Trajectoire de femme (Williams)

Williams © Massot éditions – 2021

Metro, boulot, dodo.

Erin Williams vit dans la banlieue new-yorkaise. Chaque jour, elle prend le train pour aller travailler en ville. Pendant les trajets, elle laisse aller ses pensées. Elle voit le regard des hommes se poser sur elle, elle y lit leur désir pour son corps ou leur indifférence… elle y associe ses souvenirs, se rappelle de sa vie passée, des traumatismes qu’elle a vécus et de l’alcool qui était son unique allié.

Sur le tard, elle a rencontré des personnes sur lesquelles elle s’est appuyée. Trouver de nouveaux repères et une autre dynamique de vie était la seule issue pour ne pas sombrer définitivement. Il lui a fallu apprendre à se protéger des hommes et surtout (surtout !) apprendre à s’aimer un peu.

Aujourd’hui, Erin semble vivre de façon mécanique. Elle se lève, déjeune, s’habille, se maquille et sort le chien avant de prendre le train pour aller au travail. Elle a désormais des rituels qui bordent son quotidien. Les frontières d’un espace sécure. Elle est loin, bien loin des prises de risques qu’elle prenait quand elle était plus jeune. Elle a reconstruit sa vie et la maternité lui apporte cette part d’inconnu qui lui permet, pas à pas, de s’apaiser. Dans cette incessante découverte de l’autre qui grandit et s’ouvre à la vie, Erin s’épanouit et mesure le chemin qu’elle a parcouru… elle mesure aussi le décalage avec sa vie d’avant. Plonger son regard dans celui de sa fille est la preuve de toutes les victoires qu’elle a gagné. Elle n’a plus besoin de s’oublier… elle n’a plus besoin d’oublier son corps, elle n’a plus besoin de l’alcool. Le soir, lorsqu’elle rentre chez elle, elle est sereine. Elle a aussi trouvé un emploi où elle s’épanouit… elle s’y investit avec sérieux. Mais durant ses trajets en train ou lorsqu’elle n’est pas occupée, elle est ailleurs… ses pensées cheminent, elle ressasse les souvenirs. Elle repense au passé, elle revoit ces hommes qui l’ont malmenée. Son rapport aux hommes l’a longtemps fait vaciller. Face à eux, elle a été brindille. Avec eux, elle a connu les tourments au point de se détruire et de s’oublier quotidiennement dans l’alcool.

« C’est bizarre qu’on vous rappelle sans cesse ce que vous êtes : « désirable + visible » ou « indésirable + invisible » . Dans le premier cas, vous ressentez une sensation permanente de danger. Dans le second cas, vous vous sentez seule au monde. C’est ça, être une femme dans un lieu public. »

Aujourd’hui encore, leurs regards créent chez elle une sorte de malaise. Erin Williams repense souvent aux expériences qui l’ont fragilisée. Viols, agressions sexuelles… lui ont laissé la sale impression d’être une proie et que les hommes sont des prédateurs.

« Mon esprit aimerait oublier ce que c’est d’être considérée comme un corps inerte, une série de trous. Mais le corps et ses colonies sont dévorés de besoins. Le nier, c’est nier sa propre humanité. »

Alors oui, le dessin est grossier et le parler est direct. Un quotidien en noir et blanc, un décor minimaliste. Il y a quelque chose d’assez factuel dans la façon de relater les fait et de les illustrer. Par moment, surgit une planche en couleurs où l’illustration est travaillée et la voix-off mue en un filet poétique. Sous la carapace, on ressent une grande sensibilité.

Dans ce récit autobiographique, Erin Williams montre toute la difficulté de se construire, en tant que femme, dans une société qui prône la culture du viol. Des policiers qui banalisent des agressions sexuelles, des hommes qui font culpabiliser quand on rejette leurs avances. La honte qui en découle, le réflexe de se replier sur soi. La solitude dans laquelle elle s’est réfugié pour se protéger.

« Les alcooliques, comme les drogués, veulent oublier. Ils recherchent la paix au moyen de l’anéantissement physique, émotionnel et mental. Le sexe permet d’atteindre cet état grâce à l’orgasme. Une perte de soi. »

Elle parle de désir. De son désir qu’elle a trop souvent ignoré pour satisfaire le désir d’un partenaire éphémère. Elle s’est blessée au contact d’autres corps. Elle a été une femme-objet, complice silencieuse de sa chosification.

Elle développe une réflexion de fond sur les rapports hommes-femmes, la perception que chacun peut avoir de son propre corps et sur l’instrumentalisation du corps de la femme par la société.

