Even (Zidrou & Alexeï)

Zidrou – Alexeï © Guy Delcourt Productions – 2021

Le sexe et son cortège de florilèges : jouissance, désir, orgasme, bien-être… Dans une société future, le sexe est devenu la clef de voute de l’harmonie communautaire. Optimiser la vie sexuelle de chacun est devenu un leitmotiv, une science… un business de santé publique. L’épanouissement de l’intime est de mise, de gré ou de force.

L’Erospital de Montpellier est le lieu en vogue pour atteindre la plénitude sexuelle. Dans ce complexe médical, on se touche, on se doigte, on se lèche, on s’attache, on se pénètre, on s’excite… les tabous sont laissés à la porte pour que chacun puisse explorer ses fantasmes… tous ses fantasmes.

« L’Erospital de Montpellier est particulièrement fier de vous proposer le premier traitement émotivo-sexuel au monde par réplico-thérapie Even. Even est une entité virtuelle neutre, malléable et auto-ajustable selon vos désirs, capable de prendre le sexe et l’apparence – humaine uniquement – de votre choix. La vôtre, si vous la souhaitez, ou celle d’un défunt qui vous était cher, sur présentation de son CogigA.D.N. Le bonheur sexuel est un droit. Contribuer au vôtre, notre devoir ! »

Cette promesse de bonheur cache en vérité des pratiques thérapeutiques peu conventionnelles. A commencer par le fait que la quête de l’extase sexuel est réservée aux Swiits : de beaux citoyens, agréables à regarder. Leur conformité physique leur permet d’accéder à l’emploi de leur choix. Aux Ugly seront réservés les emplois dont personne ne veut : agent d’entretien, éboueur… De fait, les Ugly n’ont pas le droit à cette envolée sexuelle à laquelle tout le monde aspire pourtant.

Cette quête chimérique de bonheur prend, pour certains, la forme d’une thérapie individualisée obligatoire. C’est un non-sens pour beaucoup de patients du Docteur Sidibe. A la longue, nombreux sont ceux qui ne perçoivent plus l’intérêt de venir se palucher à heure fixe et à fréquence régulière entre les murs d’une pièce de l’Erospital. Fred fait partie de ces patients ; le Docteur Sidibe s’est mis en tête de stimuler la libido de ce jeune veuf très affecté par le décès de sa compagne. La journaliste Ann Seymour va chercher à entrer en contact avec Fred afin de mener à bien son investigation pour prouver que les pratiques de Sidibe sont abusives… et pour le moins douteuses.

« Nous sommes passés d’une dictature du péché à une dictature du plaisir. »

Ce n’est pas simple pour moi de faire le résumé de cet album mais j’ai voulu prendre le temps d’en parler parce que j’ai trouvé qu’il y avait quelque chose d’intéressant dans le postulat de départ de cette fiction dystopique. Cette vision cynique d’une société qui cafouille encore m’a intriguée. J’ai trouvé cela pertinent et ça m’a donné envie de faire cette lecture.

Zidrou montre qu’il est possible que nos sociétés s’enlaidissent plus encore. Avec la pandémie, on a vu depuis 2020 que nos gouvernants étaient capables d’intruser sans vergogne la manière dont on gère nos vies privées. « Even » pousse la chansonnette un peu plus loin en imaginant que cette intrusion peut aller jusqu’à notre intimité… et cela sans vergogne… et cela sans que le « peuple » ne bronche. Il suffit juste d’un discours marketing suffisamment racoleur pour faire croire que cela se fait dans l’intérêt de tous.

Il n’y a qu’une seule chose optimiste là-dedans : la couleur de la peau n’est plus un critère pour juger des individus. Pourtant, c’est une autre forme de ségrégation qui s’est mise en place : celle de la beauté. Le paraître. Les laids sont mis au ban de la société : ils ont des écoles pour eux, des quartiers pour eux, des activités pour eux et rien ne peut leur permettre de sortir du carcan de cette imparable ghettoïsation.

C’est la description d’une société hypocrite qui a une nouvelle fois rebattu les cartes pour que le jeu tourne éternellement en sa faveur. Le dessin d’Alexei est assez propre et ne fait pas trop de remous côté graphique. Il « fait son taf » et installe une ambiance qui colle bien avec l’intrigue. Je n’ai pas grand-chose à dire à ce niveau-là car les illustrations n’ont provoqué aucun émoi en moi.

