Les Gens de rien, tome 1 (Masson)

J’ai découvert le travail de Charles Masson en 2009 avec « Droit du sol » , un reportage qu’il avait réalisé à Mayotte auprès de migrants. Il dénonçait les conditions d’accueil lamentables des personnes en situation irrégulière et les piètres moyens mis à la disposition des équipes (de l’humanitaire et du secteur médico-social) pour leur venir en aide. Tout cela… l’opinion publique s’en contrefiche. J’ai lu peu d’autres ouvrages de cet auteur si ce n’est « Soupe froide » qui, là aussi, frappe un grand coup sur la table en s’intéressant au quotidien d’un homme sans-abri.

Des sujets rarement abordés, quel que soit le medium. Alors faut-il être un minimum sensibilisé pour parler de ces sujets « d’actualité » ? Pourquoi cette indifférence générale face à la souffrance d’autrui ? Heureusement, il y a des gens qui se mobilisent. Charles Masson en fait partie, peut-être parce qu’il est médecin et que son parcours l’a amené à rencontrer des gens qui n’ont plus rien, des gens qui pensent « n’être plus rien » parce que la société ne les voit pas, ne les considère pas… elle leur tourne le dos.

Masson © Guy Delcourt Productions – 2021

Avec « Les Gens de rien » , Charles Masson parle du soin, du cancer. Il rencontre Marie en consultation, elle deviendra sa patiente. Il l’accompagne dans sa fin de vie, seule alternative qu’il lui reste car Marie s’est présentée à lui trop tard : son cancer à la gorge ne peut plus être soigné. Les métastases sont partout dans son corps.

Dès le début, l’auteur utilise l’imparfait. Il raconte le passé, il raconte une histoire qui s’est aujourd’hui refermée. On sent la joie de certains instants. On sent la nostalgie dans ce bel hommage qu’il fait à cette femme. Il parle de Marie, de sa vie, du courage dont elle a toujours fait preuve, de sa détermination. Une femme indépendante au caractère bien trempé qui ne se démonte pas face à la première difficulté qui pourrait entraver sa route.

Du passé de Marie qui revit grâce au témoignage de sa meilleure amie au présent de Marie qui regarde la maladie en face. Elle garde la tête haute et le positionnement bienveillant des médecins l’y incite. Sa parole est respectée. Toute patiente qu’elle est, il n’est pas question que les volontés du corps médical s’imposent à elle. Il s’agit de sa vie, de sa santé… c’est à elle de décider si oui ou non elle accepte de prendre tel traitement, de faire tel examen… Il n’est pas de mise de juger, il ne convient pas de la faire plier contre son gré. Parler de « relation de confiance » entre le soignant et son patient prend ici tout son sens ; ils font alliance pour brider autant que possible ce fichu crabe. Le suivi médical a commencé en hiver. Sa seule ambition était de permettre à cette dame de voir une dernière fois le printemps…

L’auteur (et médecin) s’efface complètement au bénéfice du personnage principal. Il est un des personnages secondaires et endosse à sa manière la façon dont cette histoire s’est achevée. Le scénario est fluide, il nous laisse éberlué face à la lucidité de l’héroïne, sa force de caractère et sa pugnacité. On prend plaisir à découvrir ce récit plein d’humanité, cette rencontre entre deux personnes, la confiance réciproque qui se tisse entre eux. C’est simple, doux. Le rythme narratif prend le temps de nous installer puis de nous raconter sans ambages cette petite histoire de vie.

Curieuse et impatiente de découvrir le second tome des « Gens de rien » … il nous mènera peut-être en été aux côtés d’autres petites gens.

Les Gens de rien / Tome 1 : Jusqu’au Printemps

Editeur : Delcourt / Collection : Encrages

Dessinateur & Scénariste : Charles MASSON

Dépôt légal : mars 2021 / 88 pages / 13,94 euros

ISBN : 9782413037507

Quelques jours à vivre (Bétaucourt & Perret)

Bétaucourt – Perret © Guy Delcourt Productions – 2017

Unité de soins palliatifs de Roubaix.

En 2016, 295 patients ont été accueillis dans le service. La durée moyenne d’hospitalisation est de 11 jours.