« On voit des femmes à moitié nues partout dans la rue. C’est comme ça qu’on vend des objets aujourd’hui. »

Ce récit est une catharsis. L’autrice livre un témoignage très personnel, dérangeant sur certains aspects. La réflexion de fond sur la place de la femme dans la société m’a beaucoup plu.

Trajectoire de femme – Journal illustré d’un combat (one shot)

Editeur : Massot éditions

Dessinateur & Scénariste : Erin WILLIAMS

Traduction : Carole DELPORTE

Dépôt légal : mars 2021 / 304 pages / 26 euros

ISBN : 9782380352276

L’Enfant, la Taupe, le Renard et le Cheval (Mackesy)

« C’est étrange. On voit seulement l’extérieur des gens, mais presque tout se passe à l’intérieur. »

Mackesy © Les Arènes – 2020

Quatre amis.

Un enfant innocent et curieux, une taupe gourmande, un renard méfiant et un cheval bienveillant.

Ensembles, ils vont partir explorer le monde par un beau jour de printemps.

« Je m’étonne moi-même d’avoir écrit un livre, je ne suis pas un grand lecteur. J’ai surtout besoin des images, elles sont comme des îles, des refuges dans une mer de mots. Ce livre (…) j’aimerais que vous puissiez l’ouvrir à n’importe quelle page, n’importe quand. » (Charlie Mackesy)

Alors Charlie Mackesy a fait un livre que l’on pouvait ouvrir à n’importe quelle page. Plume, pinceau, encre de Chine, aquarelles et l’espace fou des pages blanches prêtes à accueillir ce que l’auteur leur livre. Charlie Mackesy a fait de ce livre un petit bijou. Un instant suspendu. Un message d’optimisme et d’amour. Un espoir d’humanité.

« – Qu’est-ce que tu veux être, toi, quand tu seras grand ?

– Gentil, dit l’enfant. »

En toute simplicité, l’auteur a posé des petites pensées, réflexions philosophiques et questions existentielles mais tout cela est amené simplement, spontanément, avec des mots simples et bienveillants. Le tout est accompagné de magnifiques illustrations où un jeu tendre se met en place entre le noir et blanc et la couleur. On a parfois l’impression de parcourir un carnet de croquis exploratoires, parfois l’impression d’être dans un livre d’Art. Chaque mot, chaque phrase, chaque intonation est mise à notre portée, parfois de façon poétique, parfois de façon naïve. On s’en saisit. On s’accroche à ces bribes, ces confidences, ces échanges qui parlent tour à tour de peurs, de désirs, d’amitié ou encore de confiance. Chaque page nous réchauffe. Chaque mot nous enchante.

L’aventure nous charme tant elle est spontanée et dépourvue d’animosité. Ici et là, en prêtant l’oreille, en respectant les silences, on verra les personnages souffler timidement la raisons de leurs peurs, de leur repli et de leurs rêves. On les entendra aussi parler de leurs espoirs, de leurs idéaux tandis qu’ils énonceront haut et fort l’importance des uns pour les autres, leur amour réciproque. Ces quatre personnages-là, en se rencontrant, ont rencontré leur famille. Le renard a des blessures au cœur, la taupe vit l’instant présent, le cheval est un grand rêveur et l’enfant cherche un endroit où vivre. Aussi différents soient-ils, ils se respectent, s’aiment et se font confiance.

Force est de constater que l’on se sent très bien aux côtés de ce quatuor atypique. On se colle à leur rythme. On écoute, on observe, on contemple. On prend le temps. On rit… Quelques passages se teintent de nostalgie, d’autres nous réchauffent et nous font nous questionner sur la manière dont on perçoit notre environnement, notre quotidien, nos ambitions. Cet album donne des couleurs à des choses que l’on trouvait parfois ternes ou obsolètes.

Un livre à savourer lentement. A lire d’une traite ou par petites bribes. Un livre à écouter et à contempler. Un livre que l’on pose jamais très loin de soi, pour mieux pouvoir y revenir. Une douceur, un délice de voir ces quatre amis questionner le sens de la vie, la chance d’avoir des amis, les bénéfices de l’amour, le sentiment de bonheur et surtout (surtout !)… un ouvrage qui nous rappelle qu’ « on ne voit bien qu’avec le cœur, l’essentiel est invisible pour les yeux ».

« La haine fait beaucoup de bruit, mais il y a dans ce monde plus d’amour qu’on imagine. »

La très belle chronique d’Alice.

