Les Rigoles (Evens)

De temps en temps, il y a des univers d’artistes qui m’accrochent au premier coup d’œil. Sans réserve.

Celui de Brecht Evens en fait partie. Je me rappelle encore la fascination lorsque j’ai découvert son travail pour la première fois. C’était à l’occasion d’Angoulême ; en 2013, l’exposition « La boîte à Gand » était consacrée aux auteurs flamands. Les originaux exposés mettaient généreusement en avant le travail de Brecht Evens. Jusque-là, je m’étais contenter de lire de-ci de-là des chroniques élogieuses quant à ses ouvrages mais je n’étais pas allée plus loin. C’est donc avec cette exposition que j’ai littéralement plongé dans ses illustrations. Puis vint la lecture des « Noceurs » et celle des « Amateurs » quelques mois plus tard.

Cette fascination pour ce graphisme foisonnant de couleurs où regorgent les détails en tous genres (vestimentaire, architectural, esthétique…) opère comme par magie. Les pages sont saturées de couleurs, tous les espaces de la planche sont utilisés et l’œil du lecteur est en permanence sollicité. On lit avec gourmandise.

« Les Rigoles » nous plonge dans la vie nocturne et les rues animées d’une métropole. C’est là que nous allons suivre la nuit étonnante que vont vivre Victoria, le Baron Samedi et Jona. Ces trois-là ne se connaissent pas. Ils ont un point commun : ils partagent ce même amour pour l’effervescence qui existe dans les lieux où se retrouvent tous les oiseaux de nuit.

Nous sommes en été, la nuit est belle et chaude. Des avenues grouillantes de monde aux petites ruelles délaissées par les badauds, le lecteur va sillonner les artères du quartier des Rigoles et se griser aux sons de musiques éclectiques, de cocktails enivrants et suivre les délires des trois personnages principaux. Si ces derniers se croisent par moment, ce n’est que par pur hasard. Le reste du temps, ils vivent ces quelques heures de façon totalement différentes. Tour à tour, au gré des rencontres – et de l’effet des produits qui passeront à leur portée -, ils vont avoir des coups de blues, ils vont se mettre en scène et manifester leur euphorie, ils sont traversés par des instants de grande lucidité ou être en proie à des expériences hallucinatoires.

Boire, rire, profiter de la vie mais surtout surtout, ne pas être seul. Ils fuient, ils se cherchent. Ils testent leur limites autant que leur folie. Comme d’autres, ils abhorrent ces moments où l’on se retrouve face à eux-mêmes, dans un tête-à-tête solitaire angoissant propice à la rumination. Ils comblent la frustration de ne parvenir à s’accepter en se jetant corps et âme dans des festivités. Le temps d’une nuit, ils vont une fois de plus côtoyer quelques visages familiers mais surtout aller à la rencontre d’inconnus à qui ils peuvent faire croire, l’espace d’un moment, qu’ils sont solaires, que le présent n’est que strass et paillettes, que leur vie en flamboyante et qu’elle offre de multiples possibles…

C’est beau et triste à la fois, optimiste et pathétique, doux et brut… Brecht Evens fait preuve d’une énergie créatrice folle. Cette lecture conséquente nous ballotte au gré des humeurs des personnages. Tantôt, on est pris d’une frénésie à dévorer les pages, friands à l’idée d’attraper toutes les bribes d’échanges qui passent à notre portée. A d’autres moments, on est plus morose, presque asthénique face à l’expression du mal-être de certains personnages ; on dépose alors nonchalamment notre regard sur des répliques chagrines en attendant que le vent tourne et que l’humeur revienne chatouiller la gaieté.

Ces émotions que l’on parcourt, ce charivari de rires, de confidences, de mélancolies, d’embardées dans les discussions… voilà un ouvrage mouvant, en perpétuelle construction. Je reste époustouflée par cette juxtaposition de couleurs, de détails, de personnages, de couleurs et de bruits. Pour dire les choses plus simplement : l’univers artistique de Brecht Evens est absolument fascinant.