C’est avec l’arrivée de Juliette – élève infirmière – que l’on fait connaissance avec l’équipe du Docteur Heuclin. Une équipe dynamique composée d’infirmiers, d’aides-soignants, d’une psychologue et de bénévoles (visiteurs médicaux).

Très vite, nous découvrons les rituels quotidiens de l’unité. La journée commence par une réunion matinale durant laquelle les équipes débriefent : l’équipe de nuit fait le relai à l’équipe de jour en parlant de l’état de santé de chaque patient. Une réunion conviviale avec café et croissants, boutades et complicités. Vient ensuite le moment de visiter les malades ; le Docteur Heuclin prend le temps de faire le point avec chacun d’entre eux. Le reste de la journée, l’équipe se relaye autant que possible, bienveillante et organisée, pour assurer la qualité de l’accompagnement des malades et de leurs familles.

Accompagner un individu et ses proches dans leurs derniers instants, aider les uns et les autres à libérer leur parole. Un quotidien de travail souvent douloureux, chaque décès est un « micro-deuil » pour ses soignants.

On est là pour soigner, pas pour guérir.

Je commence à bien apprécier le travail de Xavier Bétaucourt ; j’ai lu deux des trois albums qu’il a publiés sur les deux dernières années et je n’ai pas eu le soupçon d’une déception (avec une préférence marquée pour « Le Grand A » publié aux éditions Futuropolis). J’avais donc très envie de découvrir son dernier-né : « Quelques jours à vivre » .

Londres, 1948. L’infirmière Cicely Saunders accompagne David Tasma, un immigré juif polonais de 40 ans, dans ses derniers jours. Il meurt, seul, d’un cancer. Il a certes besoin d’une prise en charge de la douleur mais surtout, il a besoin de se raconter. Alors ils parlent. Ensemble, ils imaginent un havre où les mourants pourraient trouver la paix dans leurs derniers jours. A sa mort, il lègue 500 livres sterling pour créer ce lieu où les soins seraient plus personnalisés. Où l’on s’occuperait de la douleur et où l’on écouterait les malades.

Le scénario est assez riche car il prend le temps de montrer l’évolution de la prise en charge du malade au travers des siècles, la lente prise de conscience (en France) de la nécessité de mettre en place des unités de soins palliatifs. Loin d’apporter de la lourdeur au propos, ces temps de récit plus didactiques offrent au contraire une respiration dans « l’histoire » de l’unité roubaisienne. Car au cœur de cette unité, des vies sont sur un fil et l’équipe œuvre pour accompagner au mieux chaque personne jusqu’au dernier souffle.

Massages, hypnose, parole, présence, médication, caresse, baiser, rire… chaque soignant veille à sa manière, avec douceur, bienveillance, empathie et toute la technicité de sa profession. Au dessin, Olivier Perret ( « Il fera beau demain » , « Journées rouges et boulettes bleues » ) caresse à son tour les personnages et donne à l’ambiance un côté apaisant. Sans pathos et respectant l’intimité de chaque patient, il illustre avec beaucoup de délicatesse les scènes de vies qui s’offrent à nous. Il parvient à accompagner la voix de chaque personne amenée à témoigner dans cet album (en l’occurrence, il s’agit de l’équipe de soignants) et donne beaucoup de profondeur à ce récit choral. Le dessinateur s’attarde également sur de nombreux détails graphiques qui montrent la volonté des professionnels à porter jusqu’au dernier instant les corps fatigués qui sont alités dans les chambres de l’unité.

Pour avoir passé quelques jours dans une unité de soins palliatifs cet été, j’ai retrouvé dans l’album cette ambiance calfeutrée, chaude et lumineuse. Un instant de lecture suspendu entre ici et ailleurs pour mettre des mots sur la fin de vie et saluer le travail d’accompagnement réalisé par ces équipes de soignants.

Sur le même thème, j’avais aussi fort apprécié « Journal d’un adieu » de Pietro Scarnera.

La chronique d’Alice.

Quelques jours à vivre

One shot
Editeur : Delcourt
Collection : Encrages
Dessinateur : Olivier PERRET
Scénariste : Xavier BETAUCOURT
Dépôt légal : septembre 2017
128 pages, 14.95 euros, ISBN : 978-2-7560-8226-4

Bulles bulles bulles…

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Quelques jours à vivre – Bétaucourt – Perret © Guy Delcourt Productions – 2017

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