C’est donc le propos qui m’a tenu en haleine durant un bon moment. Dommage que le dénouement de cette histoire nous propose une fin si prévisible et si abrupte ! Tout se referme d’un coup sans prendre le temps de réellement donner les réponses à des questions qui nous ont traversé l’esprit. L’ensemble est finalement assez convenu. Je dis souvent que pour moi, lire un Zidrou : c’est quitte ou double. Cette fois, ça ne passe pas. C’est une lecture que j’oublierai vite. Mais toi, si tu as lu cet ouvrage, qu’as-tu à en dire ?

Even

Editeur : Delcourt

Dessinateur : ALEXEÏ / Scénariste : ZIDROU

Dépôt légal : juin 2021 / 88 pages / 18,95 euros

ISBN : 9782413013266

L’Epouvantable Peur d’Epiphanie Frayeur, tome 2 (Gauthier & Lefèvre)

Il y a quatre ans, en refermant « L’épouvantable peur d’Epiphanie Frayeur », j’étais bien loin d’imaginer que cet opus aurait une suite. Alors c’est aussi étonnée que curieuse que j’ai eu envie de plonger dans ce « Temps perdu », second tome de la Saga.

Gauthier – Lefèvre © Soleil Productions – 2020

Six mois ont passé depuis qu’elle a affronté sa plus grande peur. Epiphanie avait peur de son ombre. En acceptant de la regarder en face, elle a dépassé ses angoisses et est désormais prête à affronter la vie plus sereinement.

Mais Epiphanie reste une enfant songeuse. Elle se perd régulièrement dans ses pensées et ressent même de l’angoisse lorsque ses parents veulent organiser une fête pour son anniversaire. Elle doit inviter des amis mais… quels amis !!? Il ne faut pas plus que cette petite pointe de malaise pour que l’ombre d’Epiphanie réapparaisse. Ni une ni deux, prise d’une trop grande émotion, Epiphanie perd connaissance et se réfugie dans son monde intérieur. Elle y retrouve ses amis qui l’attendaient pour lui souhaiter son neuvième anniversaire… et lui montrer le chemin pour combattre cette nouvelle peur qui vient pointer le bout de son nez !

Epiphanie va devoir retourner en enfance pour comprendre pourquoi elle a si peur de se faire des amis.

« Les amis, ça s’apprivoise. »

Nous revoilà donc en compagnie d’Epiphanie Frayeur, une petite fille de neuf ans qui a très peur de grandir et de quitter le cocon familial. L’enfant est pourtant bien consciente qu’elle doit aller de l’avant mais trop introvertie, elle n’ose pas se confier. Secrète et solitaire, Epiphanie Frayeur va donc chercher par ses propres moyens l’origine de ses peurs. Et l’endroit le plus logique qu’elle trouve pour cela est de se réfugier en elle-même et d’y retrouver ses amis imaginaires.

Le postulat de départ de Séverine Gauthier est judicieux, d’autant plus que j’adhère assez à l’idée que nous hébergeons en nous les solutions qui permettent de résoudre les problèmes auxquels nous nous heurtons. Face à ces points de butée, certains s’en remettent à leur instinct tandis que d’autres vont intellectualiser à outrance, peser le pour et le contre et parfois, vont finir par se perdre en circonvolution… Epiphanie Frayeur fait partie de ces derniers. A force de mentaliser, l’enfant se prive de tout un tas de choses : elle n’a pas d’amis, pas de loisirs, pas de jeux de prédilection… Elle se prive de tout ce qui permet à l’enfance d’être une période douce et pétillante. La scénariste place ainsi son personnage sur son échiquier narratif et c’est une fois encore dans l’imaginaire que les clés de compréhension sont à trouver. Le courage dont sa petite héroïne fait preuve donne beaucoup d’élan au scénario. Elle bute mais ne renonce pas… sa vie en dépend. Une quête qui a pour but de parvenir à l’épanouissement personnel.

« Flotter est la raison d’être des enfants. »

L’utilisation de métaphores rendent l’ambiance très douce et poétique mais il faut être un jeune lecteur sacrément futé pour ne pas buter sur les nombreuses images verbales qui sont présentes dans la narration. Heureusement, le travail d’illustration de Clément Lefèvre vient nous prêter main forte. A l’aide de clins d’œil appuyés à différentes références de la culture populaire enfantine *…

* [la petite Alice de Lewis Carroll mais aussi des personnages de contes comme celui de Pinocchio, des références aux Animés (Astro, Gigi, Goldorak… ou des personnages de Miyazaki) mais aussi pêle-mêle : les Gremlins, le Muppet Show, Casimir… il n’est pas possible de tous les énumérer !]

