hommage.

Le dessin, c’est autre chose. Flamme de vie, flamme de mort se heurtent en permanence. Les tons sont ternes, les visages marqués, leur teint est blafard, les cheveux hirsutes et des haillons en guise de vêtements. La guerre qui les emmure dans leur propre maison. Des quartiers devenus des antichambres de la mort. Famine, peur, maladie… se terrer pour survivre. Espérer survivre.

Un album pour ne pas oublier. Parce que dire permet aussi d’apaiser les traumatismes. Magnifique témoignage des victimes de la Shoah.

La chronique de Béatrice.

Extraits :

« L’histoire ne peut pas être écrite par des faussaires. Nos écrits sont des balles. Un jour, ces balles atteindront nos bourreaux. Notre résistance de papier traversera l’histoire et nous rendra justice » (Varsovie Varsovie).

« A quoi bon tuer l’espoir ? C’était une denrée si précieuse. La seule dans doute qui leur permettait de continuer à vivre » (Varsovie Varsovie).

Varsovie Varsovie

One shot
Editeur : Marabout
Collection : Marabulles
Dessinateur / Scénariste : Didier ZUILI
Dépôt légal : mars 2017
124 pages, 17,95 euros, ISBN : 978-2-501-11471-4

Bulles bulles bulles…

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Varsovie Varsovie – Zuili © Marabout – 2017

L’Enfant cachée (Dauvillier & Lizano)

L'Enfant cachée
Dauvillier – Lizano © Le Lombard – 2012

Réveillée en pleine nuit par un cauchemar, la petite Elisa retrouve sa grand-mère, Dounia, dans le salon. Elisa aime questionner sa grand-mère, elle lui demande souvent de lui raconter quand elle était petite. Ce soir-là, à la lumière d’un feu de cheminée, Dounia va raconter la période la plus douloureuse de son enfance, celle qui a suivi la rafle de ses parents au début de la Seconde Guerre Mondiale. Cachée dans un fond de meuble, Dounia échappe à la déportation. Elle sera recueillie par Monsieur et Madame Péricard, des voisins de leur immeuble.

Loïc Dauvillier fait partie des auteurs pour lesquels j’ai une tendresse particulière : parce que quel que soit le sujet abordé, ils savent nous faire vibrer en faisant passer leur message ; parce qu’ils créent des personnages qui me marquent et auquel je repense par la suite.

Ici, s’il s’agit d’un sujet régulièrement abordé en bande dessinée, on s’enfonce rapidement dans le scénario grâce au ton chaleureux et intimiste emprunté. C’est une histoire unique, celle de Dounia, qui est racontée de façon tellement sincère qu’on ne peut qu’éprouver de la sympathie et de l’empathie pour cette vieille dame et ses proches. La majeure partie est écrite à la première personne. Dounia raconte, en voix-off, les quelques années de sa vie qui ont bouleversé son existence. Une petite fille que les adultes ont tenté de préserver au maximum, à commencer par son père qui, pour le pas l’inquiéter, lui explique que c’est parce qu’il a accepté que sa famille devienne une famille de shérif qu’ils vont coudre une étoile jaune sur leurs manteaux. Plusieurs années plus tard, c’est sans avoir jamais entendu parler des camps de concentrations que Dounia accompagne le couple qui l’a recueilli pour retrouver la trace de ses parents ; sur les murs d’une grande salle, des centaines de photos de rescapés juifs sont placardées.

Au dessin, Marc Lizano propose des ambiances douces. Le trait est rond, expressif, sans artifices. Cette apparente simplicité renforce la portée des propos du personnage principal. La petite histoire de Dounia s’inscrit dans la Grande. Certains passages nous amène inévitablement à nous rappeler de photos, de témoignages…

PictoOKDestiné à un public jeunesse, cet ouvrage est à consommer sans modération… et cela concerne également les adultes.

Cet album a obtenu la Mention spéciale du Jury Œcuménique de la Bande dessinée en 2013. Il s’inscrit au Roaarrr Challenge.

Une interview des auteurs sur CoinBD.

Les chroniques chez Yvan, Choco, Jérôme et Canel.

L’Enfant cachée

Roaarrr ChallengeOne Shot

Éditeur : Le Lombard

Dessinateur : Marc LIZANO

Scénariste : Loïc DAUVILLIER

Dépôt légal : janvier 2012

ISBN : 978-2-8036-2811-7

Bulles bulles bulles…

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L’enfant cachée – Dauvillier – Lizano © Le Lombard – 2012

Maus (Spiegelman)

Maus, tome 1 : Mon pere saigne l'Histoire
Spiegelman © Flammarion – 1987
Maus, tome 2 : Et c'est là que mes ennuis ont commencé
Spiegelman © Flammarion – 1992

Vers la fin des années 70, Art Spiegelman demande à son père, Vladek, de se remémorer les événements douloureux qu’il a vécu pendant la Seconde Guerre mondiale. Il était alors installé en Pologne, son pays natal.

Vladek revient donc sur les événements qui ont émaillé sa vie de 1939 à 1945. Ce Juif raconte ses premières expériences amoureuses, ses débuts dans la vie active, l’installation progressive des nazis et ses conséquences : des vexations quotidiennes au génocide. Plus de trente ans après les faits, l’émotion et le traumatisme de l’Holocauste sont intacts.

« Maus est l’histoire d’une souris dont le chat a décidé d’avoir la peau. La souris est le juif, le chat le nazi. Le destin de Maus est de fuir, de fuir sans espoir l’obsession du chat qui lui donne la chasse et lui trace le chemin de la chambre à gaz.

Mais Maus est également le récit d’une autre traque, celle d’un père par son fils pour lui arracher l’histoire de sa vie de juif entre 1939 et 1945 et en nourrir sa propre mémoire, se conformant ainsi à l’obligation de se souvenir  » (extrait du rabat de couverture).

