Giboulées de soleil – Lenka Hornakova-Civade

images« Il faut le préciser, on est des bâtardes de mère en fille, comme certains sont boulangers ou rois. Aujourd’hui, il n’existe plus de boulangers. Ils ont été remplacés par des boulangeries industrielles qui crachent du pain sans âme, d’après maman Marie, qui fait son pain pour la semaine à la maison. Les rois n’existent plus non plus et ont été remplacés, eux, par le Parti Communiste. Il faut maintenant être communiste de père en fils. L’avantage avec le communisme, c’est que chacun peut l’adopter, alors que normalement il n’y a qu’un seul roi par pays. […] A part être bâtardes, dans notre famille, nous ne sommes pas communistes, nous sommes brodeuses, de mère en fille. »

Alors c’est l’histoire de filles-sans-père. D’une lignée de bâtardes, qui, à chaque nouvelle génération, se battent, vivent, avancent avec force, courage, détermination. En toile de fond, l’histoire d’un pays aujourd’hui disparu, la Tchécoslovaquie. De 1930 à 1980.

Je pourrais vous raconter l’histoire, oui mais voilà, je crois que moins on en sait, mieux c’est ! Il faut aller voir, se plonger dans ce merveilleux 1er roman. Vous me direz que je ne suis pas objective, que les histoires de femmes, d’héritage, de transmission, de filiation, de lien mère-enfant, de maternité,  de broderies, de lignée, d’émancipation, d’engagement, de quête de liberté … c’est un peu mon truc ! Le sujet de ma thèse ! Alors qu’évidemment ce livre ne pouvait que me plaire …. C’est vrai, toutafé vrai ! Il y a de ça, évidemment ! Et il y a aussi cette si jolie écriture, simple, tendre, à l’accent chantant des pays de l’est. Il y a aussi ces voix de femmes, ces histoires emmêlées, sombres, belles, violentes…. Un souffle de révolte et de liberté dans ce 1er roman que j’ai dévoré le temps d’un week-end, le temps d’une respiration dans cette rentrée scolaire complètement folle 😉

 

Et pour vous donner envie, des extraits à savourer sans aucune modération !

Extraits

« Ce chemin est lent, il invite à traîner le pied, à regarder les champs et les forêts, à ramasser des mûres le long des fossés, des pommes, ou des noix, suivant les saisons, et on peut y sautiller pieds nus. Bref, c’est une route amusante, et on n’y croise personne. Il ne s’y passe jamais rien, sauf toutes ces petites aventures quotidiennes. Les boutons de fleurs qui s’ouvrent, les musaraignes qui ont de nouvelles portées, les corbeaux qui arrivent plus tôt dans la saison ou tardent à repartir pour laisser la place au printemps, les branches cassées des vieux pommiers dont personne ne prend soin après un orage d’été plus violent que d’habitude. Si on n’y passait pas avec Rose et maman Magdina, personne ne saurait que tous ces petits riens existent. C’est à se demander si ce chemin n’est pas là juste pour nous. »

«  Elles attendent. Secousse, bien violente. C’est de l’amour ou de la haine pour ces deux femmes ? Elles savent, elles savaient, et elles ne m’ont rien dit, ne m’ont pas prévenue de la douleur du monde, de la charge que l’on doit porter, du poids du silence. J’entends maintenant leurs regards, illisibles et lourds. Je leur en veux terriblement, elles n’avaient pas le droit de se taire, le silence n’explique rien. Moi, je voudrais leur parler, sans savoir exactement quoi dire et comment. Alors j’égraine tous les mots que je connais, je cherche les meilleurs, les plus justes pour raconter ma journée. Comment raconte-t-on une journée comme ça à sa mère, à sa grand-mère ? Impuissante, je finis par me taire, je me sens devenir taiseuse, comme elles deux. »

« Mais mamie Marie m’a prise sur ses genoux, m’a embrassée et a chuchoté à l’oreille « Tu n’appartiens à personnes. Tu es libre. Il n’y a que ça qui compte. Ne l’oublie jamais. » Elle m’a serrée très fort… » 

« Au fond de moi, je ne sais pas si j’aurais tellement aimé rentrer dans le cadre de la normalité. La normalité, c’est ce qu’on nous assène dès notre plus tendre enfance. Pas d’écart, pas de fantaisie, pas de différence, ni plus haut, ni plus bas, ne pas sortir du rang, ne pas être remarquable, ni remarqué, être effacé. D’ailleurs, on en a fait une idéologie, de la normalisation. Ça présuppose que l’on sait ce qui est normal et que l’on tend vers cela. En gros, c’est penser, vouloir, dire et vivre tous la même chose. Du moins en apparence. Oui, s’effacer, et là, paradoxalement, on peut commencer à exister soi-même, secrètement, en catimini ; avoir une vie clandestine. Moi, je ne rentre pas dans le moule, j’ai une tâche de naissance, une ligne blanche depuis des générations. C’est ça être moi, être de la lignée blanche, ne pas être normale. Je crois que ça me convient, en dépit de la prof et du reste du monde. »

 

68 premières fois

 

Encore une merveille savourée grâce à cette formidable aventure des 68 premières fois (allez découvrir les nombreux billets et cette belle communauté héhé c’est par !)

Giboulées de soleil, Lenka Hornakova-Civade, Alma Editeur, 2016.

16 réflexions sur « Giboulées de soleil – Lenka Hornakova-Civade »

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