L’Enfant, la Taupe, le Renard et Le Cheval (récit complet)

Editeur : Les Arènes

Dessinateur & Scénariste : Charlie MACKESY

Traduction : Laurent BECARIA

Dépôt légal : septembre 2020 / 128 pages / 18 euros

ISBN : 979-10-375-0127-1

L’Epouvantable Peur d’Epiphanie Frayeur, tome 2 (Gauthier & Lefèvre)

Il y a quatre ans, en refermant « L’épouvantable peur d’Epiphanie Frayeur », j’étais bien loin d’imaginer que cet opus aurait une suite. Alors c’est aussi étonnée que curieuse que j’ai eu envie de plonger dans ce « Temps perdu », second tome de la Saga.

Gauthier – Lefèvre © Soleil Productions – 2020

Six mois ont passé depuis qu’elle a affronté sa plus grande peur. Epiphanie avait peur de son ombre. En acceptant de la regarder en face, elle a dépassé ses angoisses et est désormais prête à affronter la vie plus sereinement.

Mais Epiphanie reste une enfant songeuse. Elle se perd régulièrement dans ses pensées et ressent même de l’angoisse lorsque ses parents veulent organiser une fête pour son anniversaire. Elle doit inviter des amis mais… quels amis !!? Il ne faut pas plus que cette petite pointe de malaise pour que l’ombre d’Epiphanie réapparaisse. Ni une ni deux, prise d’une trop grande émotion, Epiphanie perd connaissance et se réfugie dans son monde intérieur. Elle y retrouve ses amis qui l’attendaient pour lui souhaiter son neuvième anniversaire… et lui montrer le chemin pour combattre cette nouvelle peur qui vient pointer le bout de son nez !

Epiphanie va devoir retourner en enfance pour comprendre pourquoi elle a si peur de se faire des amis.

« Les amis, ça s’apprivoise. »

Nous revoilà donc en compagnie d’Epiphanie Frayeur, une petite fille de neuf ans qui a très peur de grandir et de quitter le cocon familial. L’enfant est pourtant bien consciente qu’elle doit aller de l’avant mais trop introvertie, elle n’ose pas se confier. Secrète et solitaire, Epiphanie Frayeur va donc chercher par ses propres moyens l’origine de ses peurs. Et l’endroit le plus logique qu’elle trouve pour cela est de se réfugier en elle-même et d’y retrouver ses amis imaginaires.

Le postulat de départ de Séverine Gauthier est judicieux, d’autant plus que j’adhère assez à l’idée que nous hébergeons en nous les solutions qui permettent de résoudre les problèmes auxquels nous nous heurtons. Face à ces points de butée, certains s’en remettent à leur instinct tandis que d’autres vont intellectualiser à outrance, peser le pour et le contre et parfois, vont finir par se perdre en circonvolution… Epiphanie Frayeur fait partie de ces derniers. A force de mentaliser, l’enfant se prive de tout un tas de choses : elle n’a pas d’amis, pas de loisirs, pas de jeux de prédilection… Elle se prive de tout ce qui permet à l’enfance d’être une période douce et pétillante. La scénariste place ainsi son personnage sur son échiquier narratif et c’est une fois encore dans l’imaginaire que les clés de compréhension sont à trouver. Le courage dont sa petite héroïne fait preuve donne beaucoup d’élan au scénario. Elle bute mais ne renonce pas… sa vie en dépend. Une quête qui a pour but de parvenir à l’épanouissement personnel.

« Flotter est la raison d’être des enfants. »

L’utilisation de métaphores rendent l’ambiance très douce et poétique mais il faut être un jeune lecteur sacrément futé pour ne pas buter sur les nombreuses images verbales qui sont présentes dans la narration. Heureusement, le travail d’illustration de Clément Lefèvre vient nous prêter main forte. A l’aide de clins d’œil appuyés à différentes références de la culture populaire enfantine *…

* [la petite Alice de Lewis Carroll mais aussi des personnages de contes comme celui de Pinocchio, des références aux Animés (Astro, Gigi, Goldorak… ou des personnages de Miyazaki) mais aussi pêle-mêle : les Gremlins, le Muppet Show, Casimir… il n’est pas possible de tous les énumérer !]