Les Rigoles
One shot
Editeur : Actes Sud / Collection : Actes Sud BD
Dessinateur / Scénariste : Brecht EVENS
Dépôt légal : août 2018 / 336 pages / 29 euros
ISBN : 978-2-330-10837-3

Dimanche (McNaught)

McNaught © Dargaud – 2016
McNaught © Dargaud – 2016

« Avec Dimanche, McNaught nous entraîne dans une étonnante balade en apesanteur, dans un de ces quartiers résidentiels de banlieue aux maisons identiquement répétées et aux pelouses uniformément manucurées. » (synopsis éditeur).

Initialement publié chez Nobrow (en version française), « Dimanche » est dans le catalogue de Dargaud depuis janvier 2016.

Si vous avez besoin de calme, « Dimanche » est le livre adéquat. On pourrait en dire de même pour « Automne ». Jon McNaught a une sensibilité rare, une perception

Ambiance rose-bleu qui imprime comme une mélancolie. La langueur d’un dimanche éphémère, son caractère furtif, son ambivalence à force d’être coincé entre un jour de repos et l’annonce déjà désagréable d’une nouvelle semaine qui va s’engager.

Un dimanche à ne rien faire si ce n’est observer les jeux d’ombres que fait le soleil en glissant doucement sur l’horizon. Un dimanche dans un quartier pavillonnaire où chaque maison est la réplique identique de sa voisine. Rien ne laisse supposer qu’à l’intérieur, la décoration diffère d’une maison à l’autre. Et pourtant, les bruits, sonnerie de téléphone, chien qui jappe, casseroles qui se cognent, les rires qui éclatent et la musique qui fredonne sont autant d’indices qui nous font penser le contraire.

Malgré l’aspect redondant de l’horizon qui est donné à regarder, l’imagination s’envole.

Aucun dialogue, juste des sons, un mélange de bruits urbains, de bruits domestiques, quelques passages de films qui passent à la télévision. Du banal pourtant Jon McNaught a l’art et la manière d’accrocher le petit détail insignifiant qui permet au lecteur de dérouler le fil narratif de ce penchant à la passivité qui nous prend souvent le dimanche. Une beauté tranquille que l’on savoure, loin de toute montée d’adrénaline, loin de toutes les manifestations événementielles.

PictoOKOn savoure cette nostalgie de ces dimanche-là à ne rien faire.

Pour le plaisir, ce très beau texte proposé par les éditions Nobrow au moment de la sortie française du livre :

« Horizons infinis de maisons préfabriquées dans des quartiers résidentiels aux jardins soigneusement entretenus et aux haies parfaitement taillées ; Dimanche nous rappelle ces lieux en apparence si communs. Pour certains, la ville symbolise leur lieu de naissance ou de résidence, mais pour la plupart d’entre nous, c’est un lieu qui s’est construit pendant des années de dur labeur et de persévérance, pour devenir peu à peu notre lieu de vie : un endroit calme et serein, mais aux origines souvent pénibles.
Pour son premier roman graphique, Jon McNaught nous offre un portrait plein d’indulgence de tout ce que nous faisons (et ne faisons pas) lors un jour de repos, pour nous amuser et passer le temps, en laissant libre cours aux idiosyncrasies de nos voisins et à notre imagination. Ce qui rend ce livre si unique, c’est que tandis que l’on ressent la frustration inhérente de ces moments, on ne peut s’empêcher de se retrouver dans ces portraits. McNaught parvient à capturer la beauté et la tranquillité de ces instants, et nous transporte dans ces fins de journée typiques, parsemées de nuages roses, et au silence si particulier ; silence auquel on ne peut qu’aspirer après avoir passé plusieurs années en ville. »

la-bd-de-la-semaine-150x150Un album que je partage dans le cadre de la BD de la semaine.
Les liens sont aujourd’hui chez Moka.

 

Dimanche et quatre guides natures

One shot
Editeur : Dargaud
Dessinateur / Scénariste : Jon McNAUGHT
Dépôt légal : janvier 2016
28 pages, 12 euros, ISBN : 978-2205-07459-8

Bulles bulles bulles…

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Dimanche – McNaught © Dargaud – 2016

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