L’Epouvantable Peur d’Epiphanie Frayeur, tome 2 – Gauthier – Lefèvre © Soleil Productions – 2020

… , le dessinateur crée un monde imaginaire d’une grande richesse. Le lecteur se sent en terrain familier et peut ainsi se laisser porter sereinement par le récit. On s’égare dans les illustrations par moments, on se régale de laisser notre œil fureter dans les visuels car ici, prendre le temps de contempler certaines cases, c’est aussi voyager dans le terrain connu de notre propre enfance.

Séverine Gauthier parvient parfaitement à transmettre l’idée que grandir, c’est parvenir à dépasser certaines étapes. Un tome beaucoup plus alerte que le précédent. Un régal d’album jeunesse !

L’Epouvantable Peur d’Epiphanie Frayeur

Tome 2 : Le Temps perdu

Editeur : Soleil / Collection : Métamorphose

Dessinateur : Clément LEFEVRE / Scénariste : Séverine GAUTHIER

Dépôt légal : octobre 2020 / 80 pages / 18,95 euros

ISBN : 97823020897304

De rose et de noir (Lambert)

Lambert © Des Ronds dans l’O – 2017

Ce qui a décidé Manon à aller voir un psychothérapeute, c’est la colère et l’incompréhension. Sa séparation remonte pourtant à plus d’un an mais aujourd’hui encore, elle ne peut s’empêcher de penser à cet homme. Elle doute.

Chaque fois que je fais quelque chose, je me demande comment il aurait réagi, comment ça se serait passé si on l’avait fait ensemble… etc, etc

Ce que Manon ne comprend pas, c’est la raison pour laquelle cet homme est encore si ancré en elle, malgré les insultes, malgré sa violence, malgré l’enfer qu’il lui a fait vivre. La séparation aurait dû être une libération mais Manon fait le constat que l’emprise psychologique de son ex est encore bien réelle.
Entre la thérapie et le soutien que lui apporte sa co-locatrice, Manon va tenter de prendre du recul pour pouvoir enfin tourner la page.

Réapprendre à se faire confiance. Réapprendre à faire confiance aux autres. Passionnant sujet. Une attitude évidente pour certains… beaucoup moins pour d’autres. C’est ce que raconte, en partie, l’histoire de Thibaut Lambert. C’est la première fois que je lis cet auteur et pourtant, ses précédents albums m’ont déjà fait de l’œil. Il s’était penché sur le sujet de la maladie d’Alzheimer ; dans un premier temps, il réalise un album jeunesse puis, en 2014, il publie « Au coin d’une ride » avec un récit qui, cette fois, s’adresse à un public adulte. De plus, depuis quelques années, il s’inspire de sa propre expérience pour réaliser une série de carnets de voyage en Amérique du Sud : « Les Lambert en voyage » (à ce jour, la série compte deux albums).

Avec « De rose et de noir » , Thibaut Lambert parle de la violence conjugale. Les séquelles, une blessure intime, le corps qui se rappelle les coups qu’il a reçu. Les regrets. La peur.

L’auteur montre également l’importance de la parole, ne fait de ne pas prendre la fuite par rapport à ses peurs. Dire les choses, les questionner, cerner ses difficultés… et apprendre à se connaître et à se comprendre pour pouvoir avancer. Un récit plutôt optimiste qui prend pourtant le temps de s’arrêter sur tous les points de butée qui peuvent apparaître. Le récit est fluide, le dessin est assez sobre et n’accepte qu’un rouge Andrinople plus ou moins prononcé.

Une identité qui se reconstruit, un corps qui se détend. Après les violences subies vient le temps de l’apaisement. Le lecteur chemine avec le personnage principal. On la voit panser ses plaies, identifier peu à peu ses fragilités et les accepter. Un dénouement heureux

C’est une expérience de vie comme il en existe des milliers. Une manière de faire face à ses angoisses. Une manière de dire et de montrer son refus de la violence. Un propos trop tendre à mon goût.

Une lecture que je partage avec Jérôme.

De rose et de noir

One shot
Editeur : Des Ronds dans l’O
Collection : Un roman graphique
Dessinateur / Scénariste : Thibaut LAMBERT
Dépôt légal : novembre 2017
72 pages, 18 euros, ISBN : 978-2-37418-038-0

Bulles bulles bulles…

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De rose et de noir – Lambert © Des Ronds dans l’O – 2017

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