L’Epouvantable Peur d’Epiphanie Frayeur, tome 2 – Gauthier – Lefèvre © Soleil Productions – 2020

… , le dessinateur crée un monde imaginaire d’une grande richesse. Le lecteur se sent en terrain familier et peut ainsi se laisser porter sereinement par le récit. On s’égare dans les illustrations par moments, on se régale de laisser notre œil fureter dans les visuels car ici, prendre le temps de contempler certaines cases, c’est aussi voyager dans le terrain connu de notre propre enfance.

Séverine Gauthier parvient parfaitement à transmettre l’idée que grandir, c’est parvenir à dépasser certaines étapes. Un tome beaucoup plus alerte que le précédent. Un régal d’album jeunesse !

L’Epouvantable Peur d’Epiphanie Frayeur

Tome 2 : Le Temps perdu

Editeur : Soleil / Collection : Métamorphose

Dessinateur : Clément LEFEVRE / Scénariste : Séverine GAUTHIER

Dépôt légal : octobre 2020 / 80 pages / 18,95 euros

ISBN : 97823020897304

L’Enfant ébranlé (Xiao)

Xiao © Kana – 2020

« L’Enfant ébranlé » est le premier ouvrage de Tang Xiao traduit et publié en France. Il a la même sensibilité que « Undercurrent » , « Le Pays des cerisiers », « Les Pieds bandés » ou encore « Solanin » que l’on retrouve dans la Collection Made In (édition Kana).

Yang Hao est cet enfant qui traverse à pas de loups son existence. Il a une dizaine d’années. Hypersensible, introverti, élève studieux qui en dehors de l’école aime retrouver ses copains pour jouer aux jeux vidéo ou lire des mangas. Son quotidien, il le partage entre l’école et la vie de famille. Une famille où le père est sans cesse retenu ailleurs par son travail. Une absence qui pèse à Yang Hao. Cette année-là pourtant, son père est de retour. Son secteur professionnel est en crise et il n’a d’autre choix que d’attendre qu’on le positionne sur une nouvelle mission. En attendant, il sera à la maison. Passée l’euphorie des retrouvailles, Yang Hao déchante vite en découvrant un père qui passe la majeure partie de ses journées à jouer au mah-jong avec ses amis, butinant la vie de famille, laissant à sa femme la gérance du foyer et s’étonnant que cette dernière tienne si peu compte des projets d’avenir qu’il a pour leur famille. Yang Hao devient amer et regrette le temps où il avait une image idéalisée de son père. En quête de nouveaux repères, Yang Hao fait la connaissance de Feng Zhun, un garçon qui a la réputation d’être une graine de délinquant.

Yang Hao est à un carrefour de son enfance. Alors qu’il s’apprête à rentrer dans l’adolescence, il se retrouve face à des perspectives nouvelles et une forte envie de contester l’autorité d’un père si distant et si peu affectueux.

Le personnage est sur le fil. Il flirte avec l’interdit sans jamais toutefois se rapprocher trop près de la fine frontière qui ferait tout basculer. Il canalise ses envies et apprivoise ses peurs. Il cherche sans cesse à faire la part des choses et se raccroche à sa mère qui est son seul repère. Il s’ancre à elle, aux valeurs qu’elle lui a transmises et cherche à apprendre doucement à exprimer ses émotions, ses inquiétudes. Le support rêvé se présente à lui ; c’est ainsi qu’il va utiliser l’écriture comme une catharsis. Ainsi, il s’engouffre dans ses devoirs de rédaction pour se dire, reconstruire les liens tels qu’il aurait aimé qu’ils soient, panser les souffrances, soulager sa culpabilité, avouer une fragilité ou un acte qu’il ne parvient pas à assumer. A bas bruit, il grandit. Il mûrit mais s’émanciper fait si peur ! Dans cet apprentissage de soi, il bute car la figure paternelle qu’il avait jusque-là idéalisée est friable, imparfaite, égoïste. Les certitudes enfantines de ce garçon sont tout à coup ébréchées, ébranlées, cahotantes.

En s’ouvrant au monde, il s’ouvre également à lui et identifie peu à peu les facettes de sa personnalité. Il parvient à repérer ce qu’il veut et ce qu’il ne veut pas. Ce qu’il aime, ce qui lui fait peur. Ce qui le dérange. Son regard perd sa naïveté enfantine et ce changement est douloureux. Les belles découvertes laissent plus facilement la place à des constats qui bousculent et embarrassent.