« Un chef d’œuvre », « une claque », « un récit bouleversant »… vous avez certainement déjà pu lire ces termes sur l’un des nombreux avis mis en ligne sur cette œuvre. Chaque tome de ce diptyque a reçu un Fauve d’Or à Angoulême (le tome 1 en 1988 et le tome 2 en 1993).

La première partie du récit, Mon père saigne l’histoire, revient sur les événements qui ont eu lieu de 1939 à l’hiver 1943-1944 : les prémices du conflit, l’enrôlement du héros dans les troupes polonaises (été 1939), sa détention dans les camps de prisonniers de guerre, sa première libération et le retour en famille. En trame de fond, l’auteur montre un quotidien qui se dégrade et l‘inquiétude croissante des juifs polonais à mesure que les troupes allemandes resserrent leur étau sur la population. Bien que le lecteur connaisse l’issue dramatique de cet épisode de l’Histoire, il découvre – la peur au ventre – la vie pendant le ghetto de Sosnowiec (Pologne) en 1942, les Juifs qui luttent silencieusement pour préserver leur humanité, les rafles, l’angoisse… jusqu’à ce mois d’avril 1944 où Vladek Spiegelman et sa femme sont dénoncés et transférés à Auschwitz.

Le second tome, Et c’est là que mes ennuis ont commencé, se consacre presque totalement au camps. Dix longs mois à lutter pour survivre en magouillant pour tenter de se procurer une miche de pain de pain, une ceinture… que Vladek pourra revendre ensuite au marché noir contre un « présent » destiné à s’assurer la « sympathie » des Capos et obtenir quelques maigres passe-droits. Chaque jour, il s’étonne d’être encore en vie. En fin d’album vient la Libération et la difficulté à reprendre le cours d’une « vie normale ». Pour le lecteur, c’est aussi l’occasion d’entendre ce rescapé sur les stigmates que cette expérience lui a laissé et la manière dont il gère le traumatisme causé par l’Holocauste.

Art Spiegelman retranscrit fidèlement – et chronologiquement – le témoignage de son père. Quelques pauses sont faites dans le récit biographique de Vladek puisqu’une partie du diptyque est consacrée à la présentation des rapports père-fils. Nous naviguons ainsi entre deux espaces-temps : celui des années 1930 où défilent les horreurs perpétrées par les nazies et celui des années 1970 où un homme (l’auteur) tente de se rapprocher de son père. Chacune de leur rencontre est prétexte (inconsciemment ?) à tisser tardivement des liens inespérés avec un père si distant et si froid. Au passage, ce dernier en profite pour lui transmettre valeurs et traditions juives, prendre son fils à parti dans ses problèmes de couple, le solliciter pour de menus services (bricolage, démarches administratives…). Ainsi, le lecteur découvre à la fois un récit intimiste et un témoignage historique d’une grande portée. Les propos de Vladek sont sincères, touchants. Ils livrent un regard personnel sur un événement majeur de l’histoire sans jamais porter de jugement de valeur sur les actes commis par les bourreaux du peuple juif.

Tout au long de ce témoignage, nous évoluerons dans un univers réaliste malgré le choix d’Art Spiegelman de créer un monde anthropomorphique. Une technique de retranscription qui me fait penser que ce choix l’a aidé à se protéger de la violence des propos de son père, à prendre du recul sur les événements tout en s’appropriant l’histoire de sa famille et de son peuple. Enfin, un choix qui n’est pas anodin puisque, comme l’explique MrZombi dans sa chronique, l’auteur s’appuie sur les éléments de la propagande nazie pour définir les caractéristiques physiques des personnages :

Le phrasé de Vladek n’est pas toujours accessible puisqu’il construit les phrases en inversant le C.O.D et le sujet, lui donnant un petit air de famille avec Yoda de « La guerre des étoiles » et un juste détachement vis-à-vis des faits qui force au respect et impressionne.

Lecture d’Aout pour kbd

 

PictoOKPictoOK« La claque » s’explique tout d’abord par la portée de ce témoignage. Évitant soigneusement de recourir au pathos, Art Spiegelman a fidèlement retranscrit les propos de son père tenus dans le cadre de multiples rencontres qui se sont étalées sur deux ans (dans les années 1970).

Challenge Bu / Lu
Challenge Bu / Lu

Un incontournable du Neuvième Art. La biographie de Vladek Spiegelman est un témoignage doté d’une grande portée.

Art Spiegelman présidera le Festival d’Angoulême en 2012, un rendez-vous à ne pas manquer !

D’autres avis sur Livraddict et Babelio ainsi que la synthèse de l’équipe kbd.

Extraits :

« Je sais que c’est dément, mais d’une certaine manière je voudrais avoir été à Auschwitz AVEC mes parents ; comme ça je pourrais vraiment savoir ce qu’ils ont vécu !… Je dois me sentir coupable quelque part d’avoir eu une vie plus facile qu’aux » (Maus).

« La graisse des corps brulés, ils la recueillaient et la versaient à nouveau pour que tout le monde brûle bien » (Maus).

The Reading Comics Challenge
Roaarrr Challenge
Roaarrr Challenge

Maus – Un survivant raconte

Tome 1 : Mon père saigne l’histoire

Tome 2 : Et c’est là que mes ennuis ont commencé

Diptyque terminé

Éditeur : Flammarion

Collection : Littérature étrangère

Dessinateur / Scénariste : Art SPIEGELMAN

Dépôt légal : janvier 1987 (tome 1) et octobre 1992 (tome 2)

Bulles bulles bulles…

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Maus, tomes 1 et 2 – Spiegelman © Flammarion – 1987 et 1992

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