Les dessins réalistes de Tang Xiao contiennent beaucoup de sensibilité. Rien n’est en contraste, comme si l’enfant empilait renoncements et compromis pour trouver la frontière de ses possibles et parvenir – dans les minces interstices qui lui restent – à s’épanouir sans heurter quiconque autour de lui. Le noir et blanc des planches est travaillé au lavis et à l’encre ; il nous offre une myriade de dégradés de gris. L’ambiance graphique de cet ouvrage est généreuse en détails, d’une richesse réelle. Les visages sont dessinés avec autant de précision que de douceur. Les détails (architecture, flore, objets du quotidien) sont quasiment omniprésents, ce qui donne aux décors une vraie consistance et contribue à nous ancrer dans la lecture. Graphisme et scénario forment un tout cohérent. En toile de fond, Tang Xiao montre une société chinoise encore très soucieuse des traditions (fêtes nationales, cérémonies religieuses) mais qui voit l’organisation familiale changer du fait de la réalité économique ; le système patriarcal continue à se déliter.  

Le dessin fait ressortir toute la fragilité du personnage. J’ai eu l’impression qu’il était en alerte, apeuré à l’idée de mal faire et surtout, inquiet à l’idée que ses repères volent en éclat. Et le retour de son père dans le quotidien vient justement chahuter une routine rassurante. Un père tant attendu dont la présente malmène finalement la moindre habitude, le moindre repère.

Il y a de la poésie dans la manière de raconter et de dessiner cette tranche de vie. Un peu de légèreté par-ci par-là que l’on attrape à pleine mains. Et une forme de tristesse chez cet enfant tiraillé par les désirs que les autres ont pour lui, ses propres désirs et une situation familiale dont il peine à comprendre les tenants et les aboutissants. A un âge où les jeux imaginaires occupent encore une belle part du quotidien, le personnage fait preuve d’une maturité surprenante. Cela donne une vraie consistance à l’intrigue et capte notre attention. Un album intéressant et émouvant.

L’Enfant ébranlé (récit complet)

Editeur : Kana / Collection : Made In

Dessinateur & Scénariste : Tang XIAO

Traduction : An NING

Dépôt légal : septembre 2020 / 394 pages / 19,95 euros

ISBN : 978-2-5050-8432-7

Le bel Âge (Merwan)

Merwan © Dargaud – 2020

Violette, Leïla et Hélène.

Une brune, une blonde, une rousse.

Trois jeunes filles aux caractères différents, aux parcours hésitants, aux blessures qu’elle peine à panser, à l’avenir qu’elles hésitent à construire. Des doutes, du manque de confiance… toutes ces questions qui surgissent quand on bascule de l’adolescence à l’âge adulte.

Toutes les trois ne se connaissaient pas avant que Leïla ne passe une petite annonce pour rechercher des colocataires. Lorsque Violette et Hélène se présentent à la porte le jour de la visite, elles accrochent assez vite. Ensemble, elles vont doucement emprunter le chemin de l’âge adulte… celui de la maturité.

C’est la couverture de cette intégrale (qui regroupe les trois tomes de la série) qui m’a invitée à la lecture. Ça et le fait que j’ai lu il y a quelques temps « La Mécanique Céleste » (Merwan m’avait fait forte impression sur ce titre).

Pourtant, sitôt entrée dans « Le bel Âge » … j’ai eu des doutes sur le plaisir que j’allais trouver à le lire. Le quotidien de ces adulescentes, leurs préoccupations parfois futiles et ce dessin si proche de celui de Bastien Vivès m’ont mis en difficulté… il m’aura fallu quelques dizaines de pages pour m’y sentir bien et écarter mes aprioris. Car il n’y a rien de simpliste dans le scénario de Merwan. Rien n’est cousu de fil blanc. Et oui ces filles incarnent parfaitement cet âge de tous les possibles, de tous les doutes, de toutes les contradictions. Elles incarnent à leur manière cette façon de faire face à la tempête existentielle qui souffle en elles. Quand l’une sera entière, l’autre sera plus mesurée. Quand l’une sera forte, l’autre restera campée sur ses positions tandis que la dernière feindra l’indifférence. Et elles s’échangent ces rôles comme la pluie s’efface face au soleil et peu à peu parviennent à affirmer leurs choix… à assumer leur personnalité.

Merwan ouvre délicatement cette fenêtre sur leur vie et raconte avec justesse le chemin qu’elles vont suivre. Nous allons les suivre pendant un an. Douze mois… une poussière de temps dans une vie et pourtant, ce sera une année charnière pour ce trio d’amies. Entre leurs études, les petits boulots nécessaires pour payer le loyer, quelques jalousies, les peines de cœur, les conflits familiaux… une année qui les ballote et les fait tanguer entre joies et peines, entre doutes et certitudes.

A la sortie des tomes de la série (en 2012 et 2014), j’avais hésité à me les acheter. J’avais reposé, rebutée par les visuels de couverture qui me piquaient sérieusement la rétine. Puis c’est vrai qu’à feuilleter, je concluais rapidement que ce dessin (trop proche de celui de Bastien Vivès que j’apprécie pourtant) n’avait rien à me faire découvrir de nouveau. Il aura donc fallu que Dargaud décide de regrouper tout ce petit monde dans cette intégrale et que je tombe en amour pour cette couverture tout de bleu vêtue.

Le Bel âge (one shot)

Editeur : Dargaud

Dessinateur & Scénariste : MERWAN

Dépôt légal : septembre 2020 / 248 pages / 25 euros

ISBN : 978-2-205-08664-5

Le Repas des Hyènes (Ducoudray & Allag)

Ducoudray – Allag © Guy Delcourt Productions – 2020

En Afrique, les adultes consacrent une attention particulière à la transmission de leur expérience aux plus jeunes. L’initiation à cette pratique est le meilleur moyen de confronter la théorie et la pratique. Ainsi, l’enfant tire ses propres conclusions quant à ses erreurs et à ses réussites. Observer, écouter, ne pas agir dans la précipitation…

C’est en tout cas ainsi que cela se passe encore dans le petit village reculé où habitent Kubé et Kana, des frères jumeaux. Kubé est né le premier de fait, c’est à lui que revient certains privilèges, comme celui d’accompagner leur père à la cérémonie du repas des hyènes. Kana se glisse clandestinement non loin de là pour observer le rituel. Le cérémonial est troublé par la venue d’un Yéban.

« Les Yébans sont comme nous, ils craignent l’oubli. Alors qu’importe d’être une chèvre ou une fourmi, du moment qu’ils évitent la mort. Le Yéban est coincé entre notre vie et celle des esprits. Il a juste besoin d’un vaisseau pour voyager. »

Tapis dans les fourrés, Kana ne rate pas une miette de la jouxte verbale qui est menée entre son père et le démon. Voyant que son père n’a pas l’avantage, Kana s’interpose pour protéger son père et son frère. Surpris, le Yéban décide finalement de capturer Kana et conclu un pacte avec l’enfant.

« Décidément, vous les hommes, vous nommez bien rapidement folie ce qui est différent de vous. »

Ce conte fantastique nous emmène sur les chemins de l’Afrique. C’est un enfant qui nous tient compagnie et c’est avec lui et lui seul que ce voyage atypique s’effectue. Petit bonhomme aussi insouciant que courageux. Sa franchise est aussi grande que sa curiosité et ces deux traits de caractère le conduiront malgré lui dans des situations complexes.

En nous invitant ainsi à faire ce voyage onirique, Aurélien Ducoudray aborde avec brio des thèmes pourtant assez casse-gueule. La voix qui nous raconte cette fable est grave et le conteur a le talent pour donner le ton adéquat à chaque séquence narrative. On rit, on est inquiet ou joyeux… le registre des émotions est employé avec gourmandise… et ça fait mouche. Pas de temps morts. Pour ne rien gâcher, le scénariste utilise avec aisance des figures historiques (Behanzin, Jaja d’Opobo…) qui ont marqué de leur empreinte l’Histoire du continent africain. En faisant référence à ces hommes d’état que l’on a érigés depuis belle lurette au rang de légendes, Aurélien Ducoudray chahute la nette frontière qui sépare habituellement fiction et réalité. Car en toile de fond, il est bien question de l’identité africaine. Un continent qui a eu son âge d’or il y a plusieurs siècles puis qui a été étouffé par les colonisations successives et le pillage de sa culture, l’exploitation de son peuple et de ses richesses.

Il y a ici des relents d’air chaud, un souffle de sirocco qui nous surprend à la moindre occasion et une espièglerie malgré la gravité de ce qui nous est conté. Mélanie Allag donne vie à ces paysages de brousse sauvage et à ses reliefs indisciplinés. Son trait est fluide et nous entraîne facilement à découvrir cette quête identitaire.

Jolie surprise de la rentrée que cet album !

Le Repas des Hyènes (One shot)

Editeur : Delcourt / Collection : Mirages

Dessinateur : Mélanie ALLAG / Scénariste : Aurélien DUCOUDRAY

Dépôt légal : septembre 2020 / 112 pages / 17,50 euros

ISBN : 978-2-4130-0211-6